Intervention de Franck Montaugé

Réunion du 19 février 2020 à 15h00
Libre choix du consommateur dans le cyberespace — Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Photo de Franck MontaugéFranck Montaugé :

Permettez-moi, mon cher collègue, de vous remercier de nouveau de votre travail au sein de cette commission d’enquête.

Ce texte ainsi que certains amendements que nous allons examiner s’inscrivent dans la continuité du rapport de cette instance et prolongent nombre des recommandations formulées.

La commission d’enquête avait souligné le manque de coordination et de visibilité de la stratégie gouvernementale en matière numérique. Nous avions relevé le fonctionnement en silos des ministères et l’absence de stratégie globale.

Nous avions donc recommandé la création d’un forum temporaire pour remettre à plat la stratégie française en matière de souveraineté numérique, et l’élaboration d’une loi d’orientation et de suivi de la souveraineté numérique.

Monsieur le secrétaire d’État, je me permets d’insister de nouveau sur ce point ; plus le temps passe, en effet, et plus je suis convaincu de la nécessité d’une telle démarche.

Continuer à subir, procrastiner en invoquant moult raisons, c’est nous condamner à la « silicolonisation » de la France et de l’Europe, pour reprendre le néologisme parlant du philosophe Éric Sadin.

J’en viens à la proposition de loi. L’enjeu qu’elle a pour vocation de traiter est celui du rééquilibrage de la relation entre les géants du Net, ou plateformes structurantes, d’une part, et les consommateurs, d’autre part. Elle prévoit, dans ses deux premiers chapitres, de confier à un régulateur la mission d’orienter le marché de telle sorte que des comportements dommageables ne puissent voir le jour.

Elle promeut une logique de régulation a priori, ex ante, et d’accompagnement des acteurs. La sanction n’est là que pour crédibiliser la régulation, mais l’idée est de ne pas avoir à y recourir.

La célérité avec laquelle des comportements dommageables pour les concurrents et pour les consommateurs peuvent apparaître dans l’économie numérique justifie de compléter la régulation a posteriori, celle du droit de la concurrence ou des pratiques restrictives de concurrence. La réglementation a posteriori, ex post, n’est en effet pas suffisamment réactive. C’est pourquoi il faut repenser la logique de l’action publique.

C’est ce qui est envisagé dans la proposition de loi, avec deux points d’entrée que sont la neutralité des terminaux et l’interopérabilité des plateformes.

Mais – je le disais –, si la nouvelle régulation que nous proposons est complémentaire de la réglementation ex post que nous connaissons, cette dernière reste nécessaire.

La commission a donc enrichi le texte par un dispositif permettant de garantir la sincérité des interfaces, afin de lutter contre ce qu’il est convenu d’appeler, en bon gascon, les « dark patterns », ces techniques de manipulation et de contrainte des utilisateurs-internautes.

Et nous proposons que la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) contrôle les pratiques, dans une logique on ne peut plus classique de protection des consommateurs.

Mais le cœur de la proposition de loi est bien d’inventer de nouvelles formes de régulation des plateformes structurantes : une régulation plus agile, plus efficace, qui ne bride ni n’empêche l’innovation et qui permette de mettre un terme à la dynamique d’enfermement du consommateur que l’on constate aujourd’hui – Mme Primas l’a évoquée.

Nous avons suivi l’avis du Conseil d’État, et les amendements adoptés en commission visent notamment à assurer la conformité de notre dispositif au droit de l’Union européenne. Sur ce point, la directive dite e-commerce, adoptée au début des années 2000, a montré son inadaptation au contexte économique nouveau.

Cette directive consistait, entre autres, à limiter strictement la possibilité pour les États d’édicter des réglementations pesant sur les services de la société de l’information, afin d’en favoriser l’essor.

Mais que constate-t-on aujourd’hui ? La Chine a les BATX – Baidu, Alibaba, Tencent et Xiaomi –, la Russie a aussi ses géants du numérique, quand l’Europe, elle, est dépendante des géants américains.

Monsieur le secrétaire d’État, l’unité républicaine qui se dessine au Sénat sur cette proposition de loi a un sens politique fort. Vous le reconnaissez vous-même, il y a urgence à agir, et le Parlement dans son ensemble doit prendre ses responsabilités.

Si, comme je le crois, la chambre haute adopte ce texte aussi largement qu’il a été cosigné, il ne tiendra qu’à vous et au gouvernement dont vous êtes membre de le faire voter par l’Assemblée nationale. De la sorte, la France aura donné l’exemple, comme l’Allemagne, d’ailleurs, dans un contexte européen où l’on sait que les calendriers de l’action publique effective sont toujours très longs et parfois préjudiciables, comme c’est le cas en l’espèce, aux économies nationales !

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