Merci, madame la présidente. Je suis très honoré d'être parmi vous. L'étude que je vais vous présenter a été menée dans un cadre institutionnel. Le ministère avait conclu un accord-cadre avec la CASDEN-Banque populaire, qui est historiquement la banque des enseignants. Avec cet accord-cadre, la CASDEN s'engageait à valoriser et à faire connaître les métiers de l'éducation nationale.
L'objectif de notre travail était de faire connaître la situation des directeurs d'école. De multiples informations, parfois contradictoires, nous remontaient. Cette enquête objective a été menée de manière scientifique. 7 400 directeurs ont répondu. L'échantillon est plus que représentatif. Cette étude reposait sur un questionnaire.
En sociologie du travail, il existe un concept qui globalise l'ensemble des activités professionnelles : c'est le moral professionnel. Il s'agit de l'élément synthétiseur du comportement et des attitudes captés dans le contexte environnemental professionnel. Le moral professionnel est composé de plusieurs éléments : l'environnement de la fonction (relationnel interne et externe), l'exercice de la fonction (poids et volume de travail), la qualité de vie professionnelle (satisfaction et plaisir), la visibilité de l'environnement (pérennité de la situation, avenir du métier), l'accomplissement - qui est une notion nouvelle que j'essaye d'introduire à l'éducation nationale - (sentiment de réussite envers les élèves, les partenaires et les enseignants) et la santé. J'ai utilisé un questionnaire international. Les résultats sont assez inquiétants. A tout ceci, j'ai ajouté une question ouverte.
J'ai regroupé pour cette présentation les résultats en deux catégories : les éléments rassurants et les éléments inquiétants.
Les éléments rassurants tiennent à la considération des élèves, au soutien des collègues, à la charte de la laïcité, au sens et à l'intérêt du travail. D'autres éléments affichent une évolution rassurante par rapport à l'enquête qui avait été menée en 2004 sur le climat dans les écoles primaires. Certains résultats sont surprenants. En 2004, 34 % des directeurs d'école estimaient que leurs inspecteurs de l'éducation nationale (IEN) étaient à leur écoute ; ils sont 68 % en 2018. De même, la reconnaissance du travail des professeurs, qui reste toutefois estimée par 41 % des directeurs d'école, est en nette progression. Enfin, le sentiment de soutien hiérarchique a également progressé.
En revanche, d'autres éléments affichent une évolution inquiétante. Ils tiennent d'abord à l'adaptation aux besoins des élèves. Cela participe au sentiment d'accomplissement des directeurs d'école et pèse lourd sur leur moral. Alors qu'en 2004 seulement 11 % des directeurs d'école estimaient ne pas pouvoir répondre aux besoins de leurs élèves, ils étaient 58 % en 2018. De même, et c'est peut-être le coeur du sujet, le sentiment de déresponsabilisation professionnelle progresse : en 2004, 32 % des directeurs d'école avaient ce sentiment ; ils étaient 86 % en 2018. Ils se sentent de plus en plus désemparés et déconsidérés par rapport aux missions qu'ils exercent. Enfin, il y a eu selon eux trop de réorganisations administratives. La deuxième évolution inquiétante qui a été pour moi une surprise - ainsi que pour certains élus locaux - tient dans la dégradation des relations avec la mairie : en 2004, 21% des directeurs d'école estimaient leurs relations avec la mairie mauvaises. Ils sont 41 % à avoir ce ressenti en 2018. Deux éléments ont joué : les rythmes scolaires qui ont représenté un choc pour un certain nombre de directeurs à gérer ainsi que l'ensemble des mesures de sécurité à mettre en place. Par ailleurs, les directeurs d'école qui, pour 88 % d'entre eux exercent également une charge d'enseignement, ont l'impression de ne plus pouvoir agir face à l'échec scolaire des élèves. Cela entraîne des conséquences lourdes sur le moral des directeurs. La réussite scolaire est pour les directeurs d'école un élément de l'accomplissement au travail. Enfin, la dégradation des relations avec les parents est très forte : on passe d'un sentiment de mauvaises relations de 30 à 48 %. Cette tendance à la baisse se poursuit et concerne aussi bien le primaire que le secondaire.
Une évolution particulièrement inquiétante, par rapport à une enquête menée en 2011 par l'observatoire international de la violence à l'école, tient aux insultes (52 %), au harcèlement, à l'ostracisme, aux bousculades et aux coups dont les directeurs d'école sont victimes. L'ostracisme est un élément nouveau. 24 % des directeurs d'école considèrent qu'ils ont été mis à l'écart par une partie de leurs collègues. Ce sujet est entouré d'une certaine omerta. Personne n'en parle. Les syndicats sont gênés. Des évènements tragiques qui se sont produits trouvent peut-être, en partie, leur source dans cet ostracisme. Imaginez-vous à la place d'un directeur d'école ou d'un chef d'établissement qui est victime d'un ostracisme important de la part de son équipe pédagogique pendant toute l'année scolaire !
Un volet de l'étude de 2018 a porté sur une suspicion de burnout des directeurs d'école, des inspecteurs et des chefs d'établissement. Les résultats sont étonnants. Il convient d'en tenir compte.
La question ouverte qui a conclu l'étude était la suivante : « Pour clarifier les responsabilités et les prises de décision, faut-il que la structuration administrative de l'école évolue ? ». 84 % des répondants estiment que oui. J'ai posé la même question à un panel d'inspecteurs de l'éducation nationale (IEN), qui sont les supérieurs hiérarchiques des directeurs d'école : il en résulte que le statu quo ne peut plus durer.
En conclusion, je citerai cet extrait de la conférence de presse que nous avons tenue en 2018 à l'occasion de la publication de ce rapport : « nous confions ces résultats aux acteurs et aux responsables de notre école républicaine. Notre ambition est que ce travail leur soit utile et participe aux progrès nécessaires de notre école. Aujourd'hui, ces progrès reposent fortement sur les liens entre la qualité de vie professionnelle des personnels et la réussite des élèves ». Ces liens ont été démontrés par différentes recherches, notamment au Québec : meilleure est la qualité de vie professionnelle des enseignants et plus grande est la réussite des élèves. Une expérimentation est en cours dans l'académie de Lyon avec dix collèges et lycées, pour valider cette hypothèse.
Cette étude a été présentée en novembre 2018 sans entraîner de changements majeurs. J'espère que ce travail du Sénat permettra de faire avancer le débat.