Merci pour toutes ces questions, auxquelles je vais répondre selon l'ordre dans lequel elles m'ont été posées.
Le stockage est un élément absolument clé. Le premier point consiste à mener des expérimentations à bonne échelle. Les principes existent, le développement de la recherche doit permettre de pousser plus loin les critères nécessaires à la satisfaction du stockage - le premier critère étant la sûreté. Par exemple, le stockage électrique dans une batterie résulte d'une gageure qui consiste à mettre côte à côte deux réactifs chimiques dont l'intention est d'assurer la transformation pour laquelle ils ont été conçus, sans passer par le circuit extérieur. Le CEA travaille donc très attentivement sur le sujet de la sûreté, grâce aux moyens des technologies de l'information - capteurs et senseurs à l'intérieur de la batterie.
Le deuxième point porte sur la fiabilité : chacun d'entre vous dispose d'un véhicule dont la fiabilité est extraordinaire par rapport à ce qu'elle était il y a cinquante ou soixante ans et personne n'accepterait un recul à cet égard. La connectique électrique ne doit donc souffrir d'aucun défaut, il n'y a pas de position intermédiaire en la matière. Le troisième aspect, c'est l'économie : comment pouvons-nous faire pour que ces moyens de stockage ne renchérissent pas excessivement le coût des moyens de production de l'énergie ? Le quatrième et dernier point, vise à mettre de l'intelligence dans les réseaux et à tenir compte des évolutions comportementales de chacun. Les expérimentations que nous conduisons au CEA ont ainsi pour but de déterminer la bonne échelle.
Il existe de multiples moyens de stockage - stations de transfert d'énergie par pompage (STEP), moyens mécaniques, air comprimé - et il faut jouer sur tous ces registres. Mon souhait serait que la loi reconnaisse la pertinence de démonstrateurs à bonne échelle ; avant d'aller vers des échelles multiples, essayons de développer à des échelles plus réduites et appuyons-nous sur les résultats observés. Pour des équipements censés fonctionner pendant des dizaines d'années et qui nécessitent des investissements lourds, mieux vaut prendre le temps d'un apprentissage progressif grâce à des démonstrateurs faisant l'objet d'un suivi et d'une étude.
Est-ce que la loi est suffisante pour encourager les énergies renouvelables ? Cette loi marque un pas intéressant et important, elle sensibilise l'ensemble de nos concitoyens au fait que le modèle sur lequel nous fonctionnons actuellement n'est pas réaliste. Nous ne sommes pas aujourd'hui dans le « tout nucléaire » : 2/3 de notre consommation d'énergie finale provient de l'énergie fossile et c'est sur ce levier qu'il faut agir afin d'assurer la transition énergétique. L'énergie solaire et les énergies marines, ainsi qu'une utilisation rationnelle de la production végétale, offrent des perspectives prometteuses. Je pense que nous pouvons produire une fraction non négligeable des hydrocarbures par transformation de la biomasse - la photosynthèse constituant la première étape du processus.
La recherche n'a pas encore atteint un stade de maturité s'agissant des algues, ce qui ne permet pas d'envisager leur utilisation à grande échelle pour le moment. Le CEA a mis au point, par des modifications génétiques, des algues qui produisent beaucoup plus de matières énergétiques, mais des limitations physiques importantes existent. Dans la loi, il est évoqué la nécessité de poursuivre nos efforts de recherche et développement ; il me semble nécessaire de mener une recherche ciblée, en coordonnant nos moyens sur quelques objectifs, comme pour le photovoltaïque par exemple. Il y a une vraie nécessité d'une politique de recherche dans le domaine énergétique ; si la loi précise qu'une stratégie nationale de recherche pour l'énergie, exposée de manière régulière devant le Parlement, doit être établie, je regrette de ne pas encore avoir vu sa rédaction. La coordination de nos efforts à l'échelle nationale et mieux encore à l'échelle européenne est un vrai sujet ; nous sommes confrontés aux mêmes problèmes et il serait bon d'aboutir à un système.
Le nucléaire a été l'objet de beaucoup de remarques : je veux dire qu'on ne fait pas du nucléaire à la légère, on le fait parce que c'est nécessaire. Le nucléaire est une technologie complexe et tout ce qui peut, à qualité égale, le remplacer est bienvenu. Lorsque l'humanité était composée d'un milliard de personnes seulement, elle se contentait d'utiliser les énergies renouvelables. Le monde actuel, avec 7 et bientôt 9 milliards d'habitants, dans un contexte d'urbanisation croissante, ne saurait reposer sur les elles seules, sauf révolution majeure dans le domaine du stockage. Les autorités japonaises, malgré le drame de Fukushima et une opinion publique opposée à 60 % au redémarrage des centrales, ont un plan de redémarrage d'un certain nombre de centrales. Le pays est en difficulté et importe pour plus de 15 milliards d'euros par mois de pétrole et de gaz, créant un handicap lourd pour la balance commerciale et posant des problèmes à l'industrie en l'absence d'une sécurité d'approvisionnement continue.
