Nous devons désigner un rapporteur sur la proposition de loi constitutionnelle n° 293 (2019-2020) visant à garantir la prééminence des lois de la République, présentée par Bruno Retailleau, Hervé Marseille et moi-même.
Cette proposition de loi sert-elle réellement à quelque chose ? La prééminence des lois de la République va de soi !
Certes, mais il faut la garantir, car cela n'est pas toujours le cas...
Nous examinerons cette proposition de loi en séance publique le 31 mars prochain.
Le groupe socialiste et républicain s'interroge sur l'opportunité de cette proposition de loi. En son nom, j'ai saisi le président Larcher pour qu'il demande une analyse du Conseil d'État non sur la qualité juridique de cette loi, dont je ne doute pas, mais sur sa pertinence politique.
Nous en débattrons dans une instance appropriée au débat politique. Je vous propose de désigner Mme Catherine Troendlé comme rapporteur de ce texte.
La commission désigne Mme Catherine Troendlé rapporteur sur la proposition de loi constitutionnelle n° 293 (2019-2020) visant à garantir la prééminence des lois de la République.
Je vous propose que notre commission se saisisse pour avis de la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, visant à modifier les modalités de congé de deuil pour le décès d'un enfant. Ce texte concerne le droit du travail, mais pas celui de la fonction publique. Or il serait pertinent que ces nouveaux avantages soient élargis au secteur de la fonction publique, qui relève de la commission des lois.
La commission demande à être saisie pour avis de la proposition de loi n° 288 (2019-2020), adoptée par l'Assemblée nationale, visant à modifier les modalités de congé de deuil pour le décès d'un enfant et désigne Mme Catherine Di Folco en qualité de rapporteur pour avis.
La commission examinera le 4 mars prochain la proposition de loi déposée par M. Bruno Retailleau et plusieurs de nos collègues relative aux Français établis hors de France, qui devrait être inscrite à l'ordre du jour de la séance publique le mardi 31 mars. Nous avons déjà nommé Mme Jacky Deromedi rapporteur de ce texte.
Parmi les 31 articles de ce texte, huit - les articles 23 à 30 - portent sur des dispositifs exclusivement fiscaux et intéressent spécifiquement la commission des finances. Celle-ci, en conséquence, envisage de se saisir pour avis.
Sous réserve que cette saisine soit confirmée et en accord avec notre rapporteur, je vous propose de déléguer à cette commission l'examen au fond de ces articles.
La commission décide de déléguer au fond à la commission des finances les articles 23 à 30 de la proposition de loi relative aux Français établis hors de France.
Afin de préparer nos futurs travaux sur le projet de loi ratifiant l'ordonnance portant partie législative du code de la justice pénale des mineurs, nous recevons M. Laurent Gebler, président de l'Association française des magistrats de la jeunesse et de la famille (AFMJF).
L'Association française des magistrats de la jeunesse et de la famille (AFMJF) a pris connaissance avec intérêt de la réforme du code de la justice pénale des mineurs. La délinquance des mineurs est un sujet brûlant, trop souvent polémique, comme en témoignent son traitement par les médias, ainsi que les réformes successives de l'ordonnance de 1945 et les nombreux projets de réécriture de l'ordonnance qui dorment dans les tiroirs du ministère de la justice, tous reportés ou annulés...
Nous attendons que la représentation nationale donne enfin un cap clair, sans ambiguïté, adossé sur les engagements internationaux et sur les principes fondamentaux que le Conseil constitutionnel reconnaît, en matière de justice des mineurs : la priorité donnée au redressement éducatif, une procédure spécialisée et l'atténuation de la peine.
Il faut une vraie cohérence entre les principes annoncés et le contenu du texte. Or le compte n'y est pas dans le projet de loi - il ne l'était pas non plus cependant dans l'ordonnance de 1945...
Par exemple, c'est pour les infractions les plus graves, en matière criminelle, que la spécialisation est la moins importante. Le juge pour enfants n'intervient pas. Le juge d'instruction des mineurs a une spécialisation formelle ; il est désigné par le premier président de la cour d'appel mais n'a pas suivi une formation spécifique. En cas de placement en détention (JLD), le juge des libertés et de la détention, lui aussi non spécialisé, intervient. Et au sein de la cour d'assises des mineurs, les juges des enfants sont minoritaires : ils sont au nombre de deux puisque le président de la cour d'assises n'est pas un magistrat spécialisé, pas plus, par définition, que les six à neuf jurés. Nous aurions souhaité un renforcement de la spécialisation pour les affaires criminelles.
Autre exemple d'incohérence, la césure du procès pénal prévue laisse la porte béante aux possibilités d'y déroger. Une audience unique permet une condamnation quasi immédiate.
Le mineur doit avoir un régime de peine allégé par rapport à un adulte, mais pour les affaires les plus graves, l'excuse de minorité est écartée facilement par les juridictions, en fonction de la personnalité du mineur ou si les faits sont particulièrement graves. Mais aux assises, les faits commis sont toujours graves !
Si la détention à perpétuité a été supprimée pour les mineurs, la peine maximale encourue est de trente ans, soit la plus lourde en Europe. Par ailleurs, si un enfant de moins de treize ans est présumé irresponsable pénalement dans le nouveau code, il s'agit d'une présomption simple et le parquet peut donc engager des poursuites.
Il faut donc mieux garantir la cohérence entre les principes et la réalité.
Les débats parlementaires doivent avoir une vocation pédagogique envers l'opinion publique : la priorité éducative n'est pas synonyme de laxisme, et les mesures éducatives sont souvent plus efficaces pour réinsérer un mineur que l'incarcération. Donnons sa chance à l'éducatif, en déployant des moyens humains - éducateurs, magistrats, greffiers - et des places d'hébergement, dont le déficit est important. De nombreux mineurs restent en prison faute de structure adaptée. Et laissons le temps nécessaire aux mesures éducatives pour faire leurs preuves, sans confondre vitesse et précipitation, dans une démarche constructive.
La réforme compte plusieurs aspects positifs, comme l'instauration de la césure du procès pénal. L'AFMJF l'avait demandée, par la voix d'Alain Bruel, il y a déjà quinze ans. Ce jugement en deux temps doit être la colonne vertébrale de la justice des mineurs. Il permet de régler plus rapidement la question de la culpabilité - il n'y a en réalité besoin d'instruction sur des faits complémentaires que dans un dossier sur dix - ainsi que celle de l'indemnisation de la victime, qui devait auparavant attendre l'issue du procès ; elle permet en outre de prendre en compte l'évolution du mineur avant de prononcer la sanction.
Cette procédure répond aux interrogations sur l'impartialité du juge des enfants et sur l'incompatibilité entre les fonctions d'instruction et de jugement. Il y avait auparavant une tension entre l'objectif de continuité de l'intervention du juge et l'impartialité formelle et objective de la juridiction de jugement. Grâce à la césure, comme il n'y a plus d'instruction par le juge des enfants, ce problème est résolu. Le juge pour enfants réalisera un travail post-sentenciel, après la déclaration de culpabilité. On passera d'une logique de traitement d'un dossier à une logique de traitement d'un mineur ; lorsque plusieurs mineurs commettent des exactions multiples avec d'autres, cela permet d'individualiser les situations et de renvoyer certains en audience de cabinet, d'autres devant un tribunal pour enfants.
Nous sommes cependant réservés sur les délais fixés par la loi - certes sans sanction en cas d'irrespect -, car ils sont rigides, notamment lorsqu'un mineur fait l'objet de mesures éducatives. Prenons, par exemple, un mineur dont la culpabilité est reconnue le 1er janvier, et dont l'affaire est renvoyée en jugement le 15 septembre ; en juin, il commet une nouvelle infraction, et est placé dans un foyer ou un centre éducatif fermé (CEF) ; mi-septembre, il est trop tôt pour observer l'efficacité du placement. De même, en cas de réparation, il serait indispensable de connaître l'aboutissement de cette procédure avant le jugement. Il faudrait donc pouvoir différer de quelques mois la date initialement prévue pour le jugement.
La fixation d'un seuil d'âge de présomption d'irresponsabilité pour les mineurs nous semblait indispensable, comme c'est le cas dans la plupart des pays européens. Dans le droit en vigueur, le seuil de 13 ans correspond à celui en deçà duquel seules des mesures éducatives peuvent être prononcées. Mais la réforme prévoit une présomption simple et non irréfragable. En Allemagne, les mineurs de moins de 14 ans ne peuvent être poursuivis pénalement. En France, la loi permet des dérogations : le parquet peut poursuivre devant le juge d'instruction un mineur de 11 ou 12 ans, si l'on estime qu'il était conscient de la portée de ses actes. La réforme se cale sur les prescriptions de la Convention internationale des droits de l'enfant, qui prévoit la fixation d'un âge en dessous duquel le mineur ne peut faire l'objet de poursuites pénales. Mais en réalité, est-il opportun de permettre des dérogations, sachant que seules des mesures éducatives peuvent être prononcées ? Une victime me disait être déstabilisée par la décision du tribunal pour enfants, car son agresseur de 11 ans n'avait eu comme peine que des mesures éducatives... Organiser des procès pour des enfants de moins de 13 ans, officiellement pour éviter un sentiment d'iniquité, risque de créer encore plus de frustration pour les victimes. Fixons plutôt un seuil de présomption d'irresponsabilité, comme la plupart de nos voisins européens. En France, l'assistance éducative est un outil privilégié, utilisons-le pleinement.
