Nous poursuivons nos travaux avec une audition commune consacrée aux projets de loi sur les retraites, désormais soumis à l'examen du Sénat.
Je remercie MM. Philippe Askenazy, directeur de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS), Hervé Boulhol, responsable retraites à la direction de l'emploi et des politiques sociales de l'Organisation pour la coopération et le développement économiques (OCDE), et Antoine Bozio, directeur de l'Institut des politiques publiques, d'avoir répondu à l'invitation de la commission des affaires sociales. Nous avons souhaité recueillir leur éclairage sur ce texte sous différents angles.
Nous avons ainsi demandé à Philippe Askenazy d'évoquer plus particulièrement les effets de la réforme des retraites pour l'État - et les administrations publiques au sens large - en tant qu'employeurs publics : les cotisations vont évoluer, mais aussi les politiques salariales pour certaines catégories. Des transitions devront être aménagées. De multiples questions se posent.
À Hervé Boulhol, nous avons demandé quels seraient les points de vigilance à avoir lors de l'examen du futur texte, compte tenu des forces et faiblesses des expériences d'autres pays en matière de réforme des retraites. Nous pensions notamment aux difficultés éventuelles de mise en place d'un système à points, de convergence des systèmes actuels vers le futur système, de conversion des droits acquis, en particulier la clause « à l'italienne ». M. Boulhol nous avait déjà apporté un éclairage de ce type lors du premier colloque de la commission sur les retraites, il y a deux ans.
Nous savons enfin ce que ce projet de loi doit à Antoine Bozio, lui aussi présent lors de ce premier colloque. Nous savons peut-être moins, même si vous vous êtes exprimé dans la presse, en quoi il diffère de la réforme des retraites telle que vous l'envisagiez initialement. Vous nous direz quel décalage vous constatez avec le projet qui nous est soumis et si vous identifiez d'éventuelles fragilités.
Je rappelle que cette audition fait l'objet d'une captation vidéo retransmise en direct sur le site du Sénat et consultable en vidéo à la demande.
Je vous laisse la parole pour un bref propos introductif avant de laisser place à un échange avec les commissaires.
Je vous remercie de cette invitation.
Je suis un économiste du travail, non pas un spécialiste des retraites. J'évoquerai l'impact de la réforme sur les salariés et les employeurs, plus particulièrement sur les employeurs publics.
La réforme introduit un système à cotisations définies alors qu'il y avait avant un système à prestations définies, notamment pour les fonctionnaires, lesquels peuvent connaître de façon quasi certaine, s'ils font une carrière pleine, le niveau de leur retraite. Le nouveau système est de nature à créer une incertitude sur le revenu permanent des personnes et peut modifier leur comportement et leurs exigences durant leur carrière professionnelle, notamment sur les aspects salariaux.
L'incertitude, pour ne pas dire l'insécurité, est accrue pour certains, car la plupart des simulations présentées dans l'étude d'impact ne correspondent pas à la vie réelle. Ainsi, elles ne prennent pas en compte les enfants, alors que la plupart des travailleurs français en ont. En outre, un certain nombre de paramètres sont aujourd'hui inconnus, le plus important pour le niveau des pensions à long terme et leur poids dans le PIB français étant l'indexation du point. Le texte, dans la version adoptée par l'Assemblée nationale, parle d'un « revenu moyen d'activité par tête ». C'est là un objet statistique non identifié. Pour ma part, en tant qu'économiste, j'attends du législateur qu'il précise davantage son intention afin de permettre une véritable réflexion sur la construction d'un tel indicateur.
Le projet de loi contient un certain nombre d'éléments majeurs qui concerneront les employeurs publics, en particulier en termes de cotisations patronales. Actuellement, le taux de cotisations employeur de l'État est de l'ordre de 75 %, ce qui est extrêmement élevé. La grande problématique pour l'État sera l'effet de vérité que produira l'abaissement progressif de ce taux à 28 %. À titre d'exemple, j'évoquerai les cas de l'éducation et de l'enseignement supérieur et de la recherche. Aujourd'hui, le poids affiché de l'investissement public dans ces deux secteurs est de 75 %. Avec la baisse des cotisations, on va s'apercevoir que les dépenses publiques pour l'éducation et la recherche sont bien plus faibles que celles qu'affiche l'État depuis de nombreuses décennies. Alors que sera examiné dans les prochains mois le projet de loi de programmation pluriannuelle de la recherche, il faudra nécessairement traiter la question de la retraite. Il est urgent de repenser la rémunération dans l'enseignement et la recherche en France.
