Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, le débat qui nous réunit aujourd’hui à la demande du groupe Union Centriste, dans le cadre de la semaine de contrôle, est important et rendu nécessaire par la multiplication des actes de terrorisme, qui semblent bousculer notre droit de la responsabilité.
Il s’agit d’un débat d’opportunité, madame la garde des sceaux, et non d’un débat opportuniste. Je ne vous cache pas que cela me fait penser à la formule de Robert Badinter, qui disait qu’il ne faut toucher à la Constitution que « d’une main tremblante », tant cela implique des domaines différents.
Je le dis d’emblée : il n’est pas question de revenir sur le principe d’irresponsabilité pénale lui-même. Juger des individus qui n’auraient pas conscience de leurs actes serait évidemment une pure barbarie et une négation des principes républicains. L’irresponsabilité pénale est un garant du respect des libertés individuelles. Comme l’affirme l’ancien procureur Bilger, « parfois, bien juger, c’est ne pas juger ».
Depuis 2014, je travaille sur les questions de radicalisation. La question des discours extrêmes et violents s’applique évidemment aussi à l’extrême droite – suprématie blanche, etc. Je sais que le traitement de nombre d’auteurs de ces attentats relève aujourd’hui plutôt de la psychiatrie que de la prison ; malheureusement, c’est ainsi.
Dans un État de droit, l’équilibre entre sécurité et liberté est un débat probablement aussi ancien que le droit pénal. Des personnalités de différentes tendances politiques et de tous horizons font le constat de cette tendance à considérer les auteurs d’actes terroristes islamiques comme des déséquilibrés.
L’avocat Gilles-William Goldnadel, avec lequel j’ai par ailleurs de nombreux désaccords, le confirme ; il exprime le problème en ces termes : « Une tendance lourde du personnel médiatique et politique occidental des dernières années est de psychiatriser le terrorisme islamique ».
Plus sérieusement, ou en tout cas de façon plus constante, selon le « quasi-lanceur d’alerte » en matière de djihadisme, plus particulièrement de djihadisme français, le journaliste David Thomson, « appréhender uniquement le djihadisme sous le prisme d’une pathologie mentale ou d’un enrôlement sectaire vise à permettre aux autorités de nier la rationalité de l’engagement individualiste, politique et religieux qu’il représente indéniablement auprès des acteurs concernés. Mais cette réalité est plus dérangeante à admettre politiquement. »
Il poursuit : « Les djihadistes sont loin d’être tous fous ; ils ne sont pas non plus tous idiots, même s’il peut être tentant et rassurant de le croire. »
Cette position est aussi partagée par l’avocate générale près la cour d’appel de Paris, chef du service de l’action publique antiterroriste et atteinte à la sûreté de l’État, qui explique que la psychiatrisation du terrorisme « offre un système de défense aux terroristes, à leurs avocats et à leur famille ».
Ainsi, réduire les terroristes islamiques à de simples déséquilibrés mentaux revient à banaliser le chemin de leur impunité.
Olivier Roy explique quant à lui : « En fait, s’il est vain de s’interroger sur la folie des terroristes, il est clair que la construction narrative de Daech peut fasciner des gens fragiles, souffrant de vrais problèmes psychiatriques, ce qui fut peut-être le cas du tueur de Nice ».
Par ailleurs, peut-on décemment admettre qu’un acteur s’intoxiquant lui-même pour commettre un crime soit considéré comme irresponsable pénalement, alors qu’il a lui-même provoqué l’état d’ébriété dans lequel il se trouve ? Metz, Villejuif, Nice : les exemples récents abondent. L’auteur de l’assassinat de Sarah Halimi a quant à lui été considéré comme antisémite, mais comme non responsable !
La multiplication des agressions, dont les niveaux de violence sont variables, est source d’interrogations. Les actes d’un colloque intitulé « Terrorisme, psychiatrie et justice », qui s’est tenu en décembre 2018 à l’Institut pour la justice, sont tout à fait intéressants. Pour ne rien vous cacher, je m’en suis inspirée, l’improvisation sur ce type de sujet étant risquée.
Je me suis également inspirée d’une chronique extrêmement récente de Fiona Conan et Clément Brossard, parue au Dalloz le 10 février dernier – il vaut toujours mieux citer ses sources…
En France, la jurisprudence tendait à reconnaître la responsabilité pénale de celui qui s’était lui-même mis en état d’ébriété, conformément à l’article 64 et à l’article 122-1 du code pénal.
L’abolition du discernement au moment des faits exonère la personne de sa responsabilité pénale, alors que le trouble mental partiel est une cause d’atténuation de la responsabilité pénale. Le trouble doit en toute hypothèse être prouvé : il n’existe pas de présomption d’irresponsabilité ou d’atténuation de responsabilité.
En raison de la difficulté pour les juges de constater eux-mêmes le trouble, une expertise psychiatrique est souvent ordonnée par la juridiction d’instruction ou de jugement. Cette expertise psychiatrique est d’ailleurs obligatoire en matière criminelle.
Dans un arrêt du 13 février 2018, la Cour de cassation avait renvoyé le mis en examen devant la cour d’assises, en relevant notamment que « la consommation importante de stupéfiants ne doit pas s’analyser comme une cause d’abolition du discernement, mais, au contraire, comme une circonstance aggravante ».
C’est tout de même logique : le code de la route prévoit des circonstances aggravantes. Pourquoi n’en existerait-il pas dans le code pénal ?
Quant à la recherche volontaire d’ébriété, qu’elle soit provoquée par l’alcool ou par des substances stupéfiantes, elle ne peut être une cause d’exonération de responsabilité, même si l’intéressé commet une infraction non préméditée, qu’il n’aurait en toute hypothèse pas commise s’il avait été dans un état normal.
De multiples études montrent que nombreux sont ceux qui s’intoxiquent volontairement, afin de se donner du courage pour procéder à leur acte délictueux. Ce cas est prévu par la loi ; cette intoxication vaut préméditation. Mais où placer le curseur ? Où se trouve la frontière entre, d’une part, l’irresponsabilité pour cause d’intoxication et, d’autre part, la cause aggravante de responsabilité ? Telle est la question qui nous est posée.
Depuis la loi de 2008, lorsque le juge d’instruction considère qu’il y a irresponsabilité pénale, l’instruction peut se clore devant la chambre de l’instruction. Notre excellent collègue Roger Karoutchi, …