Le Défenseur des droits proposait la rédaction suivante : « Les mineurs de moins de treize ans ne sont pas pénalement responsables des actes qu'ils ont pu commettre ; ils ne peuvent faire l'objet que de mesures éducatives. »
Nous approuvons la « mesure éducative judiciaire », qui donne une cohérence à l'empilement de mesures éducatives émiettées depuis l'ordonnance de 1945. Il faut aussi accroître les pouvoirs du juge des enfants lorsqu'il statue en cabinet. Actuellement, le juge des enfants peut recevoir le mineur soit seul dans son cabinet, où il ne peut prononcer que des mesures éducatives, soit dans un tribunal pour enfants, où il peut prononcer des mesures éducatives ou des peines, en formation collégiale. Il faudrait qu'il puisse prononcer des peines de travail d'intérêt général en cabinet afin de rééquilibrer les instances de jugement. L'audiencement en tribunal pour enfants est très long alors qu'il existerait davantage de possibilités en cabinet.
Nous approuvons l'extension des mesures éducatives aux jeunes majeurs, ainsi que la possibilité de les maintenir en établissement pénitentiaire pour mineurs (EPM), jusqu'à 18 ans et demi ou 19 ans. Actuellement, du jour au lendemain, le jour de ses 18 ans, un mineur peut être transféré dans un quartier pour majeurs. Il suit une scolarité, un programme particulier, et d'un coup il ne voit plus personne, ne peut rencontrer rapidement de psychologue. Or les parcours de délinquance ne s'arrêtent pas à 18 ans.
Nous approuvons aussi l'instauration de la justice restaurative, certaines dispositions techniques opportunes et l'obligation de visite annuelle des établissements.
L'AFMJF désapprouve d'autres dispositions de la réforme. Celle-ci ne prévoit rien sur la nécessaire spécialisation des magistrats - juge d'instruction des mineurs, parquet des mineurs, conseiller délégué à la protection de l'enfance à la cour d'appel, juge des libertés et de la détention... De même, la spécialisation dans les cours d'assises est insuffisante. Nous avons proposé que les assesseurs des tribunaux pour enfants puissent siéger dans les cours d'assises pour mineurs.
Nous considérons ensuite que l'on ne devrait pas pouvoir déroger à l'excuse de minorité.
Les mesures éducatives sont effacées pour un mineur trois ans après s'il n'y a pas de récidive, mais pour une peine, il est soumis au même régime que pour un majeur. Un mineur condamné à un mois de prison le retrouvera durant quarante ans sur son casier judiciaire. Il devrait pouvoir bénéficier d'un droit à l'oubli d'une durée raisonnable, de cinq ans pour les délits et de dix ans pour les crimes, sauf en cas de récidive.
L'inscription automatique au fichier des auteurs d'infractions sexuelles devrait pouvoir être écartée si l'enfant ne présente plus de dangerosité criminelle et en l'absence de récidive, notamment lorsque l'auteur est jugé très longtemps après, par exemple à quarante ans alors qu'il avait commis ces faits à seize ans.
Quand un mineur est déféré pour une audience unique, le juge des enfants est compétent pour l'incarcérer ; l'audience a lieu au maximum un mois plus tard, et le juge des enfants peut présider l'audience. Pour mieux garantir l'impartialité du juge des enfants, on pourrait confier la responsabilité de l'incarcération au juge des libertés et de la détention, à condition qu'il ait bénéficié d'une formation spécialisée.
Nous avons un point majeur de désaccord sur l'audience unique, qui permet, à l'initiative du parquet, de déroger au principe du jugement en deux temps pour une sanction immédiate. Dans l'ordonnance de 1945, un mineur déjà condamné peut être immédiatement présenté devant un tribunal pour enfants, sans mise en examen. Il existe déjà une procédure d'audience unique pour les mineurs connus, condamnés, sous contrôle judiciaire. Mais la réforme prévoit d'élargir fortement les conditions de recours à l'audience unique. Auparavant, c'était sous condition que le dossier comporte un rapport d'investigation sur la personnalité du jeune datant de moins d'un an. Désormais, avec la réforme, il suffirait que le mineur ait fait l'objet d'une déclaration de culpabilité, par exemple une admonestation pour recel d'un vélo, pour recourir à cette procédure. Or cela concernera 80 à 90 % des mineurs traduits devant les juridictions des mineurs.
Le parquet sera tenté de s'engouffrer dans la brèche afin d'évacuer les dossiers en instance dans les grosses juridictions. Le tribunal pour enfants sera pris dans la spirale, avec des comparutions 10 à 15 jours après le défèrement.
Nous demandons que le recours à l'audience unique soit restreint aux mineurs de plus de seize ans, déjà condamnés définitivement à une peine, pour lesquels les mesures éducatives sont arrivées à leur terme ou qui ont fait l'objet d'une mesure judiciaire d'investigation éducative antérieure, et qui ont fait l'objet d'une évaluation de personnalité sérieuse. Pour les mineurs non accompagnés, cette procédure risque de devenir le régime de droit commun.
Il nous semble essentiel d'avoir des juges spécialisés dans les tribunaux pour enfants, les juges des libertés et de la détention et les cours d'assises pour mineurs. Le procureur de la République de Paris, lors de son audition, a évoqué le fait que certains mineurs, notamment non accompagnés, étaient arrêtés plusieurs fois par semaine. Selon vous, il y a des mineurs en prison faute de place dans les foyers. Mais ne serait-il pas plus juste de dire qu'ils sont en liberté car ils réitèrent leurs méfaits constamment ?
Je m'interroge sur l'intérêt qu'il pourrait y avoir à dissocier - pour plus d'impartialité - le juge des enfants prononçant des mesures d'assistance éducative de celui qui prononce des sanctions pénales. Vous évoquiez l'assistance éducative en cours de « carrière » délinquante du mineur, mais il manque surtout une assistance éducative avant que le jeune ne commette ses méfaits, notamment pour des enfants dans une situation dramatique dont on pourrait prévoir la future délinquance.
Les mineurs multirécidivistes, notamment les mineurs non accompagnés, sont déférés plusieurs fois par semaine pour des faits divers : recel, vol, éventuellement avec violence. Beaucoup sont incarcérés. Au quartier des mineurs du centre pénitentiaire de Bordeaux-Gradignan, 45 % des mineurs incarcérés sont des mineurs non accompagnés. Ils font l'objet, bien plus que les autres mineurs, de mesures répressives, et constituent la majorité des mineurs déférés devant les grosses juridictions. Comme ils ne présentent pas de garantie de représentation, cela joue en leur défaveur. Souvent, les faits initiaux ne sont pas très graves, mais comme on ne peut leur demander une réparation ou de suivre un stage de citoyenneté, ils passent plusieurs fois devant le tribunal pour enfants, et sont incarcérés pour des faits de délinquance de survie.
Plus de 70 % des mineurs déférés à Paris sont des mineurs non accompagnés.
M. Heitz, le procureur de la République de Paris, nous a dit effectivement la même chose.
Des jeunes en assistance éducative commettent parfois des actes délinquants. Il est important que le juge des enfants soit le même pour apprécier si les mesures éducatives restent pertinentes ou s'il faut passer à d'autres mesures. Parfois, le juge décide des deux en parallèle : aide et soutien quotidien, et sanction pénale. C'est toute la richesse du juge des enfants que de pouvoir jongler entre ces différentes mesures et de bien connaître le mineur. Si besoin, il peut aussi confier le mineur à un autre collègue pour que celui-ci traite des actes de délinquance.
En assistance éducative, nous avons très peu de signalements sur la délinquance des très jeunes enfants. Mais nous devrions réintroduire le danger de délinquance, car trop souvent, nous attendons l'âge de 13 ou 14 ans, alors qu'il faudrait être saisi dès 10 ans pour trouver une réponse appropriée.
La délinquance des mineurs devrait s'inscrire dans une politique plus globale de prévention et d'éducation, réunissant les services éducatifs, la politique familiale, la justice. Les jeunes se marginalisent de plus en plus tôt, et à 13 ans ils commettent des actes beaucoup plus graves. Ils sont détectés très tôt, mais nous n'avons pas les moyens de les suivre, chacun agit dans son coin. Nous devons aussi agir avec les familles. Nous ne pourrons avoir de politique ambitieuse qu'avec des moyens suffisants ! C'est très bien de prévoir des mesures éducatives en milieu ouvert, mais les crédits sont insuffisants. Quel travail efficace un éducateur peut-il faire en allant voir une fois par mois un enfant dans sa famille ?
Avoir une justice un peu expéditive vous pose question, mais plus tôt l'on dit à un enfant qu'il a franchi une ligne rouge, mieux c'est. Sans moyens colossaux, malgré toutes les lois, ces mineurs ne seront pas suivis efficacement.
J'irai dans le même sens. Est-il plus urgent de modifier le code pénal ou d'avoir des moyens suffisants ? Souvent, on fait des lois pour éviter de parler de financement...
