Intervention de Guy Piolé

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 26 octobre 2016 à 17h30
Opérations extérieures du ministère de la défense opex — Communication et Audition pour suite à donner à l'enquête de la cour des comptes

Guy Piolé, président de la deuxième chambre de la Cour des comptes :

C'est en février dernier que votre commission des finances a émis le souhait que la Cour des comptes participe à une enquête sur les Opex. Notre Premier Président a donné en mars une réponse favorable à votre demande, et nous voilà en octobre : c'est dire si nous avons travaillé dans des délais contraints, d'autant que nos procédures contradictoires, qui imposent des délais de réponse, ont été respectées. En lien avec votre rapporteur spécial, nous avons organisé notre travail autour de deux axes : les coûts et les moyens budgétaires, d'une part, et la question de la pertinence des moyens et de leur soutenabilité, de l'autre.

Son premier message est que les surcoûts des Opex sont imparfaitement appréhendés dans les lois de finances. L'idéal serait de connaître ex ante les coûts réels de chaque Opex, mais le ministère de la défense ne dispose pas de l'appareillage technique nécessaire à leur évaluation précise, et le créer nécessiterait un effort considérable. Il faut donc raisonner en termes de surcoûts. De 1,1 milliard d'euros en 2015, les surcoûts passeront à 1,2 milliard d'euros cette année. En moyenne, depuis 2012, ils avoisinent le milliard d'euros. La Cour des comptes a pris acte de cette approche par surcoûts, qui est d'ailleurs semblable à celle des Britanniques.

Le surcoût par homme projeté a doublé depuis le début des années 2000, passant de 56 800 euros à 125 900 euros. Certes, les Opex ne se ressemblent pas entre elles, et varient par leur intensité, leurs conditions géographiques ou le type d'engagement. Mais le coût des télécommunications, notamment satellitaires, et celui du soutien à l'homme sont en hausse constante. Comme le nombre de combattants projetés a diminué, le coût unitaire augmente.

Si l'approche par surcoûts correspond bien à l'objectif comptable de procurer l'information nécessaire à la décision budgétaire, la Cour des comptes regrette que ces surcoûts ne soient pas complètement évalués et sincèrement prévus dans le budget. Leur traitement dérogatoire a pour conséquence une budgétisation annuelle très insuffisante : le montant figurant en loi de finances est passé de 630 millions d'euros à 450 millions d'euros. Ces montants se fondent sur la loi de programmation militaire (LPM), socle qui a tendance à déterminer la prévision budgétaire.

Pourtant, le ministère de la défense a une connaissance assez fine de ce que coûtent les Opex. Il tient une liste des dépenses occasionnées, selon une méthode toutefois ancienne, puisqu'elle date de 1984. Cette méthode a été adaptée en 2010, sans être pour autant avalisée par la direction du budget. L'explication de l'écart entre le montant prévu en loi de finances et celui des surcoûts ne s'explique donc pas par la difficulté à faire des prévisions.

Le bouclage s'effectue grâce au financement interministériel, par un décret d'avance. Le ministère de la défense y participe lui-même. Son programme 146 « Équipement des forces » est victime de ces ajustements.

La Cour des comptes a examiné l'exhaustivité de l'inventaire des composantes des surcoûts. L'une des principales est constituée des frais de personnel. L'indemnité de sujétions spéciales à l'étranger (ISSE) coûte un peu moins de 300 millions d'euros par an. Ce chiffre correspond-il à la réalité ? Il y a des incertitudes, bien naturelles à ce niveau d'agrégation. Les mêmes difficultés peuvent être constatées avec les sommes retenues pour les dépenses de fonctionnement, en raison de l'instabilité de leur périmètre. Quant aux dépenses d'intervention, elles correspondent aux contributions versées par la France pour le financement des opérations militaires des alliances permanentes auxquelles elle participe, et sont distinctes du coût réel de l'engagement de ses propres moyens.

En sus des surcoûts déclarés, certaines charges devraient être imputées aux Opex, comme par exemple les coûts de structures, qu'en comptabilité analytique on qualifierait de coûts indirects. S'y ajoutent les facteurs de charges, comme le suramortissement des matériels lié à leur surutilisation en environnement d'Opex, ou l'incidence des Opex sur certains coûts de ressources humaines. Ces limites méthodologiques sont liées à l'absence d'un appareillage comptable exhaustif, qui serait très coûteux à mettre en place. La principale recommandation est de procéder à une évaluation sincère en loi de finances des sommes nécessaires au financement des Opex.

Les forces sont engagées à un niveau excédant celui de leur contrat opérationnel. Si on se situe par rapport aux référentiels que constituent le Livre Blanc et les contrats opérationnels, on constate que les engagements touchent la limite du plafond capacitaire défini par le livre blanc. Certes, la Cour des comptes n'est pas seule à le dire. Le quart des forces engagées le sont en Opex, ce qui est considérable. La préparation du personnel et du matériel en souffre, et des choix d'affectation parfois difficiles doivent être effectués. Autre fragilité : la France a de plus en plus recours à l'assistance de ses alliés. La Cour des comptes recommande donc d'évaluer, pour la prochaine loi de programmation militaire, les moyens d'une préparation opérationnelle suffisante. L'actualisation de la loi de programmation militaire a déjà fixé des priorités correctrices, qui devraient commencer à faire sentir leurs effets en 2018 et 2019.

Le soutien aux forces a surmonté certaines difficultés de coordination, mais il présente encore des tensions préoccupantes. Santé, carburant, maintenance, munitions : autant d'éléments indispensables à la réussite des Opex. Le soutien comporte une dizaine de sous-fonctions assurées par diverses entités dans une logique interarmées, ce qui pose des problèmes d'articulation complexes. Après 2014, la coordination a fortement progressé grâce à la montée en puissance du centre du soutien des opérations et des acheminements (CSOA). Des améliorations restent souhaitables dans le soutien de l'homme, sous la responsabilité du service du commissariat des armées, ou la maintenance de matériels anciens, pourtant très robustes. Pour maintenir un taux de disponibilité suffisant en Opex, les prélèvements se multiplient sur les matériels en métropole, ce qui a des conséquences sur la préparation des forces.

Des insuffisances capacitaires ont été constatées dans le renseignement - notamment un manque de drones - et le transport aérien, où la régénération des matériels anciens entraîne des coûts croissants. Pour résoudre la quadrature du cercle, les armées externalisent le soutien, en faisant appel aux alliés ou à des prestataires privés. Cette externalisation pourrait être optimisée en calibrant mieux le soutien.

- Présidence de M. Richard Yung, vice-président - 

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