Le nucléaire est une technologie pour laquelle nos concitoyens sont demandeurs d'explications. Je pense que c'est une part de la responsabilité du CEA, mais aussi des autres acteurs du nucléaire, de se montrer disponible et ouvert à l'échange sur ces questions. La peur peut être facteur de sens de responsabilité pourvu qu'elle ne soit pas inhibante ; il est bon que les gens prennent conscience que l'énergie nucléaire appelle une parfaite maîtrise de l'opérabilité. Ce qui s'est passé à Fukushima ne résulte pas d'une responsabilité du privé : il y a eu une lacune de l'État, qui n'a pas exercé son autorité sur le contrôle de la société Tepco.
Les tsunamis sont un phénomène récurrent sur toutes les côtes du Japon, certes pas d'une telle ampleur que celui de mars 2011. Des bornes avaient été posées par les anciens, afin de voir jusqu'où le tsunami pouvait venir ; seulement, la mémoire collective s'oublie avec le temps. Le CEA a tenté d'alerter les autorités à ce sujet : à la suite du tsunami de Phuket en 2004, nous avons interrogé nos collègues japonais sur le cas de Fukushima, archétype d'une centrale au bord de mer. Il y a toutefois un problème culturel au Japon : on ne dévoile pas ses inquiétudes ou incertitudes, on préfère expliquer que tout est maîtrisé et sous contrôle.
Je pense que le nucléaire est un véritable atout et certains d'entre vous se sont préoccupés de la question du démantèlement. À Grenoble, sur le site du Polygone, le CEA avait construit des réacteurs de recherche qui aujourd'hui ont été totalement démantelés. Le coût du démantèlement n'est pas déraisonnable, à condition de se fixer un optimum technico-économique. En allant chercher le dernier becquerel (Bq), alors que chaque être humain a une activité de 7 000 Bq, les coûts explosent forcément : il faut donc trouver un équilibre raisonnable. La radioactivité est un phénomène naturel, les meilleures études montrent qu'en-dessous de 10 millisieverts (mSv) il n'y a aucun risque ajouté. Sur le site du polygone, en voulant être plus exemplaires que nécessaire, nous nous étions fixés des normes extrêmement sévères qui ont abouti à un surcoût de 50 millions d'euros.
Nous entrons dans une phase où il va falloir démanteler et assainir, ce qui n'est pas du tout irréaliste et hors de portée financièrement. Il suffit de voir le chiffre d'affaires et les bénéfices annuels d'Électricité de France (EDF) et de les rapporter au coût du démantèlement pour constater qu'il s'agit d'une faible fraction. Même dans l'hypothèse la plus exigeante, le coût du démantèlement et de l'assainissement représente quelques pourcents du coût de l'électricité que nous produisons. C'est là tout l'enjeu de la durée de vie des centrales, en amortissant ce coût sur plusieurs dizaines d'années ; il faut réfléchir à l'équilibre entre la priorité absolue qu'est la sûreté et le rythme de renouvellement de notre parc.
Le stockage est un sujet majeur, avec le lancement du projet Cigéo (Centre industriel de stockage géologique), qui consiste à traiter les combustibles usés pour séparer les parties les plus radioactives, de les inerter dans une matrice de verre, dont la dissolution sur une période de plusieurs centaines de milliers d'années est concomitante à la baisse de la radioactivité. En prenant ce bloc de verre et en le positionnant dans une couche d'argile, qui présente la faculté de s'auto-guérir et dispose de propriétés de creusement très favorables, il est possible d'exploiter la capacité de rétention des matières radioactives pour permettre la décroissance. Ce qui me frappe, c'est qu'un débat a été organisé concernant le projet Cigéo : la seule personne à ne pas avoir été invitée à y participer, c'est moi-même. Il faut pourtant accepter la pluralité du débat et je ne redoute en rien les gens les plus opposés au nucléaire. Nous ne faisons pas du nucléaire par foucade, mais parce que c'est un atout pour notre pays.
