Intervention de Marie-Benoît Magrini

Délégation sénatoriale à la prospective — Réunion du 6 février 2020 à 9h00
Tables rondes sur le thème : qu'y aura-t-il dans nos assiettes en 2050

Marie-Benoît Magrini, Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (Inrae) :

économiste, responsable du groupe filière légumineuses, Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (Inrae). - L'ensemble des chercheurs sur les légumineuses remercient les sénateurs pour l'intérêt dont témoigne notre invitation à cette table ronde. Les faits que vous avez rappelés en introduction correspondent au consensus qui existe en France et à l'international, reconnaissant aux légumineuses un rôle clé potentiel pour la transition agroécologique et nutritionnelle, du fait de leurs apports en protéines mais aussi en fibres - lesquelles font l'objet d'un déficit de consommation en France, alors qu'elles favorisent une vie plus longue et en bonne santé.

Nous avons établi, avec le concours de deux cents experts, un constat à travers un ensemble de workshops en vue d'élaborer une stratégie européenne sur les protéines. J'étais rapporteure d'un atelier sur la question de l'organisation des filières. Un consensus s'est fait jour autour de la situation de verrouillage technologique dont les légumineuses avaient fait l'objet. Lorsqu'un choix initial est fait dans un domaine technologique, les investissements vont augmenter et accroître la performance du système. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, l'Europe a donné la préférence aux céréales et aux importations de soja, notamment pour nourrir les élevages, en lien avec des accords commerciaux. On a ainsi accru les investissements dans les céréales, tandis qu'aucune perspective d'avenir n'était tracée pour les légumineuses. L'assolement a diminué et leur consommation aussi. Il s'agit aujourd'hui de les relancer pour en refaire un aliment quotidien. La situation de verrouillage technologique qu'ont subie les légumineuses, durant quarante à cinquante ans, apparaît dans l'évolution de leurs rendements et de ceux des céréales à grain : nous voyons que cet écart augmente au fil des années.

Le différentiel de compétitivité s'est ainsi accru entre ces espèces et est aujourd'hui considéré comme non rattrapable en l'absence d'un soutien public fort, du fait de l'existence de plusieurs verrous, de natures variées.

Il existe ainsi des verrous logistiques. Les enquêtes que nous avons conduites montrent que les coopératives ont plutôt investi dans des silos de grande taille avec peu de cellules. La diversification des cultures créerait, pour les coopératives, un besoin de cellules de petite taille, ce qui suppose d'investir. Selon les études réalisées, 50 000 tonnes de stockages supplémentaires représentent 15 millions d'euros d'investissement. Le secteur agricole reste largement subventionné afin de permettre d'offrir des prix alimentaires relativement bas à la population. Il faudra donc que les opérateurs et la puissance publique se penchent sur ces nouveaux investissements.

Nous vous avons aussi transmis une note sur l'intérêt des cultures associées, une pratique en développement dans la mesure où les cultures associées permettent d'augmenter le rendement des cultures à l'hectare, en contrepartie du tri qu'elles requièrent. Un tri performant, permettant aux industries agroalimentaires de bénéficier de lots aux qualités recherchées, séparant bien les graines, nécessite des trieurs optiques, relativement coûteux. Quelques coopératives se lancent dans de tels projets mais il s'agit encore de marchés de niche.

II existe aussi des enjeux de connaissance quant à la transformation de ces graines. Vous pouvez observer dans les rayons que les référencements de produits agroalimentaires, autour des céréales, sont divers. Examinez par exemple le rayon des pâtes et comparez-le avec celui des légumes secs, qui propose le plus souvent des graines entières, parfois en vrac, parfois précuites. Rares sont les produits intégrant des farines de légumineuses, des produits pastiers (pour faire des pâtes, de la semoule, des gâteaux, du pain...). Cette farine de légumineuse a des propriétés intéressantes et pourrait s'insérer dans la plupart des fabrications du secteur de la boulangerie-viennoiserie, à ceci près que nous n'avons pas les outils industriels calibrés pour ce faire. Lorsqu'on souhaite fractionner et transformer les graines de légumineuses en farines, il faut recalibrer les chaînes industrielles existant pour les graines de céréales. Des travaux récents montrent que la dureté des graines de légumineuses n'est pas celle des graines de blé. On n'obtiendra donc pas, avec les processus existants, la même farine, présentant la même granulométrie. Son mélange, dans la recette, aura des effets différents sur les propriétés organoleptiques du produit, sur les processus de cuisson... C'est l'ensemble du procédé industriel qu'il faudra réadapter, ce qui a également un coût. Nous venons d'effectuer une revue de littérature sur les recherches scientifiques en sciences alimentaires ayant des auteurs européens. La France se situe au cinquième rang pour ces légumineuses à graine, derrière l'Espagne, l'Allemagne, l'Italie et la Pologne. Nous avons besoin de développer ces connaissances.

Enfin, pour renverser les situations de verrouillage technologique, il faut parvenir à engager conjointement les opérateurs amont et aval dans des filières très structurées. Par le passé, les plans de relance de ces cultures (les fameux plans « protéine ») ont conduit à dépenser des millions sans parvenir à relancer ces cultures de façon durable. Il faut que ces subventions soient fléchées vers des filières où existe une forte structuration, par des contrats engageant l'amont et l'aval durant plusieurs années, afin d'inciter l'agriculteur à cultiver ces produits. La coopération peut alors investir dans des outils de stockage. L'industriel, sachant qu'il aura une production amont satisfaisante en qualité, investira également dans des outils industriels. Faute de cet investissement conjoint, nous ne parviendrons pas à réussir cette relance.

Signalons enfin l'enjeu de la reconnaissance environnementale. Des discussions ont lieu afin d'augmenter la valeur économique de ces cultures, via le paiement de services environnementaux.

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