Intervention de Gilles Daveau

Délégation sénatoriale à la prospective — Réunion du 6 février 2020 à 9h00
Tables rondes sur le thème : qu'y aura-t-il dans nos assiettes en 2050

Gilles Daveau, consultant et formateur en cuisine alternative :

Je vous remercie pour votre invitation. Nous avons l'habitude, en France, en matière de cuisine, de faire appel à l'imaginaire gastronomique, celui des chefs et des repas d'excellence. Je me trouvais hier dans une collectivité, près de Nantes, entouré par onze cuisiniers de collectivités qui réalisent quatre millions de repas par an, afin de discuter de l'introduction de produits locaux et de la mise en oeuvre de la loi EGALIM (loi pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et une alimentation saine et durable). La semaine dernière, lors d'une rencontre de même nature sur un autre thème, celui de la neutralité carbone, nous étions entourés par des chefs qui réalisaient 800 000 repas par an. Nous travaillons aussi à l'éducation du grand public afin de faciliter l'accès du plus grand nombre à une alimentation durable.

Je suis un spécialiste de cuisine végétarienne. Il y a plus de trente-cinq ans, le professeur Jean-Michel Lecerf proposait d'introduire davantage d'aliments végétaux dans l'alimentation du quotidien afin d'alterner alimentation d'origine animale et d'origine végétale. Or la question des aliments d'origine végétale, en particulier les légumineuses, est souvent piégée par des discours d'opposition à la viande. L'enjeu me paraît plutôt résider dans la réintroduction de la diversité.

Nous voyons à l'écran la photo d'un buffet préparé par les chefs dont je parlais, représentant quatre millions de repas par an servis au cours de cent cinquante journées scolaires, ainsi que dans des centres de loisirs. Durant la matinée, nous avons préparé une quinzaine de plats permettant de maîtriser les techniques d'emploi des légumineuses et de composer des types de plats dépassant les recettes, dans la mesure où ils peuvent être adaptés, en fonction de la saison, avec tel ou tel légume. Cela fonctionne avec des lentilles, des haricots ou des pois cassés. Je vais vous montrer neuf préparations issues des plats très simples que nous avons ainsi élaborés hier, autant de préparations qui peuvent faire partie de l'alimentation des enfants, collégiens, lycéens ou étudiants de CROUS.

L'une des approches est celle développée dans le cadre d'un travail au sein de l'École des hautes études en santé publique. Avant de dire aux gens qu'il faut, pour cuire des haricots ou des lentilles, faire tremper ou cuire les produits durant une heure ou deux, nous devons montrer ce que l'on peut faire avec une boîte de haricots ou de pois chiches. Cette connaissance donnera envie d'acheter des légumes secs d'origine française, dans le cadre de partenariats noués avec des territoires.

Nous voyons à l'image une salade parlant de cuisines du monde. Une association riz-lentilles avec de petits légumes ajoutés. Ce sont des associations qui existent partout sur la planète. Ce type de plat assure un apport de protéines complètes, assimilables, permettant de diversifier l'alimentation du quotidien. Nous voyons à côté une rillette de poissons, comprenant 30 % de sardines (issues d'une pêche durable), 40 % de mogettes, un peu de citron, un peu d'échalotes et une bonne crème fraîche, en faible quantité. Cette rillette est plus économique qu'une rillette classique comportant 70 % de poissons et 30 % de beurre. Elle est non seulement très facile à réaliser mais a aussi, à 100 %, le goût de poisson, car les légumes secs sont extrêmement fondants et onctueux lorsqu'ils sont cuits, et porteurs de goûts. Dans les cuisines du monde, ce sont le plus souvent des sauces. Nous avons d'ailleurs réalisé une sauce évoquant la mayonnaise ou une rémoulade, comprenant 50 % de haricots, 25 % d'échalotes, moutarde et vinaigre et 25 % d'huile. En y mettant moins d'huile, l'on peut intégrer des huiles de qualité, apportant les fameux omégas 3, 6 et 9. On obtient ainsi une sauce quatre fois moins grasse.

À côté se trouvent un gratin et une sauce de type béchamel, réalisée également avec des mogettes. On a mixé des haricots cuits, avec la moitié de leur poids en eau, un peu d'une bonne crème fraîche et un peu d'une garniture aromatique, qui permet de napper ensuite des légumes, des lasagnes, etc. S'y ajoutaient des burgers, avec de petites galettes, et les deux sauces aux lentilles, une sauce jaune qui permet de parler des épices et de la façon dont on peut parfumer ces légumes secs dans les cuisines du monde. Le curry de lentilles est un plat national dans des pays dont la population ne mange jamais de viande. À côté se trouve une sauce bolognaise avec des lentilles vertes, l'apport en protéine du plat étant fourni par les lentilles, ce qui complète les pâtes ou le riz servi.

Le damier que vous voyez correspond, dans la même logique de valorisation du caractère onctueux des légumes secs, à un fondant aux haricots et au chocolat, complété par un fondant aux pois chiches et au citron. Sans enjoliver la chose, ces préparations sont plébiscitées, partout où nous les proposons. Il ne s'agit pas de plats secs. On mange d'abord un bon gâteau au chocolat ou un bon gâteau au citron. Parce que les composants sont très onctueux, on a pu y adjoindre moins de matières grasses que dans un gâteau au chocolat classique, un vrai cacao (pur cacao), plutôt que des chocolats industriels ajoutant du gras et du sucre, des oeufs et du sucre.

Dans des cuisines contraintes par le temps et sur le plan du budget, à la maison comme à la cantine, ces légumes secs ne sont probablement acceptables que s'ils sont présentés comme un « plus » et non dans une logique de substitution ou d'exclusion. Nous ne les mangerons pas parce qu'ils sont bons pour la santé ou pour les sols mais parce que nous sommes des êtres de culture. Nous les mangerons à travers des répertoires qui sont connus, que nous découvrons dès l'école. Ils nous parlent de santé et de développement durable mais nous rappellent aussi les contes et les grandes représentations de l'alimentation présentes dans l'humanité.

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