Intervention de Cédric Bourillet

Commission d'enquête Pollution des sols — Réunion du 25 février 2020 à 14h35
Audition de M. Cédric Bourillet directeur général de la prévention des risques au ministère de la transition écologique et solidaire

Cédric Bourillet, directeur général de la prévention des risques au ministère de la transition écologique et solidaire :

Être le premier à témoigner et à apporter son éclairage devant cette commission d'enquête est un redoutable privilège.

Je soulignerai tout d'abord que la pollution des sols par l'homme est un sujet extrêmement vaste. La direction générale de la prévention des risques est chargée du pilotage de la politique publique concernant la pollution d'origine industrielle ou minière. Mais il existe de nombreuses autres causes de pollution des sols qui sont liées à l'activité militaire, nucléaire, ferroviaire, maritime, fluviale, commerciale, et surtout agricole, qui peuvent affecter une grande partie de notre territoire, notamment en outre-mer.

Notre première mission est de faire de la prévention au cours de l'activité industrielle ou minière, par le biais de la police spéciale de l'État, afin d'éviter au maximum les pollutions et, si elles sont inévitables, de prévoir la dépollution et la réparation le plus rapidement possible.

Pour ce faire, nous disposons de deux outils principaux, les ICPE - pour les activités industrielles - et le code minier, mais ils n'existent que depuis 1810. Les dommages plus anciens relevaient donc de la police générale du maire.

D'autres outils sont apparus progressivement, tels que l'obligation de remise en état d'un site pour une installation classée à la cessation d'activité, le principe des garanties financières apparu dans les années 1990 pour les carrières et le stockage des déchets, ainsi que la mise en place plus générale, depuis la loi de 2003 et un décret datant seulement de 2012, de garanties financières en vue d'éventuelles dépollutions en fin d'activité. Aujourd'hui, près de 850 sites sont assurés, pour un total de 650 millions d'euros disponibles que l'État peut mobiliser, même si celui-ci éprouve parfois des difficultés à appeler les fonds en cas de défaillance de l'exploitant dans sa mission de dépollution.

La réglementation s'est ensuite enrichie, notamment à la suite des errances ou de la complexité de certains dossiers. Pour les ICPE, le préfet a désormais la possibilité de prescrire régulièrement des actions de diagnostic et de suivi de la dépollution en cours de vie de l'installation. Il a notamment pris, à partir des années 2000, des arrêtés en vue de la dépollution de certaines nappes phréatiques. En outre, la directive 2010/75/UE relative aux émissions industrielles, dite « IED », a répertorié les principaux secteurs concernés, aussi bien dans l'air que dans l'eau, et imposé lors de la mise en service d'une installation l'élaboration d'un rapport de base établissant un diagnostic de l'état des sols à l'état zéro ou des eaux souterraines, puis la mise en place d'un suivi régulier tous les cinq ou dix ans.

Autre progrès pour les ICPE, depuis 2004 le maire est associé à la définition de ce que devrait être l'état du site après la cessation de l'activité. Le système est donc désormais très rigoureux pour les nouvelles installations ou les extensions, mais reste hybride avec une simple consultation du maire pour les installations plus anciennes. Ce meilleur encadrement doit encore monter en puissance.

Le dernier outil que je citerai sera examiné lors de l'examen, imminent, du projet de loi d'accélération et de simplification de l'action publique (ASAP). Nous avons proposé que la cessation d'activité soit encadrée par l'intervention de bureaux d'études agréés au niveau tant du diagnostic des opérations de mise en sécurité à réaliser que du constat de leur bonne réalisation.

J'en viens à l'arbitrage entre l'emploi et la protection de l'environnement.

En théorie, peu d'arbitrages sont possibles en vertu des articles L. 511-1 du code de l'environnement et L. 161-1 du code minier, car la préservation de l'emploi ou l'opportunité ne font pas partie des éléments juridiques que le préfet peut prendre en compte pour fonder sa décision. Ainsi, ne peut-il refuser l'installation d'un site au motif qu'il n'est pas opportun ; à l'inverse, il n'est pas censé évaluer l'équilibre entre les bénéfices économiques et les risques liés à la pollution à l'aune de l'intérêt général. En définitive, le préfet, s'il bénéficie tout de même d'une certaine marge d'appréciation, ne peut se fonder que sur la maîtrise des risques et des pollutions ; toute autre décision serait aisément attaquable devant la juridiction administrative. Cela n'exclut pas une marge d'appréciation lorsqu'on se retrouve dans une zone « grise ». Mais, dès lors que des enjeux substantiels existent en termes de pollution ou de risque, le préfet est bien en compétence liée et se trouve bloqué par le droit.

