Intervention de Jérôme Durain

Réunion du 26 février 2020 à 15h00
Lutte contre les contenus haineux sur internet — Article 1er

Photo de Jérôme DurainJérôme Durain :

Il existe une large convergence de vues entre le Sénat et l’Assemblée nationale sur les objectifs de la présente proposition de loi, à l’exception de la création du délit de non-retrait, en vingt-quatre heures, des contenus haineux notifiés aux grandes plateformes, figurant à l’article 1er. À ce stade du débat, la majorité gouvernementale comme la majorité sénatoriale maintiennent la position qu’elles ont adoptée en première lecture, situation qui a conduit à l’échec de la commission mixte paritaire réunie le mercredi 8 janvier dernier.

Nous partageons les observations du rapporteur de la commission des lois à l’égard du dispositif adopté par l’Assemblée nationale en nouvelle lecture, lequel risque d’entraîner, par précaution, des sur-retraits de propos licites, mais polémiques. En effet, si un doute subsiste sur la nature du contenu, les opérateurs préféreront le retirer plutôt que de risquer le paiement automatique d’une amende. Pareil dispositif reviendrait à conférer à des entreprises dominantes dans ce secteur une responsabilité exorbitante, s’apparentant à une compétence régalienne, aux dépens de la liberté d’expression.

En supprimant de nouveau les mesures contraignantes adoptées par les députés pour les remplacer par de simples obligations de moyens, notre commission des lois parie sur le seul volontarisme des opérateurs à fort trafic, dont on sait que les principales préoccupations reposent avant tout sur des considérations économiques liées à la marchandisation croissante d’internet.

Compter sur l’action spontanée d’acteurs dominants dans les services de communication au public en ligne sous le contrôle incitatif du régulateur sera insuffisant pour favoriser l’évolution du droit en vigueur, unanimement considéré comme inadapté. Nous ne pouvons nous résoudre à l’inaction.

Pour sortir de cette impasse, nous devons apporter les garanties qui permettraient de satisfaire l’ensemble des acteurs de la société civile et de l’économie du numérique, en réservant à l’autorité judiciaire, gardienne des libertés individuelles et de la liberté d’expression, la place qui lui revient dans le dispositif de contrôle.

C’est pourquoi nous proposons que le retrait des contenus haineux notifiés soit provisoire, dans l’attente d’une validation par le juge des référés, seul à même d’assurer l’analyse du contexte du retrait dans un délai raisonnable, pour éviter tout risque de sur-censure.

En outre, afin de profiter des apports de la navette entre les deux chambres, nous envisageons de reprendre plusieurs mesures qui nous semblent pertinentes : d’abord, nous pensons qu’il convient de maintenir l’intégration des moteurs de recherche dans le champ d’application du dispositif, en raison de la capacité de ces derniers à accentuer la viralité des contenus haineux sur internet ; ensuite, la suppression de la peine de prison au profit du seul prononcé d’une amende est une solution raisonnable, à conserver dans le dispositif ; enfin, les précisions apportées au caractère intentionnel du délit seront utiles pour responsabiliser davantage les grands opérateurs.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion