Intervention de Philippe Bonnecarrere

Réunion du 25 février 2020 à 14h30
Parquet européen et justice pénale spécialisée — Discussion en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission

Photo de Philippe BonnecarrerePhilippe Bonnecarrere :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le texte qui vous est présenté est relatif au Parquet européen et à la justice pénale spécialisée.

S’agissant de la constitution du Parquet européen, disons-le d’emblée, les dispositions proposées sont prometteuses. La capacité de transcrire dans notre droit, dans notre institution judiciaire, qui plus est dans un domaine régalien, un mécanisme très original constitue par ailleurs une bonne surprise.

En effet, depuis plus de dix ans, il y a une aspiration à la constitution d’un Parquet européen et à une coordination entre pays, dans la mesure où nombre d’infractions sont transfrontalières. Si l’Europe est un marché unique, elle constitue également un système juridique porteur de valeurs. En bref, c’est un État de droit.

Ainsi, l’émergence – laborieuse – de ce Parquet européen, dont Mme la garde des sceaux a rappelé les débuts, correspond à une vraie attente de la société, qui marque une étape de la construction européenne. C’est une étape prometteuse, puisque les infractions retenues sont celles qui portent atteinte aux intérêts financiers de l’Union européenne, qu’il s’agisse de corruption, d’une mauvaise utilisation des subventions publiques ou de fraude à la TVA.

La commission des finances connaît les enjeux. Avec toutes les réserves de rigueur, on évoque traditionnellement un montant de 50 milliards d’euros de fraude au niveau des différents budgets européens. Le Parquet européen sera compétent pour des fraudes d’un montant égal ou supérieur à 10 millions d’euros et concernant au moins deux pays.

Il n’y a pas création d’une magistrature européenne. Chacun des 22 pays – ce sujet a été traité dans le cadre d’une coopération renforcée – désignera un représentant ; la collégialité fixera les règles du jeu.

Ce texte, qui résulte de la transcription d’une directive européenne, constitue une bonne surprise. Si l’entreprise paraissait complexe, le système proposé, qui se fonde sur la désignation de deux procureurs délégués européens, est réussi. En année pleine, le nombre de dossiers traités par notre pays devrait être de l’ordre de 60 à 100, soit de 30 à 50 dossiers par magistrat, ce qui est raisonnable.

Ces magistrats seront donc français et relèveront de la souveraineté nationale. Il existait en effet un désaccord sur ce point : les dossiers dépendraient-ils du niveau européen ou français ? Le procureur général près la Cour de cassation tranchera, et les deux procureurs enquêteront à partir des moyens d’enquêteurs français. Si des mesures devaient être prises à l’égard du prévenu – je pense à la détention provisoire ou à d’autres mesures privatives de liberté –, c’est un juge des libertés et de la détention français qui examinera les choses, avec l’exercice d’une voie de recours devant la chambre d’instruction de Paris. Enfin, la juridiction française, ou plus exactement parisienne, traitera les dossiers, en application de notre droit.

Ainsi, le parquetier commencera son travail d’enquête en tant que procureur et le poursuivra, si des actes techniques plus précis sont nécessaires, en qualité de juge d’instruction, d’où le statut hybride, évoqué par Mme la garde des sceaux, de ce magistrat. Dans la mesure où des instructions sont données par le Parquet européen, notre système traditionnel du juge d’instruction n’était pas compatible, ce qui a justifié, en la matière, la mise en place d’une telle solution.

C’est la raison pour laquelle la commission des lois a formulé deux propositions : il s’agit, d’une part, de préciser le moment où le parquetier devient juge d’instruction – si vous me permettez cette simplification –, et, d’autre part, de protéger les droits de la défense, en prévoyant notamment l’assistance par acte d’avocat.

Ce premier volet, appréciable, a donc été bien traité.

Le second volet concerne les juridictions pénales dites spécialisées. J’évoquerai rapidement les arbitrages entre juridictions. Un système assez simple a été proposé par le procureur général François Molins : il donne la priorité à la juridiction spécialisée sur celle de droit commun et à la juridiction de niveau national sur celle qui exerce à l’échelon territorial. Cette position n’a fait l’objet d’aucune difficulté, qu’il s’agisse des syndicats de magistrats ou des avocats.

