Monsieur le Président, Monsieur le rapporteur, Madame la sénatrice, quelques propos introductifs pour essayer d'aborder une partie des différents sujets qui figurent dans le questionnaire transmis par votre commission.
La Direction nationale d'enquêtes fiscales (DNEF) est une direction à compétence nationale de la direction générale des finances publiques (DGFiP). Elle est basée à Pantin et comprend environ 400 agents. Elle intervient en matière de recherche et de collecte du renseignement fiscal, et effectue des enquêtes pour détecter les fraudes les plus importantes.
Son objet principal est d'alimenter, à partir de ses recherches et enquêtes, les autres services de la DGFiP en propositions de vérifications ou de contrôles, qu'il s'agisse des directions nationales, comme la Direction des vérifications nationales et internationales (DVNI) et la Direction nationale de vérification des situations fiscales (DNVSF), mais également les Directions interrégionales de contrôle fiscal ou les brigades départementales de contrôle.
C'est le seul service de la DGFiP habilité à mettre en oeuvre des procédures de visite domiciliaire et de saisie, conformément à l'article L. 16 B du livre des procédures fiscales, sur autorisation du juge judiciaire.
La DNEF n'effectue elle-même qu'un nombre limité de vérifications de comptabilités d'entreprises, essentiellement pour lutter contre la fraude internationale en matière de TVA - « carrousels TVA » - ou fraude à la TVA sur les moyens de transport et les véhicules d'occasion notamment. Elle est dans ce domaine la correspondante pour la France du réseau Eurofisc, qui échange entre pays membres de l'Union européenne des données relatives à la TVA. Elle procède à un certain nombre de demandes d'assistance administrative auprès d'autres Etats et répond aux demandes d'assistance administrative provenant de ces Etats.
Trois sources de programmation se combinent :
- Nous développons beaucoup l'analyse « risque », qui repose sur le croisement de bases de données ou d'informations issues de l'assistance administrative internationale et vise à identifier, par des requêtes informatiques, des incohérences et des ruptures de comportement.
- La seconde source concerne la recherche de renseignements, qui repose sur la mobilisation et la fiscalisation d'informations externes, en provenance d'autres services en charge de la lutte contre la fraude -police, gendarmerie, justice, affaires sociales, TRACFIN, Etats étrangers- ou de sources complètement extérieures -aviseurs.
- Enfin, la mobilisation des informations existantes repose sur l'exploitation des faits constatés ou d'informations transmises par les services gestionnaires ou vérificateurs.
La DNEF est placée sous l'autorité du service du contrôle fiscal de la DGFiP, qui assure une mission de pilotage et de coordination des différents services de recherche et de contrôle, en particulier de l'activité des trois directions nationales.
Pour répondre par avance à l'une des questions qui m'ont été adressées par votre commission, je précise que la DNEF n'a aucun contact direct avec le ministre ou son cabinet, sauf si le ministre nous fait l'honneur de sa visite à Pantin, comme il l'a fait en juin dernier. Elle rend compte de son action à sa direction générale.
Sur les sujets en lien avec la commission d'enquête, la DNEF a engagé plusieurs actions spécifiques ces dernières années pour identifier des avoirs détenus à l'étranger auprès d'établissements financiers.
Nous avons lancé une opération de droit de communication auprès des banques et établissements financiers, en application de l'article L. 96 A du livre des procédures fiscales.
Ce droit de communication est intervenu en deux vagues, tout d'abord en novembre 2010 auprès de 449 banques pour leur demander de nous indiquer les transferts de capitaux d'un montant supérieur à 15 000 €, effectués sur certaines périodes, à destination d'une quinzaine de pays non coopératifs ou pratiquant le secret bancaire.
Nous avons identifié 8 000 contribuables, dont 1 200 ayant réalisé un virement sur un compte à l'étranger présumé leur appartenir. Ils ont fait l'objet d'un contrôle sur pièces de leur dossier fiscal et, pour certains, de contrôles plus lourds, actuellement en cours d'achèvement.
La deuxième vague a eu lieu en février 2012, auprès de 775 banques, en vue de compléter les informations reçues précédemment et de couvrir une période plus récente, sur des informations relatives aux années 2009 à 2011, en modifiant légèrement les seuils de virement et les pays ciblés. Cela a permis d'identifier un peu plus de 1 100 personnes physiques, résidant en France et présumées avoir réalisé des virements sur un compte à l'étranger leur appartenant, ce qui n'est pas en soi interdit mais qui, dans certains cas, peut permettre de déceler des comptes non déclarés.
La DNEF s'est par ailleurs mobilisée sur plusieurs affaires, d'ampleurs différentes, qui ont conduit à l'identification de comptes non déclarés à l'étranger.
La plus importante est l'affaire HSBC. Vous avez auditionné récemment M. Falciani à ce sujet.
Ce dossier a mobilisé sur une très longue période une part importante des moyens de la DNEF. M. Eckert, rapporteur général de la commission des finances de l'Assemblée nationale, a fait un point précis et actualisé sur le traitement de ce dossier par les services de Bercy en juillet dernier. Ce rapport a été établi à partir de l'ensemble des données auxquelles M. Eckert a pu avoir accès conformément à son pouvoir de contrôle sur pièces et sur place. Je suis à votre disposition pour répondre à vos éventuelles questions.
