Le contrôle prudentiel, institutionnalisé sous autorité de la Banque de France à travers l'autorité de contrôle prudentiel - elle-même chargée de vérifier la conformité des procédures bancaires et des assurances à la loi française - n'a pas fonctionné dans le cas d'UBS. Toutes mes sources ont affirmé notamment avoir tenté d'alerter l'autorité de contrôle prudentiel très tôt après la constatation des délits. En 2008, le directeur de l'établissement d'UBS Strasbourg avait souhaité faire part de pratiques illégales à l'autorité. Il n'a jamais eu accès à cette autorité de contrôle.
Un groupement de cadres supérieurs avec à sa tête Nicolas Forrisier, responsable de l'audit interne à ce moment-là, a également plusieurs fois alerté cette autorité. Trois courriers et des fuites dans la presse ont été nécessaires pour que l'autorité de contrôle prudentiel déclenche sa propre enquête et transmette au procureur de Paris les éléments qui lui avaient été livrés. Deux ans ont été perdus par cette autorité de contrôle prudentiel dans l'enquête, la vérification et éventuellement la sanction des malversations opérées au sein d'UBS. Cette inaction a eu deux conséquences extrêmement dommageables. Tout d'abord, la direction de la banque a pu disposer de temps lui permettant de se livrer à la destruction de preuves. UBS a même demandé à sa directrice des relations publiques, Stéphanie Gibeault, qui d'ailleurs protestait contre l'évasion fiscale, de faire elle-même le nettoyage de ses fichiers. Ensuite, les témoins potentiels ont tous été licenciés. Ces premiers éléments permettent de s'interroger sur l'efficacité réelle de cette autorité de contrôle prudentiel.
Un événement très récent m'a par ailleurs interpellé. L'autorité de contrôle prudentiel a sanctionné la banque UBS à hauteur de 10 millions d'euros. Cette somme peut paraître considérable mais elle est en fait ridicule par rapport au chiffrage minimum de ce qu'a représenté l'évasion fiscale de 2000 à 2011, c'est-à-dire 850 millions d'euros. Une source suisse estime ce chiffre à plus d'un milliard d'euros. Le rapport de dix millions d'euros d'amende comparé à un milliard d'euros de chiffre d'affaires n'est pas très impressionnant. La direction d'UBS évoque des négligences dans la vigilance, qui auraient été faites à l'insu de son plein gré. Ceci n'est pas du tout crédible. L'organisation de l'évasion fiscale est industrielle, systématique et parfaitement contrôlée.
J'estime que l'autorité de contrôle prudentiel est très timide au regard de la gravité du phénomène. Cette autorité a pourtant le pouvoir de retirer la licence d'une banque ou de décupler la sanction pécuniaire dont je parlais. Le président actuel d'UBS France, Monsieur de Leusse, a pour sa part démissionné très récemment du Conseil d'Etat où il avait eu des fonctions très importantes. Il a néanmoins eu comme réflexe immédiat de faire appel de la décision de l'autorité de contrôle prudentiel auprès du Conseil d'Etat, où il a encore d'excellentes relations. Ainsi, les autorités de contrôle prudentiel de notre pays emploient de nombreuses personnes issues des banques et qui y travaillent parfois encore, y compris à UBS France. Il existe dès lors une porosité très étrange, au regard de la séparation des pouvoirs, entre le secteur financier et le secteur du contrôle public du secteur financier.
J'aimerais maintenant aborder le problème judiciaire. J'ai dénoncé le fait qu'y compris au niveau du parquet, les éléments transmis par l'autorité de contrôle prudentiel n'ont rencontré que de l'indifférence et de la nonchalance. Il a fallu attendre l'alternance politique et la parution du livre d'un journaliste pour que soit ouverte une véritable information judiciaire confiée au magistrat Guillaume Daïeff, rapidement accompagné par le juge d'instruction Serge Tournaire étant donné l'ampleur de la tâche.
Quelles sont les conséquences de cette lenteur ? La récolte des preuves devient presque impossible. Des fichiers ont été effacés. Une perquisition spécifique à motif informatique conduite par le juge Daïeff a été nécessaire pour constater que des instruments informatiques avaient été manipulés dans l'objectif d'effacer des preuves. Nous constatons ainsi une véritable entrave à la justice. Je considère qu'il existe des motifs à ces lenteurs. Certaines personnalités politiques entretiennent des relations coupables avec certains grands fraudeurs, et sont alors réticents à entraver l'action de ces derniers, leurs relations d'amitié ou de support risquant d'être détériorées. Un camp politique et une personnalité politique éminente, Nicolas Sarkozy, étaient particulièrement concernés. Ces pratiques ne représentent pas la vie politique française mais sont suffisamment lourdes pour avoir des conséquences judiciaires.
Enfin, la Cour des Comptes vient d'achever un rapport sur ce qui a pu représenter, dans l'administration française, des entraves à la connaissance du phénomène. Je connais bien les deux rapporteurs.