Je suis surpris que vous approuviez la séparation entre prononcé de culpabilité et jugement sur la peine : il existe plusieurs façons d'être coupable, et cela détermine les mesures qui seront prises. Est-ce justifié pour des raisons pratiques ?
Vous travaillez à Bordeaux, mais échangez avec l'ensemble des juges des enfants au travers de l'AFMJF. L'ordonnance est censée entrer en vigueur au 1er octobre, or nous ne sommes pas encore saisis de sa ratification. La marge de manoeuvre du Parlement sera réduite par ces brefs délais d'examen. Comment cette ordonnance pourra-t-elle être techniquement mise en oeuvre, notamment la césure ? Comment la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) pourra-t-elle suivre ce rythme ? Depuis la sortie de l'ordonnance, comment a évolué le terrain ?
Je vous rejoins sur la question des moyens. La réponse judiciaire à la délinquance des mineurs repose sur trois piliers : des textes adaptés, des moyens humains et éducatifs, et des politiques pénales - qui appartiennent au parquet. Nous revendiquons que celles-ci puissent faire l'objet de débats avec les juges du siège. Le fait que le défèrement soit le premier mode de saisine pose problème, car le mineur voit le juge le jour même dans les grandes juridictions, puis plus rien ne se passe pendant deux ans jusqu'au jugement... La politique pénale doit être débattue pour ne pas être appliquée mécaniquement, mais elle doit être adaptée au jeune en fonction de la gravité des faits.
Les lois de protection de l'enfance de 2007 et 2016 ont considérablement développé le recours aux mesures éducatives au civil, en milieu ouvert. Ainsi, des éducateurs peuvent par exemple rencontrer des jeunes filles risquant de tomber dans la prostitution jusqu'à trois fois par semaine. L'équivalent n'existe malheureusement pas au pénal. Un éducateur de la PJJ suit en moyenne 28 enfants, donc il ne les voit au maximum qu'une fois par semaine. Nous devons être capables, pour certains jeunes, peu nombreux - 75% des jeunes ne sont plus revus par le juge des enfants après une première infraction - de mettre les moyens, en milieu ouvert, en les rescolarisant de manière adaptée et en travaillant avec les parents. La PJJ a pour ambition de développer l'offre éducative, de ne pas se limiter à l'hébergement, mais en a-t-elle les moyens ? Nous pouvons en douter. Il faut que les moyens de la PJJ soient renforcés. Actuellement, nous n'avons plus de places d'hébergement pour les mineurs, sauf en CEF, alors que les mineurs concernés sont loin d'être des bandits de grand chemin...
Un juge des enfants suit 500 dossiers d'assistance éducative, en sus du pénal. Ces juges ne sont pas assez nombreux, de même que les personnels des greffes. Si l'on veut créer des audiences pour juger rapidement les mineurs, il faudra poursuivre les efforts, en sus des 70 nouveaux postes de juge des enfants annoncés pour 2020, que nous saluons. Emprisonner rassure, mais ensuite on ne pourra pas réinsérer ces jeunes. Actuellement, la procédure se déroule en deux temps : après la mise en examen, des mesures éducatives sont prévues, puis se tient le jugement.
Dans 90 % des cas, établir la culpabilité ne pose pas de difficulté. Le risque sinon est que le mineur soit relaxé deux ans et demi après, faute de temps, sans déclaration de culpabilité.
Il est important de reconnaître rapidement la culpabilité, ce qui permet aussi d'indemniser la victime. Et le juge dit au jeune, à l'issue de la première audience, que la peine sera fixée en fonction des faits et de son évolution dans les six à neuf mois suivants. C'est cohérent tant pour l'agresseur que pour la victime.
Monsieur Bigot, nous travaillons sur la période transitoire en essayant de déstocker au maximum avant le 1er octobre, pour éviter une embolie du système. L'inspection générale de la justice doit déposer un rapport avec des propositions de renfort de moyens dans certaines juridictions, sorte de plan d'évacuation des stocks. C'est compliqué, car il faut pouvoir déployer en urgence des juges, des greffiers, et des magistrats du parquet. À Bordeaux, nous avons essayé de créer des audiences supplémentaires du tribunal pour enfants, mais le parquet n'a pas assez de moyens et ne peut pas suivre. Nous aurons une période transitoire, entre trois et six mois, durant laquelle les deux systèmes coexisteront. Nous essaierons d'évacuer les stocks avant de tenir les premières audiences de culpabilité, en décembre ou janvier. Les juridictions devront être aidées pour tenir le choc, car certaines seront sinon en grande difficulté.
Merci de nous avoir éclairés si précisément. Après la désignation de notre rapporteur, nous ferons probablement de nouveau appel à vous.
Je suis à votre disposition.
Mes chers collègues, nous en venons à l'examen du rapport de M. Philippe Bonnecarrère sur le projet de loi relatif au Parquet européen et à la justice pénale spécialisée, faisant l'objet de la procédure accélérée.
Trois sujets vont être évoqués ce matin. Le premier concerne le Parquet européen, plus exactement la manière dont il sera intégré dans notre système judiciaire. Le deuxième porte sur les juridictions spécialisées : vous serez amenés à examiner plusieurs points particuliers, notamment concernant le parquet national antiterroriste, le parquet national financier et la création de pôles spécialisés dans chaque cour d'appel en matière de droit de l'environnement, avec la mise en place de conventions judiciaires d'intérêt public. Le troisième est l'examen d'un certain nombre de mesures diverses.
Parmi celles-ci, notons la question des réquisitions données par les procureurs aux officiers de police judiciaire, au titre de l'article 77-1 du code de procédure pénale, la création d'un délit touchant le secteur des transports collectifs, en particulier le métro et le RER, et une problématique concernant le financement du fonds issu de la loi dite « Macron » de 2015 qui concerne les professions de notaires et d'huissiers de justice. Pour éviter toute redondance et ne pas trop vous lasser, je traiterai ces questions lors de l'examen de certains de mes amendements, et non dans mes propos introductifs, concentrant donc ces derniers sur les deux premiers sujets.
S'agissant du Parquet européen, pardonnez-moi d'être quelque peu discourtois sur le plan intellectuel, mais je sauterai directement à la conclusion : au regard de sa construction, comme de la façon dont il sera intégré dans notre système judiciaire, c'est une bonne surprise ! Pour une fois, nous sommes face à un dispositif relativement simple et pragmatique, sur lequel, d'ailleurs, le Conseil d'État n'a formulé aucune observation critique.
Ce Parquet européen est le fruit d'une longue discussion - l'idée remonte à plus de dix ans -, ayant connu deux épisodes principaux.
En 2013, on envisage la création d'un Parquet européen très intégré, avec un chef du Parquet et des magistrats européens. Cette proposition fait alors l'objet de vives critiques au regard du principe de subsidiarité, notamment de la part du Sénat - de vous-mêmes, mes chers collègues -, qui brandit à l'encontre de la Commission européenne un « carton jaune ». Quatorze autres parlements font de même, ce qui oblige la Commission à revoir sa copie.
Après quatre années de négociation, une directive est adoptée en 2017, transposée en droit français par une ordonnance du 18 septembre 2019, pour définir une liste d'infractions portant atteinte aux intérêts financiers de l'Union européenne, ainsi que le règlement instituant le Parquet européen.
Le Parquet européen est compétent sur les seules atteintes aux intérêts financiers de l'Union européenne définies par la directive, dite directive « PIF ». Son champ d'intervention est donc limité. Pour l'essentiel, seront concernées les infractions en matière de TVA, et encore ces dernières devront-elles porter sur des montants supérieurs à 10 millions d'euros et mettre en jeu au moins deux États. La Chancellerie a repéré 43 dossiers susceptibles d'entrer dans son champ pour notre pays, et l'on estime qu'en rythme de croisière, ce chiffre pourrait atteindre 60 à 100 dossiers.
Le Parquet européen résulte d'un compromis assez intéressant, en ce sens que, indépendamment de votre approche politique, il saura vous satisfaire : si vous défendez une construction plus intégrée de l'Union européenne, vous saluerez sa création ; si, au contraire, vous êtes souverainiste, vous apprécierez son organisation.
Ainsi sa présidente, la Roumaine Laura Kövesi est-elle assistée d'un représentant par État, qui forment un collège chargé de la coordination de la politique pénale. Des chambres permanentes donneront les instructions sur chaque dossier précis, sachant qu'il revient au Parquet européen de décider, ou pas, de se saisir d'une affaire. Chaque chambre comprendra trois magistrats, dont un sera forcément issu du pays d'origine du dossier à traiter.
Garanties supplémentaires pour les défenseurs d'une approche souverainiste, les enquêtes seront réalisées par les services français, les mesures privatives de liberté seront du ressort du juge des libertés et de la détention (JLD) français et, quand les dossiers viendront au fond, c'est la juridiction française - en l'occurrence celle de Paris - qui tranchera. Enfin, en cas de désaccord entre parquet français et Parquet européen sur le fait de savoir si ce dernier est compétent, la décision ultime appartiendra au procureur général français ou à la chambre criminelle de la Cour de cassation.
Ce sont donc de nombreux verrous qui ont été apposés, pour une solution satisfaisante. Comment tout cela va-t-il fonctionner dans notre système juridique interne ?