La DNEF a reçu l'ensemble de données informatiques réparties dans de multiples fichiers transmis par M. Falciani et a travaillé en partie en liaison avec lui sur le décryptage de cette masse de données qui, contrairement à ce qui a été souvent présenté, n'était pas une liste achevée de contribuables, à l'origine, mais des données qu'il a fallu retraiter de manière assez complexe pour identifier les résidents français détenant des comptes à l'étranger.
La DNEF a fait un nombre important de propositions en matière de vérifications de contrôles, qui ont été traitées par les directions nationales de contrôle dont vous avez auditionné les responsables.
Des informations relatives à des comptes à l'étranger ont été fournies par d'autres Etats, comme dans l'affaire dite du Lichtenstein. Fin 2007 et début 2008, les autorités britanniques, puis les autorités allemandes, ont transmis à la France des documents contenant une liste de 200 noms, regroupés en 64 groupes familiaux. Ces dossiers ont fait l'objet de procédures de contrôles. Les autorités allemandes et britanniques nous transmettent régulièrement des informations nominatives sur des détentions de compte à l'étranger.
L'autre affaire célèbre est celle de l'Union des banques suisses (UBS). Une instruction judiciaire est en cours pour démarchage bancaire et financier illicite et blanchiment de fraude fiscale en bande organisée. Le secret de l'instruction ne me permet pas d'être plus disert sur notre activité. L'administration fiscale s'est constituée partie civile, et collabore régulièrement avec la justice dans cette affaire. Elle tirera les conséquences fiscales qui s'imposent si l'instance établit que des contribuables français ont ouvert et détiennent des comptes non déclarés à l'étranger.
Le dernier élément récent qui nous amène à procéder à des investigations est la publication par un consortium international de journalistes d'investigation de bases de données, plus de 2,5 millions de documents divers concernant 120 000 sociétés offshore -l'affaire « Offshore Leaks ».
L'enjeu est pour nous d'avoir connaissance des liens avec des personnes domiciliées en France. Il ne semblerait pas y en avoir énormément en première analyse. Cette base de données est très intéressante car elle indique les liens entre des personnes et des structures situées dans des pays à fiscalité privilégiée, mais elle ne donne pas de références sur les comptes bancaires ou les montants financiers. C'est important pour corroborer les informations ou nous mettre sur certaines pistes, mais cela ne permettra pas d'avoir l'équivalent des informations fournies par M. Falciani, par exemple.
Suite à ces différentes opérations, et notamment l'affaire HSBC, la DNEF a mis en place en 2010, après avis de la Commission nationale informatique et liberté (CNIL), un fichier EVAFISC qui a pour objectif de recenser les informations laissant présumer la détention de comptes bancaires hors de France par des personnes physiques ou morales. Ce fichier a vocation à collecter toutes les informations dont nous pouvons disposer à l'occasion des différents contrôles. Il est à la disposition des autres services de la DGFiP et est également consulté par les services de police, de gendarmerie ou parfois les douanes. Ce fichier contenait, au 30 juin 2013, environ 9 000 noms de personnes physiques. Il s'agit de présomption de détention comptes bancaires à l'étranger et non pas toujours d'éléments certifiés.
Pour conclure, ces propos introductifs, je voudrais mentionner deux points.
Grâce à l'action du législateur -et le projet de loi de lutte contre la fraude en est une nouvelle démonstration- l'administration dispose de moyens juridiques renforcés vis-à-vis des acteurs établis sur le sol national, et en particulier vis-à-vis des banques. Notre action est par nature beaucoup plus limitée vis-à-vis d'organismes situés à l'étranger. Un dispositif généralisé d'échanges spontanés ou automatiques d'information est seul en mesure de lever une partie importante de ces contraintes.
Il convient de bien distinguer l'action de l'administration fiscale de celle des autorités judiciaires, même si notre action est de plus en plus coordonnée. Notre action vise avant tout à appréhender des sommes qui ont échappé à l'impôt. Celle du juge a un spectre plus large.
L'administration a bien entendu la possibilité de proposer des poursuites pénales, ce qu'elle fait pour les fraudes les plus graves, y compris en amont de tout contrôle, en recourant à la police fiscale.
Nous utilisons le plus possible la notion de complicité de fraude fiscale, afin que le juge puisse poursuivre toutes les personnes qui aident ou assistent le contribuable dans la commission de l'infraction elle-même, mais l'établissement d'éventuelles complicités nécessite de réaliser des investigations judiciaires lourdes pour établir leur rôle de facilitateur de la fraude fiscale. Lorsque nous saisissons le juge, nous prenons le soin de viser l'auteur présumé des infractions et ses complices. Nous appelons systématiquement l'attention des parquets sur ce sujet au moment du dépôt de plaintes pour fraude fiscale et, en qualité de partie civile, au cours de la procédure judiciaire.
Par ailleurs, en matière d'escroquerie, nous sommes amenés à porter plainte fréquemment, notamment en matière de lutte contre les carrousels de TVA, et en matière de blanchiment, à informer les autorités judiciaires ou TRACFIN.