Il existe néanmoins des cas pour lesquels une pollution est constatée et peut perdurer, soit parce qu'il s'agit de cessations d'activité intervenues avant 1976 ou avant la pleine mise en oeuvre des outils de prévention que je décrivais, soit, et c'est le cas le plus fréquent, parce que la cessation d'activité fait suite à une faillite ou une liquidation et que l'exploitant n'a pas été capable d'assumer ses obligations. La pollution alors constatée peut être très variée : déversement sur les sols ou dans la nappe souterraine, enfouissement de déchets, réapparition de sédiments à la suite d'un événement climatique exceptionnel ou retombées d'émissions atmosphériques, par exemple de métaux lourds, d'hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP) ou de dioxines, sur des terrains voisins qui deviennent alors impropres à des activités agricoles ou à des usages d'habitation.

Si le responsable est encore solvable, des poursuites administratives par le préfet sont possibles durant trente ans, mais seulement dans le cas d'un site d'une installation classée. Le code minier, dans sa rédaction actuelle, ne permet pas de telles poursuites. Seuls les dommages miniers peuvent faire l'objet d'une action civile depuis la loi du 30 mars 1999, une loi qui répondait initialement aux affaissements et remontées de gaz intervenus en Lorraine. Il faudra démontrer un dommage immédiat à la sécurité de l'habitat qui peut être victime d'un événement soudain ou qui constate des fissures sur ses biens. Les enjeux de santé publique ne sont pas envisagés dans la lecture qui est faite aujourd'hui des dommages miniers envisagés par la loi de 1999. Non seulement on ne peut pas aller rechercher administrativement l'exploitant, mais la notion même de « santé publique » par rapport aux dommages miniers n'est pas complètement prise en compte. Les termes de « santé publique » ne figurent pas dans le code minier qui ne fait référence qu'à la salubrité publique et à la sécurité publique.

Il est également possible de remonter la chaîne des responsabilités. Ce recours permet ainsi de se retourner contre la maison mère, mais seulement dans le cas des installations classées, et si l'on peut démontrer que cette société a joué un rôle clé dans la façon d'exploiter et de conduire la cessation d'activité, la mise en liquidation ou faillite. Les conditions fixées par le droit des sociétés étant restrictives, je ne suis donc pas sûr que nous soyons parvenus à mobiliser jusqu'ici ce type de recours, mais nous n'hésiterons pas à le faire si la situation se présente.

Un autre moyen d'obtenir réparation consiste à prouver que le propriétaire du terrain pollué a fait preuve d'une véritable négligence, dans la mesure où il ne pouvait pas ignorer la situation, et à lui demander de concourir à la dépollution. Cela permet aussi de rétablir les véritables propriétaires, qui minimisent parfois leur rôle. Nous avons déjà réussi à mobiliser à plusieurs reprises cet outil, notamment lorsqu'est organisé un montage entre une société civile immobilière (SCI) qui serait propriétaire du terrain et un exploitant qui serait une société distincte mais que les deux structures partageraient en réalité les mêmes propriétaires, actionnaires ou dirigeants.

Enfin, si des déchets sont constatés sur le site après la cessation de l'activité, une action peut être intentée contre le producteur initial du déchet en remontant toute la chaîne de production. Le principe de la police des déchets est qu'elle ne s'éteint pas. Si la personne en charge de la gestion des déchets est défaillante, le producteur initial peut être recherché. Grâce à cela, nous parvenons au moins régulièrement à faire évacuer un certain nombre de déchets dangereux présents sur les sites.

Une fois les possibilités de recours épuisées, on se retrouve avec un site orphelin qui peut néanmoins présenter des dommages. L'action est alors entre les mains de la puissance publique. Pour les anciennes installations classées, l'agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) dispose d'un fonds pour assurer la mise en sécurité, qui pourra être mobilisé si les ARS ou les agences sanitaires identifient des situations dans lesquelles les mesures de gestion ne suffisent pas à protéger les populations - cela peut impliquer, entre autres, le relogement des personnes, des travaux d'assainissement ou la pollution d'une nappe phréatique qui menace de s'étendre. Ces ressources peuvent également être libérées en cas d'urgence environnementale, notamment une pollution, par infiltrations, de la nappe qui menace le captage d'eau potable. Le budget de ce fonds, qui était de 10 millions d'euros jusqu'en 2009, avant de passer à 30 millions d'euros pendant une période faste après le Grenelle de l'environnement, est actuellement de 20 millions d'euros par an environ.