Le dispositif est original, mais c'est justifié par la situation. Chaque État doit désigner au moins deux procureurs européens délégués. Nous avons décidé, pour la France, d'en rester à ce seuil minimal - deux procureurs pour 60 à 100 dossiers à traiter, cela paraît raisonnable ; d'autres pays, comme l'Allemagne, ont dans l'idée de désigner dix magistrats, mais qui ne seront pas spécialisés.
Les magistrats concernés seront détachés auprès du Parquet européen et soumis aux orientations arrêtées par ce dernier. Pour assumer leurs fonctions, ils pourront exercer les attributions des procureurs et des juges d'instruction. Cela permet de résoudre un problème pratique : dès lors que les procureurs européens délégués sont soumis aux instructions du Parquet européen, il n'est pas possible d'introduire dans le traitement des dossiers une intervention de notre juge d'instruction français, qui, par essence, est indépendant.
Le Procureur européen délégué, quand il a vocation à intervenir dans le ressort de notre territoire, aura donc, dans un premier temps, une casquette de procureur et, dès que le dossier nécessitera d'avoir recours à des actes d'instruction, il deviendra magistrat instructeur. Si, dans ce cadre, des décisions attentatoires à la liberté doivent être prises, elles le seront par un JLD français, avec un recours possible devant la chambre de l'instruction. Seules les mesures de contrôle judiciaire relèveront du procureur européen délégué, sous le contrôle du JLD, contraint de trancher dans les trois jours, avec une possibilité d'appel devant la chambre de l'instruction.
Toutes les garanties protectrices des droits des personnes sont bien mises en oeuvre dans le dispositif.
En bref, la solution proposée est conforme au souhait exprimé jadis par le Sénat, à savoir que le fonctionnement du Parquet européen soit le plus respectueux de notre système judiciaire.
S'agissant des juridictions spécialisées, plusieurs questions se posent.
La première est assez technique, mais donne satisfaction aux professionnels que j'ai pu auditionner. Il s'agit de la résolution des conflits de compétences : d'une part, la priorité ira toujours à la juridiction spécialisée, au détriment de la juridiction de droit commun ; d'autre part, au sein des juridictions spécialisées, elle ira toujours à la juridiction ayant le ressort le plus étendu. Cela ne pose, à mes yeux, aucune difficulté.
Par ailleurs, un point rapide sur le parquet national antiterroriste (PNAT) et le parquet national financier (PNF).
Deux types de mesures sont prises s'agissant du premier. D'une part, on en fait l'interlocuteur exclusif de la Cour pénale internationale pour toutes les questions d'entraide judiciaire. D'autre part - élément qui pourrait vous intriguer, mais ne pose en réalité de problème à personne, l'usage voulant que ces cas soient depuis très longtemps traités au sein du pôle antiterroriste de Paris -, il prendrait en charge les dossiers pour crimes et délits contre les intérêts fondamentaux de la Nation, principalement des dossiers d'espionnage.
Par ailleurs, la compétence du PNF serait étendue aux pratiques dites anticoncurrentielles : entente, abus de position dominante, abus de dépendance économique. Le PNF y est favorable, et une telle disposition n'empiétera pas sur les périmètres d'intervention de l'Autorité des marchés financiers ou de l'Autorité de la concurrence.
Reste l'innovation que constitue la création de pôles de compétences spécialisés en matière d'environnement. Il ne s'agit pas de créer une juridiction nouvelle, mais de permettre, par la création de ces pôles au sein de chaque cour d'appel, le traitement d'un nombre plus important de dossiers et l'accroissement des compétences des magistrats en la matière, afin d'améliorer le suivi pénal du droit de l'environnement, qui reste insuffisant.
Ce dispositif ne suscite pas l'enthousiasme, mais je n'ai entendu aucun avis négatif. On peut considérer sa création comme une mesure d'ordre pédagogique vis-à-vis du système judiciaire, encourageant un investissement plus fort dans le champ de l'environnement. En réalité, l'augmentation du nombre de dossiers risque d'être faible : tous les dossiers relatifs au droit de l'urbanisme, aux activités de pêche ou de chasse, à des troubles anormaux de voisinage resteront traités au niveau des juridictions de droit commun et ces juridictions désignées dans chacune des cours d'appel ne traiteront probablement que d'infractions à la législation sur les établissements classés. Pour autant, mes chers collègues, ce projet n'est pas un texte d'opportunité, visant à répondre au drame de Lubrizol. Deux pôles spécialisés existent déjà en matière d'atteintes graves à l'environnement en France - Paris et Marseille - et l'affaire Lubrizol est prise en charge par le pôle parisien.
La création de ces pôles ne porte pas atteinte à la spécialisation, pour le haut du spectre, de Paris et Marseille, ni à celle des six juridictions du littoral, compétentes pour les pollutions marines.
De plus, le projet de loi prévoit d'autoriser les procureurs à recourir, dans le domaine de l'environnement, aux fameuses conventions judiciaires d'intérêt public (CJIP), qui ont fait la preuve de leur efficacité.
Sous réserve de points de détail que nous verrons lors de l'examen des amendements, on peut donc considérer que les deux premiers titres du projet de loi présentent un intérêt certain.
Il s'agit donc de tirer les conséquences d'un règlement européen ayant connu un parcours quelque peu chaotique. Le processus a effectivement dû être arrêté, grâce à des initiatives parlementaires, pour pouvoir repartir sur des bases acceptables par les États membres, et ce nouveau départ, si j'ai bien compris l'intervention de notre rapporteur, a permis d'aboutir à un texte correct, s'articulant bien à notre système d'enquête et de poursuite français. Autrement dit, le venin a été extirpé du règlement européen et nous examinons aujourd'hui un texte en tirant les conséquences dans le droit français. Plusieurs greffons ont néanmoins été ajoutés : notre rapporteur en a évoqué certains touchant les juridictions spécialisées, d'autres seront abordés lors de l'examen des amendements.
D'après notre rapporteur, que l'on croit ou pas au ciel européen, on peut accepter les mesures concernant le Parquet européen. Cette démonstration, que je partage, m'amène néanmoins une interrogation : dès lors, à quoi sert-il ? Le travail sera réalisé, non pas par le Parquet européen, mais par les juridictions et parquets des différentes nations. En outre, si j'ai bien compris, l'évasion fiscale - sujet qui pourrait être intéressant à traiter au plan européen - n'entre pas dans le champ de ses compétences. Mis à part créer de nouvelles perspectives de carrière, quel est l'intérêt de cette « boursouflure juridique » ? Je ne vois pas bien, mais vous me détromperez certainement, monsieur le rapporteur.
Il est urgent que nous disposions d'un texte sur le Parquet européen, afin que celui-ci puisse entrer en fonctionnement à la fin de 2020. L'objectif de ce parquet est de poursuivre les atteintes aux intérêts financiers de l'Union européenne et, sous cet angle, le projet de loi paraît cohérent. Quelques mesures peuvent choquer au regard de nos pratiques, mais peut-être la mise en place de ce dispositif nous permettra-t-elle d'envisager, un jour, l'organisation de l'indépendance des procureurs français, à l'instar des procureurs européens délégués.
Sur cette partie du texte, donc, je n'ai pas beaucoup d'observations à formuler, rejoignant les excellentes indications du rapporteur.
En revanche, nous devrions nous émouvoir que, dans un texte examiné en procédure accélérée, on ait ajouté certaines mesures venant complexifier encore le fonctionnement de la justice - je pense notamment à la spécialisation dans le domaine de l'environnement -, et ce sans que nous puissions auditionner la ministre de la justice, voire la ministre de la transition écologique et solidaire sur certaines infractions et sanctions nouvelles en matière de transport.
Je salue le travail de Philippe Bonnecarrère, qui nous a présenté un rapport très bien informé et subtil. Son intervention me rappelle celle que fit Maurice Barrès devant l'Assemblée nationale en 1920, lors de l'examen d'un texte visant à créer une fête nationale dédiée à Jeanne d'Arc. Il avait indiqué que l'on pouvait voter ce texte, que l'on soit communiste ou royaliste, socialiste ou républicain, et, effectivement, le texte fut adopté à l'unanimité. C'est ce que nous dit notre collègue : que vous soyez ardent pro-européen ou ardent souverainiste, ce texte doit vous convenir. Je reconnais là tout le travail qu'il a réalisé, et la subtilité dont il fait preuve. Nous le savons, pour faire l'Europe, il faut avancer pas à pas, faire de la diplomatie. Mais tant de garde-fous ont été déclinés, tant de latitudes ont été laissées aux instances nationales... N'y a-t-il pas un risque que cette juridiction finisse par être tellement écartelée qu'elle ait du mal à élaborer une jurisprudence cohérente ?
Sur les atteintes à l'environnement, notre fonctionnement actuel se caractérise par sa lenteur, le nombre de classements sans suite, le nombre d'abandons, la faiblesse du quantum des peines et des sanctions pénales à l'égard des personnes morales et chefs d'entreprise. Le dispositif proposé reposerait sur trois étages : le niveau départemental pour les affaires les plus simples, les magistrats spécialisés pour les atteintes plus importantes et, pour le niveau supérieur, des pôles régionaux maintenus. Quelle est, de ce fait, l'efficience de cette proposition ? La confusion en matière de répartition du contentieux ne risque-t-elle pas de nuire à l'efficacité de l'action ? À cela s'ajoute la question de la faiblesse des moyens nouveaux affectés à ces juridictions spécialisées...
