Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le 4 février dernier, la commission mixte paritaire est parvenue à un accord sur les projets de loi relatifs à l’application de l’article 13 de la Constitution.
L’examen de ces deux textes s’est toutefois avéré plus compliqué que prévu.
Initialement, le Gouvernement les présentait comme un travail d’actualisation, voire de coordination, concernant la liste des nominations soumises à l’avis préalable des commissions parlementaires. Il fallait, par exemple, prendre en compte le changement de dénomination de l’Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières (Arafer) et de l’Autorité de régulation des jeux en ligne (Arjel), ou encore tirer les conséquences de la privatisation de la Française des jeux, ce qui a pu soulever quelques débats.
Sur le plan technique, ce travail de coordination n’était d’ailleurs pas abouti et nous avons dû ajouter des dispositions concernant Bpifrance et l’Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (Arcep).
Rapidement, nous avons constaté que ces deux textes soulevaient un problème de méthode : nous sommes en effet invités à tirer les conséquences de trois ordonnances qui n’ont pas encore été ratifiées.
Je pense notamment à l’ordonnance du 3 juin 2019, qui réorganise de fond en comble la SNCF : plus de huit mois plus tard et malgré nos nombreuses relances, le Gouvernement ne nous a communiqué aucun calendrier de ratification. De même pour l’ordonnance du 2 octobre 2019 réformant la régulation des jeux d’argent et de hasard, dont chacun connaît les enjeux financiers…
Une telle situation me paraît profondément regrettable pour le Parlement et contraire à l’esprit de l’article 38 de la Constitution, qui prévoit la ratification expresse des ordonnances.
Sur le fond, les projets de loi adoptés en conseil des ministres auraient conduit à un recul, même léger, du contrôle parlementaire sur les nominations aux emplois publics, ce que le Sénat n’a pas pu accepter.
Tout au long des débats, nous avons rappelé notre attachement à la procédure prévue par l’article 13 de la Constitution. Créée par la révision constitutionnelle de 2008, elle permet au Parlement de « bloquer » une nomination du Président de la République lorsque l’addition des votes négatifs dans les commissions compétentes représente, au total, au moins trois cinquièmes des suffrages exprimés. C’est ce que nous appelons les « trois cinquièmes négatifs ».
La procédure de l’article 13 de la Constitution permet ainsi d’écarter des candidatures de complaisance et de renforcer la transparence des nominations, notamment grâce à l’audition des candidats pressentis.
Elle mériterait toutefois d’être renforcée, par exemple en modifiant les règles de majorité. Je rappelle que, depuis 2008, le Parlement n’a jamais mis en œuvre son pouvoir de veto sur les nominations du Président de la République. Il a failli le faire en décembre 2019 pour le directeur général de l’Office national des forêts (ONF), à une voix près.
Dès la première lecture, nous avons proposé d’utiliser ce vecteur législatif pour étendre le périmètre des nominations soumises à l’avis préalable du Parlement.
Le Gouvernement s’est longtemps opposé à cette volonté de conforter le contrôle parlementaire, ce que nous regrettons. Il n’a toutefois pas été suivi par la commission mixte paritaire, qui a conservé une grande partie des apports du Sénat. Je souhaite d’ailleurs remercier le rapporteur de l’Assemblée nationale, Christophe Euzet, pour son écoute et sa recherche d’un consensus entre les deux chambres.
Sur notre initiative, le Parlement sera désormais consulté sur la nomination du président de la Commission d’accès aux documents administratifs (CADA). Il s’agit d’une revendication ancienne du Sénat, longtemps défendue par notre ancien collègue Jacques Mézard.
J’ai d’ailleurs été très étonné par les propos tenus devant l’Assemblée nationale par Mme Pannier-Runacher, laquelle a déclaré que le CADA se situait « assez loin » de la défense des libertés constitutionnelles.
Fidèles au rapport rédigé en 2014 par Jean-Jacques Hyest et Corinne Bouchoux, nous pensons au contraire que la CADA joue un rôle fondamental pour garantir les droits des citoyens, alors que la demande d’accès aux documents administratifs n’a jamais été aussi forte. Le Conseil constitutionnel l’a d’ailleurs reconnu dans sa décision du 23 octobre 2014 sur l’accès aux documents administratifs en Polynésie française.
