Intervention de Patrick Contard

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 26 février 2020 à 9h40
Audition sur la situation des directeurs d'école

Patrick Contard :

Je suis directeur d'école depuis dix-huit ans. Auparavant, j'étais enseignant en maternelle, puis en élémentaire. Mon école se trouve dans le 15ème arrondissement de Paris, dans un quartier très mixte avec un bon équilibre, ce qui est idéal. J'ai douze classes, dont une UP2A pour des élèves qui ne parlent pas français et un espace relais réservé aux élèves très difficiles, qui ont fait l'objet de procédures dans leurs établissements. Ces élèves sont envoyés en stage dans mon école pendant six semaines, accompagnés de leurs parents. Ils sont pris en charge par un enseignant spécialisé et des médiateurs.

Nous sommes déchargés de classe à Paris. Nous avons beaucoup d'interlocuteurs : les IEN, les collègues, les parents, les médecins scolaires, les psychologues scolaires, les réseaux d'aides spécialisées aux élèves en difficulté (RASED), les assistantes sociales, les centres d'adaptation psycho-pédagogique (CAPP) et les centres nationaux de prévention et de protection (CNPP) qui suivent les enfants en-dehors de l'école, le commissariat pour les problèmes de sécurité, les circonscriptions des affaires scolaires et de la petite enfance (qui sont des antennes de la mairie de Paris), la mairie d'arrondissement, la mairie de Paris, la caisse des écoles, les personnels de service...

Sous forme de boutade, je dis souvent que ma première mission lorsque j'arrive à l'école le matin, est de faire le café. Cela permet d'améliorer le climat scolaire.

Je suis le président de l'association des directeurs des écoles publiques du 15ème arrondissement. Comme mes collègues l'ont dit, les directeurs d'école ressentent le besoin de pouvoir échanger entre eux. Nous avons obtenu l'autorisation de nos trois inspecteurs pour organiser nos réunions sur le temps scolaire, ce qui n'est pas le cas dans tous les arrondissements. Ces réunions nous permettent d'échanger entre pairs, sans jugement hiérarchique et tout à fait librement, sur tous les problèmes qui nous concernent.

La question du statut a souvent été débattue. Elle divise au sein même des directeurs. Ce ne serait pas forcément la solution à tout, mais elle est souvent perçue comme étant la solution en cas de problème de gestion d'une équipe. Chaque jour, nous devons faire preuve de diplomatie dans nos relations avec les enseignants. Nous écoutons nos collègues non seulement sur leurs problèmes pédagogiques, mais également sur leur ressenti. Nous emmagasinons tout ce que nous disent nos collègues, sans avoir la possibilité de le restituer à quelqu'un. Nous avons l'impression d'être des éponges. Nous absorbons beaucoup de choses, des confidences, des commentaires, des remarques, des critiques, que nous ne pouvons pas diffuser à tout le monde. Si vous me permettez cette image, l'éponge au bout d'un moment est pleine.

L'absence de statut nous est opposée en interne par nos syndicats, mais également par notre hiérarchie. Ils connaissent la faiblesse de notre position nous rappelant que nous exerçons une mission et n'avons pas un poste de directeur. Pourtant, nous avons une vraie responsabilité dans la vie de l'école. Nous estimons que les salaires ne sont pas à la hauteur de ce qu'ils devraient être. Les comparaisons PISA le montrent. La bonification indiciaire est très limitée. Les directeurs d'école touchent seulement un salaire supérieur de 7 % à celui des enseignants. Les chefs d'établissement du secondaire sont largement au-dessus de nous, pour des tailles d'établissement parfois comparables.

Notre travail intense englobe souvent la pause méridienne, ou se prolonge après 16h30. Nous travaillons souvent avec des réseaux d'aide aux élèves en difficulté qui sont incomplets. La gestion des élèves en situation de handicap est très lourde. Chaque élève dans cette situation doit faire l'objet d'une réunion d'une heure avec le médecin scolaire, le psychologue, les parents, l'assistante sociale... Il faut trouver un créneau convenant à l'ensemble des parties prenantes. J'ai quatorze élèves en situation de handicap dans mon école pour dix classes. En outre, chaque année, nous partons à la recherche des AESH pour aider ces enfants. Nous n'avons pas forcément tous les AESH dès la rentrée scolaire.

Nous ne recevons pas de formation particulière en informatique, alors que nous nous en servons constamment. Nous sommes très souvent derrière les écrans, d'autant plus à Paris où nous avons deux messageries : la messagerie académique et la messagerie de la ville, avec selon les sujets des informations différentes. Nous avons également deux bases de données sur les élèves : celle de la ville et celle de l'éducation nationale. Pourquoi faut-il deux systèmes pour gérer les mêmes élèves dans les mêmes écoles ?