La problématique des CJIP pose un vrai sujet philosophique. Vous évoquez de bons résultats en matière fiscale, mais les questions environnementales ne sont pas de même nature, ayant une dimension symbolique plus importante et une dimension financière moindre. Ce mécanisme offre, en définitive, un droit à porter atteinte à l'environnement, crée un système de justice à deux vitesses et, en cette matière, altère la dimension pédagogique et dissuasive.
Nous sommes donc réservés sur ces deux aspects.
À mon tour, je salue l'excellent travail de Philippe Bonnecarrère sur ces sujets, que je sais complexes et parfois très denses.
La structure du Parquet européen, dans sa conception actuelle, est une victoire du Sénat français. Le rapport que j'avais élaboré sur le sujet en son temps, au nom de la commission des affaires européennes, mais aussi de la commission des lois, faisait état d'une certaine satisfaction sur le dispositif envisagé, mais la Commission européenne, quelque temps plus tard, avait avancé une proposition extrêmement intégrée et rigide. Cela nous a conduits, avec Simon Sutour, à demander au Sénat de voter une résolution sur le non-respect du principe de subsidiarité par la Commission européenne, résolution votée à l'unanimité. Nous devons donc à la décision du Sénat français de décerner à la Commission un « carton jaune » d'avoir emporté l'adhésion de plusieurs autres parlements nationaux et d'avoir ainsi permis que la copie soit revue.
Le sujet du Parquet européen semble assez consensuel et, comme l'a précisé notre excellent rapporteur, ne date pas d'hier. Néanmoins, j'ai deux questionnements à ce propos. Tout d'abord, quel système - accusatoire ou inquisitoire - sera retenu dans le cadre de ce Parquet européen, sachant que l'on trouve dans les États membres concernés des pays anglo-saxons à dominante accusatoire et des pays comme le nôtre à dominante inquisitoire ? Par ailleurs, je rejoins Jacques Bigot sur l'indépendance du parquet français. L'instauration de ce Parquet européen ne va-t-elle pas nous aider à la renforcer ?
Quand on suit ce dossier depuis un certain nombre d'années, on peut se réjouir de voir que les choses finissent par aboutir. On y est ! Et, pour compléter l'intervention de Sophie Joissains, j'indiquerai que, si nous avons usé de ce « carton jaune » découlant du traité de Lisbonne, imposant à la Commission européenne de revoir sa copie si 25 % des parlements de l'Union européenne déclenchent la procédure, notre argument était que nous souhaitions un parquet collégial. Je reconnais que le dispositif reste de portée limitée. Nous commençons petit, mais cela prendra de l'ampleur, et il faut s'en réjouir !
Faut-il parler de « boursouflure juridique », monsieur Collombat ? Non, et ce pour deux raisons.
D'une part, il y a tout de même une question d'impulsion. Actuellement, des infractions sont commises, font l'objet de discussions publiques et de campagnes de presse sans que rien ne permette de garantir qu'elles seront poursuivies. Il semblerait ainsi que, dans deux pays proches de la mer Noire, des personnalités politiques aient acquis des biens immobiliers en bénéficiant de subventions européennes au titre de projets à caractère touristique. Demain, la décision de poursuivre de telles infractions viendra de Bruxelles, et non des pays concernés. Autre exemple, le Premier ministre de l'un des 27 États membres fait actuellement l'objet de poursuites judiciaires pour des conflits d'intérêts en matière d'utilisation de subventions publiques.
D'autre part, l'objectif principal est de lutter contre les atteintes aux intérêts financiers de l'Union européenne. Pour les fraudes à la TVA, qui ont incontestablement une dimension transfrontalière, on parle de sommes atteignant des milliards d'euros. On subodore que le décalage constaté, en France, entre l'évolution du PIB et celle des recettes de TVA est dû à une évaporation de TVA liée à ces fraudes.
Sur l'indépendance des parquetiers, monsieur Bigot, effectivement l'arrivée de cette culture européenne, dans laquelle l'indépendance est très marquée, encouragera une évolution en ce sens.
Je n'irai pas sur le terrain de la subtilité, monsieur Sueur, comme vous m'y encouragez, pour essayer de vous répondre plutôt sur le terrain de la complexité. Nous présentons un système relativement complexe, c'est vrai, mais il est le fruit du compromis et, au bout du compte, il y a une forme d'unicité au niveau de la jurisprudence - non pas européenne, mais nationale - et dans la conception de la politique pénale à l'échelle européenne.
Pour répondre à Jérôme Durain, la spécialisation des juridictions ne garantit pas l'efficacité. Mais l'idée répandue dans le monde judiciaire est qu'elle évite certains problèmes et améliore globalement le traitement des dossiers. En outre, les juridictions spécialisées recouvrent des réalités variables, comme le montre la spécialisation sur la pollution du littoral. Les dossiers traités dans ce cadre, très peu nombreux, concernent exclusivement des dossiers d'archéologie maritime. Mais faut-il s'en moquer ? La conséquence du fait de disposer d'un cadre particulièrement strict en matière de pollution maritime, c'est que les navires évitent de commettre des infractions près du littoral français !
S'agissant des conventions judiciaires, le montant de l'amende potentielle est élevé, jusqu'à 30 % du chiffre d'affaires annuel. Les conventions devant être homologuées, une audience est tenue, les victimes peuvent s'exprimer, les montants arbitrés intègrent la réparation du préjudice. Une publication est prévue sur le site internet de la commune concernée par l'atteinte portée à l'environnement, ce qui permet une information de la population. Enfin, ces conventions permettent d'aller plus loin, avec des instruments intrusifs comme le plan de mise en conformité. Au titre de la convention, il peut être exigé que l'on suive, pendant trois ans, les mesures prises par l'entreprise pour s'assurer que les problèmes constatés en matière d'environnement ne se reproduiront pas.
Merci, madame Sophie Joissains, de votre mise en perspective sur ces sujets, que vous connaissez parfaitement.
Je ne vais pas insister sur la question du régime accusatoire ou inquisitoire. Le système proposé ne déroge pas sur ce point au modèle français, dont il se distingue seulement par la possibilité donnée au procureur européen délégué de procéder à une enquête préliminaire puis, éventuellement, à une instruction.
Je remercie M. Sutour d'avoir insisté sur le fait que nous aurons un parquet collégial. L'intérêt, d'ailleurs, ne tient pas dans cette seule collégialité, mais dans le fait qu'une affaire dont le coeur se situera en France sera supervisée par un magistrat connaissant notre système. C'est un gage d'efficacité.
EXAMEN DES ARTICLES
Article 1er
Je signale en préambule qu'aucun amendement n'a été déclaré irrecevable au titre de l'article 45 de la Constitution. Le projet de loi comporte des dispositions relatives à la procédure pénale, à l'organisation des juridictions, aux peines et aux professionnels du droit.
L'amendement COM-9 concerne le moment où le procureur européen délégué, ayant commencé à traiter le dossier comme parquetier, décide d'actes d'instruction. Nous proposons de mieux encadrer le passage à la procédure d'instruction.
L'amendement COM-9 est adopté.
Avec l'amendement COM-10, nous proposons d'envoyer un signal plus politique, en particulier pour rassurer les avocats, en insistant sur le droit pour les parties d'être assistées par un avocat et d'avoir accès au contenu de la procédure.
L'amendement COM-10 est adopté.
Article additionnel avant l'article 8
L'amendement COM-4 de M. Joël Labbé est un amendement d'appel, visant à accroître les sanctions pénales pour un certain nombre d'infractions en matière environnementale. Ce n'est pas l'objet de ce texte et, si l'on s'aventure sur ce terrain, il faut tout examiner : les sanctions pénales, mais aussi les sanctions administratives et les peines complémentaires. J'y serai donc défavorable.
L'amendement COM-4 n'est pas adopté.
Article 8
Les amendements COM-8 et COM-7 sont rédactionnels.
Les amendements COM-8 et COM-7 sont adoptés.
Articles additionnels après l'article 8
Pour les mêmes raisons que précédemment, nous préconisons le rejet des amendements COM-1, COM-2 et COM-3 de M. Joël Labbé.
Les amendements COM-1, COM-2 et COM-3 ne sont pas adoptés.
Article 9
L'amendement COM-13 est un amendement rédactionnel.
L'amendement COM-13 est adopté.
Une pratique ancienne des parquets consistait à rédiger des instructions générales à destination des agents et officiers de police judiciaire, dans le cadre des enquêtes préliminaires, les autorisant par exemple à faire appel à un médecin pour une expertise médicale en cas de violences conjugales. Cette pratique ne posait aucune difficulté jusqu'au jour où la Cour de Cassation a objecté que chaque réquisition devait donner lieu à une instruction individuelle.
Le parquet ayant le contrôle de l'enquête, il importe qu'il s'y implique en donnant des directives aux enquêteurs. Mais, au sein des grands parquets, si toutes les réquisitions doivent faire l'objet d'une instruction individuelle, on peut craindre une surcharge pour les services.
