L'Association française des magistrats de la jeunesse et de la famille (AFMJF) a pris connaissance avec intérêt de la réforme du code de la justice pénale des mineurs. La délinquance des mineurs est un sujet brûlant, trop souvent polémique, comme en témoignent son traitement par les médias, ainsi que les réformes successives de l'ordonnance de 1945 et les nombreux projets de réécriture de l'ordonnance qui dorment dans les tiroirs du ministère de la justice, tous reportés ou annulés...
Nous attendons que la représentation nationale donne enfin un cap clair, sans ambiguïté, adossé sur les engagements internationaux et sur les principes fondamentaux que le Conseil constitutionnel reconnaît, en matière de justice des mineurs : la priorité donnée au redressement éducatif, une procédure spécialisée et l'atténuation de la peine.
Il faut une vraie cohérence entre les principes annoncés et le contenu du texte. Or le compte n'y est pas dans le projet de loi - il ne l'était pas non plus cependant dans l'ordonnance de 1945...
Par exemple, c'est pour les infractions les plus graves, en matière criminelle, que la spécialisation est la moins importante. Le juge pour enfants n'intervient pas. Le juge d'instruction des mineurs a une spécialisation formelle ; il est désigné par le premier président de la cour d'appel mais n'a pas suivi une formation spécifique. En cas de placement en détention (JLD), le juge des libertés et de la détention, lui aussi non spécialisé, intervient. Et au sein de la cour d'assises des mineurs, les juges des enfants sont minoritaires : ils sont au nombre de deux puisque le président de la cour d'assises n'est pas un magistrat spécialisé, pas plus, par définition, que les six à neuf jurés. Nous aurions souhaité un renforcement de la spécialisation pour les affaires criminelles.
Autre exemple d'incohérence, la césure du procès pénal prévue laisse la porte béante aux possibilités d'y déroger. Une audience unique permet une condamnation quasi immédiate.
Le mineur doit avoir un régime de peine allégé par rapport à un adulte, mais pour les affaires les plus graves, l'excuse de minorité est écartée facilement par les juridictions, en fonction de la personnalité du mineur ou si les faits sont particulièrement graves. Mais aux assises, les faits commis sont toujours graves !
Si la détention à perpétuité a été supprimée pour les mineurs, la peine maximale encourue est de trente ans, soit la plus lourde en Europe. Par ailleurs, si un enfant de moins de treize ans est présumé irresponsable pénalement dans le nouveau code, il s'agit d'une présomption simple et le parquet peut donc engager des poursuites.
Il faut donc mieux garantir la cohérence entre les principes et la réalité.
Les débats parlementaires doivent avoir une vocation pédagogique envers l'opinion publique : la priorité éducative n'est pas synonyme de laxisme, et les mesures éducatives sont souvent plus efficaces pour réinsérer un mineur que l'incarcération. Donnons sa chance à l'éducatif, en déployant des moyens humains - éducateurs, magistrats, greffiers - et des places d'hébergement, dont le déficit est important. De nombreux mineurs restent en prison faute de structure adaptée. Et laissons le temps nécessaire aux mesures éducatives pour faire leurs preuves, sans confondre vitesse et précipitation, dans une démarche constructive.
La réforme compte plusieurs aspects positifs, comme l'instauration de la césure du procès pénal. L'AFMJF l'avait demandée, par la voix d'Alain Bruel, il y a déjà quinze ans. Ce jugement en deux temps doit être la colonne vertébrale de la justice des mineurs. Il permet de régler plus rapidement la question de la culpabilité - il n'y a en réalité besoin d'instruction sur des faits complémentaires que dans un dossier sur dix - ainsi que celle de l'indemnisation de la victime, qui devait auparavant attendre l'issue du procès ; elle permet en outre de prendre en compte l'évolution du mineur avant de prononcer la sanction.
