Intervention de Nicole Belloubet

Réunion du 25 février 2020 à 14h30
Parquet européen et justice pénale spécialisée — Article additionnel après l'article 5, amendement 47

Nicole Belloubet :

Je veux dire très clairement à M. Sueur que le Gouvernement n’entend pas revenir sur les dispositions de la loi du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice ni sur les discussions qui ont eu lieu au moment de son élaboration. Nous avions alors déjà longuement abordé ce sujet.

Je rappelle que cette loi a modifié la compétence quasiment universelle de la France pour juger des génocides, crimes contre l’humanité et crimes et délits de guerre commis à l’étranger. Comme le Sénat l’avait proposé, elle a introduit la référence expresse aux génocides, crimes contre l’humanité et crimes et délits de guerre, en lieu et place d’un simple renvoi à la compétence de la CPI. Elle a également mis fin à la condition de double incrimination pour les crimes de génocide. Elle a aussi introduit la possibilité, en cas de classement sans suite, de former un recours devant le procureur général, lequel devra statuer après avoir entendu le requérant.

Ainsi que je l’ai déjà indiqué, le Gouvernement considère que cette réforme a permis d’atteindre un équilibre satisfaisant. Il me semble que ce dernier serait remis en cause par l’adoption de l’amendement n° 47, qui, du reste, constitue un cavalier législatif, compte tenu du champ du texte que nous examinons aujourd’hui.

Cet amendement soulève des difficultés importantes, raison pour laquelle la proposition de loi adoptée en 2013 n’a jamais été examinée par l’Assemblée nationale, y compris sous le précédent quinquennat.

Il me paraît important de redire quelles sont ces difficultés.

Tout d’abord, cette réforme aboutirait à une extension de compétences trop large, pouvant conduire à une instrumentalisation politique des juridictions françaises. À titre liminaire, il faut observer que, avec son adoption, la France, pour la première fois, créerait une clause de compétence universelle sans y être obligée ni même autorisée par une convention internationale.

Ensuite, les dispositions actuelles, qui exigent la résidence habituelle de la personne concernée sur le territoire français, me paraissent justifiées, car elles permettent de poursuivre une personne ayant commis des crimes contre l’humanité qui voudrait trouver refuge en France. Si cette condition était supprimée, toute personne de passage en France pourrait faire l’objet de poursuites. Dès lors, même si le dispositif de l’amendement tend à maintenir le monopole des poursuites du parquet, il est à craindre que des associations n’adressent à ce magistrat des demandes médiatisées de poursuites en cas de visite en France de représentants d’États étrangers qu’elles accuseraient d’avoir commis tel ou tel crime contre l’humanité. Même si le procureur devait rejeter ces demandes, de telles pratiques pourraient être source de polémiques ou d’attentes difficiles à satisfaire et seraient susceptibles d’affecter l’action diplomatique de la France.

Par ailleurs, l’exigence de double incrimination est un principe fondamental du droit international. Dès lors, il ne me paraît possible d’y déroger que de façon tout à fait exceptionnelle. En ce qui concerne le crime de génocide, l’exception est justifiée par la spécificité absolue de ce crime, sans précédent au plan historique, qui a fait l’objet de la convention de l’ONU du 9 décembre 1948 pour la prévention et la répression du crime de génocide, adoptée à l’unanimité. La jurisprudence de la Cour internationale de justice a établi que l’interdiction du génocide constituait une norme impérative du droit international.

Pour l’ensemble de ces raisons, j’émets un avis défavorable sur votre amendement, monsieur Sueur. J’estime que nous avons déjà considérablement progressé dans le sens souhaité par le Sénat lors du vote de la loi de réforme pour la justice.

S’agissant de l’amendement n° 15 rectifié bis, octroyer à la France une compétence quasiment universelle pour l’ensemble des infractions au code de l’environnement ne me paraît pas envisageable, pour plusieurs motifs.

D’abord, décider de cette compétence quasiment universelle de manière unilatérale serait contraire au principe de la souveraineté des États. Il convient de rappeler qu’une telle compétence ne peut résulter que de conventions internationales et qu’elle est, à ce jour, limitée aux crimes d’une extrême gravité, susceptibles d’être réprimés indépendamment des considérations de frontières ou de nationalité, parce qu’ils heurtent l’humanité dans son entier – je pense ici, évidemment, aux crimes de génocide, aux crimes de guerre, de tortures, etc. Les infractions au code de l’environnement, qui vise principalement à assurer le respect de règles administratives, ne me semblent pas relever de cette définition.

De manière générale, je ne crois pas que la France doive s’ériger en gendarme du monde en matière d’environnement et que nos juridictions nationales soient forcément les mieux placées pour juger d’atteintes à l’environnement commises dans des États étrangers.

Au-delà de la question de la légitimité de la France à engager des procédures dépourvues de lien nécessaire avec notre pays, l’effectivité de celles-ci n’apparaît aucunement garantie dès lors que l’établissement de la preuve d’atteintes à l’environnement requiert notamment de procéder à des enquêtes sur les lieux où les faits ont été commis.

En revanche, la lutte contre les atteintes à l’environnement à l’échelle mondiale nécessite de multiplier les initiatives internationales en la matière, afin que nous puissions y apporter une réponse globale et cohérente, à laquelle la France doit être partie prenante.

Enfin, je veux rappeler que les atteintes à l’environnement commises par les réseaux de délinquance et de criminalité organisée peuvent déjà faire l’objet d’une répression par les juridictions françaises, dès lors que l’un des faits constitutifs des infractions a eu lieu sur le territoire français.

Pour ces raisons, monsieur Labbé, j’émets un avis défavorable sur votre amendement.

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