La Chancellerie propose donc que, pour les comparaisons d'empreintes digitales et les réquisitions pour les examens médicaux, on puisse continuer à procéder par la voie d'instructions générales, sous réserve que l'officier de police judiciaire rende compte sans délai de ses demandes au magistrat, qui demeure responsable de l'enquête. L'amendement COM-20 vise à étendre ce recours aux instructions générales à la consultation des systèmes de vidéoprotection.
L'amendement COM-20 est adopté.
Article 10
L'amendement COM-14 est rédactionnel et l'amendement COM-15 corrige un oubli.
Les amendements COM-14 et COM-15 sont adoptés.
Article 11
Les amendements COM-16, COM-18 et COM-17 portent sur la nouvelle peine complémentaire d'interdiction de paraître dans les transports publics, déjà prévue dans la loi d'orientation des mobilités (LOM) mais ultérieurement censurée.
Par ce dispositif, pourrait être prononcée, à titre de peine complémentaire, une condamnation portant interdiction d'accéder à un réseau de transport collectif.
Cette peine restrictive de liberté vise surtout deux types d'infractions, celles que commettent les « frotteurs » et les voleurs à la tire dans le RER ou le métro.
Quelle peut être l'efficacité d'un tel dispositif ? La Chancellerie fait observer que le texte qu'elle a préparé sur ce sujet est partiel ; elle souhaiterait en réalité que cette condamnation soit inscrite au fichier des personnes recherchées afin que les agents de surveillance de la RATP ou les policiers spécialisés dans ce domaine, qui connaissent les personnes commettant ces infractions, puissent intervenir dès qu'ils les voient sur le quai, sans devoir attendre de les prendre en flagrant délit.
Lorsque l'on évoque cette mesure avec les magistrats et les avocats, même les plus engagés dans la défense des libertés, ils expriment parfois des réserves mais reconnaissent aussi qu'elle cherche à répondre à un vrai problème.
C'est peut-être un problème très parisien, mais il concerne des millions de personnes n'ayant pas le choix de leurs modalités de transport. Les trois amendements visent à rendre le dispositif pleinement opérationnel. L'amendement COM-17 prévoit que l'interdiction de paraître dans les réseaux de transport est communiquée par le représentant de l'État au réseau de transport. Elle figurera dans le fichier des personnes recherchées.
Pour les vols à la tire, les auteurs sont souvent mineurs. Dans son avis sur le projet de loi, le Conseil d'État avait été d'accord pour appliquer cette peine aux jeunes de 16 à 18 ans. Je vous propose de compléter le texte sur ce point par l'amendement COM-16, à condition de limiter la durée de l'interdiction de paraître à un an pour les mineurs.
Par ailleurs, l'amendement COM-16 permet de moduler le champ de l'interdiction, car il pourrait être excessif d'interdire à quelqu'un l'ensemble des réseaux de transports collectifs.
Enfin, pour s'assurer d'une garantie supplémentaire en termes de liberté, nous proposons que la peine soit prononcée « en tenant compte des impératifs de la vie privée, professionnelle et familiale de la personne condamnée ». C'est une infraction dont on comprend l'intérêt pratique, qui peut être opérationnelle, mais que nous préférons entourer de garanties supplémentaires.
Elle est assez dissuasive : deux ans d'emprisonnement et 30 000 euros d'amende. Très clairement, il s'agit de permettre aux policiers d'intercepter les « frotteurs » ou les voleurs à la tire avant qu'ils ne commettent un méfait. Pour les juristes, l'idée est certes un peu intrigante, mais ce sont des dispositifs qui fonctionnent, pour l'interdiction d'accès aux stades par exemple.
La commission a adouci le dispositif en prévoyant que le juge doit tenir compte des contraintes de la personne condamnée. Il peut autoriser le transport pour se rendre au travail, par exemple, mais pas le week-end. Ce problème peut aussi concerner les métropoles.
Ce principe viole totalement le mode de fonctionnement de la justice, sauf en cas de protection de la personne, par exemple si le mari est violent. Mais ici ça peut aller loin. On remplace le mode de fonctionnement actuel de la justice par un système préventif. Cela paraît anodin, mais il s'agit tout de même d'une pente inquiétante.
Tout d'abord, il s'agit de multirécidivistes. Ensuite, le système n'est pas aussi original que vous le pensez : il prolonge les actuelles interdictions de séjour. L'interdiction de séjour est liée à la notion de lieu. Un réseau de transport collectif et des véhicules qui le composent sont-ils des lieux ? Comme personne ne savait répondre à cette question, le Gouvernement propose la création d'une peine complémentaire spécifique.
La situation est très différente de l'interdiction de stade. Il s'agit en général d'un stade particulier. Quel transport sera concerné ici ?
Nous vous proposons de préciser par voie d'amendement que le juge pourra décider d'interdire tout ou partie du réseau. Le parquet pourra, sur demande, modifier cette interdiction, notamment pour des raisons professionnelles.
Je rappelle que nous discutons ici d'une peine qui se prononce couramment dans d'autres domaines que les transports. L'article 131-6 du code pénal prévoit bien l'interdiction de paraître dans certains lieux. La station de métro est un lieu, mais quid de la ligne ? Le Gouvernement a voulu sécuriser la possibilité pour les juges d'appliquer une disposition qui existe déjà depuis longtemps en prévoyant que le lieu peut être mobile. Notre rapporteur, par prudence, nous propose de limiter pour les mineurs la durée de cette interdiction à un an au lieu de trois ans.
Cette infraction me fait penser à la suspension du permis de conduire. Les conséquences sont les mêmes. Pourtant, il me semble qu'aucune dérogation n'est permise pour un motif d'emploi. La mesure proposée ne me choque donc pas, car il ne s'agit pas d'une première sanction, elle intervient toujours à la suite de délits répétés !
Les amendements COM-16, COM-17 et COM-18 sont adoptés.
Article 12
L'amendement COM-12 ne concerne pas le domaine pénal, mais l'organisation des professions juridiques, en particulier celle des notaires et des futurs commissaires de justice - profession qui réunira bientôt celles d'huissier de justice et de commissaire-priseur judiciaire.
Le Gouvernement nous demande de l'habiliter à réformer par voie d'ordonnance le fonds interprofessionnel d'accès au droit et à la justice (FIADJ). Ce fonds résulte de la loi dite « Macron » de 2015. Ses modalités de fonctionnement ont été définies par décret. Mais il n'a toujours aucune existence réelle, puisque ses règles de financement par la voie d'une taxe prélevée sur les professionnels ont été censurées à deux reprises par le Conseil constitutionnel.
Régulièrement interpellée sur cette question, la Chancellerie propose dans ce texte de la régler par voie d'ordonnance grâce à l'abondement du fonds par des contributions volontaires obligatoires, avec un objectif de péréquation au sein de chaque profession.
À l'origine, les initiateurs de ce fonds pensaient qu'il pourrait servir à financer l'aide juridictionnelle, voire la modernisation de certaines professions juridiques... Or les avis ont évolué. Chacun a pris conscience que l'argent des huissiers de justice doit servir aux huissiers de justice, celui des notaires aux notaires, et que, pour parler trivialement, on ne peut pas prendre dans la poche des uns pour donner aux autres !
Il faut par conséquent admettre qu'un fonds interprofessionnel n'est pas la solution. La redistribution concerne chaque profession, en interne. C'était l'approche défendue par le Sénat en 2015, par la voix de François Pillet.
Toutefois, le législateur a estimé que, si la déontologie et l'organisation des professions relevaient des ordres professionnels, leur participation à la vie économique justifiait un contrôle de Bercy. Les règles d'installation des professions réglementées du droit, celles qui régissent la tarification de leurs actes sont aujourd'hui inscrites dans le code de commerce et soumises à l'avis de l'Autorité de la concurrence. Ces règles ont toutes un impact sur la restructuration des professions et le maillage des territoires : ainsi, l'écrêtement des émoluments perçus à l'occasion des transactions immobilières a fait baisser ceux-ci de 1,3 % dans les Hauts-de-Seine, de 1,7 % dans le Val-d'Oise, mais de 16,9 % dans la Creuse et de 15,4 % en Lozère.
Pour sortir de l'impasse, et par souci de simplicité, je propose de supprimer le FIADJ et sa société de financement, pour laisser les ordres professionnels organiser eux-mêmes leur péréquation interne. Ils seraient habilités, à cette fin, à prélever sur leurs membres des cotisations dont l'assiette et le taux seraient fixés par arrêté du garde des sceaux, après avis de l'Autorité de la concurrence. Nous respecterions ainsi l'objectif de la loi de 2015, qui est de veiller à l'accès aux prestations délivrées sur l'ensemble du territoire, sans nous dispenser d'une approche économique qui, à mon avis, suppose au moins que l'Autorité de la concurrence soit consultée. Cet équilibre me paraît acceptable pour les ordres professionnels comme pour la Chancellerie.
J'ai été invité à participer à la séance d'ouverture du congrès des notaires l'année dernière, et j'ai pu constater combien l'immixtion de l'Autorité de la concurrence dans le fonctionnement de la profession était mal vécue... Le conseil supérieur du notariat appréciera que nous ne les livrions pas au Gouvernement en acceptant une habilitation à légiférer par ordonnance, mais il sera certainement très réservé sur cet avis de l'Autorité de la concurrence, dont je mesure mal l'opportunité. Ne pourrions-nous pas laisser ce point de côté en attendant la suite de la navette parlementaire ?