Nous regrettons beaucoup l'absence de relations humaines au niveau du rectorat. Nous savons tous qu'il y existe une cellule « relations humaines » ainsi qu'un psychologue et une médiatrice. Mais, il y a 650 écoles à Paris. Dans ces conditions, il est très difficile d'obtenir une intervention rapide lorsqu'un enseignant rencontre des difficultés personnelles. Or une personne qui est en détresse morale ou personnelle a évidemment du mal à tenir sa classe correctement.

Nous n'avons pas de médecine du travail. Nous passons une visite médicale à notre entrée en fonction, et c'est tout. Nous sommes pourtant en contact avec des enfants. Il en est de même pour les enseignants.

Nous étions majoritairement contre l'aménagement des rythmes scolaires parisiens. 400 directeurs d'école avaient rédigé un courrier en ce sens, intitulé « l'important c'est l'école ». Nous travaillons cinq jours par semaine, et les horaires sont différents chaque jour : de 8h30 à 16h30 le lundi, de 8h30 à 15h le mardi, de 8h30 à 11h30 le mercredi, de 8h30 à 16h30 le jeudi et de 8h30 à 15h le vendredi. Cela pose problème, notamment pour les enfants en difficulté. Il y a un mélange des autorités qui interviennent, les activités proposées sont très variables selon les arrondissements voire les écoles et ne sont pas toujours de qualité. Bien que ces nouveaux rythmes aient été mis en place en 2013, nous sommes encore obligés d'intervenir dans certaines classes, car la personne de l'association ou l'animateur ne tient pas correctement la classe, hurle, le matériel n'est pas respecté. Vous pouvez aisément imaginer que les enseignants soient énervés lorsqu'ils retrouvent le lendemain leur classe dégradée.

Avec cet aménagement, nous avons perdu l'autorité fonctionnelle que nous avions sur le personnel périscolaire (temps de cantine et d'étude). Un responsable éducatif de la ville a été nommé, avec plus ou moins de bonheur. Nous ne sommes pas tous emballés par ce qui est proposé sur ces temps-là.

Nous notons une absence des représentants de la mairie centrale aux conseils d'écoles. Ainsi, plus aucun représentant de la mairie centrale ne participe à mes conseils d'école depuis 2013. C'est dommage car les parents ont des choses à exprimer, notamment sur l'aménagement des rythmes. Ils ne sont pas entendus.

L'efficacité des circonscriptions des affaires scolaires et de la petite enfance, qui fournissent les moyens de fonctionnement, est très variable selon les arrondissements. Nous faisons face en permanence à des petites demandes de travaux (le chauffage, un carreau cassé, les toilettes bouchées, ....), qui passent systématiquement par nous. Nous faisons les demandes d'intervention sur Internet, sur un site spécial, puis nous attendons.

Les agents municipaux techniques et les agents territoriaux spécialisés des écoles maternelles (ATSEM) sont assez souvent absents et très rarement remplacés notamment pour les absences de courte durée. En effet, le pôle de remplacement n'est pas très nombreux et est prioritairement affecté sur des absences longues. Cela défavorise énormément les maternelles, où leur aide est très précieuse et très appréciée par les enfants et les enseignants.

Nous avons un rôle central lors de problématiques exceptionnelles comme le coronavirus. L'information par la direction des affaires scolaires a été transmise le dimanche soir, et donc vue par les directeurs d'école qui se sont rendus à leur bureau en cette fin de week-end. Par ailleurs, les informations divergeaient avec celles de l'inspectrice d'académie. Ainsi, le courrier de la mairie mentionnait simplement la Chine et Singapour, alors que celui de l'inspectrice d'académie mentionnait également le Nord de l'Italie. Nous avons passé la matinée de lundi à essayer de savoir quelles informations nous devions donner aux parents et afficher. Il nous a fallu rassembler les consignes du rectorat et celles de la ville. Je vous laisse également imaginer la situation où certains parents nous indiquaient que tel autre enfant revenait de Chine ou d'Italie, certains enfants prétendaient être allés en Italie alors que ce n'était pas vrai... Bref, nous avons passé la matinée à vérifier ces informations. Cela s'est ajouté à la charge de travail habituelle. À cette occasion, le rectorat a utilisé une liste d'urgence qui avait été mise au point pour Vigipirate. Nous nous sommes rendu compte qu'un certain nombre d'entre nous n'étaient pas sur cette liste. Nous attendons toujours la réponse des autorités sur ce point.

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