Intervention de Élisabeth Lamure

Délégation aux entreprises — Réunion du 16 janvier 2020 à 8h30
Présentation par mme élisabeth lamure du rapport d'information n°208 2019-2020 du 16 décembre 2019 fait au nom de la délégation au entreprises : « accès des pme à la fibre : non-assistance à concurrence en danger ? »

Photo de Élisabeth LamureÉlisabeth Lamure, sénateur, présidente de la Délégation aux entreprises :

Je voulais vous informer rapidement des suites données à nos récents travaux consacrés au numérique et en particulier à la concurrence sur le marché de gros des télécoms à destination des entreprises, qui ont fait l'objet d'une conférence de presse le 5 décembre dernier.

Je vous rappelle que le sujet concernait l'accès à la fibre FttH (Fiber to the home), initialement prévue pour le marché résidentiel, mais tout à fait adaptée aux besoins des PME et TPE en raison de son coût très raisonnable. Dans la continuité des travaux de notre collègue Pascale Gruny sur l'accompagnement de la transition numérique des PME, nous avions initié un cycle d'auditions conjointement avec le groupe Numérique présidé par Patrick Chaize, en raison des risques de liquidation pesant sur le seul opérateur neutre du marché (la société KOSC), pourtant salué par les entreprises de services numériques fournissant les PME.

À la suite de notre réunion du 14 novembre dernier, nous avons publié, sous forme de rapport d'information, les comptes rendus des différentes auditions, organisées pour comprendre les enjeux du dossier et alerter le Gouvernement. Vous en avez reçu le lien par mail en amont de la présente réunion. Précédés d'une présentation des enjeux et de préconisations, ces comptes rendus mettent en évidence les dysfonctionnements préjudiciables à la numérisation des PME : d'abord, le constat d'une concurrence insatisfaisante est partagé notamment par l'Autorité de la concurrence (ADLC) et par l'Arcep ; ensuite, le manque de dialogue entre partenaires publics et privés est surprenant, voire choquant, compte tenu de l'argent public investi et des enjeux en termes de politiques publiques ; enfin, la coordination entre autorités de régulation n'est manifestement pas optimale, alors même que certains comportements d'opérateurs en situation oligopolistique, voire duopolistique, posent manifestement problème. Dans ce contexte, le modèle wholesale-only, qui est celui de l'opérateur KOSC dont il est aujourd'hui question, semble le plus à même de favoriser une concurrence saine sur le marché de gros des entreprises et de faire baisser le coût de l'accès à la fibre pour les entreprises de taille modeste. Nous attendons d'en savoir plus sur le sort qui sera réservé à cette société, dont les offres de reprise peuvent être formulées a priori jusqu'au 27 janvier.

L'enjeu est double : il porte sur les 65 000 TPE et PME qui pourraient se trouver en difficulté pour accéder à la fibre et à l'ensemble des services numériques dont elles ont besoin si l'opérateur KOSC et/ou, avec lui, le modèle d'opérateur neutre venaient à disparaître. Outre l'existant, l'enjeu concerne aussi la nécessaire amplification de la concurrence dans ce secteur, pour éviter le retour du duopole. Si KOSC était reprise par un opérateur intégré, la seule alternative possible, à nos yeux, consisterait à imposer aux grands opérateurs l'activation de tout le réseau, comme c'est le cas dans les réseaux d'initiative publique (les RIP).

Coordination des autorités de régulation, activation du réseau FttH, etc. : nous préparons actuellement une proposition de loi pour traiter ces sujets en espérant que le Gouvernement réagira rapidement pour garantir une sortie par le haut et efficiente dans un délai rapproché.

Nous sommes confortés dans notre démarche par la réaction des sociétés qui servent d'intermédiaire entre les opérateurs fournissant un accès au réseau et les entreprises sur l'ensemble du territoire. La conférence de presse du 5 décembre a réuni non seulement plus d'une dizaine de journalistes mais également des représentants de l'écosystème numérique, c'est-à-dire des sociétés qui fournissent aux TPE et PME les services du « dernier kilomètre ». Ce sont ainsi environ 1500 « opérateurs de proximité » qui, ensemble, représentent le troisième opérateur de détail du marché des entreprises. Or, leur réaction a été très nette puisqu'ils ont commencé leur intervention en indiquant : « L'écosystème est en panique », compte tenu de la situation de la société KOSC qu'ils ont qualifiée de « RIP de la zone privée ». Ils ont rappelé l'enjeu essentiel pour les entreprises de taille modeste pour lesquelles le budget « internet » ne peut dépasser 100 euros par mois alors que les offres dédiées aux entreprises, appelées FttO, sont souvent 3 ou 4 fois plus élevées. Pour elles, la transformation numérique des entreprises ne doit pas constituer une alternative mais une priorité, dont les autorités publiques doivent se saisir de toute urgence.

Nos travaux ont été largement relayés puisque de nombreux articles ont été publiés depuis : une revue de presse vous a été communiquée. Je précise que Patrick Chaize et moi-même avons alerté le Gouvernement et les régulateurs à plusieurs reprises afin de solliciter une réaction constructive des pouvoirs publics, un peu trop attentiste, autant que nous puissions en juger. Suite à notre première alerte informelle de novembre dernier relative aux risques imminents de reconcentration du marché de gros des télécoms d'entreprise au détriment de la numérisation des entreprises dans les territoires, le Premier ministre, M. Edouard Philippe, nous a bien indiqué - par courrier du 27 décembre - avoir saisi du dossier M. Bruno Le Maire. Plus récemment, nous avons transmis notre rapport et nos attentes au Gouvernement et nous sommes donc dans l'attente de la réponse du Gouvernement dans des délais que nous espérons proches compte tenu de l'urgence du dossier. Ce dernier doit se positionner pour donner toutes les chances d'une reprise réussie du seul opérateur neutre du marché, s'assurer d'une plus grande constance des régulateurs afin de tenir le cap, et d'un soutien public afin de garantir la sauvegarde de « l'intérêt général numérique » de notre pays et de ses entreprises.

Il est encore temps de sauver la crédibilité des acteurs publics sur ce dossier mais l'urgence est réelle et nous en appelons donc à l'esprit de responsabilité de chacun. Tel est le sens des courriers que nous avons envoyés à la fois au Premier ministre et aux différents ministres concernés ainsi qu'aux présidents de l'Autorité de la concurrence et de l'ARCEP.

Dernière information sur ce dossier : l'ADLC vient d'annoncer la création d'un service de l'économie numérique afin, je cite : « de renforcer les moyens humains consacrés à la détection et l'analyse des comportements mis en oeuvre par les acteurs du numérique ». Ce service sera « chargé de développer une expertise poussée sur ces sujets, d'intervenir en appui dans les dossiers à forte composante numérique, qu'il s'agisse de concentrations d'entreprises ou d'investigations sur des pratiques anticoncurrentielles et sur le respect du droit de la concurrence ». Peut-être les alertes du Sénat ont-elles contribué à cette décision très utile ? L'ADLC aura ainsi davantage d'expertise pour assurer une régulation efficiente du marchés de gros des télécoms et du numérique, en coordination avec l'ARCEP. Nous pouvons nous en réjouir ; nous resterons vigilants sur ce dossier et vous présenterons la proposition de loi lorsqu'elle sera prête. L'avenir immédiat de KOSC reste une actualité brûlante.

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