Si nous ne trouvons pas de solution acceptable par tous, il est à craindre que les députés veuillent revenir purement et simplement à la loi de 2015... Du point de vue des professions, la rédaction que je vous propose constitue un moindre mal. Je souligne d'ailleurs que l'Autorité de la concurrence établit déjà la carte d'installation des nouveaux offices.
Cet échange confirme mon propos de tout à l'heure : ce texte sur le Parquet européen comprend des éléments qui auraient mérité un travail plus approfondi. Je serais assez favorable à la suppression de l'article 12. Pour le reste, ces professionnels n'ont jamais été gérés par la Chancellerie, ils se sont toujours gérés eux-mêmes...
L'amendement COM-12 est adopté.
Article 14
L'amendement rédactionnel COM-5 est adopté, de même que les amendements COM-6, COM-11 et COM-19.
Nous n'allons pas suivre entièrement la position du rapporteur d'adopter le texte ainsi modifié. Nous sommes très gênés par l'article 8, qui prévoit une spécialisation par cour d'appel sur les atteintes à l'environnement. J'ai entendu les remarques du rapporteur, mais nous n'avons pas pu avoir d'échanges sur ce point avec la garde des sceaux. Dans la réalité, les procureurs ne poursuivront que s'il y a des enquêteurs. Or nous manquons cruellement d'enquêteurs. On le voit bien dans l'étude d'impact, les poursuites en matière d'environnement sont inexistantes. Idem en matière de non-respect des règles du permis de construire. J'attends qu'en séance la garde des sceaux nous explique la stratégie du Gouvernement sur ce sujet. Le reste du texte ne me pose en revanche aucune difficulté, notamment en ce qui concerne le Parquet européen.
Comme l'a souligné mon collègue Jacques Bigot, nous allons nous abstenir à ce stade. Mais nous serions ennuyés de devoir nous abstenir en séance sur un sujet aussi fondamental que la création du Parquet européen. Le Sénat, dans sa grande sagesse, ne pourrait-il écarter du texte certains sujets annexes ?
La proposition de loi est adoptée dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Le sort des amendements examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :
Mes chers collègues, comme vous le savez, une délégation de notre commission s'est rendue en Guyane du 4 au 11 novembre dernier. Deux thématiques principales guidaient notre déplacement : les questions sécuritaires, et les questions institutionnelles.
Trois enjeux sécuritaires nous intéressaient particulièrement. En tout premier lieu l'immigration irrégulière, qui a pris en Guyane des proportions invraisemblables. Un quart de la population y serait en situation irrégulière. Autre sujet de préoccupation : l'orpaillage illégal. Il y aurait en Guyane dix fois plus d'or extrait irrégulièrement que dans les mines autorisées. Enfin, dernier enjeu, le trafic de drogue. Le voisin surinamais envoyait sa drogue à Amsterdam par avion. Les Pays-Bas ont fini par opposer des mesures qui parviennent à tenir en échec ce circuit. Depuis, le trafic s'est déplacé, il a franchi le fleuve Maroni et les transporteurs, que l'on appelle des mules, amènent par avion la drogue depuis Cayenne jusqu'à Orly. Il y aurait de trente à cinquante passagers par vol qui transportent sur eux de la drogue, et ce malgré tous les efforts de la police aux frontières et de la douane.
Second volet de notre déplacement, les questions institutionnelles. Nous assistons aujourd'hui à un débat nourri en Guyane sur le statut constitutionnel de ce territoire. Faut-il maintenir la Guyane dans l'article 73 de la Constitution ou faut-il lui appliquer l'article 74 ?
Voilà les quatre sujets qui ont mobilisé toute notre attention.
Je vais, pour ma part, développer la question du trafic de drogue : 15 % de la cocaïne en France provient de la Guyane. La Guyane est située entre les zones de production et les zones de consommation. Elle apparaît donc comme un espace de trafic privilégié. Le kilo de cocaïne se vend environ 5 000 euros en Guyane et est pur à 90 %. Il se vend dans l'Hexagone 30 000 euros et n'est pur qu'à 30 %. Je vous laisse imaginer les bénéfices.
Le trafic de cocaïne passait jusqu'au milieu des années 2000 principalement par le Suriname et les Pays-Bas. Les Pays-Bas ont toutefois mis en place un complexe judiciaire directement au sein de l'aéroport. Cela a porté un coup d'arrêt au trafic qui s'est donc déplacé vers la Guyane. Aujourd'hui, faire la mule devient finalement un projet de vie pour une population qui a peu de perspectives au niveau professionnel. À Maripasoula, le bracelet électronique est considéré comme un accessoire de mode ou comme un trophée...
Il y a entre vingt et trente mules par vol en semaine, et une cinquantaine de mules par vol le week-end, pour deux vols par jour. L'aéroport de Cayenne n'a pas les moyens d'arrêter ce flux. La cocaïne peut être ingérée par les mules, qui font alors du trafic que l'on dit in corpore. Une fois ces personnes arrêtées, il faut attendre qu'elles évacuent cette drogue, ce qui mobilise trois agents de police devant la chambre d'hôpital durant trois jours. C'est absolument intenable pour les autorités en Guyane. Seules quelques mules par jour sont donc prises par les autorités. Tous les autres passeurs arrivent dans l'Hexagone et sont récupérés par des gangs à Orly. La stratégie de saturation mise en oeuvre par les trafiquants a donc pour l'instant très bien fonctionné.
Pour faire face à la massification du trafic de cocaïne, les représentants de l'État en Guyane ont mis en place un système d'arrêtés, qui visent à empêcher les personnes d'embarquer dès lors qu'elles sont soupçonnées de transporter de la drogue. Les forces de l'ordre se concentrent sur les mules transportant la plus grande quantité de cocaïne. Pour information, les saisies de cocaïne ont représenté l'année dernière 1 072 kilos. En moyenne, les mules arrêtées transportaient 3,2 kilos de cocaïne sur elles. À l'aéroport, il nous faut trouver des moyens d'arrêter les trafiquants, sans mobiliser un trop grand nombre d'agents des forces de l'ordre. Des procédures plus rapides et moins gourmandes en effectif doivent donc être pensées.
Nous préconisons l'installation d'un scanner millimétrique à l'aéroport Felix Eboué, ce qui serait fortement dissuasif.
Il faut également une politique de prévention qui soit efficace. Elle est en train de prendre de l'ampleur mais il faut la cibler, en Guyane, sur les risques qu'il existe non pas à consommer de la drogue mais à la transporter.
Il faut se représenter matériellement le travail réalisé par les fonctionnaires de la douane et de la police aux frontières. Une fois qu'ils ont intercepté un individu qui transporte de la drogue, pendant qu'ils le contrôlent, les autres mules arrivent à passer. Ces individus sacrifiés par les trafiquants augmentent certes le coût unitaire du transport de la drogue, mais c'est le prix à payer pour occuper les fonctionnaires. L'aéroport a besoin de disposer d'un matériel efficace pour inciter les trafiquants à passer par un autre aéroport que celui de la Guyane.
Selon le procureur général, il y a cinq tsunamis en Guyane : l'environnement, la cocaïne, la prostitution, l'orpaillage et l'immigration.
J'évoquerai la question de l'orpaillage. La production d'or légale est d'environ 1,5 tonne par an. Le trafic illégal aujourd'hui varie entre 10 et 12 tonnes, les plus audacieux parlent de 20 tonnes par an. Je précise que le sol guyanais est naturellement très riche en mercure, et que l'orpaillage alluvionnaire disperse ce mercure, qui s'ajoute à celui que les orpailleurs utilisent pour amalgamer l'or, et se retrouve dans l'eau des fleuves. La population est donc menacée par l'état d'insalubrité de l'eau.
La situation du trafic de l'or en Guyane n'est pas près de s'éteindre même si les gendarmes mènent des actions importantes. L'orpaillage illégal est notamment réalisé par le biais de barges, qui fonctionnent comme de petites usines pompant le sable. Cela a évidemment une incidence sur l'écosystème du fleuve. Certaines barges d'orpaillage ont été confisquées et servent aujourd'hui aux militaires pour contrôler le passage des pirogues, à la recherche de celles qui assurent le ravitaillement des sites d'orpaillage. Nous nous sommes rendus sur l'une d'entre elles.
L'opération Harpie structure la lutte contre l'orpaillage illégal autour de quatre volets : sécuritaire, diplomatique, économique et social. Entre 150 et 200 agents sont engagés quotidiennement, en forêt. Nous les avons rencontrés, ils réalisent une action admirable et indispensable, mais dans des conditions extrêmes. Trois miliaires sont décédés en juillet 2019 alors qu'ils étaient engagés dans des opérations de destruction des mines d'orpaillage. Je souhaite leur rendre hommage.
Parmi les propositions relatives à l'orpaillage, nous voulons renforcer le nombre de personnes habilitées à intervenir dans la lutte contre l'orpaillage illégal. Il importe également de sécuriser la possibilité de fouiller les pirogues pour que les forces de l'ordre puissent lutter contre les filières logistiques, et de clarifier certains points du droit pour qu'il soit plus adapté aux réalités guyanaises.
Cette mission nous a permis d'aller au fond des choses. Il est important que les élus nationaux se rendent in situ en outre-mer pour se rendre compte des réalités de nos territoires.