L'objectif de 50 % d'énergie nucléaire productrice d'électricité, j'y suis favorable, à condition que ce soit sur une échelle de temps plus longue. Des travaux ont été conduits avec l'ensemble de la communauté scientifique : un scénario réaliste montre que nous pouvons envisager à l'horizon 2050 une réduction de notre consommation énergétique et parvenir à l'objectif de 50 % d'énergie nucléaire.
Les carburants de synthèse constituent une chance pour notre pays et nous avons un bel exemple de coopération franco-allemande, avec le codéveloppement d'un démonstrateur dans ce domaine. Le principe de précaution est au coeur de la culture de la sûreté : il faut savoir anticiper et analyser les risques sans basculer vers un principe d'inhibition. Que ce principe de précaution soit complété par un principe d'innovation, l'idée me convient parce que le meilleur moyen de prendre précaution, c'est d'innover par des technologies plus sûres, plus économes et mieux maîtrisées. Je partage la réflexion de Daniel Dubois : la loi devrait réaffirmer beaucoup plus clairement la nécessité d'une étude d'impact avant de s'engager sur des objectifs particuliers ou des développements technologiques.
Jean-Pierre Bosino a soulevé le manque de débat public. Depuis douze ans que j'exerce mes responsabilités à la tête du CEA, j'ai été très frappé que toutes les opportunités de débat public offertes à l'opinion ne sont pas saisies. Lorsqu'il y a des débats liés à des enquêtes d'utilité publique ou de portée nationale, je suis toujours étonné de constater qu'il y a dans les salles uniquement des passionnés ou des spécialistes. Il faut que nos concitoyens acceptent d'investir un minimum dans la participation à ces débats.
Concernant la centrale nucléaire de Flamanville, nous payons les conséquences de notre imprévision. Nous avons développé le parc nucléaire français en quinze à dix-huit ans : depuis la centrale de Fessenheim en 1977 jusqu'aux centrales des années 90. Nous avons ensuite arrêté le développement de notre parc sans avoir aucun marché export ; notre industrie a perdu ses capacités et ses compétences. Si nous n'avons pas une industrie capable d'exporter, ce n'est pas le seul marché intérieur qui peut assurer la continuité. Il y a beaucoup de prospects en cours actuellement, à destination de pays comme l'Inde, la Chine, l'Afrique du Sud, le Brésil ou la Pologne. Nous exporterons d'autant mieux que nous aurons un message clair sur ce que nous voulons faire du nucléaire. Lors du récent World Nuclear Exhibition 2014 qui s'est tenu au Bourget, nous avons bien constaté que le nucléaire en France ce n'était pas seulement EDF et Areva, mais plusieurs milliers d'entreprises qui ont des compétences reconnues mondialement. Si nous voulons préserver ce potentiel industriel, il est vital d'avoir des commandes soit nationales, soit à l'export.
Sur le financement des énergies renouvelables, j'ai été frappé d'apprendre que les citoyens allemands ont dépensé à partir de 2011 23 milliards d'euros par an pour se doter d'installations photovoltaïques et éoliennes. Notre parc nucléaire français s'est développé grâce à l'argent des fonds de pensions américains, qui étaient intéressés par un investissement de long terme garanti. Le succès de cette opération provient de la garantie par l'État français de la rémunération de cet investissement. De la même façon, l'État britannique prend l'engagement de pouvoir assurer un certain coût de l'énergie vendu par le nucléaire. Le problème ne vient donc pas tant de la disponibilité des ressources, mais de la lisibilité et de la stabilité de la politique conduite dans ce domaine.
Robert Navarro, vous avez souligné qu'il y a la possibilité, grâce aux évolutions technologiques - fiabilité des matériaux, gestion automatisée -, de multiplier des projets de dimension plus réduite offrant une complémentarité aux moyens de production. Je ne peux y être que favorable. Avec des moyens de production d'énergie et de gestion locale, des territoires à énergie positive ont pu voir le jour. Des expérimentations avec les industriels sont en cours afin d'évaluer dans quelle mesure il est possible de mieux utiliser la ressource.
Les hydroliennes - éoliennes marines - ont une capacité moyenne annuelle de production beaucoup plus régulière, mais tout n'est pas si simple : la mer n'est pas toujours d'huile, les phénomènes de corrosion existent. Dans une éolienne, il y a près de 500 kilogrammes de métaux rares, qu'il n'est pas possible de produire à l'infini. Il faut donc bien avoir conscience de ces limitations physiques, qui ne peuvent pas laisser accroire que la totalité pourra être assumée par tel ou tel mode de production exclusif.