La réforme des retraites pose aussi des problèmes aux collectivités territoriales. Son impact sur ces collectivités ne sera pas mesuré avant 2024. À cet horizon, la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales (CNRACL) allait certainement afficher un déficit de l'ordre de 5 milliards d'euros, ce qui, en l'absence de réforme, aurait probablement impliqué une augmentation des taux de cotisation pour les hôpitaux comme pour les collectivités locales.
Dans le nouveau système, les collectivités devront payer des cotisations sociales sur les primes des agents, lesquelles représentent un peu plus du quart de leur rémunération. Étant donné que 1 million d'agents seront concernés, le coût supplémentaire de la réforme pour les collectivités à l'horizon de 2025-2026 s'élèvera à environ 1,5 milliard d'euros. Cette somme ne représente probablement qu'une partie de l'effort qu'elles devront faire. En tant qu'employeurs, elles risquent d'être confrontées à des difficultés inextricables : une personne née le 2 janvier 1975 et une personne née le 30 décembre 1974, se situant au même niveau dans la grille indiciaire et percevant les mêmes primes, n'auront plus la même rémunération nette. Dans un cas, les primes seront assujetties à des cotisations, dans l'autre non. Cela risque de poser rapidement des problèmes dans les collectifs de travail et nécessitera une forme de compensation ou de lissage, car, au final, il n'y a tout de même pas de promesse de retraite supplémentaire pour l'agent né le 2 janvier 1975.
D'autres problèmes se poseront dans les écoles primaires, où cohabiteront des professeurs des écoles dont les rémunérations seront revalorisées et des agents des collectivités locales dont la rémunération stagnera ou diminuera en net si les primes sont soumises à cotisation. Cela risque de créer des tensions importantes au sein d'un même collectif de travail et de poser des problèmes d'attractivité des métiers dans les collectivités locales, sachant, en outre, que les emplois d'agents municipaux sont très majoritairement de catégorie C, qu'ils sont occupés par des femmes et que les prochaines décennies seront marquées par une diminution de la population en âge de travailler. À la louche, la réforme coûtera plusieurs milliards d'euros de rémunérations supplémentaires aux collectivités locales à l'horizon de 2026-2027.
La pénibilité est un autre point important pour les collectivités. Les enquêtes Surveillance médicale des expositions aux risques professionnels (Sumer) montrent que les agents de catégorie C, qui constituent une forte proportion des agents de la fonction publique territoriale, sont bien plus soumis à des facteurs de pénibilité professionnelle importants que l'ensemble des autres agents de la fonction publique. Aujourd'hui, un nombre restreint de facteurs de pénibilité sont reconnus. Or les agents des collectivités territoriales sont particulièrement exposés aux facteurs qui ont été retirés - je pense aux expositions aux agents chimiques lors des opérations de nettoyage, aux manutentions de charges, aux vibrations mécaniques.
Le Sénat étant le représentant des collectivités territoriales, il pourrait mener une réflexion sur l'intégration de ces critères de pénibilité, car cela permettrait de renforcer l'attractivité de certains métiers en apportant une sorte de garantie aux agents : en contrepartie de cette pénibilité et d'une rémunération modeste, ils pourraient partir plus tôt à la retraite. Au-delà de la réforme des retraites, il conviendrait que les employeurs publics mènent une réflexion sur cette question.
À mon tour, je vous remercie de votre invitation.
L'OCDE recommande depuis longtemps de réduire la complexité du système français, sa fragmentation, les écarts importants de traitement entre différents groupes de la population. Nous soutenons donc sans ambiguïté l'instauration d'un système universel. Cette réforme ambitieuse va dans le sens de celles qui ont été adoptées dans de nombreux pays de l'OCDE depuis plusieurs décennies. Pour ma part, je n'évoquerai que trois sujets qui sont au coeur de la réforme : les questions de transition, d'indexation et le pilotage financier, que je lierai rapidement à la question à la gouvernance du système.
Huit pays de l'OCDE ont adopté des systèmes par répartition, à points ou en compte notionnel, couvrant l'ensemble des salariés. Les transitions dans les pays d'Europe centrale et orientale ont été brutales, car ces pays étaient acculés après la chute du bloc soviétique. La transition s'est étalée sur dix cohortes de naissance en Norvège, sur quinze cohortes en Suède. La France a choisi une durée de trente ans pour les personnes nées entre 1975 et 2004.