Concrètement, des traitements sont en cours dans près de 220 sites, une vingtaine entrent chaque année dans le dispositif, et 80 sont sur la liste d'attente, avec un délai de quatre ans résultant de cette enveloppe quelque peu étriquée. Il s'agit seulement, pour l'Ademe, de veiller à ce que l'environnement aux alentours des sites ne soit pas dégradé et que personne ne connaisse des difficultés sanitaires. Cela ne veut pas dire que le terrain mis en sécurité peut être utilisé pour accueillir d'autres usages comme une crèche... Toutefois, si des actions de dépollution s'imposent pour assurer la mise en sécurité, l'Ademe s'en charge.

Quant aux exploitations minières, le département de la prévention et de la sécurité minière (DPSM), au sein du bureau de recherches géologiques et minières (BRGM), dispose d'un budget de un million à 2 millions d'euros par an pour procéder à des actions de cette nature.

Les deux ministères avec lesquels nous allons être le plus en collaboration sont le ministère de la santé - l'ARS donne son avis au sujet des actions à mettre en oeuvre sur le plan sanitaire - et le ministère de l'agriculture, car les pollutions peuvent atteindre les sols agricoles et entraîner la contamination de la chaîne alimentaire. Malheureusement, et c'est l'un des points faibles de notre politique actuelle, nous disposons d'outils pour protéger les populations et l'environnement mais pas d'outils financiers pour indemniser les agriculteurs. Des mesures de restriction d'usage peuvent être décidées par les directions régionales de l'alimentation, de l'agriculture et de la forêt (Draaf) pour les cultures végétales ou les directions départementales de la protection de la population (DDPP) chargées de la production animale. Les agriculteurs sont donc susceptibles de perdre à la fois la valeur de leur terrain et une partie de leurs revenus, sans aucune indemnisation. Le fonds national agricole de mutualisation du risque sanitaire et environnemental (FMSE) ne peut être mobilisé pour indemniser les agriculteurs qu'en cas d'accident ponctuel, comme l'accident de Lubrizol récemment, mais pas en cas de pollution chronique de la production agricole.

Ensuite, le ministère de l'éducation nationale ou les collectivités territoriales agissent en lien avec le ministère de la santé, si l'on constate après coup qu'un établissement a été construit sur un terrain posant problème ou encore quand, sur une friche, l'on envisage de construire un établissement scolaire.

Enfin, j'évoquerai la question de la transparence. Notre ministère demande aux préfets et aux directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement (Dreal) de mettre en ligne toutes les informations disponibles quant à la pollution des sols. Ainsi, la base Basol répertorie, à la date d'hier, 7 253 sites pollués ou présentant une suspicion importante de pollution. L'état de la connaissance en la matière est décrit, de même que les mesures en cours ou prévues. Cette liste est régulièrement mise à jour.

La loi pour l'accès au logement et un urbanisme rénové (Alur) a créé les secteurs d'information sur les sols (SIS). Par voie d'arrêtés préfectoraux, il est ainsi possible de dresser l'état cartographique de la pollution des sols pour une parcelle et d'établir les enquêtes à mener en fonction des usages envisagés. Ces données sont annexées aux plans locaux d'urbanisme (PLU) ; ainsi, l'on assure une transmission des connaissances afin d'éviter une utilisation malheureuse de parcelles qui ont connu une pollution industrielle.

Il ne faut pas confondre la base Basol et la base Basias (inventaire historique des sites industriels et activités de service), établie par le BRGM pendant les années 1990 et 2000 à partir de toutes les archives départementales afin d'identifier tous les sites dont on a eu connaissance un jour qu'ils ont accueilli une forme d'activité industrielle, quand bien même cela remonterait à des centaines d'années avant la création des ICPE ou avant les décrets impériaux de 1810, sans se poser la question de savoir si cela relevait de la police de l'État ou de la police du maire. Cette dernière recense 218 000 sites, qui ne sont pas forcément pollués ou en friche ; elle met à disposition un ensemble d'informations, même grossières, fondées par exemple sur des archives médiévales.

À l'heure actuelle, il existe une multitude de bases de données, telles la base Mimausa (mémoire et impact des mines d'uranium : synthèse et archives) utilisée notamment par l'institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) ou la base Sisop (sites et sols pollués) recensant les 7 000 à 8 000 sites militaires pollués relevant du ministère de la défense. Les SIS permettront de réunir, dans une seule base de données, l'intégralité des informations disponibles. Cet outil est encore en devenir ; à ce jour, il ne comprend encore que 2 824 secteurs notifiés par les préfets et annexés aux PLU.

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