Intervention de Emmanuelle Maguin

Délégation sénatoriale à la prospective — Réunion du 6 février 2020 à 9h00
Tables rondes sur le thème : qu'y aura-t-il dans nos assiettes en 2050

Emmanuelle Maguin, directrice de recherche à l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (Inrae) :

Merci pour cette introduction et pour cette invitation. Je suis ravie de partager avec vous des données sur ces domaines de recherche qui me passionnent depuis ma jeunesse.

« Microorganismes » et « microbes » sont des termes qui signifient simplement que nous parlons d'organismes qu'on ne peut voir qu'avec un microscope. C'est, par voie de conséquence, une diversité que l'on ignore le plus souvent. Microbiote, microbiome, écosystème microbien, flore microbienne, sont différents termes qui qualifient la même chose, les communautés de microbes et microorganismes (puisque ces deux types d'organismes vivent généralement ensemble) qui constituent une microsociété, un peu comme la nôtre, avec des rivalités, des compétitions et parfois des coopérations et synergies.

Ces microorganismes sont apparus les premiers sur Terre et s'avèrent extrêmement adaptables. À la différence des dinosaures, ils existent toujours. Ils sont parvenus, du fait de capacités exceptionnelles, à coloniser tous les environnements terrestres, y compris nous-mêmes. Nous vivons dans un monde où, autour de nous, dans nos aliments, sur notre peau et à l'intérieur de nous-mêmes, sont présents des microorganismes et microbes. Nous vivons ainsi avec une microsociété à l'intérieur de nous : c'est le microbiote digestif, qui représente un à deux kilos de microorganismes et un nombre de gènes 100 à 150 fois supérieur aux gènes du corps humain. Il a co-évolué avec nous au cours du temps et a pris en charge pour nous un certain nombre de fonctions importantes, voire essentielles pour notre corps.

Outre la digestion des aliments, ils jouent un rôle de barrière contre les pathogènes, qui vont devoir entrer en compétition avec eux. Ils jouent également un rôle très important, en période périnatale, de maturation du système digestif mais aussi du système immunitaire et du système nerveux, qui est associé au tube digestif. Le pool de cellules immunitaires est le premier pool du corps et il se trouve au niveau intestinal. Ce microbiote peut aussi, via les molécules qu'il fabrique, produire des effets à distance. On parle ainsi de l'axe intestin-cerveau, puisque certains métabolites produits au niveau intestinal vont, de façon directe ou indirecte, dialoguer avec le cerveau et modifier un certain nombre de nos comportements.

On s'intéresse de plus en plus à ce microbiote, car nous avons davantage de capacités à le percevoir, depuis une quinzaine d'années, à la faveur de percées technologiques et parce que nous sommes dans un contexte d'explosion des maladies chroniques dites non transmissibles, celles qui ne passent pas d'un individu à un autre, du fait de l'absence d'agent infectieux à leur origine. Leur caractère chronique indique l'absence de traitement curatif de ces pathologies, dont seuls les symptômes peuvent être pris en charge, avec pour corollaire des coûts de santé faramineux. Parmi ces maladies chroniques figurent les allergies, l'obésité, le diabète, les inflammations digestives et même les troubles du spectre autistique.

Toutes ces pathologies ont pour point commun une érosion de la diversité du microbiote intestinal. Chez un individu non atteint par ces pathologies, environ 200 espèces microbiennes vivent avec nous, ce qui représente 100 milliards de microorganismes. Probablement du fait de changements de modes de vie ou d'aliments, de stress répétés au cours de la vie, on finit par modifier ce microbiote, jusqu'à un point où se produit une rupture de la symbiose. Les pathologies apparaissent alors et il est très difficile, une fois ce point atteint, de revenir en arrière.

Pourquoi sont-elles apparues ? Outre un changement de mode de vie, la profonde évolution des modalités entourant la naissance ont pu contribuer à leur émergence, de même que des traitements médicamenteux, à commencer par les antibiotiques, dont les microorganismes représentent la première cible.

Les connaissances récentes nous montrent, en creux, à quel point ces éléments essentiels étaient ignorés jusqu'à présent dans notre alimentation. L'alimentation nous nourrit mais nourrit aussi notre microbiote. Or nous sommes passés, en deux ou trois générations, d'une alimentation dans laquelle nous consommions quotidiennement 120 à 150 grammes de fibres (composés complexes digérés par le microbiote intestinal) à une alimentation dans laquelle cet apport se réduit à 15 à 30 grammes. Notre corps ne peut s'adapter en un tel laps de temps. Le microbiote s'efforce de le faire en modifiant sa composition mais ceci donne vraisemblablement lieu à l'apparition d'effets secondaires, dont découlent notamment ces pathologies. L'alimentation constitue un levier majeur pour préserver ce microbiote et donc notre santé, voire pour la restaurer lorsqu'existent des pathologies déclarées. Ce sont des champs de recherche auxquels s'intéressent les scientifiques du monde académique comme ceux du secteur privé et industriel, afin d'essayer de concevoir de nouveaux aliments prenant en compte ces enjeux.

Parmi les pistes de recherche figure l'identification d'aliments qui seraient plus adaptés à telle ou telle phase du cycle de vie. Nous savons par exemple que le microbiote joue un rôle tout à fait particulier avant l'âge de trois ans, à tel point que se mettent en place, avant cet âge, un certain nombre de conditions de développement de l'organisme qui vont, en partie, conditionner l'apparition future de problèmes de santé chez cet individu - ou l'absence de problèmes de santé.

Nous savons aussi que le microbiote des seniors est différent de celui des adultes. Des études montrent que le microbiote des centenaires présente en soi une composition particulière. Nous pouvons donc réfléchir aux moyens par lesquels nous pourrions adapter l'alimentation aux besoins spécifiques des seniors et aux impacts d'aliments spécifiques sur le microbiote.

En la matière, les aliments fermentés ont une position un peu particulière : consommés depuis plus de dix mille ans, ils ont, eux aussi, co-évolué avec nous. L'homme a cherché à maîtriser de mieux en mieux ces aliments et la vogue en faveur des circuits courts, du naturel et du « fait maison » se traduit par un regain d'intérêt pour ce type d'aliments que nous redécouvrons.

Nous disposons d'indéniables atouts, car la France est très bien positionnée du point de vue scientifique, tant pour l'étude des aliments que pour celle des microbiotes intestinaux. Le secteur agroalimentaire français, très performant, comprend à la fois de grands groupes et de petites sociétés présentes sur l'ensemble du territoire. Il nous appartient de combiner nos compétences et nos efforts de connaissance pour exploiter ces atouts et innover dans ces domaines au bénéfice de notre santé.

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