Le délai de mise en oeuvre de la réforme est un autre facteur important. En Suède, les personnes âgées de 60 ans au moment du vote de la réforme ont été concernées : 20 % de leur pension ont été calculés à partir de droits convertis dans le nouveau système. En Norvège, il s'est agi de celles qui avaient 58 ans ; en Italie de celles qui avaient 38 ans. En France, seront concernées celles qui sont aujourd'hui âgées de 45 ans.
Enfin se pose la question de la conversion des droits acquis dans le nouveau système pour les générations concernées. Les droits acquis ont été convertis dans le nouveau système en Suède et en Norvège, avec une transition sur la base d'une pondération en fonction de l'année de naissance. Un système mixte a subsisté quinze ans en Suède, dix ans en Norvège. Il n'y a pas eu de conversion de droits acquis en Italie, la transition est très longue, les règles de calcul étant maintenues jusqu'à quarante-cinq ou cinquante ans après l'adoption du nouveau système. En France, il n'y a pas de conversion non plus. Les règles des quarante-deux régimes continueront de s'appliquer pour les droits acquis avant 2022 ou 2025, pour des générations qui partiront à la retraite vers 2070. Nous sommes donc plus proches du cas italien, ce qui pose problème, car les complexités liées aux multiples règles de notre système de retraite perdureront, même si leur poids va certes progressivement décroître.
En conséquence, la simplification du mode de calcul des pensions sera largement diluée dans le temps en raison de l'absence de conversion des droits acquis et de la décision de rendre le nouveau système applicable à partir de la génération de 1975, au lieu de 1963.
J'évoquerai maintenant les règles de calcul du nouveau régime. Je m'arrêterai sur deux points : l'indexation du coût d'achat et de la valeur du point et la prise en compte des évolutions de l'espérance de vie.
Il est très important pour la lisibilité du système et pour la confiance dans le système que les règles soient claires. Le système Agirc-Arrco est le seul qui repose sur des modes de valorisation largement discrétionnaires. Dans le nouveau système, le coût et la valeur du point devraient suivre la masse salariale ou l'assiette des cotisations, mais le choix a été fait d'utiliser une référence au salaire ou au revenu par tête. La différence entre le salaire et la masse salariale, c'est l'emploi. Cette différence n'est pas essentielle pour la France, compte tenu notamment des projections concernant la population en âge de travailler et surtout du fait que d'autres mécanismes viennent pallier ou compléter ce dispositif. L'Allemagne, la Suède, la Norvège utilisent les salaires, mais doivent prendre en compte les évolutions de la démographie qui affectent l'emploi, via d'autres mécanismes sur lesquels je reviendrai.
Ce qui est important, c'est que les règles soient claires et que le coût et la valeur du point suivent le même indice pour assurer une équité entre générations. Il semblerait, mais je ne suis pas sûr d'avoir compris l'ensemble des détails du projet de loi, que l'on souhaite à terme indexer le point sur le revenu par tête. La référence à une phase de transition jusqu'en 2045, avec une indexation initiale sur les prix, pose question. Cette architecture globale est assez peu transparente. Il vaudrait beaucoup mieux fixer une règle très claire applicable dès la mise en oeuvre de la réforme et que le montant en euros du coût initial et de la valeur initiale de service du point soit fixé en fonction de critères résultant d'un arbitrage entre montant des pensions et viabilité financière. On imagine que des taux de remplacement entre générations ont déjà été actés, mais tout est un peu confus, en tout cas pour moi.
La prise en compte de l'évolution de l'espérance de vie est essentielle pour la définition d'une règle par défaut. Deux options sont possibles. La première est de retenir l'âge comme référence de la valeur du point. C'est l'âge d'équilibre, qui prend en compte deux tiers des gains d'espérance de vie. Une indexation sur le revenu par tête est alors une bonne règle. La seconde, c'est de déterminer la valeur du point à un âge fixe, auquel cas il faut prendre en compte le taux de progression de l'espérance de vie à cet âge. En France, selon les projections, l'espérance de vie progresse en moyenne de 0,4 % par an à 62 ans ou 65 ans. Il faudrait donc indexer la valeur du point sur le revenu par tête ou le salaire, moins 0,4 %. La première option est probablement la plus claire, la plus transparente. Elle implique évidemment de lier l'âge d'équilibre à l'espérance de vie.
