Intervention de Thomas Uthayakumar

Délégation sénatoriale à la prospective — Réunion du 6 février 2020 à 9h00
Tables rondes sur le thème : qu'y aura-t-il dans nos assiettes en 2050

Thomas Uthayakumar, chargé de projets pour l'alimentation durable, Word Wildlife Fund (WWF) :

À la suite des États généraux de l'alimentation, en 2017, de nombreuses questions nous avaient été posées sur la répartition de la valeur, la qualité des produits alimentaires ou l'accessibilité d'une alimentation plus durable. Nous nous sommes penchés sur ce dernier point.

Notre première étude, publiée en 2017, s'intitulait « vers une alimentation bas carbone saine et abordable ». Nous nous sommes demandé s'il était possible de ne pas dépenser plus pour une alimentation de qualité. Nous nous sommes d'abord appuyés sur les études de l'Anses, qui publie, depuis les années 90, des études individuelles de consommation alimentaire. La dernière ayant paru en 2017, il nous paraissait opportun de comprendre la composition des régimes alimentaires français : quelle est la consommation moyenne d'un Français ?

Nous avons créé un panier correspondant à un ménage Français moyen de quatre personnes (deux parents et deux enfants), en lissant leur consommation (obtenue d'après les données de consommation moyenne des Français) sur une semaine. Nous avons associé à cette consommation des indicateurs de durabilité, en retenant trois indicateurs bien étayés par la littérature scientifique : la qualité nutritionnelle, l'empreinte carbone et le coût.

Il ne s'agissait pas d'inventer de nouveaux aliments : nous avons étudié les aliments les plus consommés par les Français. Nous avons essayé de faire varier ces catégories de produits en masse, en déterminant de quelle manière l'on pouvait améliorer leurs indicateurs de durabilité. Il en ressort qu'une amélioration de ces indicateurs résulterait d'une moindre consommation de protéines animales, avec moins de produits transformés, davantage de fruits et légumes, de céréales complètes et surtout de légumineuses. Celles-ci deviennent même centrales dans la composition d'un régime alimentaire plus durable, de par leur densité énergétique et leur densité nutritionnelle, mais aussi au titre de leur empreinte carbone, l'élevage étant responsable aujourd'hui de près de 15 % des émissions de gaz à effet de serre et représentant plus de trois quarts des émissions du secteur agricole. Elles peuvent aussi réduire de 20 % le prix moyen d'un panier. Dans l'exemple projeté à l'écran, le coût est identique, avant et après, car des certifications ont été introduites, ce qui montre que l'on peut revenir au coût moyen du panier français en introduisant près de 50 % de produits labellisés. Nous pourrions débattre de la pertinence et du classement de ces labels mais tel n'est pas notre propos ici.

Sur le plan nutritionnel, nous avons retenu l'indicateur nutritionnel NutriScore mais aussi les micronutriments qui étaient le plus susceptibles d'être perdus en passant d'une alimentation carnée à une alimentation moins carnée. Nous avons fait la même chose pour d'autres types d'alimentations de plus en plus adoptés par les consommateurs, selon les sondages actuels. Nous avons ainsi étudié les régimes végétarien, végétalien et les tendances d'évolution diminuant la part de l'alimentation carnée au profit des protéines végétales.

Si nous abordons la question des politiques publiques, la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte, l'accord de Paris conclu lors de la COP21 et la stratégie nationale bas carbone influent sur le domaine de l'alimentation, avec pour point commun d'avoir en ligne de mire une diminution des émissions de gaz à effet de serre (- 40 % d'ici 2030, - 75 % d'ici 2050). S'y ajoutent des objectifs de neutralité carbone, dans le cadre notamment du renouvellement récent de la stratégie nationale bas carbone.

Nous avons tenté de comprendre en quoi des changements de comportements alimentaires individuels pouvaient influer sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Nous observons que l'adoption d'une alimentation moins carnée, moins riche en protéines transformées, avec une plus grande part d'alimentation végétale (sans évincer l'alimentation d'origine animale) permettrait de réduire les émissions de gaz à effet de serre. Toutefois, nous nous sommes rendu compte que les gestes individuels ne seraient pas suffisants : il faut aussi prendre en compte l'amont agricole. C'est la raison pour laquelle nous parlons de systèmes agricoles et alimentaires.

Si l'on projette le développement de cette alimentation plus végétale, en tentant de déterminer de quelle manière le système agricole français pourrait y répondre, nous voyons que des changements importants devraient se produire au cours des prochaines décennies. Ce sera le cas par exemple pour les systèmes d'élevage, qui seront plus pâturants. Ils pourraient s'affranchir progressivement de la stabulation au profit du plein air. Des infrastructures agroécologiques vont voir le jour. Nous aurons aussi à répondre aux enjeux de réduction de l'utilisation des produits phytosanitaires. Les résultats du programme Ecophyto 2+ ont été récemment présentés et la diminution des quantités utilisées de ces produits constitue un enjeu important. Il ne s'agit pas seulement d'affirmer qu'il faut favoriser les protéines végétales mais de restructurer notre alimentation pour aller vers davantage de protéines végétales au détriment des protéines animales. En combinant une réorganisation de l'alimentation et de l'agriculture, nous pouvons parvenir à ces évolutions en termes de réduction des émissions, de protection de la biodiversité, de diminution des produits phytosanitaires de synthèse, etc.

Le coco de Paimpol, par exemple, est un haricot auquel des objectifs ont été assignés (santé, coût, climat, forêt, biodiversité). La France produit actuellement 60 000 à 70 000 hectares de légumes secs pour la consommation humaine. Le plan d'autonomie protéique du ministère de l'agriculture prévoit de multiplier par huit ou dix ces surfaces, ce qui constituera aussi une réponse aux enjeux de déforestation importée, puisque la majorité des protéines sont importées afin de nourrir les élevages français avicoles, porcins, etc. Nous devons nous réapproprier ces cultures, valoriser l'autonomie protéique et, dans le même temps, apporter des réponses plus satisfaisantes en matière de climat, de santé et sur le plan des coûts.

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