À mon tour, je vous remercie de votre invitation.
L'OCDE recommande depuis longtemps de réduire la complexité du système français, sa fragmentation, les écarts importants de traitement entre différents groupes de la population. Nous soutenons donc sans ambiguïté l'instauration d'un système universel. Cette réforme ambitieuse va dans le sens de celles qui ont été adoptées dans de nombreux pays de l'OCDE depuis plusieurs décennies. Pour ma part, je n'évoquerai que trois sujets qui sont au coeur de la réforme : les questions de transition, d'indexation et le pilotage financier, que je lierai rapidement à la question à la gouvernance du système.
Huit pays de l'OCDE ont adopté des systèmes par répartition, à points ou en compte notionnel, couvrant l'ensemble des salariés. Les transitions dans les pays d'Europe centrale et orientale ont été brutales, car ces pays étaient acculés après la chute du bloc soviétique. La transition s'est étalée sur dix cohortes de naissance en Norvège, sur quinze cohortes en Suède. La France a choisi une durée de trente ans pour les personnes nées entre 1975 et 2004.
Le délai de mise en oeuvre de la réforme est un autre facteur important. En Suède, les personnes âgées de 60 ans au moment du vote de la réforme ont été concernées : 20 % de leur pension ont été calculés à partir de droits convertis dans le nouveau système. En Norvège, il s'est agi de celles qui avaient 58 ans ; en Italie de celles qui avaient 38 ans. En France, seront concernées celles qui sont aujourd'hui âgées de 45 ans.
Enfin se pose la question de la conversion des droits acquis dans le nouveau système pour les générations concernées. Les droits acquis ont été convertis dans le nouveau système en Suède et en Norvège, avec une transition sur la base d'une pondération en fonction de l'année de naissance. Un système mixte a subsisté quinze ans en Suède, dix ans en Norvège. Il n'y a pas eu de conversion de droits acquis en Italie, la transition est très longue, les règles de calcul étant maintenues jusqu'à quarante-cinq ou cinquante ans après l'adoption du nouveau système. En France, il n'y a pas de conversion non plus. Les règles des quarante-deux régimes continueront de s'appliquer pour les droits acquis avant 2022 ou 2025, pour des générations qui partiront à la retraite vers 2070. Nous sommes donc plus proches du cas italien, ce qui pose problème, car les complexités liées aux multiples règles de notre système de retraite perdureront, même si leur poids va certes progressivement décroître.
En conséquence, la simplification du mode de calcul des pensions sera largement diluée dans le temps en raison de l'absence de conversion des droits acquis et de la décision de rendre le nouveau système applicable à partir de la génération de 1975, au lieu de 1963.
J'évoquerai maintenant les règles de calcul du nouveau régime. Je m'arrêterai sur deux points : l'indexation du coût d'achat et de la valeur du point et la prise en compte des évolutions de l'espérance de vie.
Il est très important pour la lisibilité du système et pour la confiance dans le système que les règles soient claires. Le système Agirc-Arrco est le seul qui repose sur des modes de valorisation largement discrétionnaires. Dans le nouveau système, le coût et la valeur du point devraient suivre la masse salariale ou l'assiette des cotisations, mais le choix a été fait d'utiliser une référence au salaire ou au revenu par tête. La différence entre le salaire et la masse salariale, c'est l'emploi. Cette différence n'est pas essentielle pour la France, compte tenu notamment des projections concernant la population en âge de travailler et surtout du fait que d'autres mécanismes viennent pallier ou compléter ce dispositif. L'Allemagne, la Suède, la Norvège utilisent les salaires, mais doivent prendre en compte les évolutions de la démographie qui affectent l'emploi, via d'autres mécanismes sur lesquels je reviendrai.
Ce qui est important, c'est que les règles soient claires et que le coût et la valeur du point suivent le même indice pour assurer une équité entre générations. Il semblerait, mais je ne suis pas sûr d'avoir compris l'ensemble des détails du projet de loi, que l'on souhaite à terme indexer le point sur le revenu par tête. La référence à une phase de transition jusqu'en 2045, avec une indexation initiale sur les prix, pose question. Cette architecture globale est assez peu transparente. Il vaudrait beaucoup mieux fixer une règle très claire applicable dès la mise en oeuvre de la réforme et que le montant en euros du coût initial et de la valeur initiale de service du point soit fixé en fonction de critères résultant d'un arbitrage entre montant des pensions et viabilité financière. On imagine que des taux de remplacement entre générations ont déjà été actés, mais tout est un peu confus, en tout cas pour moi.