J'en viens au pilotage financier. Un système de retraite, même universel, même simplifié, ne peut pas être mis sur pilotage automatique. Des mécanismes d'ajustement complémentaires sont nécessaires. L'intérêt de choisir de bonnes règles d'indexation par défaut est que, si elles sont bien définies, il est très peu nécessaire de recourir à ces mécanismes d'ajustement, mais on ne peut pas en faire l'économie, un certain nombre d'aléas n'étant pas maîtrisables.
Ces mécanismes peuvent suivre deux logiques totalement différentes. Il peut s'agir d'assurer l'équilibre budgétaire de court terme, ce qui peut amplifier des crises économiques, ou de viser la solvabilité à long terme, tout en prenant en compte l'impact de phénomènes transitoires, via la constitution de réserves. Pour l'heure, la France hésite entre ces deux logiques.
L'article 55 du projet de loi distingue deux temporalités. La règle d'or impose de respecter l'équilibre sur cinq années glissantes et « une procédure de pilotage cyclique et indicative intervenant tous les cinq ans sur un horizon de quarante ans et plus ». J'avoue ne pas très bien comprendre ce que cela signifie et comment cette procédure peut être combinée avec la règle d'or. Or il convient d'être très précis. Le risque, bien entendu, si l'on se base sur une règle à long terme, est que des hypothèses de projection trop optimistes conduisent à accepter des déficits récurrents, à court ou à moyen termes, qui ne soient pas corrigés et qui entraînent des transferts entre générations difficilement justifiables. Cette crainte est probablement légitime, compte tenu de l'historique des soldes cumulés en France, mais la question est de savoir s'il est préférable de tenter d'éviter ce travers via des règles un peu « baroques » ou s'il ne vaut pas mieux opter pour une gouvernance plus solide. La question clef est celle de l'édification d'un cloisonnement net des comptes du système de retraite et des règles clairement définies, qui visent la solvabilité de long terme, mesurée de façon précise et indépendante, en tout cas largement autonome.
En résumé, premièrement, le choix du mode de la durée de transition dilue dans le temps les bénéfices de cette réforme essentielle. Deuxièmement, il est important de se doter de règles claires de valorisation du coût et de la valeur du point et d'éviter un modèle peu transparent, comme celui qui a prévalu pour l'Agirc-Arrco, lequel a reposé sur des règles discrétionnaires. La phase de transition pour l'indexation des valeurs d'acquisition et de service du point jusqu'en 2045 est difficile à justifier. L'autre option serait de caler les paramètres initiaux sur de bonnes valeurs permettant d'éviter cette transition. En revanche, il est important de lier l'âge d'équilibre à l'espérance de vie. Troisièmement, un mécanisme d'ajustement complémentaire est nécessaire et doit viser l'équilibre cumulé de long terme. La question importante, c'est la crédibilité de son utilisation, qui serait renforcée par la séparation claire des comptes du nouveau régime et l'indépendance des règles actionnant ce mécanisme.
On m'a demandé d'évaluer le projet de loi à l'aune des recommandations que j'ai faites dans le passé. En préambule, je dois dire, en tant qu'universitaire, qu'il me semble important de pouvoir faire part à des élus, à des responsables politiques et syndicaux, de mon analyse sur une politique publique, en l'occurrence le système de retraite, afin d'irriguer leurs réflexions et d'essayer de penser la façon dont une réforme peut être mise en place. Cela étant, je n'ai jamais pensé que mes analyses devaient être suivies à la lettre. Il est légitime, dans une démocratie sociale, que les choix effectués diffèrent des préconisations initiales. Ce qui me pose problème, c'est que je ne suis pas certain que les écarts constatés entre le projet de loi et mes propositions initiales correspondent au choix de la majorité du pays et de la démocratie représentative.
Il est paradoxal de me décrire comme l'inspirateur du système à points alors que je l'ai critiqué pendant une quinzaine d'années, que j'ai également critiqué les règles discrétionnaires mises en oeuvre à l'Agirc-Arrco, et que j'ai indiqué qu'il fallait fixer des règles permettant d'avoir confiance dans la valeur du point. L'ensemble de mes travaux m'ont conduit à préconiser plutôt la mise en oeuvre d'un système dont les droits sont en euros, permettant d'avoir des garanties claires sur l'accumulation progressive de droits à la retraite. Si le système à points est le choix majoritaire du pays, de nos représentants syndicaux, je ne trouve rien à y redire, mais il faut alors fixer des règles concernant la valeur du point. Il est important de s'assurer que l'instauration du point ne sera pas une façon de manipuler à d'autres fins le niveau des pensions de retraite.