Le troisième défi sécuritaire auquel nous nous sommes intéressés est la lutte contre l'immigration irrégulière. La Guyane est le seul territoire de l'Union européenne à disposer d'une frontière terrestre avec l'Amérique du Sud. C'est donc un territoire très attractif pour les candidats à l'immigration. L'afflux constant de populations étrangères, migrantes ou transfrontalières déséquilibre le fonctionnement des services publics.
Les services de l'État sont confrontés dans leur mission de lutte contre l'immigration irrégulière à plusieurs défis spécifiques à la Guyane : un territoire vaste et peu peuplé, sans infrastructure permettant un accès aisé à toutes les parties du territoire, et des frontières poreuses.
Face à cette situation, trois actions spécifiques sont menées en Guyane.
En premier lieu, pour réussir à appréhender les personnes en situation irrégulière, la police aux frontières travaille sur les filières d'immigration et les filières d'exploitation. Les actions menées semblent porter leurs fruits : en 2018, 15 filières d'immigration irrégulière ont été démantelées.
En deuxième lieu, la lutte contre la fraude documentaire en matière d'état civil constitue un volet fondamental de la lutte contre l'immigration irrégulière. La nationalité française d'un enfant, qu'il soit né en France ou non, dépend en effet principalement de la nationalité de ses parents. Une reconnaissance frauduleuse de paternité a des conséquences importantes, notamment quant à l'accès de l'ensemble de la famille aux prestations familiales.
En troisième lieu, la Guyane est exposée à une forte pression en matière de demandes d'asile. La demande d'asile a été multipliée par cinq entre 2014 et 2017. Elle représente 82 % de la demande présentée dans les territoires ultramarins. Cette situation particulière a conduit à la mise en place d'une procédure dérogatoire dans le traitement des demandes d'asile en Guyane afin de réduire leur délai de traitement. Cette expérimentation doit être pérennisée.
À plus long terme, réduire l'immigration irrégulière en Guyane nécessite de réfléchir aux conditions d'acquisition de la nationalité française sur ce territoire. Ce n'est pas un sujet neutre. L'accès à la nationalité constitue en effet, avec la qualité des soins, l'une des principales motivations de mères étrangères venant mettre au monde leur enfant en France. Symboliquement forte, l'adaptation des conditions d'acquisition de la nationalité française par l'introduction d'une condition de régularité du séjour des parents lors de la naissance de l'enfant sur le sol français - sur le modèle de ce qui existe à Mayotte - est une piste de réflexion. Je souhaite insister sur ce point, car la mesure a été mise en place à Mayotte à mon initiative. J'y étais personnellement opposé à l'origine, mais je me suis progressivement rendu compte qu'il s'agissait d'une mesure indispensable pour l'équilibre de mon territoire. Il nous semble que la situation est comparable en Guyane.
Il est trop tôt pour le dire, l'adaptation a été votée en juin 2018 et n'est entrée en vigueur qu'à la fin du premier trimestre 2019. Mais comme je suis cette affaire de très près, je peux vous assurer que l'effet dissuasif existe. Nous assistons d'ores et déjà à des retours de familles aux Comores.
Outre ces défis sécuritaires, nous nous sommes intéressés aux questions d'accès aux services publics sur le territoire guyanais. La Guyane est le deuxième département français en termes de croissance démographique, après Mayotte. La population guyanaise a été multipliée par presque cinq en quarante ans.
L'explosion démographique se combine toutefois avec un territoire vaste et couvert à 90 % par la forêt amazonienne. Ces deux facteurs rendent plus difficile la réponse par les collectivités et par l'État aux exigences légitimes de la population.
Un effort d'ampleur est nécessaire pour apporter des logements décents, pour réaliser les raccordements aux réseaux, mais également pour assurer le désenclavement des territoires. Nous devons construire de nouvelles routes et de nouvelles écoles. Un accompagnement en ingénierie des collectivités territoriales est pour cela indispensable. La préfecture a mis en place depuis deux mois une plateforme d'appui aux collectivités, et nous espérons qu'elle portera ses fruits.
Face à l'immensité du territoire, les collectivités territoriales ne sont pas les seules en difficulté. L'État peine aussi à assurer l'accès de l'ensemble des citoyens guyanais au droit et aux droits, ainsi qu'aux services publics dont il a la responsabilité.
En matière d'accès aux droits, la préfecture de Guyane a mis en place depuis quelques années des pirogues administratives, qui permettent aux services de l'État de se déplacer sur le territoire guyanais pour se rapprocher des administrés. En matière juridictionnelle, des audiences foraines sont mises en place.
Ces actions doivent être poursuivies et renforcées, mais d'autres mécanismes pourraient permettre de renforcer la proximité de l'action publique. Nous pourrions permettre la création de communes déléguées dans les communes guyanaises, sur le modèle de celles existant dans les communes nouvelles. C'est indispensable au vu du territoire que couvrent les communes guyanaises. Je prends l'exemple de la commune de Maripasoula, qui est certes la plus grande, mais qui s'étend sur une surface correspondant à celle de trois départements métropolitains !
Enfin, je souhaite dire quelques mots de la place de la coutume en Guyane. Les communautés amérindiennes et bushinenges, présentes sur 45 % du territoire de la Guyane, ont conservé une forme d'organisation traditionnelle et coutumière aux côtés de l'administration et des collectivités mises en place par la République.
Le grand conseil coutumier des populations amérindiennes et bushinenges, organe consultatif consacré en 2017 par la loi EROM, sert de relais aux attentes des populations traditionnelles et coutumières auprès des acteurs institutionnels. La place de l'institution coutumière en Guyane doit toutefois être mieux reconnue, par une meilleure association à la prise de décision des collectivités territoriales guyanaises. Certains dispositifs doivent également être repensés, notamment en matière de gestion foncière, pour s'adapter à l'évolution du mode de vie de ces populations.
La Guyane a subi des coups de boutoir terribles sur le plan de son peuplement, avec une immigration massive, mais aussi un taux de natalité élevé. Quand on demande aux jeunes filles à Saint-Laurent-du-Maroni ce qu'elles veulent faire plus tard, elles répondent « cafeuses », c'est-à-dire qu'elles veulent vivre des allocations familiales ! Nous avons là un défi régalien, mais aussi un défi sur l'évolution de nos systèmes sociaux. On rêve encore en Guyane de la société arc-en-ciel, qui est une société de métissage, mais elle est de moins en moins sous nos yeux !
Le développement économique est freiné par l'absence d'infrastructures routières. Pour aller à Maripasoula, il faut prendre soit l'avion, soit la pirogue. En construisant des routes, on désenclavera des territoires peu peuplés, mais qui deviennent des zones de non-droit, avec une économie informelle marquée par les trafics et la corruption.
Certains avancent localement l'idée de passer de l'article 73 à l'article 74 de la Constitution, afin que la Guyane soit comme la Polynésie, fasse des lois de pays et puisse exploiter les gisements d'hydrocarbures offshores et les gisements aurifères, sans être gênée par les normes conçues pour la métropole. C'est faux, car la Guyane continuerait à devoir appliquer des règles européennes qui imposent un développement durable que les populations amérindiennes réclament ; actuellement, des femmes enceintes de Papaïchton ou de Maripasoula mangent du poisson contaminé au mercure, et accouchent de bébés avec de graves pathologies. Nous avons besoin de solutions qui soient de vraies solutions. Le changement de statut ne libérera pas la possibilité d'exploiter les ressources naturelles de la forêt, de l'or ou du pétrole autant que certains en rêvent.
Nous proposons une solution intermédiaire, une loi relative à la Guyane, pour adapter l'action publique aux réalités guyanaises. Nos administrations étatiques appliquent des procédures relevant d'un logiciel hexagonal, qui ne convient pas toujours au contexte guyanais. L'efficacité de l'action publique, y compris répressive, s'en ressent fortement. La loi Guyane doit être une loi d'adaptation de l'action publique aux réalités guyanaises, mais également une loi de programmation des moyens. Les moyens engagés en Guyane, et notamment les dépenses sociales, sont très importants, mais les services publics sont submergés par l'explosion de la démographie et sont dans une situation où éviter le pire est déjà un objectif ambitieux. Cela ne les décourage pas. La République a choisi des fonctionnaires de très grande qualité en Guyane, militaires, sous-préfets, qui font preuve d'une force de caractère extraordinaire et qui nous ont fortement impressionnés. Mais ils sont trop souvent contraints par des lois inadaptées aux réalités guyanaises et par l'insuffisance de moyens, notamment humains.
Il faudrait donner un coup d'arrêt à cette situation par une loi Guyane ambitieuse de programmation et d'adaptation de l'action publique, qui permette notamment au préfet de déroger à certaines règles nationales pour renforcer l'efficacité de l'action publique. Notre rapport a pour ambition que les habitants en Guyane sachent que le Sénat de la République est attentif à leur situation et déclenche le signal d'alarme. C'est vital pour la Guyane, pour sa société arc-en-ciel, afin de limiter les coups de boutoir de l'immigration et des trafics illicites, et de donner une ambition très forte à la Guyane. Ce voyage était formidable.
La commission autorise la publication du rapport d'information.
La réunion est close à 12 h 55.