Je regrette également que le Gouvernement soit resté muet sur les difficultés rencontrées par cette autorité administrative indépendante. Je rappelle que le « stock » d’affaires de la CADA dépasse aujourd’hui les 1 800 dossiers. Son délai moyen de traitement dépasse les quatre mois, alors que la loi prévoit un délai théorique d’un mois. Une fois sa décision rendue, les citoyens doivent encore attendre deux mois pour obtenir une réponse de l’administration et, le cas échéant, pour se porter devant le tribunal administratif. C’est un vrai labyrinthe, qui fragilise, au bout du compte, le droit d’accès aux documents administratifs.
Sur l’initiative de notre collègue Jean-Yves Leconte, le Parlement sera également consulté sur la nomination du directeur général de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII). Loin d’assurer une simple mission consultative, l’OFII joue un rôle croissant dans l’accueil des demandeurs d’asile et l’intégration des immigrés en situation irrégulière. Nous nous prononçons déjà sur la nomination du directeur général de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra). Il nous semblait donc logique d’y ajouter l’OFII.
La commission mixte paritaire a également préservé les apports de l’Assemblée nationale, en ajoutant à la liste des emplois concernés par l’article 13 de la Constitution, d’une part, le directeur général de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) et, d’autre part, le directeur général de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses).
Ces deux ajouts me semblent particulièrement judicieux au regard de l’importance de ces deux agences dans la vie économique et sociale de la Nation. Le code de la santé publique prévoyait déjà l’audition de ces dirigeants devant le Parlement. Nous sommes toutefois allés plus loin en prévoyant une capacité de veto en amont de leur nomination. Ce contrôle relèvera de la commission des affaires sociales de chaque assemblée.
Au total, 55 emplois publics seraient soumis au dernier alinéa de l’article 13 de la Constitution, soit un de plus qu’aujourd’hui. La privatisation d’Aéroports de Paris pourrait nécessiter de nouveaux ajustements, mais nous n’en sommes pas encore là.
Nous n’avions qu’une divergence avec l’Assemblée nationale, concernant la SNCF. Sur l’initiative de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable et de son rapporteur pour avis, Didier Mandelli, dont je salue la qualité du travail, le Sénat souhaitait conserver un « droit de regard » sur SNCF Réseau. Il s’agissait ni plus ni moins de maintenir le droit en vigueur, le Parlement étant consulté sur cette nomination depuis 2010.
Après avoir auditionné l’Autorité de régulation des transports, nous pensons que SNCF Réseau doit bénéficier de garanties suffisantes d’indépendance, sans remettre en cause la nouvelle architecture du groupe public. En l’état du droit, le compte ne semble pas y être…
Dans les faits, SNCF Réseau répartira les heures de passage sur les 30 000 kilomètres de voies ferrées entre les sociétés de transport, dont SNCF Voyageurs. Chacun comprend ainsi le caractère sensible de ce dossier.
L’Assemblée nationale n’a pas partagé notre point de vue, insistant sur l’« unité managériale » de la SNCF, ce que nous regrettons.
Ce débat pourra toutefois se prolonger au moment de la ratification de l’ordonnance du 3 juin 2019 réorganisant la SNCF.
À titre subsidiaire, le projet de loi ordinaire vise à proroger le mandat du président de la Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur internet (Hadopi) jusqu’en janvier 2021, date à laquelle la Haute Autorité devrait fusionner avec le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA).
Cette disposition, qui déroge au droit commun des autorités administratives indépendantes, doit rester exceptionnelle. Le Sénat sera attentif à sa mise en œuvre, notamment lors de l’examen du projet de loi relatif à la communication audiovisuelle et à la souveraineté culturelle à l’ère numérique.
Au bénéfice de ces observations, la commission des lois vous invite, mes chers collègues, à adopter le projet de loi organique et le projet de loi dans leur version issue des travaux de la commission mixte paritaire. Ces textes préservent les principaux apports du Sénat et, donc, le contrôle parlementaire sur les nominations faites par le Président de la République.