Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le Sénat est saisi en nouvelle lecture de la proposition de loi visant à lutter contre les contenus haineux sur internet.
Il a abordé l’examen de ce texte en première lecture dans un esprit ouvert et constructif ; nous partageons tous, monsieur le secrétaire d’État, l’objectif poursuivi, et de nombreuses améliorations ont été adoptées en commission et en séance grâce aux amendements émanant de la quasi-totalité des groupes politiques de notre assemblée.
Examinée, hélas, selon la procédure accélérée, cette proposition de loi n’a fait l’objet que d’une seule lecture par l’Assemblée nationale puis par le Sénat avant la réunion d’une commission mixte paritaire. Nous n’avions pas eu d’étude d’impact ; nous n’avons pas eu non plus de véritable navette !
Je l’ai dit et je le redis : je regrette vivement cette précipitation. Elle a desservi le rapprochement des positions et ne semble sérieusement justifiée par aucune contrainte de calendrier. La réflexion sur ce texte a été engagée il y a plus de deux ans, et l’inscription de celui-ci à l’ordre du jour de la séance publique du Sénat a été repoussée, à chaque lecture, de plusieurs semaines ; ce temps aurait justement pu être mis à profit pour mener à bien une navette normale !
Malgré un travail constructif entre rapporteurs – je tiens à souligner l’excellence du dialogue que nous avons pu entretenir, Mme Laetitia Avia et moi –, cette commission mixte paritaire a constaté qu’elle ne pouvait élaborer un texte commun. Vous l’avez souligné : la principale divergence avec les députés restait la rédaction retenue par l’Assemblée nationale pour l’article 1er, la création d’un nouveau délit – ce n’est pas une mince affaire… –, et ce en dépit d’un large consensus sur tout le reste, la régulation des plateformes comme le renforcement de la prévention et des outils judiciaires contre les auteurs de contenus relevant de la haine en ligne.
Preuve d’une large convergence de vues entre les deux chambres, l’Assemblée nationale a conservé de nombreux apports du Sénat lors de la nouvelle lecture. Je m’en réjouis !
La position du Sénat n’a jamais été de bloquer ce texte ou de le « détricoter », mais il s’agissait bien de le renforcer et de le sauver des risques d’inconstitutionnalité !
Grâce à nous, les modalités générales de notification des contenus illicites aux hébergeurs ont été précisées, afin d’être rendues plus aisées à manier pour les internautes, tout en restant pleinement respectueuses du droit européen.
Les principaux apports du Sénat pour sécuriser juridiquement la régulation des grandes plateformes ont aussi été conservés. Nous avons ainsi précisé les nouvelles obligations de moyens, strictement proportionnées à l’objectif de préservation de la dignité humaine, en interdisant toute obligation de surveillance générale des réseaux. Nous avons aussi renforcé les pouvoirs de contrôle – accès aux algorithmes – et de sanction – publicité des décisions, quantum des amendes administratives – du CSA.
Consensuelles entre nos deux chambres, les dispositions relatives à l’éducation et à la prévention de la haine en ligne et celles qui sont destinées à renforcer l’efficacité des sanctions judiciaires prononcées contre les auteurs de contenus illicites – spécialisation du parquet, injonction – n’ont fait l’objet que de corrections formelles.
Enfin, des ajouts introduits au Sénat et destinés à s’attaquer à des sujets laissés de côté par le texte initial ont été conservés ou confortés : lutte contre le financement des sites haineux et lutte contre la viralité, les plateformes étant encouragées à limiter les fonctionnalités de partage et l’exposition du public aux contenus signalés.
Notre principale divergence porte donc toujours sur l’article 1er. L’Assemblée nationale a rétabli la création d’un nouveau délit sanctionnant les plateformes qui ne retireraient pas un contenu haineux vingt-quatre heures après sa notification.
Mais, preuve du caractère inabouti de leur réflexion, les députés ont modifié, et ce pour la quatrième fois, la définition d’un « contenu haineux ». Ils ont maintenu l’ajout du négationnisme proposé par le Sénat, mais ils ont exclu les infractions de traite des êtres humains et de proxénétisme… qu’ils avaient pourtant eux-mêmes introduites en première lecture ! De manière plus surprenante, ils ont exclu l’exposition des mineurs à des messages violents, incitant au terrorisme, ou à des jeux dangereux, tout en conservant l’exposition des mineurs à des messages pornographiques. Où est la cohérence ?