Cette procédure répond aux interrogations sur l'impartialité du juge des enfants et sur l'incompatibilité entre les fonctions d'instruction et de jugement. Il y avait auparavant une tension entre l'objectif de continuité de l'intervention du juge et l'impartialité formelle et objective de la juridiction de jugement. Grâce à la césure, comme il n'y a plus d'instruction par le juge des enfants, ce problème est résolu. Le juge pour enfants réalisera un travail post-sentenciel, après la déclaration de culpabilité. On passera d'une logique de traitement d'un dossier à une logique de traitement d'un mineur ; lorsque plusieurs mineurs commettent des exactions multiples avec d'autres, cela permet d'individualiser les situations et de renvoyer certains en audience de cabinet, d'autres devant un tribunal pour enfants.
Nous sommes cependant réservés sur les délais fixés par la loi - certes sans sanction en cas d'irrespect -, car ils sont rigides, notamment lorsqu'un mineur fait l'objet de mesures éducatives. Prenons, par exemple, un mineur dont la culpabilité est reconnue le 1er janvier, et dont l'affaire est renvoyée en jugement le 15 septembre ; en juin, il commet une nouvelle infraction, et est placé dans un foyer ou un centre éducatif fermé (CEF) ; mi-septembre, il est trop tôt pour observer l'efficacité du placement. De même, en cas de réparation, il serait indispensable de connaître l'aboutissement de cette procédure avant le jugement. Il faudrait donc pouvoir différer de quelques mois la date initialement prévue pour le jugement.
La fixation d'un seuil d'âge de présomption d'irresponsabilité pour les mineurs nous semblait indispensable, comme c'est le cas dans la plupart des pays européens. Dans le droit en vigueur, le seuil de 13 ans correspond à celui en deçà duquel seules des mesures éducatives peuvent être prononcées. Mais la réforme prévoit une présomption simple et non irréfragable. En Allemagne, les mineurs de moins de 14 ans ne peuvent être poursuivis pénalement. En France, la loi permet des dérogations : le parquet peut poursuivre devant le juge d'instruction un mineur de 11 ou 12 ans, si l'on estime qu'il était conscient de la portée de ses actes. La réforme se cale sur les prescriptions de la Convention internationale des droits de l'enfant, qui prévoit la fixation d'un âge en dessous duquel le mineur ne peut faire l'objet de poursuites pénales. Mais en réalité, est-il opportun de permettre des dérogations, sachant que seules des mesures éducatives peuvent être prononcées ? Une victime me disait être déstabilisée par la décision du tribunal pour enfants, car son agresseur de 11 ans n'avait eu comme peine que des mesures éducatives... Organiser des procès pour des enfants de moins de 13 ans, officiellement pour éviter un sentiment d'iniquité, risque de créer encore plus de frustration pour les victimes. Fixons plutôt un seuil de présomption d'irresponsabilité, comme la plupart de nos voisins européens. En France, l'assistance éducative est un outil privilégié, utilisons-le pleinement.
Le Défenseur des droits proposait la rédaction suivante : « Les mineurs de moins de treize ans ne sont pas pénalement responsables des actes qu'ils ont pu commettre ; ils ne peuvent faire l'objet que de mesures éducatives. »
Nous approuvons la « mesure éducative judiciaire », qui donne une cohérence à l'empilement de mesures éducatives émiettées depuis l'ordonnance de 1945. Il faut aussi accroître les pouvoirs du juge des enfants lorsqu'il statue en cabinet. Actuellement, le juge des enfants peut recevoir le mineur soit seul dans son cabinet, où il ne peut prononcer que des mesures éducatives, soit dans un tribunal pour enfants, où il peut prononcer des mesures éducatives ou des peines, en formation collégiale. Il faudrait qu'il puisse prononcer des peines de travail d'intérêt général en cabinet afin de rééquilibrer les instances de jugement. L'audiencement en tribunal pour enfants est très long alors qu'il existerait davantage de possibilités en cabinet.
