Intervention de Bernard Buis

Réunion du 26 février 2020 à 15h00
Lutte contre les contenus haineux sur internet — Adoption en nouvelle lecture d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Photo de Bernard BuisBernard Buis :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, internet est un espace de coexistence sociale à nul autre pareil, une sorte de nébuleuse où nos libertés fondamentales se contorsionnent sous l’effet de la viralité, où le laissez-faire algorithmique prospère sur fond de no man ’ s land juridique, où la violence sociale opère à visage masqué sous couvert d’anonymat. Ce sont autant d’éléments à la lecture desquels le champ de l’économie numérique met à l’épreuve la boîte à outils du législateur.

Le législateur, justement, se doit de rappeler aux espaces en ligne, aussi vertueux soient-ils, que le droit, sur ce terrain-là aussi, a sa place. À plus forte raison encore lorsque les pratiques constatées, ici et là, suscitent l’indignation légitime d’un grand nombre de nos concitoyens.

Comme le suggère le titre de cette proposition de loi, internet n’a pas fait, hélas !, rempart aux atteintes à la dignité de la personne humaine. Pis encore, il a eu pour effet d’en exacerber les traits les plus révoltants. Chers collègues, pas un jour sans que sur la toile la libération d’une parole haineuse décomplexée ne heurte, pas un jour sans que racisme et antisémitisme, tous deux claquemurés dans l’artifice du virtuel, ne tirent profit d’une impunité certaine. Mais, espérons-le, plus pour longtemps, car aujourd’hui le législateur répond.

Je commencerai par citer les éléments qui nous rassemblent.

D’abord, une logique de responsabilisation des opérateurs de plateforme en ligne par un dispositif de régulation administrative, assurée par le CSA, permettra à ces acteurs de déployer tous les moyens nécessaires aux fins de lutter contre la haine sur internet, en se conformant à leurs obligations de moyens, de coopération et de transparence dans la modération de leurs contenus.

Ensuite, face à des facilités de sur-censure, il a été utilement reconnu au CSA la faculté de sanctionner sur internet des comportements de retrait excessif.

A également été renforcée la lutte contre les sites miroirs, redoutable fléau dans la lutte contre les contenus haineux.

Quant aux auteurs de ces contenus, ils seront dorénavant mieux poursuivis, grâce à un parquet numérique spécialisé, qui pourra être saisi au moyen du système de plainte en ligne institué dans le cadre de la loi de programmation et de réforme pour la justice.

Malgré ces avancées importantes auxquelles ont contribué nos deux assemblées, des points de divergence demeurent.

La commission mixte paritaire a ainsi entériné deux désaccords de fond, qui persistent après l’examen du texte en nouvelle lecture à l’Assemblée nationale et en commission des lois au Sénat.

Le premier concerne le délai couperet de vingt-quatre heures. Le Sénat l’a retiré du texte au motif d’une crainte de censure, de « surblocage » et de contournement de l’autorité judiciaire. Mais le délit autonome de refus de retrait avait, bien au contraire, pour objet de redonner toute sa place à l’autorité judiciaire, seule compétente pour apprécier les limites susceptibles d’être portées à la liberté d’expression.

Ce délit de non-retrait en vingt-quatre heures offrait, par ailleurs, une portée effective aux dispositions actuelles de la directive e-commerce et de la loi pour la confiance dans l’économie numérique. Son objet était non pas de contrevenir à la liberté d’expression, mais bien au contraire de lutter efficacement sur internet contre ce qui dans le domaine public, au quotidien, n’est ni permis ni toléré. C’est pourquoi mon groupe y était et y demeure favorable.

Autre pierre d’achoppement importante, la délimitation du champ des opérateurs visés par ce dispositif législatif.

Le Sénat a décidé d’exclure les moteurs de recherche, tout en permettant au CSA d’attraire dans le champ de sa régulation les sites internet qui acquièrent en France un rôle significatif, dans un « en même temps » d’une cohérence discutable. D’autant que ces moteurs de recherche avaient été intégrés au champ d’application de l’article 1er sur préconisation du Conseil d’État, afin non seulement de tenir compte de leur rôle décisif dans l’exposition des contenus publics en ligne, mais aussi de ne pas contrevenir aux principes d’égalité et de non-discrimination.

Enfin, outre ces mesures phares, comment ne pas regretter que notre dispositif de transparence des régies publicitaires ait vu son contenu assoupli et sa portée effective réduite à l’Assemblée nationale ?

Fort heureusement, l’opportunité de ce mécanisme de démonétisation des plateformes propagatrices de contenus haineux n’est pas, déjà, de l’histoire ancienne. Le projet de loi relatif à la communication audiovisuelle et à la souveraineté culturelle à l’ère numérique nous permettra d’en débattre de nouveau.

Mes chers collègues, pour toutes ces raisons, et en l’état du texte, le groupe La République En Marche s’abstiendra, tout en espérant que le Digital Services Act, projet européen sur la régulation des contenus en ligne destiné à adapter la directive e-commerce aux enjeux présents, permettra de conforter juridiquement nos travaux.

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