Je rappelle que la France a choisi, à la fin des années 1980, d'indexer les retraites sur les prix afin de limiter la hausse des dépenses de retraite. Cela a été très efficace. En outre, cela a permis de faire baisser le niveau des retraites de manière invisible. Ce mécanisme est beaucoup plus puissant pour l'équilibre des comptes que l'ensemble des autres réformes qui ont été mises en place. Plus des deux tiers des effets financiers qui ont été obtenus sont dus à ce mécanisme d'indexation.
Ce mécanisme a deux conséquences très néfastes.
La première, c'est que l'équilibre du système est totalement dépendant de la croissance future. L'Insee et le Conseil d'orientation des retraites (COR) ont bien montré que l'équilibre et le niveau des pensions à long terme sont très dépendants de petites variations de la croissance. Si quelqu'un vous dit qu'il sait quel sera le taux de croissance en 2070, ne le croyez surtout pas ! L'objectif d'un système de retraite est de maintenir un niveau de vie des retraités par rapport aux actifs, quel que soit le taux de croissance à long terme. Les conséquences considérables de petites variations du taux de croissance à long terme sont sources d'incertitudes sur le niveau des pensions et sur l'équilibre financier de notre système. C'est un gros problème, qui n'est pas perçu par nos concitoyens, car il n'est pas très simple à comprendre.
La deuxième, c'est que cette indexation a des effets redistributifs mal maîtrisés. En prenant la moyenne des vingt-cinq meilleures années de la carrière, pondérée par l'inflation plutôt que par les salaires, on donne plus de poids au dernier salaire et moins aux salaires anciens. Mécaniquement, ceux qui ont des salaires élevés en fin de carrière ont des pensions plus importantes que ceux qui connaissent des fins de carrière difficiles. C'est le contraire de ce que l'on souhaite faire. Ceux qui ont des fins de carrière dynamiques sont aussi ceux qui sont le plus capables de décaler leur départ à la retraite. Ils sont avantagés par rapport à ceux qui ont de plus grandes difficultés en fin de carrière. Le poids donné à la fin de carrière est difficilement justifiable.
Le projet de loi prévoit de repousser la mise en oeuvre de la réforme pour certaines générations, mais aussi le passage à l'indexation des valeurs d'acquisition et de service du point sur les salaires à la fin des années 2040. L'effet correctif, qui était essentiel pour retrouver la maîtrise du pilotage et offrir des garanties plus solides sur les pensions, ne se produira donc qu'à un horizon assez lointain. Si le Gouvernement a choisi de procéder ainsi, c'est parce qu'il souhaite que la transition s'applique à des générations plus jeunes, mais également pour maintenir plus longtemps l'indexation sur les prix. Ainsi, si la croissance est suffisante, le niveau des retraites baissera, ainsi que celui des dépenses. Réduire les dépenses peut être un choix politique tout à fait responsable, mais, dans ce cas, il faut le dire et l'assumer.
Le retour à l'indexation sur les salaires à l'horizon 2045 est tout de même une bonne nouvelle, mais pourquoi l'étude d'impact n'en mesure-t-elle pas les effets au-delà de cette date, alors que les autres simulations vont au-delà de 2070 ? Pourquoi ne pas montrer que, à très long terme, la réforme portera enfin ses fruits ?
J'en viens à la fonction publique, où la retraite n'est calculée que sur 75 % de la rémunération, même si une partie des primes sont assujetties à de faibles cotisations par le régime additionnel de la fonction publique. Les taux des cotisations sont élevés sur les rémunérations, faibles sur les primes. Si on ajoute le fait que la structure démographique de la fonction publique est plus défavorable que dans le secteur privé et qu'elle s'aggrave dans le temps, on en arrive au gel du point d'indice et à l'augmentation des primes. En faisant cela, on baisse la rémunération relative des fonctionnaires peu primés, qui sont essentiellement les enseignants. Lorsqu'un gouvernement, quel qu'il soit, veut augmenter les rémunérations des fonctionnaires, il a le choix entre payer 75 % de cotisations sur le traitement ou 5 % sur les primes. Le choix est vite fait... On en arrive à des écarts dans la fonction publique qui ne sont pas soutenables. Va-t-on attendre que les enseignants soient payés au SMIC pour se rendre compte que le problème est majeur ? Tant que l'État continuera à ne pas prendre en compte un quart de la rémunération des fonctionnaires dans le calcul de leur retraite, on ne parviendra pas à le régler.
