Intervention de Jean-Pierre Michel

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 18 juin 2014 à 9h10
Renforcer l'efficacité des sanctions pénales — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Jean-Pierre MichelJean-Pierre Michel, rapporteur :

Elle engendre toujours promiscuité et violences et empêche l'administration pénitentiaire de mettre en oeuvre des projets de réinsertion. Nos collègues Jean-René Lecerf et Nicole Borvo l'ont souligné dans leur rapport de 2012, le bilan de l'application de la loi pénitentiaire est encore décevant. L'obligation d'activité, par exemple, se réduit en moyenne à quatre heures et demie chaque semaine de sport ou en bibliothèque.

Le nombre d'aménagements de peine a beaucoup augmenté, comme le demandait la loi pénitentiaire, mais surtout au bénéfice du placement sous surveillance électronique, qui consiste essentiellement à vérifier que le condamné se trouve à son domicile aux heures fixées par le juge. Les mesures de semi-liberté ou de placement à l'extérieur, plus propices à la réinsertion, sont en revanche peu développées.

Dans ces conditions, les sorties sèches demeurent majoritaires : 80% des détenus sortent sans avoir bénéficié du moindre accompagnement ; cette proportion monte à 84% pour les condamnés à une peine entre six mois et un an et à 98 % pour les condamnés à moins de six mois. Or, il est établi que les sorties sèches augmentent le risque de récidive : la plupart des détenus sortant dans ces conditions retrouvent le milieu de la délinquance. C'est l'une des raisons pour lesquelles certains de nos voisins (Allemagne, Suisse) ont interdit, sauf exception, le recours aux courtes peines d'emprisonnement.

Cette situation a été aggravée par les lois sur la récidive adoptées entre 2005 et 2012. Mon rapport écrit présente l'ensemble des mesures adoptées, dont les peines planchers sont la plus emblématique. Les conditions d'accès aux aménagements de peine ont été durcies, la surveillance à la fin de la peine facilitée, l'excuse de minorité a été écartée ; des tribunaux correctionnels pour mineurs, enfin, ont été instaurés.

Ces lois, qui reposaient sur une logique, que l'on peut comprendre, de gradation de la réponse judiciaire face à l'entêtement dans la délinquance, sont en réalité peu pertinentes, notamment parce que la notion de récidive légale, qui se distingue du concours d'infractions et de la réitération d'infractions, ne correspond pas à ce que les gens entendent habituellement par récidive.

Cette logique de gradation de la réponse pénale n'est pas non plus toujours adaptée aux situations concrètes et aux différentes trajectoires de sortie de la délinquance, qui ne sont pas rectilignes.

Je dirai enfin quelques mots des peines alternatives à la prison.

Comme la Cour des comptes l'a relevé en 2010, les peines exécutées en milieu ouvert sont « quantitativement importantes, mais qualitativement négligées ». Le sursis avec mise à l'épreuve (SME) représente les trois quarts des mesures suivies en milieu ouvert par le service pénitentiaire d'insertion et de probation (SPIP) - près de 80 000 SME ont été prononcés en 2011, dont un tiers dans le cadre d'une peine mixte ; 15 000 peines de travail d'intérêt général (TIG) ont été prononcées en 2011. Les peines alternatives, comme les stages ou l'annulation du permis de conduire, sont moins fréquentes.

Dans le cas du SME, les contraintes imposées ne sont pas toujours bien adaptées, les délais d'exécution sont souvent longs, et la prise en charge par le SPIP se résume fréquemment à un simple contrôle du respect des obligations, sans suivi particulier axé sur la réinsertion et la prévention de la récidive.

Nous avons souvent évoqué les difficultés rencontrées pour multiplier les offres de TIG auprès des collectivités locales et des organismes publics. Elles sont notamment imputables à la crise d'identité que traversent les SPIP. Jean-René Lecerf en avait parlé, il y a quelques mois, dans son avis budgétaire ; à l'heure actuelle, les SPIP sont saturés. Chaque conseiller suit en principe l'application d'environ quatre-vingt-dix mesures, mais en réalité ce ratio atteint souvent cent cinquante à deux cents mesures par conseiller, ce qui est incompatible avec un suivi efficace. Par comparaison, un éducateur de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) suit en moyenne vingt-cinq mineurs.

Les SPIP sont confrontés au recentrage de leurs missions sur la prévention de la récidive, qui a laissé de côté le travail social. La loi du 27 mars 2012, à laquelle nous nous étions opposés, leur a retiré une grande partie des enquêtes de personnalité pré-sentencielles. Les SPIP vont également connaître, dans les années à venir, un renouvellement de génération : le Gouvernement a annoncé le recrutement de mille agents supplémentaires d'ici 2017, mais cette augmentation du corps de l'ordre de 25 % ne suffira sans doute pas. Quatre-cents postes ont déjà été ouverts par la loi de finances pour 2014, l'objectif énoncé par Jean-Marc Ayrault lors du dépôt de ce projet de loi étant de parvenir, à terme, à un ratio de 40 mesures par conseiller.

Le texte a été significativement enrichi par l'Assemblée nationale. Le projet de loi initial contient notamment un important volet consacré à l'individualisation des peines, supprimant les peines planchers et rétablissant l'obligation de motivation de toute peine d'emprisonnement ferme non aménagée, y compris pour les récidivistes. La révocation du sursis ne sera plus automatique. Ce projet de loi crée par ailleurs une césure du procès pénal afin de mener une enquête sur la personnalité de l'auteur, sur le modèle de ce qui existe déjà pour les mineurs.

