Concernant la CIF, le rapporteur et moi-même avons rédigé des amendements de suppression ayant rencontré un succès d'estime. Le gouvernement n'a visiblement aucune intention d'agir en ce sens. Nous n'avons toutefois pas été convaincus par les motifs du maintien de la CIF. Ses délais d'intervention jouxtent parfois la prescription. La réforme de la CIF telle qu'intervenue dans les débats n'est pas forcément satisfaisante.
Eric Ginter. - La CIF a été créée pour pacifier les relations entre les contribuables et l'administration. En tant que praticien, je pense que la CIF n'apporte pas grand-chose. La procédure telle qu'elle a été créée est essentiellement écrite, ni les contribuables ni l'administration n'étant entendus, contrairement aux modalités en vigueur dans le cadre du comité des abus de droit fiscal par exemple. La CIF était initialement composée de membres du Conseil d'Etat et de la Cour des comptes, donc d'aucun organe de la justice judiciaire. Elle ne pouvait donc établir de véritables pré-jugements.
La suppression de la CIF ne me gênerait pas fondamentalement. Si cette institution comprend des magistrats de l'ordre judiciaire, la compréhension de son rôle en sera encore compliquée, car la présence actuelle de magistrats administratifs n'implique pas l'ordre judiciaire, donc pénal.
La CIF intervient en outre en amont des procédures, en autorisant certaines initiatives telles que des perquisitions ou des écoutes. Peut-elle ensuite intervenir en aval pour donner un avis sur des poursuites pénales ?
Francis Delattre. - Le principe est celui selon lequel une décision ne peut s'appliquer sans recours et sans discussion. Il s'agit d'éviter une censure du Conseil constitutionnel.
Je ne suis toujours pas convaincue de l'utilité de la CIF. Nous ne parviendrons toutefois à aucune décision sans modification constitutionnelle par une question préjudicielle. La CIF n'est pas une juridiction, elle viole les principes du contradictoire ainsi que tous les principes procéduraux de droits de la défense, et elle constitue une entité d'exception.
Concernant les prix de transfert, j'ai étudié des rapports de l'administration fiscale relatifs à la possibilité de leur validation. Je rejoins les propos de Monsieur Monsellato d'après lesquels les personnels qualifiés pour juger des prix de transferts font face à des difficultés pour la résolution desquelles ils ne disposent pas toujours de tout ce qu'il faudrait
Pensez-vous plausible la procédure actuelle de soumission du prix de transfert à un aval de l'administration visant à éviter les redressements ? Quelles seraient vos préconisations en matière de formation des agents ?
Gianmarco Monsellato. - La loi sur les accords préalables de prix de transfert en France date de 2000. Je l'avais alors soutenue en prônant une généralisation des accords préalables de prix. Les prix de transfert sont en effet un conflit entre Etats. Le contribuable n'a pas à l'assumer, et doit donc pouvoir s'accorder préalablement avec une ou deux administrations concernées. Les entreprises internationales souhaitent la sécurité sur ces sujets, le risque étant pour elles tant comptable que lié à leur image.
Les agents français gérant les prix de transfert sont très compétents, mais trop peu nombreux. Il conviendrait d'accroître leur nombre. Les intérêts du Trésor seraient ainsi servis, puisque les entreprises seraient davantage incitées à arbitrer en faveur de la France. Elles seraient quant à elles plus sécurisées. Les responsables de l'administration sont réticents à donner des accords préalables de prix supplémentaires, car ils craignent que le Parlement estime que ces accords sont donnés trop facilement aux grands groupes. Un accord contractuel entre l'administration et une entreprise internationale est en effet toujours suspect en France car perçu à tort comme une faveur.
Il est important que la France dispose d'une procédure de qualité sur les accords préalables de prix, afin d'accroître les recettes fiscales tout en encourageant l'économie par une amélioration de la sécurité. Nous devons nous placer à armes égales, car les Américains et les Japonais envoient une vingtaine d'agents lors des négociations sur un dossier, quand la France n'en envoie que deux. Dans ce domaine, les entreprises sont les alliées de l'administration, les autres Etats étant l'adversaire. La France avait beaucoup progressé entre 2000 et 2005, et a beaucoup reculé depuis. Très peu de dossiers sont déposés aujourd'hui, car la procédure est trop complexe.
52 dossiers de ce type ont été déposés cette année.
Gianmarco Monsellato. - Les dossiers déposés ne sont pas traités efficacement par l'administration faute de moyens.
Eric Bocquet. - Ce défaut de confiance avec l'administration résulte-t-il des fonds turbo ? Pourriez-vous nous réexpliquer le fonctionnement de ces fonds ?
Eric Ginter. - Les fonds turbo étaient des fonds communs d'investissement ayant donné lieu à un crédit d'impôt. Les banques avaient demandé à l'administration de ne pas être contraintes de recalculer le montant du crédit d'impôt après la clôture de l'exercice, et l'administration a admis cet élément de souplesse. Certains se sont donc engouffrés dans la brèche en multipliant de façon exponentielle le nombre de personnes concernées, donc le crédit lui-même. Les entreprises, en investissant quelques jours dans un fonds, pouvaient récupérer le crédit et acquitter par ce moyenl'impôt sur les sociétés dont elles étaient redevables.
Ce mécanisme s'est largement répandu et a profité à divers établissements financiers. L'administration n'a réagi qu'après la publication d'un rapport de la Cour des comptes.
Eric Bocquet. - Le crédit impôt recherche bénéficie-t-il essentiellement aux banques ?
Gianmarco Monsellato. - Non, vraiment pas. Les chiffres avancés par la presse sont peu sérieux. Cela résulte d'une confusion. La comptabilité nationale compte comme sociétés financières les holdings tête de groupe, or celles-ci voient remonter le crédit d'impôt recherche de leur usine filiale. Les banques disposent de moins de 5 % du crédit d'impôt, pour des activités de recherche liées aux systèmes informatiques.
Eric Bocquet. - Des contentieux fiscaux ont-ils porté sur le rattachement territorial des produits et des pertes sur des produits dérivés ?
Gianmarco Monsellato. - Les contentieux n'en étaient pas au sens juridictionnel, mais au sens de la double imposition ; ils étaient donc traités par des conventions fiscales d'arbitrage ou des procédures amiables entre les Etats. Les plus classiques ont porté sur un équilibrage entre les profits et les pertes assumés par les Etats. L'OCDE a émis un principe, peu suivi par les Etats, consistant à analyser où se trouve le capital suffisant pour absorber les risques de perte, et où se situent les individus disposant des compétences et de l'autorité pour juger de l'allocation de ce capital.
Eric Bocquet. - Madame Sieraczek-Laporte, vous avez récemment publié un ouvrage, Exilés fiscaux : tabous, fantasmes et vérités. Pourriez-vous définir chacun de ces trois termes ?