Monsieur le ministre, comme vous vous en doutez certainement, je ne voterai pas ce projet de loi. Je combats fermement la logique de suspicion, d’enfermement et d’éloignement. Or, malheureusement, ce texte crée la suspicion, enferme et éloigne.
De surcroît, après avoir suscité le mécontentement des magistrats de l’ordre administratif, il agace désormais les magistrats de l’ordre judiciaire.
Comme j’ai eu l’occasion de le faire lors de l’examen des conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure, j’apporte tout mon soutien aux personnels du milieu judiciaire et aux forces de l’ordre, sur lesquels le Président de la République et le Gouvernement tentent de faire peser depuis quelques jours des responsabilités qui n’incombent pourtant qu’à eux.
Quant aux magistrats de l’ordre administratif, dont les organisations syndicales ont appelé à manifester hier contre ce projet de loi, ils craignent, à juste titre, que trois dispositions procédurales ne menacent leurs conditions de travail : la possibilité de tenir des audiences dans les centres de rétention ; la volonté sans cesse affichée d’inverser l’ordre d’intervention des juges de l’ordre administratif et de l’ordre judiciaire ; enfin, la possibilité de statuer par la voie d’un juge unique sur l’interdiction de retour sur le territoire français lorsque l’étranger est placé en rétention.
Les magistrats de l’ordre administratif insistent sur le fait que cette dernière disposition constitue un véritable recul des garanties apportées au justiciable alors qu’aucune situation d’urgence ne justifie, dans ce cas, l’absence de collégialité.
Ce projet de loi porte donc sans aucun doute atteinte à nos droits fondamentaux et à nos libertés individuelles en stigmatisant une fois de plus les étrangers et en suscitant des peurs.
Comment pourrions-nous, par exemple, accepter ce concept nauséabond de « mariage gris » et l’aggravation injustifiée des sanctions pénales encourues en la matière ? Pourquoi faire peser la suspicion sur la seule personne de l’étranger, le conjoint français étant nécessairement présumé de bonne foi ? C’est une véritable présomption de culpabilité qui s’attache ainsi à l’étranger !
Comment avez-vous pu, monsieur le ministre, songer à ce que de nombreuses associations et plusieurs juristes qualifient de « Guantanamo à la française » ? Vous souhaitez en effet enfermer jusque pour une durée de dix-huit mois les étrangers condamnés pour terrorisme ayant déjà purgé leur peine, en les plaçant en rétention administrative. Qu’est-ce, sinon une double peine ?
La seule vocation de la rétention administrative est d’organiser le départ d’un étranger ; elle n’est pas de mélanger mesure de sûreté et sanction d’un comportement passé.
Et que dire des droits de la défense quand vous empêchez qu’une procédure aille à son terme en refusant le recours suspensif des demandeurs d’asile placés en procédure prioritaire, alors même que plusieurs associations, mais aussi la Cour européenne des droits de l’homme ont demandé que ce recours soit suspensif ?
Vous l’aurez compris, les sénateurs écologistes s’opposent fermement à ce projet de loi discriminatoire, liberticide et répressif à l’égard de l’étranger. S’il est adopté in fine, j’espère que le Conseil constitutionnel ou la Cour européenne des droits de l’homme le condamneront.