Nous approuvons l'extension des mesures éducatives aux jeunes majeurs, ainsi que la possibilité de les maintenir en établissement pénitentiaire pour mineurs (EPM), jusqu'à 18 ans et demi ou 19 ans. Actuellement, du jour au lendemain, le jour de ses 18 ans, un mineur peut être transféré dans un quartier pour majeurs. Il suit une scolarité, un programme particulier, et d'un coup il ne voit plus personne, ne peut rencontrer rapidement de psychologue. Or les parcours de délinquance ne s'arrêtent pas à 18 ans.
Nous approuvons aussi l'instauration de la justice restaurative, certaines dispositions techniques opportunes et l'obligation de visite annuelle des établissements.
L'AFMJF désapprouve d'autres dispositions de la réforme. Celle-ci ne prévoit rien sur la nécessaire spécialisation des magistrats - juge d'instruction des mineurs, parquet des mineurs, conseiller délégué à la protection de l'enfance à la cour d'appel, juge des libertés et de la détention... De même, la spécialisation dans les cours d'assises est insuffisante. Nous avons proposé que les assesseurs des tribunaux pour enfants puissent siéger dans les cours d'assises pour mineurs.
Nous considérons ensuite que l'on ne devrait pas pouvoir déroger à l'excuse de minorité.
Les mesures éducatives sont effacées pour un mineur trois ans après s'il n'y a pas de récidive, mais pour une peine, il est soumis au même régime que pour un majeur. Un mineur condamné à un mois de prison le retrouvera durant quarante ans sur son casier judiciaire. Il devrait pouvoir bénéficier d'un droit à l'oubli d'une durée raisonnable, de cinq ans pour les délits et de dix ans pour les crimes, sauf en cas de récidive.
L'inscription automatique au fichier des auteurs d'infractions sexuelles devrait pouvoir être écartée si l'enfant ne présente plus de dangerosité criminelle et en l'absence de récidive, notamment lorsque l'auteur est jugé très longtemps après, par exemple à quarante ans alors qu'il avait commis ces faits à seize ans.
Quand un mineur est déféré pour une audience unique, le juge des enfants est compétent pour l'incarcérer ; l'audience a lieu au maximum un mois plus tard, et le juge des enfants peut présider l'audience. Pour mieux garantir l'impartialité du juge des enfants, on pourrait confier la responsabilité de l'incarcération au juge des libertés et de la détention, à condition qu'il ait bénéficié d'une formation spécialisée.
Nous avons un point majeur de désaccord sur l'audience unique, qui permet, à l'initiative du parquet, de déroger au principe du jugement en deux temps pour une sanction immédiate. Dans l'ordonnance de 1945, un mineur déjà condamné peut être immédiatement présenté devant un tribunal pour enfants, sans mise en examen. Il existe déjà une procédure d'audience unique pour les mineurs connus, condamnés, sous contrôle judiciaire. Mais la réforme prévoit d'élargir fortement les conditions de recours à l'audience unique. Auparavant, c'était sous condition que le dossier comporte un rapport d'investigation sur la personnalité du jeune datant de moins d'un an. Désormais, avec la réforme, il suffirait que le mineur ait fait l'objet d'une déclaration de culpabilité, par exemple une admonestation pour recel d'un vélo, pour recourir à cette procédure. Or cela concernera 80 à 90 % des mineurs traduits devant les juridictions des mineurs.
Le parquet sera tenté de s'engouffrer dans la brèche afin d'évacuer les dossiers en instance dans les grosses juridictions. Le tribunal pour enfants sera pris dans la spirale, avec des comparutions 10 à 15 jours après le défèrement.
Nous demandons que le recours à l'audience unique soit restreint aux mineurs de plus de seize ans, déjà condamnés définitivement à une peine, pour lesquels les mesures éducatives sont arrivées à leur terme ou qui ont fait l'objet d'une mesure judiciaire d'investigation éducative antérieure, et qui ont fait l'objet d'une évaluation de personnalité sérieuse. Pour les mineurs non accompagnés, cette procédure risque de devenir le régime de droit commun.