Si l'intégralité de la rémunération - primes et traitement - est prise en compte, comme le prévoit le projet de loi, et si un taux unique de cotisations de 28 % est instauré, cela entraînera mécaniquement une baisse des retraites des fonctionnaires peu primés, ou moins primés que la moyenne, et une hausse des retraites de ceux d'entre eux qui sont plus primés que la moyenne. Si vous voulez rendre cette transition acceptable, parce qu'elle est, à mon sens, nécessaire, l'État ne pouvant pas continuer à rémunérer ses agents sans payer de cotisations, il faut augmenter de façon très significative la rémunération des fonctionnaires peu primés, en particulier celle des enseignants. Or ces éléments sont renvoyés à d'autres lois et à d'autres négociations. Comment espérez-vous convaincre les enseignants qu'il ne s'agit pas là d'un marché de dupes ? On constate aujourd'hui un très fort sentiment d'abandon des enseignants, mais aussi des chercheurs, par la communauté nationale.
J'en viens à l'âge pivot. Il n'est pas nécessaire dans un système à points, car on n'a plus besoin de référence à une norme d'âge. Le Gouvernement argue qu'il est important de fixer des normes, des références. Je ne conteste pas du tout ce point, mais a-t-on besoin d'une norme d'âge unique pour tous et de donner au pays le sentiment que l'âge de départ sera le même pour tous ? L'objectif de la réforme était de mieux prendre en compte l'ensemble de la carrière et de permettre à ceux qui ont commencé à travailler tôt de partir plus tôt, avec une pension convenable.
J'avais proposé, avant le rapport Delevoye, de fixer un point de référence à taux plein, défini comme le taux de remplacement cible, le niveau de pension par rapport au dernier salaire. Une telle information est explicite. Le niveau d'une pension est individuel, il dépend de l'âge auquel vous avez commencé à travailler. Il n'y a rien de scandaleux à ce que ceux qui ont commencé à travailler tôt obtiennent plus de droits et partent plus tôt. On donne l'impression de vouloir revenir sur les dispositifs d'individualisation qui ont été mis en place progressivement.
En fait, deux réformes ont été annoncées, une réforme systémique, le système par points, et une réforme paramétrique, de nature financière, la mise en place de l'âge pivot dans le système actuel. Cette dernière mesure aura un impact sur l'âge effectif du départ à taux plein et donc sur l'équilibre des finances. Concrètement, les personnes qui pouvaient prendre leur retraite avant l'âge de 64 ans, grâce à leur durée d'assurance, subiront désormais une décote si elles partent avant cet âge. Celles qui devaient aller au-delà de cet âge, parfois jusqu'à 67 ans, pour bénéficier d'une retraite à taux plein pourront partir à 64 ans sans subir de décote. Le nombre de salariés touchés par le report de 62 à 64 ans étant plus important que celui des personnes concernées par la baisse de 67 à 64 ans, cela permettra de réduire les dépenses de retraite de façon substantielle à court terme.
La baisse de dépenses publiques de 0,9 point de PIB se décompose ainsi : 0,6 point provient de l'indexation des valeurs d'acquisition et de service du point sur les prix, et donc du report de la réforme systémique, et 0,3 point de l'instauration de l'âge pivot. Ces deux réformes se sont parasitées l'une l'autre dans le débat public.
Pour finir, j'évoquerai l'étude d'impact qui accompagne le projet de loi et sur laquelle je me suis déjà exprimé dans la presse. Je considère qu'elle est trop lacunaire pour que la représentation nationale puisse émettre un avis éclairé sur l'ensemble des incidences du texte qui lui est soumis. Je trouve cela dommageable, d'autant plus que cette réforme aurait pu - j'en reste persuadé - faire l'objet d'un plus large consensus.
L'absence d'évaluation de l'impact financier de la réforme, surtout depuis que le Gouvernement a annoncé la hausse des rémunérations des fonctionnaires percevant de très faibles primes, éveille des soupçons légitimes chez ceux qui pensent que la réforme coûtera très cher comme chez ceux qui considèrent que les fonctionnaires seront les grands perdants.
