Intervention de Arnaud Martrenchar

Délégation sénatoriale aux outre-mer — Réunion du 20 février 2020 : 1ère réunion
Étude de la délégation sur les enjeux financiers et fiscaux européens pour les outre-mer en 2020 — Audition de M. Arnaud Martrenchar délégué interministériel à la transformation agricole des outre-mer

Arnaud Martrenchar, délégué interministériel à la transformation agricole des outre-mer :

Le Président de la République a tracé les grandes lignes de notre politique ultramarine lors d'un discours prononcé le 25 octobre 2019 à La Réunion, avec l'objectif que les territoires ultramarins atteignent l'autonomie alimentaire en 2030. Le territoire hexagonal est en autonomie alimentaire et même en capacité d'exportation, mais les situations sont contrastées selon les territoires d'outre-mer : la Guyane est presque autonome en produits végétaux, c'est pratiquement le seul cas, La Réunion est autonome à 70-80 % en fruits et légumes, les Antilles en sont plus éloignées. Certains territoires ont une capacité d'exportation - traditionnellement la banane aux Antilles, le sucre à La Réunion, et de façon plus limitée à la Guadeloupe -, mais souvenons-nous que la Guyane exportait autrefois du riz et des crevettes.

Le Président de la République souhaite que nous tenions compte de l'évolution des marchés. Le sujet central est le sucre. Les cours se sont effondrés. Les industries sucrières ultramarines ont longtemps été protégées par des quotas jusqu'à la fin de 2017. La filière canne-sucre-rhum bénéficie aujourd'hui d'un soutien annuel important : 75 millions d'euros du Poséi (via le FEAGA), 90 millions d'euros de crédits d'État, plus 38 millions d'euros pour aider les entreprises à s'adapter à la fin des quotas. Le secteur du rhum est lui-même aidé par des mesures de défiscalisation importantes : 100 millions d'euros par an pour le rhum vendu dans l'hexagone (il s'agit d'une mesure fixée par Bruxelles et cela représenterait 120 millions d'euros si l'on était à plein régime) ainsi que 100 millions d'euros au titre de la défiscalisation du rhum outre-mer vendu localement (une bouteille de rhum d'un litre à 50 degrés est à 7 euros dans les Antilles contre 20 à 22 euros en moyenne dans l'hexagone). Il y a un alignement prévu sur six ans pour une petite partie de la taxation, la vignette de sécurité sociale, qui ne représente cependant que 550 euros par HAP (hectolitre d'alcool pur). Pour l'essentiel de la taxation, c'est à dire l'accise (1 700 euros par HAP), il n'y a pas de mesure d'alignement prévu. Il restera un gros différentiel en faveur des rhums ultramarins. C'est donc une enveloppe importante.

Les cours du sucre se sont effondrés : ils sont passés de 600 euros la tonne à 320 aujourd'hui. Doit-on continuer à soutenir, quel que soit le niveau du marché ? Ou doit-on réfléchir à un autre modèle - la canne-énergie ou le sucre bio ?

Nous devons aussi tenir compte des attentes sociétales. La société est plus vigilante qu'auparavant, notamment sur l'utilisation des produits phytosanitaires. Les outre-mer ont des produits extraordinaires, mais nous devons aussi protéger les populations, par exemple de la contamination des sols par le chlordécone. Les produits phytosanitaires sont un véritable enjeu pour toutes les productions. La canne n'utilise presque plus de produits insecticides, mais encore beaucoup d'herbicides qui seront, un jour ou l'autre, à leur tour probablement interdits. Nos agriculteurs doivent apprendre à travailler sans ces produits ; ils savent faire, mais cela a un coût. Il faut arriver à le prendre en compte. L'interdiction de l'utilisation des fongicides pour la production des bananes est aussi annoncée : les producteurs essayent de s'adapter, mais ils ne savent pas encore travailler sans aucun fongicide. Il faut se préparer à cette évolution. La ministre des outre-mer a annoncé la Trajectoire outre-mer 5.0 (qui est la déclinaison des 17 objectifs de développement durable dans les outre-mer) et l'agriculture doit y participer : zéro déchet - cela concerne notamment les emballages plastiques des produits phytosanitaires, qui sont mal recyclés -, zéro carbone - cela impactera les méthodes agronomiques de travail de la terre -, zéro produit phytosanitaire, zéro exclusion - avec l'objectif de maintien de tous les emplois liés à l'agriculture - et enfin zéro vulnérabilité au changement climatique - les cultures de canne et de bananes sont plus résistantes aux phénomènes cycloniques que les arbres par exemple (qui repoussent plus rapidement).

C'est l'objet des travaux que je vais mener avec les professionnels ultramarins, mais aussi avec vous parlementaires, afin de réfléchir ensemble à la meilleure façon de s'adapter à tous ces défis.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion