Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, ce débat sur l’irresponsabilité pénale, dont le groupe Union Centriste est à l’origine – je remercie nos collègues, notamment Nathalie Goulet, de leur initiative –, nous fait remonter à la mise en mouvement de l’action publique et de ce qui fonde notre droit pénal, compris comme le contrôle de la violence par la société, à l’inverse d’un schéma de réponse de vengeance privée.
J’aimerais avant toute chose délimiter les contours de ce débat, tels que je les perçois et les comprends, en tant que législateur, mais aussi, il est vrai, en tant qu’avocat.
Mon propos ne consistera ni à commenter ni à évaluer l’arrêt de la Cour d’appel de Paris sur l’irresponsabilité pénale de l’auteur du meurtre de notre concitoyenne Mme Attal-Halimi, et ce au nom de la séparation des pouvoirs que nous devons respecter, d’autant que la Cour de cassation a été saisie d’un pourvoi par les parties civiles et que la procédure est donc toujours en cours.
Mon propos de législateur tiendra, mes chers collègues, en deux points principaux.
Tout d’abord, je veux rappeler avec fermeté, en mon nom et au nom de mon groupe, la détermination qui est la nôtre à lutter contre les surgissements de l’antisémitisme, dont Mme Attal-Halimi a été la victime, et que nous ne pouvons tolérer, quelles qu’en soient les manifestations.
À ce titre, notre rôle dans ce débat consiste, me semble-t-il, à réfléchir, sans commenter ni évaluer les décisions souveraines des juges du fond, au cadre légal que nous posons et que nous estimons être le mieux à même de garantir un État de droit juste et protecteur.
Certains de nos collègues se sont d’ores et déjà saisis de cette réflexion, en déposant des propositions de loi pour réformer le régime de l’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental.
La manœuvre est périlleuse, car l’irresponsabilité pénale se fonde justement sur un équilibre entre, d’une part, les attentes des victimes, s’agissant notamment de la qualification des faits, et, d’autre part, le principe selon lequel on ne condamne pas pénalement, dans un État de droit, les personnes dont le discernement est aboli.
Nous devons, en tant que législateurs, garantir ce principe cardinal de notre droit issu du code Napoléon. Sa mise en œuvre ne peut en tout cas être fonction de l’infraction en cause : exclure de son application certains crimes, selon leur motif, contreviendrait au principe d’égalité devant la justice.
Aussi, l’idée selon laquelle il ne pourrait y avoir d’irresponsabilité pénale pour les ennemis de la République ne peut s’appliquer dans notre État de droit, et c’est bien cela qui fait sa force.
Nous parviendrons, je l’espère, à nous accorder sur ce point. Car, quelle que soit l’infraction commise, la question centrale est bien celle du discernement. Une chose est de qualifier une infraction, une autre est de l’imputer à son auteur. Et c’est bien pour faire coexister ces deux éléments distincts que le législateur est intervenu en 2008.
Le régime antérieur à cette réforme comportait en effet plusieurs écueils fondamentaux : il tendait à mêler, dans une même catégorie procédurale, les personnes dont l’innocence était établie et celles qui, bien qu’elles soient reconnues comme auteurs des faits, étaient déclarées irresponsables pénalement en raison d’un trouble mental.
Surtout, il donnait au juge d’instruction la faculté de prononcer un non-lieu en l’absence d’un véritable débat.
La force de la loi du 25 février 2008 est, à cet égard, de permettre que soit déclarée l’irresponsabilité pénale à l’issue d’une audience publique et contradictoire, Jean-Pierre Sueur et Nathalie Delattre l’ont rappelé, pendant laquelle toutes les parties s’expriment et où peut avoir lieu un débat sur la matérialité des faits.
Dans ce cadre, la chambre de l’instruction rend ainsi, le cas échéant, un « arrêt de déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental », par lequel elle peut également affirmer qu’il existe des charges suffisantes contre la personne suspectée d’avoir commis les faits qui lui sont reprochés.
C’est par cette procédure que les juges ont pu, tout en suivant l’avis de la majorité des experts psychiatres sur l’irresponsabilité de l’auteur des faits, qualifier le meurtre de Mme Attal-Halimi de crime antisémite, après que toutes les parties, notamment les parties civiles, eurent été entendues, dans le respect du contradictoire.
Ce régime légal apporte, je le crois, mes chers collègues, une garantie essentielle, en permettant de se soustraire à la formule lumineuse d’Albert Camus, selon laquelle « mal nommer les choses, c’est ajouter aux malheurs du monde ».
Faire tenir ensemble les droits de la défense et la juste qualification des faits, après un débat dans lequel les victimes ont une voix, constitue une réussite de notre État de droit.
Certaines questions continuent légitimement à se poser, et notre groupe l’entend. Je pense notamment à la délicate articulation entre la qualification d’un motif, par exemple antisémite, et la reconnaissance d’un discernement aboli.
Cette réflexion est inhérente au régime de la loi de 2008, qui permet, tout en retenant l’irresponsabilité pénale de l’auteur des faits, de qualifier l’infraction et de prendre en compte les facteurs aggravants, qui peuvent, comme pour l’antisémitisme, procéder de représentations haineuses.
Cependant, il est possible de penser que le discernement, d’une part, et la représentation qui favorise un passage à l’acte, d’autre part, ne sont pas nécessairement réductibles l’un à l’autre.
En tout état de cause, gardons à l’esprit que la Cour de cassation n’a pas encore statué sur le pourvoi dont elle a été saisie. Elle apportera nécessairement toutes les précisions juridiques sur les questions de droit qui lui ont été soumises par les parties civiles.
Dans ce contexte, légiférer semble périlleux sans interférer avec l’autorité judiciaire, alors qu’une procédure est en cours et que l’interprétation des juges n’a pas encore été confirmée par la plus haute juridiction.
Pour finir, le sujet de l’irresponsabilité pénale devrait être traité au travers d’une approche globale, prenant en compte deux autres aspects importants : d’une part, l’hospitalisation d’office, favorisée dans le cadre d’une déclaration d’irresponsabilité pénale par la loi de 2008 précitée, et qui constitue une vraie contrainte, d’autre part, la surreprésentation croissante en prison des personnes atteintes de troubles mentaux.
Certes, aucune corrélation ne saurait être établie entre l’introduction en 1992 d’une référence à l’altération du discernement, qui permet de condamner pénalement l’auteur des faits, et la hausse du nombre de détenus présentant des troubles psychiques.
Cependant, a contrario, cette nuance entre altération et abolition du discernement, qui permet de mieux prendre en compte la diversité des situations, ne s’est certainement pas accompagnée d’un mouvement de déresponsabilisation pénale.
La question dont nous débattons aujourd’hui est complexe. L’approche du législateur nous semble devoir être juridique, nuancée et globale.