Intervention de Irène Margaritis

Délégation sénatoriale à la prospective — Réunion du 6 février 2020 à 9h00
Tables rondes sur le thème : qu'y aura-t-il dans nos assiettes en 2050

Irène Margaritis, chef d'unité d'évaluation des risques liés à la nutrition à l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) :

L'Anses a pour mission d'évaluer les risques liés à divers types d'expositions. En termes de nutrition, on peut parler d'exposition dès lors que nous nous alimentons et que différentes substances peuvent produire des effets sanitaires.

La nutrition relève aussi, à l'Anses, de l'évaluation de ses bénéfices. Un risque lié à la nutrition peut résider dans l'absence de bénéfice lié à notre nutrition et à notre régime alimentaire. La question ne se pose donc pas seulement en termes de risques mais aussi en termes d'appréciation, qualitative et quantitative, des bienfaits apportés par un aliment.

Le concept de nouveaux aliments est réglementaire et renvoie au règlement des « novel foods ». Nous parlerons plutôt d'aliments nouveaux, afin d'embrasser un spectre plus large, étant entendu que cette notion entre en résonance avec des comportements nouveaux. Ces offres nouvelles se situent au croisement d'une attente des consommateurs et d'évolutions technologiques, qui peuvent avoir pour incidence une modification des comportements, laquelle aura pour effet d'exposer le consommateur à un risque sanitaire.

C'est un lieu commun qu'il faut rappeler. Il n'y a pas de mauvais aliment ni de bon aliment en soi : l'effet de l'aliment ou d'un produit est lié à sa dose. Nous évaluons les risques liés aux aliments selon plusieurs approches. L'une d'elles est l'évaluation des bénéfices, ce qui peut nous conduire par exemple à revoir les repères nutritionnels du plan national nutrition santé (PNNS). Nous avons conduit, dans cette perspective, un travail qui vise à identifier un régime optimal pour une population moyenne ou médiane, ce qui est complexe du fait de l'hétérogénéité de la population, notamment pour des raisons physiologiques. Nous avons ainsi précisé les éléments importants dont il faut tenir compte pour les populations spécifiques (enfants, femmes enceintes, femmes allaitantes, femmes ménopausées, personnes âgées). La question du régime est aussi de nature individuelle, ce qu'on a parfois tendance à oublier. Nous travaillons bien sûr dans le domaine populationnel mais, du point de vue des risques individuels, les aliments nouveaux mettent également en jeu les comportements alimentaires.

Certains de ces aliments ne sont d'ailleurs pas si neufs puisque l'alimentation enrichie existe depuis plusieurs décennies, de même que les compléments alimentaires. Le paysage alimentaire du consommateur a changé dès lors que nous sommes entrés dans la période d'harmonisation européenne. Deux règlements clés doivent être cités à ce propos, le règlement 1924-2006 et le règlement 1925-2006. Le premier a trait aux allégations de santé (ex-allégations fonctionnelles), c'est-à-dire aux affirmations vantant l'effet positif d'un nutriment ou d'une substance pour la santé, avec pour objectif d'encourager la consommation du produit considéré. Le règlement 1925-2006 précise les conditions d'enrichissement de l'alimentation courante - laquelle ne pouvait, antérieurement, être enrichie en France. Force est de constater que le consommateur ne sait pas toujours que l'aliment qu'il ingère est enrichi, notamment en vitamines et en minéraux. Il n'est donc pas en mesure de connaître les quantités de telles substances qu'il ingère. Or, souvent, les personnes consommant ces aliments enrichis sont aussi celles qui consomment des compléments alimentaires. Cet effet de cumul, en matière de vitamines et minéraux, peut présenter un risque sanitaire qui a été évalué, montrant qu'une partie de la population va être exposée à des apports en vitamines et en minéraux dépassant parfois les limites de sécurité.

Par ailleurs, cette utilisation des allégations fonctionnelles, beaucoup mieux réglementée aujourd'hui (en raison d'une évaluation de leur véracité a priori, le plus souvent sur la base d'études cliniques et non a posteriori comme auparavant), encourage la consommation de ces produits, pour une partie de la population qui pourrait ne pas en avoir besoin. Comment, dès lors, le consommateur va-t-il se positionner individuellement et tenir compte de ses besoins propres (pourvu qu'il les ait identifiés) ? L'évaluation des risques sanitaires est populationnelle mais il faut se placer au niveau de l'individu et de ses spécificités pour déterminer si ces aliments nouveaux et substances sont adaptés aux besoins nutritionnels individuels.

Nous nous appuyons sur des groupes de travail pérennes. Nous travaillons notamment dans le cadre d'une démarche d'expertise collective. Un groupe de travail pérenne est dédié aux bénéfices et risques liés à la consommation d'extraits de plantes et de plantes. Le dispositif de nutrivigilance, au sein de mon unité, a vocation à faire remonter les événements indésirables liés aux compléments alimentaires et aux aliments enrichis. Nous pouvons ainsi identifier des signaux et, sur cette base, déclencher, en fonction de leur sévérité et de leur récurrence, des évaluations de risques sanitaires dans une approche d'expertise complète.

Nous pilotons par ailleurs des groupes de travail non pérennes. L'un d'eux vient d'être lancé, par exemple, sur les risques et les bénéfices éventuels liés aux régimes végétariens, végétaliens et aux régimes d'exclusion d'une façon générale. Nous allons aussi nous intéresser aux produits ultratransformés et aux éventuels risques nutritionnels associés.

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