Je trouve que le débat public a introduit beaucoup de confusion au sujet des effets redistributifs du système universel. Je prendrai l'exemple de l'indexation des pensions sur les vingt-cinq meilleures années de carrière qui, en réalité, pénalise les plus bas salaires. Ce n'est pas forcément facile à comprendre, mais l'étude d'impact aurait dû aider à y voir plus clair. Le Gouvernement aurait également mieux fait de ne pas tenter de démontrer à tout prix que tout le monde sera gagnant, en mélangeant hausse des cotisations et élévation de l'âge de départ à la retraite, puisque tout le monde se doute bien que c'est impossible.
J'ai déjà parlé de la dépendance du futur système à la croissance économique. Alors que l'étude d'impact démontre les effets néfastes du pilotage du système actuel, pourquoi ne présente-t-elle pas une seule étude sur les progrès qui ont été malgré tout accomplis ?
J'aurais souhaité que le débat démocratique soit de meilleure qualité, qu'il révèle les défauts du système de retraite actuel et qu'il donne des pistes pour les corriger. J'espérais, à tort, que notre pays serait capable de dégager un consensus sur une réforme de très long terme, dont chacun pourrait être fier, ce qui est loin d'être le cas aujourd'hui.
Je vous fais cet aveu : pour la première fois depuis deux ans que la commission conduit des auditions sur ce texte - nous avons déjà entendu le haut-commissaire à la réforme des retraites, le ministre et plusieurs personnalités -, j'y comprends quelque chose...
Tout ce que les orateurs ont pu dire est fort utile. Cela fait effectivement deux ans que nous suivons pas à pas l'élaboration du projet de loi. Deux colloques particulièrement intéressants se sont déroulés au Sénat : ils nous ont fourni un certain nombre d'éclaircissements, même si cela reste insuffisant. Le sujet essentiel reste, selon moi, la valeur du point, car c'est cet indice qui donnera ou non confiance dans le futur système. Je partage complètement l'analyse de M. Bozio à cet égard.
D'après moi, il était facile de convaincre les Français que le système ne ferait pas de perdants à terme, notamment parce que le Gouvernement s'est engagé à prendre certaines mesures, comme la réforme des rémunérations des fonctionnaires ne touchant pas de primes. Le Gouvernement ne courait pas beaucoup de risques à annoncer qu'il n'y aurait que des gagnants. Il est bien dommage qu'il ne l'ait pas fait.
M. Askenazy a beaucoup parlé de la transition vers le nouveau système pour les fonctionnaires. La convergence des taux de cotisation est évidemment un sujet de préoccupation. Que faire pour que cette transition se passe bien ? Quelles mesures de compensation doit-on imaginer face à la diminution des « cotisations » de l'État ? Une compensation intégrale ou différée est-elle envisageable ? La réflexion doit porter sur l'effort que l'État devra consentir pour garantir un même niveau de pension à ces agents, notamment ceux qui ne touchaient pas de primes.
M. Boulhol a cité l'Agirc-Arrco. Pour moi, ce régime reste une référence, même si le montant des prestations résulte parfois de décisions un peu discrétionnaires. Le président du COR, Pierre-Louis Bras, me disait récemment que les gestionnaires de l'Agirc-Arrco avaient la vie facile parce que, de toute façon, les mesures d'âge ne dépendaient pas d'eux, ce qui n'est pas tout à fait exact, mais aussi parce qu'ils manipulaient la valeur du point. Les partenaires sociaux sont donc à la manoeuvre, mais je doute que leurs mandants, c'est-à-dire les salariés, comprennent vraiment ce qu'il se passe.
M. Bozio a évoqué la nécessité de définir des droits faisant référence à l'euro. Je pense, pour ma part, que l'essentiel est que la valeur du point soit clairement définie. En réalité, ce qui pose problème, c'est le mode de calcul de cette valeur.
J'aimerais aborder un autre sujet important, la constitution de réserves. Dans le cas de l'Agirc-Arrco, le niveau des réserves équivaut au versement de six mois de retraites. Certains estiment que de telles réserves ne seraient pas nécessaires dans le futur système et qu'il suffirait d'emprunter pour combler les déficits conjoncturels, les excédents suffisant à rembourser les sommes empruntées lorsque la conjoncture s'améliore. Je n'en suis pas si sûr. L'existence de la Caisse d'amortissement de la dette sociale (CADES) est d'ailleurs la preuve que le système n'est pas toujours vertueux. Est-il pertinent de prévoir des réserves et à quel niveau doit-on les fixer ? Des exemples étrangers pourraient-ils nous éclairer sur ce point ?
