Intervention de Bernard Bigot

Commission des affaires économiques — Réunion du 3 décembre 2014 à 9h30
Transition énergétique pour la croissance verte — Audition de M. Bernard Bigot administrateur général du commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives cea

Bernard Bigot, administrateur général du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) :

Je ne recherchais pas cette fonction, mais elle m'a été proposée. J'ai présenté un plan d'actions. La désignation officielle devrait intervenir en février prochain.

Pour en revenir au projet de loi lui-même, il intervient dans un contexte où nous sommes dans une nécessité de faire la transition énergétique. Le modèle énergétique mondial, européen et national n'est pas durable. L'ensemble de la planète dépend à plus de 85 % des énergies fossiles, ce qui entraîne des effets néfastes sur le climat et l'environnement, mais aussi sur la question de la sécurité d'approvisionnement.

Ce n'est pas tenable à long terme. Notre pays doit se préparer à la transition énergétique, et dispose d'un atout important : il maîtrise son énergie électrique, qui provient à plus de 70 % du nucléaire, ce qui fait que la France dispose d'une énergie électrique parmi les plus décarbonnées en Europe. Il n'en reste pas moins que les deux tiers de la consommation finale d'énergie proviennent d'énergies fossiles que nous importons. Certes, le prix du baril connaît une baisse conjoncturelle, mais le coût de l'approvisionnement énergétique pèse sur l'économie. Dans l'ouvrage « La crise incomprise », ses auteurs, l'économiste Maarten van Mourik et l'industriel Oskar Slingerland, indiquent qu'en 2003-2004, pour acheter 140 millions de tonnes équivalent pétrole, nous dépensions 20 milliards d'euros par an, alors qu'en 2012-2013, la facture est montée à 70 milliards d'euros. Ce sont 50 milliards d'euros, soit 2,3 % du PIB, prélevés sur la richesse nationale, qui auraient pu être assignés à d'autres priorités, comme l'investissement productif.

La transition énergétique vise à remplacer les énergies fossiles que nous consommons principalement dans les transports et l'habitat. Il faut d'abord faire des économies, par exemple en améliorant l'efficacité énergétique des bâtiments, à travers l'isolation, ou encore la gestion autonome de l'énergie électrique localement collectée. Dans les transports, il faut aussi aller vers le remplacement du moteur thermique par le moteur électrique, à travers de l'électricité stockée dans des batteries ou en jouant sur l'hydrogène.

Notre chance est de disposer en France d'un parc électrique solide, ainsi que d'un parc de 36 millions de véhicules particuliers ou utilitaires, dont plus de 85 % parcourent moins de 150 km par jour. En basculant sur un parc automobile électrique, on pourrait stocker jusqu'à 15 % de la production électrique totale dans les batteries des véhicules, ce qui est considérable.

La loi envisage que la croissance de la production électrique, nécessaire pour remplacer les énergies fossiles, repose sur les énergies renouvelables. Ces énergies ayant en règle générale un caractère intermittent, l'enjeu du stockage est fondamental.

La fixation d'un objectif de baisse à 50 % de l'énergie électrique d'origine nucléaire à l'horizon 2025 constitue une des sources de préoccupation pour le CEA. Cela paraît techniquement irréaliste. Nous disposons d'un parc électrique nucléaire installé d'une puissance de 63 gigawatts (Gw). Le parc nucléaire a un taux d'utilisation de 80 %. Les installations éoliennes ou photovoltaïques ne sont à pleine puissance que 20 % du temps. Remplacer des réacteurs nucléaires par des énergies renouvelables pose des problèmes d'adéquation dans le temps de l'offre et la demande, et nécessite de remplacer 21 Gw de capacités des centrales nucléaires par environ 80 Gw de puissance provenant d'énergies renouvelables, soit 8 Gw par an pendant dix ans.

Une partie de l'énergie devra aussi être produite par des centrales thermiques. Or, l'approvisionnement en gaz est difficile du fait de risques géopolitiques. Par ailleurs, les investissements seraient considérables. Le CEA estime qu'on doit progresser dans la production d'énergies renouvelables mais que l'objectif fixé n'est pas atteignable en dix ans, malgré le progrès technique.

Notre parc de réacteurs nucléaires est composé de 58 réacteurs, dont l'âge moyen est de 30 ans. À l'horizon 2050, ce parc aura un âge moyen de plus de 50 à 60 ans. Ces équipements seront totalement amortis. Ils poseront des difficultés de maintenance.

Enfin, ce parc sera au standard de sûreté datant de sa construction. Avec les accidents de Three Miles Island, Tchernobyl, Fukushima, les exigences en matière de sûreté nucléaire progressent, avec l'application du principe exigeant qu'il n'y ait aucun relâchement de radioactivité à l'extérieur du site nucléaire, y compris dans les cas d'accidents les plus inattendus. C'est ce concept qui est appliqué pour les réacteurs de troisième génération, ou par exemple l'EPR. Une enceinte assure le confinement du coeur, capable de résister à la fusion de celui-ci, à travers la technique du cendrier. Comment imaginer maintenir des installations anciennes non pourvues de cette technique, dès lors que nous construirons des centrales nouvelles ?

Même dans une hypothèse restrictive en matière de production d'électricité d'origine nucléaire, il faudra donc procéder au remplacement des anciens réacteurs : au final ce sont 30 à 35 réacteurs qu'il faudrait installer à l'horizon 2050. Il faut donc planifier le renouvellement des centrales sur les 35 prochaines années. Il s'agit d'un sujet sensible, pour le traitement duquel notre pays devrait se doter d'un comité réunissant les parlementaires, chercheurs, économistes, industriels et la société civile, pour travailler sur cette question. Une esquisse d'un tel comité existe dans le projet de loi, mais celui-ci ne va pas assez loin.

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