Par ailleurs, le procureur européen délégué pourra, à son appréciation, mener l’enquête selon les règles applicables à l’enquête parquet ou selon les règles applicables à l’instruction, en se passant du juge d’instruction. Cela pose aussi question, d’autant que les compétences du parquet, pour l’instant limitées aux affaires financières, pourront ou pourraient par la suite être étendues, notamment en matière d’antiterrorisme.
Nous serons vigilants sur ce point, sachant en outre que cette extension de l’arsenal judiciaire de l’Union européenne ne peut être pensée tout à fait indépendamment du reste de la politique européenne – je pense notamment à la politique sécuritaire de l’Union. De ce point de vue, nous gardons à l’esprit le modèle qui a présidé à la construction de l’espace européen sur la base du contrôle aux frontières et d’une fermeture aux extracommunautaires, modèle d’ailleurs largement inefficace pour enrayer la criminalité transfrontalière, qu’il s’agisse de terrorisme, de trafic de drogue ou d’immigration clandestine.
J’en viens au volet environnemental du projet.
Afin de remédier à la grande faiblesse du contentieux environnemental, l’article 8 institue une convention judiciaire d’intérêt public en matière environnementale, qui concernera les personnes morales.
Désengorger les tribunaux par le recours à la justice « transactionnelle », d’inspiration américaine, ne nous laisse présager rien qui vaille : sans la tenue d’un procès en bonne et due forme et avec des droits de la défense inexistants, ces conventions ne permettront pas une reconnaissance explicite de la culpabilité de l’auteur du délit.
Aussi, il y a fort à parier que les entreprises fautives se tireront d’affaire à moindres frais et sans trop écorner leur réputation. Nous proposerons, à titre de solution de repli et pour remédier à ce problème, d’aménager le dispositif de cette convention.
Pour notre part, nous considérons qu’il est urgent de donner davantage de crédit à la justice environnementale et, surtout, d’accorder de vrais moyens aux polices de l’environnement. Or les moyens des agences de l’État, que ce soit l’Agence française pour la biodiversité ou l’Institut national de l’environnement industriel et des risques (Ineris), connaissent tous une rétraction.
Pour ce qui est des nouveaux pôles régionaux spécialisés, l’idée est non pas du tout de créer une justice spécialisée, mais simplement de nommer des référents sur les contentieux « environnement » au sein des juridictions existantes. L’étude d’impact du projet de loi précise bien que cette mesure est « à moyens budgétaires constants ».
Si, en vertu de la dimension « pédagogique », soulignée en commission par M. le rapporteur, nous pouvons partager l’avis de Greenpeace, qui considère que « ces juridictions spécialisées permettraient aux magistrats d’être plus à l’aise avec les dossiers environnementaux », nous ne pouvons cependant que regretter l’insuffisance, voire l’inutilité – des juridictions spécialisées, en effet, existent déjà –, des dispositifs proposés par le Gouvernement pour répondre à cette question essentielle pour les décennies à venir.
Enfin, toutes les dispositions « annexes » nous semblent inquiétantes, bien que peu surprenantes, car dans la droite ligne de la politique que vous avez portée en matière d’organisation judiciaire par le biais de votre loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice : moins de collégialité dans la mise en œuvre de techniques spéciales d’enquête ; plus de pouvoir, de manière générale, conféré aux OPJ ; recours accru à la visioconférence ; instrumentalisation de notre code pénal à des fins d’affichage, avec la création d’une peine complémentaire d’interdiction de paraître dans les transports.
Mais nous reviendrons sur tout cela au cours du débat.
En définitive, madame la ministre, alors que nous aurions pu voter en faveur du volet relatif au Parquet européen, le volet environnemental apparaît, lui, bien en deçà des attentes, et – je viens de le dire – certaines mesures du titre III nous semblent difficilement acceptables.
Nous nous abstiendrons donc sur ce texte.