La prise en compte de l'évolution de l'espérance de vie est essentielle pour la définition d'une règle par défaut. Deux options sont possibles. La première est de retenir l'âge comme référence de la valeur du point. C'est l'âge d'équilibre, qui prend en compte deux tiers des gains d'espérance de vie. Une indexation sur le revenu par tête est alors une bonne règle. La seconde, c'est de déterminer la valeur du point à un âge fixe, auquel cas il faut prendre en compte le taux de progression de l'espérance de vie à cet âge. En France, selon les projections, l'espérance de vie progresse en moyenne de 0,4 % par an à 62 ans ou 65 ans. Il faudrait donc indexer la valeur du point sur le revenu par tête ou le salaire, moins 0,4 %. La première option est probablement la plus claire, la plus transparente. Elle implique évidemment de lier l'âge d'équilibre à l'espérance de vie.
J'en viens au pilotage financier. Un système de retraite, même universel, même simplifié, ne peut pas être mis sur pilotage automatique. Des mécanismes d'ajustement complémentaires sont nécessaires. L'intérêt de choisir de bonnes règles d'indexation par défaut est que, si elles sont bien définies, il est très peu nécessaire de recourir à ces mécanismes d'ajustement, mais on ne peut pas en faire l'économie, un certain nombre d'aléas n'étant pas maîtrisables.
Ces mécanismes peuvent suivre deux logiques totalement différentes. Il peut s'agir d'assurer l'équilibre budgétaire de court terme, ce qui peut amplifier des crises économiques, ou de viser la solvabilité à long terme, tout en prenant en compte l'impact de phénomènes transitoires, via la constitution de réserves. Pour l'heure, la France hésite entre ces deux logiques.
L'article 55 du projet de loi distingue deux temporalités. La règle d'or impose de respecter l'équilibre sur cinq années glissantes et « une procédure de pilotage cyclique et indicative intervenant tous les cinq ans sur un horizon de quarante ans et plus ». J'avoue ne pas très bien comprendre ce que cela signifie et comment cette procédure peut être combinée avec la règle d'or. Or il convient d'être très précis. Le risque, bien entendu, si l'on se base sur une règle à long terme, est que des hypothèses de projection trop optimistes conduisent à accepter des déficits récurrents, à court ou à moyen termes, qui ne soient pas corrigés et qui entraînent des transferts entre générations difficilement justifiables. Cette crainte est probablement légitime, compte tenu de l'historique des soldes cumulés en France, mais la question est de savoir s'il est préférable de tenter d'éviter ce travers via des règles un peu « baroques » ou s'il ne vaut pas mieux opter pour une gouvernance plus solide. La question clef est celle de l'édification d'un cloisonnement net des comptes du système de retraite et des règles clairement définies, qui visent la solvabilité de long terme, mesurée de façon précise et indépendante, en tout cas largement autonome.
En résumé, premièrement, le choix du mode de la durée de transition dilue dans le temps les bénéfices de cette réforme essentielle. Deuxièmement, il est important de se doter de règles claires de valorisation du coût et de la valeur du point et d'éviter un modèle peu transparent, comme celui qui a prévalu pour l'Agirc-Arrco, lequel a reposé sur des règles discrétionnaires. La phase de transition pour l'indexation des valeurs d'acquisition et de service du point jusqu'en 2045 est difficile à justifier. L'autre option serait de caler les paramètres initiaux sur de bonnes valeurs permettant d'éviter cette transition. En revanche, il est important de lier l'âge d'équilibre à l'espérance de vie. Troisièmement, un mécanisme d'ajustement complémentaire est nécessaire et doit viser l'équilibre cumulé de long terme. La question importante, c'est la crédibilité de son utilisation, qui serait renforcée par la séparation claire des comptes du nouveau régime et l'indépendance des règles actionnant ce mécanisme.