Il en est de même pour ce qui concerne les précisions apportées concernant la compétence du parquet national antiterroriste (PNAT), en particulier les atteintes graves aux intérêts de la Nation, à savoir les affaires d’espionnage.

Quant au parquet national financier (PNF), il voit sa compétence élargie aux infractions, auparavant souvent connexes, en matière d’entente ou d’abus de position dominante.

J’en viens au droit de l’environnement.

Même si certains collègues souhaiteront transformer le débat en une sorte de réforme du droit de l’environnement, le texte n’a pas cette ambition. Il intervient sur deux cadres.

Tout d’abord, il s’agit de dédier, au niveau de chaque cour d’appel, des juridictions au domaine de l’environnement. Disons-le franchement, ce n’est pas une mesure révolutionnaire. En effet, il s’agit non pas de créer des tribunaux spécifiques en matière d’environnement, mais de constituer, dans chaque cour d’appel, un tribunal dit judiciaire. Dans la mesure où ce type de tribunal traitera un plus grand nombre de dossiers, il développera sans doute une plus grande connaissance de ces matières, ce qui nous assurera une plus grande sécurité. À mes yeux, c’est une mesure essentiellement pédagogique prise en direction du monde judiciaire, qui souligne les attentes en matière d’environnement.

Ensuite, la modification principale introduite par le texte réside dans l’ouverture au droit de l’environnement des conventions judiciaires dites d’intérêt public. Celles-ci ont été créées dans notre droit fiscal par la loi Sapin II pour lutter contre la corruption et ont connu une belle prospérité. C’est la raison pour laquelle je me permets de conseiller à nos collègues socialistes de ne pas y être forcément défavorables. C’est un outil ultra-puissant, puisqu’une entreprise peut se voir imposer, pour des atteintes à l’environnement, des mesures de réparation pouvant aller jusqu’à 30 % du chiffre d’affaires. Il s’agit d’une procédure rapide, donnant lieu à une publication sur l’aspect local.

Dernier élément, ces dispositifs, issus du droit anglo-saxon, possèdent une efficacité, notamment en matière de corruption, qui fait défaut aux mesures de justice habituelles.

Dans la dernière affaire concernant Airbus, ils ont été très utiles à notre pays. Ils intègrent des programmes dits de mise en conformité ou de monitoring. Ainsi, plutôt que d’exclure une entreprise d’un marché public, ce qui fait peser des risques sur l’emploi, il s’agit de se doter des moyens d’aller dans l’entreprise et de voir les politiques de sécurité et de formation mises en œuvre. Même si nous avons adopté quelques amendements de précision en la matière, un tel dispositif nous paraît tout à fait adapté.

Pour finir, j’évoquerai trois éléments relevant de l’article 77-1 du code de procédure pénale. Les parquets sont habitués à faire des réquisitions générales, et les OPJ appliquent leur « petit manuel ». Si des violences sont commises en matière sexuelle, ils réquisitionnent un médecin. Si quelqu’un est victime d’un vol au moment d’une opération de retrait bancaire, ils regardent les enregistrements de vidéosurveillance. C’est ce que nous prévoyons en acceptant des réquisitions générales, sous réserve qu’une information soit immédiatement donnée au procureur de la République pour qu’il puisse poursuivre son enquête.

Au moment de l’examen des amendements, j’évoquerai plus longuement la peine complémentaire d’interdiction d’accès aux transports publics. Si, intellectuellement, elle peut sembler curieuse dans sa structuration, nous verrons qu’elle correspond à des problèmes pratiques réels. Par ailleurs, les garanties prévues en termes de libertés me paraissent la rendre acceptable.

Enfin, le sujet des huissiers de justice et des notaires constituant presque un sujet à part, je vous présenterai au cours de l’examen des amendements l’arbitrage ou les efforts de conciliation qui ont été les nôtres.

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