Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la protection des personnes et des biens requiert que notre organisation judiciaire soit en phase avec un monde où les échanges se multiplient sans considération des frontières, y compris quand ces échanges sont le fait de réseaux criminels bien organisés.
Le projet de loi qui nous est présenté aujourd’hui entend, dans cet objectif, adapter la législation française à la coordination nécessaire avec le Parquet européen et à renforcer l’efficacité de la justice pénale spécialisée.
C’est une joie pour moi de voir enfin arriver ce texte en séance.
En effet, fin 2012, je rendais un rapport au nom de la commission des affaires européennes du Sénat, favorable à la création du Parquet européen et, le 15 janvier 2013, le Sénat votait déjà une résolution en ce sens. L’organisation du Parquet telle qu’elle est conçue par le règlement vient en grande partie de la prise de position du Sénat français.
En effet, quelques mois après l’adoption de la résolution que je viens d’évoquer, notre commission recevait le projet de la Commission européenne, projet extrêmement centralisateur et directif, qui allait totalement à l’encontre de nos préconisations.
Je remercie Simon Sutour, qui était alors président de la commission des affaires européennes, pour son appui et la détermination dont il a su faire preuve.
La Commission européenne, faisant fi de notre souci de préserver la souveraineté et les usages des États membres, était bien décidée à imposer la création d’un parquet très intégré. Nous avons alors décidé de voter une nouvelle résolution, cette fois-ci contre ce projet, pour non-respect du principe de subsidiarité. Quatorze parlements nationaux se sont prononcés dans le même sens, ce qui a, pour la deuxième fois depuis le début de l’existence de la Commission européenne, déclenché la procédure dite du « carton jaune » contre son projet et l’a conduite à le réexaminer, même si elle a pour le moment refusé de le modifier. C’était une première étape.
Les négociations au sein du Conseil ont finalement permis d’aboutir au règlement du 12 octobre 2017 créant le Parquet européen sous la forme d’une coopération renforcée, dans une configuration conforme aux positions françaises et aux préconisations du Sénat.
Le 16 mai 2019, le sénateur Jacques Bigot et moi-même avons déposé, au nom de la commission des affaires européennes, une proposition de résolution sur la coopération judiciaire en matière pénale et la mise en œuvre du Parquet européen, afin de faire le point en replaçant le sujet dans un contexte plus large.
L’objet de cette nouvelle institution européenne est de préserver les intérêts financiers de l’Union. Créé à partir d’Eurojust, le Parquet européen a vocation, comme cela est inscrit à l’article 86 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE), à possiblement s’ouvrir à la criminalité transfrontalière. Mais la règle de l’unanimité rend cette perspective lointaine et l’excellent travail d’Eurojust réduit l’urgence.
La fraude contre les intérêts financiers de l’Union européenne est aujourd’hui largement répandue, et les failles dues au manque de coordination et de coopération entre les États membres sont en grande partie responsables de cette situation. La Commission européenne estime que la seule fraude à la TVA représenterait 50 milliards d’euros de pertes par an pour les budgets des États membres, soit un tiers du budget de l’Union européenne. Le Parquet européen sera compétent pour rechercher, poursuivre et renvoyer en jugement les auteurs et complices des infractions pénales portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union européenne. En pratique, il pourra notamment s’agir d’escroqueries à la TVA, de faits de corruption, de détournement de fonds publics, d’abus de confiance, de blanchiment d’argent et de certains délits douaniers.
Le Parquet européen travaillera en liaison étroite avec les parquets nationaux, mais aussi avec l’Office européen de lutte contre la fraude (OLAF), Europol et Eurojust. Il reposera sur une structure à double niveau, afin d’assurer l’application d’« une politique pénale homogène », ainsi qu’une « adaptation efficiente aux fonctionnements nationaux ». Installé à Luxembourg, il comportera un bureau central composé d’un chef et de vingt-deux procureurs, soit un par État membre, et reposera sur deux organes distincts : le collège, qui assurera le suivi général des activités, la définition de la politique pénale et répondra aux questions générales soulevées par certains dossiers spécifiques ; les chambres permanentes, qui superviseront les enquêtes en décidant notamment des classements sans suite, des procédures de poursuite simplifiées ou des renvois des affaires devant les juridictions nationales.
Les procureurs européens délégués (PED) représenteront, quant à eux, un échelon déconcentré au sein de chaque État et seront chargés du suivi opérationnel des enquêtes et des poursuites.
Il s’agit là, à mon sens, d’une organisation respectueuse de la souveraineté des États membres, qui devrait permettre un ancrage solide dans les systèmes nationaux et être acceptée par les praticiens.
Par ailleurs, ce projet de loi prévoit des dispositions relatives à la justice pénale spécialisée. Il prévoit l’exercice prioritaire de compétence en cas de ministère public spécialisé et l’extension des compétences du parquet antiterroriste, et comporte des dispositions relatives à la lutte contre la criminalité et la délinquance organisées, les pratiques anticoncurrentielles et les atteintes à l’environnement ; mon collègue Hervé Maurey développera ce dernier point dans quelques minutes.
Ce projet de loi comporte enfin des dispositions diverses, notamment, à l’article 11, la création d’une peine complémentaire de « non-parution dans un réseau de transport public ». Sur ce point, monsieur le rapporteur Philippe Bonnecarrère, que je félicite pour son travail, a déposé un amendement visant à renforcer la garantie des droits de la personne condamnée.
L’article 12 du projet de loi vise à tirer les conséquences des difficultés de mise en œuvre du fonds interprofessionnel d’accès au droit et à la justice (FIADJ) institué par la loi du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, qui est un texte touffu.
Le Parquet européen sera la première instance européenne indépendante disposant de compétences judiciaires propres. Il s’agit là d’une première étape dans la création d’un ordre public européen, nécessaire à notre unité.
Le groupe Union Centriste votera ce projet de loi.