Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, c’est à tous les utilisateurs de smartphones que nous nous adressons à travers la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui. Avec les smartphones, chacun est libre de communiquer, d’échanger et de consommer, où il veut, quand il veut. Comme le dit la publicité : le monde est à portée de main.
Mais la réalité est que le monde est orchestré par deux acteurs, Apple et Google. Il est souvent difficile de s’en rendre compte, mais ces deux acteurs dominants possèdent toute la chaîne de valeur, des systèmes d’exploitation aux applications en passant par les magasins d’applications et, s’agissant d’Apple, la fabrication du terminal lui-même. Ils sont ainsi en mesure de verrouiller l’accès des entreprises à leur écosystème et d’y enfermer les consommateurs.
Impossibilité de désinstaller certaines applications, impossibilité d’en installer certaines autres, traitement discriminatoire des applications tierces par rapport aux applications « maison », sont autant de manières de brider la concurrence et de limiter la liberté du consommateur.
Si le texte que nous examinons aujourd’hui était adopté, demain, ces comportements seraient sous le contrôle d’un régulateur dédié.
Voilà bientôt un an, l’autorité de la concurrence hollandaise publiait le résultat d’une enquête préliminaire qui visait certaines de ces pratiques. En France, l’Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (Arcep) propose, depuis le début des années 2010, d’étendre la neutralité du Net aux terminaux. C’est ce que nous suggérons aujourd’hui de faire en passant du constat à l’action.
C’est aussi à tous les utilisateurs de réseaux sociaux que s’adresse cette proposition de loi. Bien des échanges ont déjà eu lieu sur ce sujet dans le cadre de l’examen de la proposition de loi visant à lutter contre les contenus haineux sur internet. Nous pensons que l’interopérabilité des réseaux sociaux, comme celle d’autres plateformes, est un outil essentiel pour rendre le pouvoir au consommateur, lui permettre d’arbitrer entre diverses plateformes et de communiquer avec les utilisateurs d’autres plateformes.
La proposition de loi rendrait possible, sous le contrôle de l’Arcep, l’émergence d’agrégateurs de comptes de réseaux sociaux, comme il existe aujourd’hui des agrégateurs de mails. Elle permettrait aussi de discuter avec ses contacts, qu’ils soient ou non utilisateurs du même réseau social, comme il est possible de communiquer depuis un téléphone faisant l’objet d’un abonnement à SFR vers un téléphone relevant d’un abonnement à Orange.
Enfin, c’est à tous les utilisateurs d’internet que la proposition de loi s’adresse au travers du dispositif introduit en commission visant à garantir la sincérité des interfaces utilisateurs. Ce mécanisme interdit le recours à des interfaces trompeuses, ces modes de conception des interfaces numériques qui orientent techniquement les choix du consommateur et le piègent de façon discutable. Généralement appelées dark patterns, ce sont par exemple des cases pré-cochées relatives au paiement d’une assurance que l’on ne souhaite pas, ou le fait d’avoir toutes les difficultés du monde à se désinscrire ou se déconnecter d’un service.
La proposition de loi tend également à renforcer le droit de la concurrence. Les seuils de déclenchement du contrôle des concentrations comprennent aujourd’hui de nombreux angles morts. Or, dans le monde numérique, les géants américains et chinois, qui disposent d’énormes trésoreries, adoptent des stratégies d’acquisition à tout-va et passent entre les mailles du filet, ce qui éveille des soupçons légitimes sur ces acquisitions.
Est-ce un phénomène dont les autorités de la concurrence doivent se désintéresser ? Nous ne le croyons pas, et nous proposons de rendre la vue à l’Autorité de la concurrence sur ces opérations, ne serait-ce que pour éteindre les soupçons ! Si une opération de rachat d’une entreprise active en France par un géant numérique devait poser un problème de concurrence sur le marché français, nous serions alors armés pour y répondre.
En commission, nous avons tenté de déterminer un faisceau d’indices auquel l’Autorité de la concurrence pourrait avoir recours pour caractériser les géants du numérique. Car l’objectif est bien de viser les entreprises du numérique les plus importantes dans le monde et en Europe.
C’est d’ailleurs un objectif qui irrigue l’ensemble de la proposition de loi : ne rajouter une « couche » de réglementation que là où c’est nécessaire et, ainsi, éviter d’imposer les mêmes règles à tous, des règles qui dans les faits ne peuvent être absorbées que par les plus gros.
Pour conclure, je veux souligner de nouveau le fait que nos partenaires allemands ont publié un projet de réforme du droit de la concurrence en vue de l’adapter à l’ère numérique. Monsieur le secrétaire d’État, cela me paraît un véritable encouragement à faire du couple franco-allemand le moteur de l’Europe sur ce sujet !