Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, au cours des débats qui vont s’achever, le Sénat est revenu sur plusieurs mesures inacceptables à nos yeux, et c’est tant mieux.
Je tiens à saluer le travail de la commission des lois, en particulier sur les articles 17 ter et 26, relatifs à la santé des étrangers, sur les articles 37 et 40, relatifs à la place du juge administratif et du juge judiciaire dans la procédure de rétention des étrangers.
Ces sujets sont complexes eu égard à l’enchevêtrement des procédures administratives et civiles qu’a souligné hier le président Longuet. Nous sommes conscients du problème, mais nous estimons que le dispositif prévu par le texte comportait de graves risques d’inconstitutionnalité et soulevait plus de difficultés qu’il n’en résolvait.
Le juge des libertés doit intervenir dans les plus brefs délais, car, qu’on le veuille ou non, si la rétention n’est pas une garde à vue, elle reste une privation de liberté.
Ces avancées notables par rapport au texte initial ont été obtenues en commission et réaffirmées en séance. Aussi, je remercie notre rapporteur, dont la rigueur fait honneur à la commission des lois.
Nous avons également pris acte avec satisfaction de la suppression, à l’article 3 bis, de la mesure portant déchéance de la nationalité. Nous souhaitions qu’il ne se trouvât pas, dans notre hémicycle, de majorité pour la voter ; nous avons été entendus, notamment par nos collègues centristes. Cet article représentait un recul de nos valeurs, portait atteinte à notre Constitution, stigmatisait une énième fois les étrangers naturalisés. Cette mesure ouvrait la porte à des dérives que nul ici ne souhaite à l’évidence, mais que nous ne pouvons pas prévoir.
Grâce à ces modifications, le texte s’en trouve amélioré. Il n’en reste pas moins un mauvais texte.
Ainsi, vous persistez à inscrire dans la loi le délit de solidarité. Nous ne pouvons l’accepter, parce que venir en aide à une personne qui en a besoin ne saurait constituer le motif d’une incrimination. Monsieur le ministre, vous avez essayé de distinguer, parmi les différents motifs, le motif humanitaire. Pour ma part, je ne vois pas comment on peut établir une distinction entre les motifs d’aide : ils sont toujours humanitaires.
Cet article, à lui seul, révèle la philosophie profonde de ce texte : l’étranger est d’abord un profiteur potentiel avant d’être un être humain. Ceux qui lui viennent en aide ne devraient pas le faire. Seuls comptent les étrangers diplômés, les étrangers « de qualité », les « bons » étrangers.
Je reviens sur le « mariage gris », typique de cet esprit de suspicion. Selon vous, il est le fait d’étrangers qui se marient à des Français ou à des Françaises pour avoir des papiers et une carte de séjour. Il n’est pas un vrai mariage parce que l’un des deux conjoints a trompé l’autre sur les motifs de l’union.
J’avoue que, si ce genre de situation peut éventuellement exister, nous sommes bien en peine d’intervenir, en tant que législateur. Quels outils juridiques proposer pour juger de la véracité du consentement de quelqu’un, de la validité de ses sentiments ? Comment diable un juge va-t-il pouvoir décider qu’un étranger a dissimulé ses intentions à son conjoint, pour reprendre les termes de votre projet de loi ? À mon sens, on entre là dans le tréfonds des cœurs, dans l’intime, et il est très difficile de trancher.
On se trompe parfois avec les sentiments : on croit aimer et l’on finit par se rendre compte qu’on se leurre. On change alors d’avis, on demande le divorce. Nombre de couples vivent ces situations ; c’est même assez fréquent chez des couples « franco-français ». Ces mariages ne sont pas pour autant considérés comme frauduleux. Pourquoi une telle suspicion dès que le mariage implique des étrangers ?
Cela ferait presque rire si les peines encourues n’étaient pas si lourdes : sept ans de prison, 30 000 euros d’amende, soit autant que pour le proxénétisme et la traite d’êtres humains.