Le projet de loi propose de développer la probation, en s'inspirant d'expériences conduites dans les pays anglo-saxons et des recommandations du Conseil de l'Europe : il crée ainsi une nouvelle peine, la contrainte pénale, susceptible d'être prononcée pour des infractions punies de cinq ans d'emprisonnement maximum lorsque la personnalité de l'auteur justifie un accompagnement socio-éducatif renforcé. Cette peine pourrait être prononcée pour une durée de six mois à cinq ans et comprendrait des mesures d'assistance, de contrôle et de suivi, ainsi que certaines obligations ou interdictions, comme l'exécution d'un stage, d'un TIG, la réparation du dommage causé à la victime, ou encore une injonction de soins... Sa mise en oeuvre reposerait avant tout sur les juges d'application des peines (JAP) et sur les conseillers d'insertion et de probation. Une réévaluation régulière de la situation de la personne est prévue.

Afin de limiter les sorties sèches, une procédure de libération sous contrainte obligera l'administration pénitentiaire à examiner la situation de toutes les personnes condamnées à une peine inférieure ou égale à cinq ans lorsqu'elles ont exécuté les deux tiers de leur peine, en vue de décider, si possible, une mesure de sortie encadrée. À l'inverse, sans que l'on comprenne parfaitement la cohérence d'ensemble, l'article 7 revient sur l'une des mesures essentielles de la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009, en ramenant de deux ans à un an pour les non-récidivistes, et de un an à six mois pour les récidivistes, le seuil d'emprisonnement autorisant un aménagement de peine.

Le projet de loi souligne également la nécessité d'éviter les ruptures de prise en charge entre le milieu fermé et le milieu ouvert en associant plus étroitement les services publics concernés.

Les droits des victimes tout au long de l'exécution de la peine sont reconnus et les pouvoirs de police et de gendarmerie pour le contrôle du respect des obligations résultant de condamnations sont renforcés.

Si les députés ont peu modifié le projet de loi initial, ils ont procédé à de nombreux ajouts, en s'appuyant sur le travail très important du rapporteur Dominique Raimbourg. Ils ont fixé pour les aménagements de peine un quantum unique d'un an d'emprisonnement, applicable aux non-récidivistes comme aux récidivistes ; ils sont parvenus à un compromis avec le Gouvernement sur le champ de la contrainte pénale, en prévoyant qu'elle s'applique jusqu'en janvier 2017 aux délits punis de cinq ans et, à compter de cette date, à tous les délits ; ils ont enfin autorisé les forces de police et de gendarmerie à recourir à la géolocalisation et à l'interception des communications lorsqu'elles soupçonnent une personne de ne pas respecter les obligations résultant de sa condamnation.

Une trentaine d'articles nouveaux sont venus enrichir le texte : ils contiennent plusieurs dispositions sur les victimes, les bureaux d'aide aux victimes, le recours à la justice restaurative avec l'accord de la victime, une nouvelle procédure d'indemnisation lorsque celle-ci ne s'est pas constituée partie civile, enfin la création d'une sorte de taxe de 10% sur toutes les amendes pénales prononcées afin de financer l'aide aux victimes.

Quant à l'exécution des peines, les députés ont notamment prévu que lorsqu'un condamné n'aura pas pu, ou voulu, bénéficier d'un aménagement de peine, il pourra être soumis par le JAP, pendant la durée des crédits de peine et des réductions de peine supplémentaires, au respect de certaines mesures de contrôle, obligations ou interdictions visant à sa réinsertion.

Les députés ont intégré la proposition de loi d'Hélène Lipietz sur la suspension de la détention provisoire pour motif médical, que le Sénat avait votée à l'unanimité en février dernier, et allégé la procédure de suspension de peine pour raison médicale.

Ils ont également ajouté un volet de prévention de la délinquance pour impliquer davantage les acteurs locaux de terrain, notamment au sein des conseils locaux de sécurité et de prévention de la délinquance. Ils ont eu raison : la libération sous contrainte ne peut réussir que si l'ensemble du milieu social collabore. Les associations agréées devront prendre plus de place.

Les députés ont enfin adopté plusieurs articles qui augmentent considérablement les pouvoirs de la police et de la gendarmerie, posant un problème de constitutionnalité. Le ministère de l'intérieur est d'ailleurs opposé à ces ajouts.

Ce projet de loi doit être placé dans la continuité de la loi pénitentiaire : il repose sur l'idée que la sanction est faite pour punir, mais aussi pour réinsérer et éviter la récidive, ce qui est dans l'intérêt de la société. Il défend des principes que notre commission a toujours défendus sous toutes les majorités. Nous sommes tous d'accord sur cette philosophie du droit pénal qui a émergé après 1945 et a fourni des gardes des sceaux tels que François de Menthon ou Pierre-Henri Teitgen et de nombreux magistrats et professeurs de droit. Tous ont réaffirmé leur foi en l'homme malgré les camps de concentration.

Il faudra aussi reprendre des préconisations de la conférence de consensus qui a rassemblé des personnalités très différentes, parfois étonnamment en accord - je me souviens par exemple du maire de Montfermeil.

La contrainte pénale est la mesure phare de ce projet. Sa création, que j'approuve, comblera le retard pris par notre pays en matière de probation. Je suis d'accord avec le compromis consistant à procéder par étapes, en la réservant aux délits punis de cinq ans avant 2017, et en l'élargissant au-delà. Mais le système présente un défaut : la contrainte pénale reste une simple alternative à l'emprisonnement que les juges, je le crains, ne prononceront pas. Il sera plus facile de prononcer une peine de prison avec sursis et mise à l'épreuve. La contrainte pénale supposera que le magistrat du siège et même le substitut aient bien étudié les dossiers avant l'audience...

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