M. Bozio a insisté sur les aspects financiers de la réforme paramétrique, qui auraient perturbé la compréhension des enjeux entourant la réforme du système de retraite.
La mission confiée à M. Delevoye était claire : il s'agissait de définir un système plus juste et plus équitable. Malheureusement, d'autres considérations, davantage financières, sont apparues en 2019 : je rappelle que l'objectif du Président de la République est de réduire les dépenses publiques et, notamment, d'abaisser de trois points le taux de prélèvement. Il était tentant de se servir de la réforme des retraites comme d'un levier pour faire baisser les dépenses publiques. Je partage pleinement l'analyse de M. Bozio à ce sujet. Quelle transition pourrait-on envisager pour revenir à un système plus vertueux et redonner confiance aux Français dans le futur régime ?
Merci pour l'ensemble de ces interventions qui confirment l'analyse que notre commission, au nom de laquelle je m'exprime aujourd'hui, a faite jusqu'ici de ce texte.
On le voit bien, initialement, cette réforme visait la mise en oeuvre d'un modèle sociétal différent, avec la fixation d'un âge de départ à la retraite à soixante-deux ans, que compensait la mise en place d'un âge pivot. L'objectif était d'élaborer un système unique dont tout le monde pouvait bénéficier, ce qui est particulièrement compliqué.
Progressivement, nous avons hélas ! observé une dérive : on voit bien que Bercy a repris la main et que la réforme systémique est également devenue financière et paramétrique, ce qui a suscité la confusion la plus complète. Cette confusion a, du reste, été entretenue par la décision d'allonger la période de transition, puisque les premières générations concernées par la réforme liquideront leur retraite dans dix-sept ans, et non dans cinq ans comme initialement prévu. La réforme s'est également complexifiée au fil des mesures prises pour calmer la pression syndicale, que ce soit la compensation de la pénibilité ou la « clause à l'italienne ».
Ces modalités de compensation représentent un coût supplémentaire que personne n'a encore chiffré. Or, dans le nouveau système, plus vous prendrez des mesures qui auront pour effet d'abaisser l'âge de départ à la retraite de certaines personnes - on peut le comprendre quand il s'agit de compenser la pénibilité -, plus les autres devront travailler longtemps. À mon sens, il serait plus raisonnable de privilégier les dispositifs de prévention.
M. Askenazy a mentionné la prise en charge par les collectivités territoriales d'une partie des cotisations calculées sur les primes de leurs agents. Cette seule mesure coûtera 1,5 milliard d'euros. L'État, pour sa part, s'en sortira certainement à bon compte, puisque rien ne nous garantit que le secteur privé ne règlera pas l'addition. La compensation de la hausse des cotisations des indépendants, c'est-à-dire l'application d'un abattement de 30 % sur les bénéfices ou les rémunérations dans la future assiette, entraînera un coût supplémentaire de 2,6 milliards d'euros pour l'État. La clause à l'italienne, quant à elle, coûterait 5 milliards d'euros. Ma question est simple : quel est le coût global de cette réforme ?
Autre sujet : je suis de ceux qui pensent que, pour donner confiance dans le futur système, il faut garantir un niveau de réserves suffisant pour neutraliser les aléas économiques ou démographiques.
On n'a pas non plus abordé la question du plafonnement des cotisations à hauteur de trois fois le plafond de la sécurité sociale, alors que cette limitation déséquilibre complètement les régimes complémentaires actuels. En effet, lesdits régimes auront à verser des prestations pendant de nombreuses années à des personnes qui perçoivent des revenus supérieurs à trois fois le plafond de la sécurité sociale, mais n'encaisseront plus les cotisations qui lui seraient nécessaires. Ne serait-il pas judicieux de revoir ce dispositif ? Pourquoi plafonner le montant des cotisations, alors qu'elles donnent des droits à la retraite et contribuent largement aux mécanismes de redistribution vers les moins favorisés ?
Enfin, dans la mesure où le texte ne prévoit d'indexer la valeur du point sur le revenu moyen par tête qu'à partir de 2045, je crains que les carrières heurtées ne soient insuffisamment prises en compte. Partagez-vous cette inquiétude ?
Je fais miennes les interrogations de mes collègues. La commission des finances, au nom de laquelle j'interviens aujourd'hui, considère également que le caractère lacunaire de l'étude d'impact est problématique.
Ma première question porte sur le coût global de la réforme. On ne dispose pas réellement de données sur son impact financier. Il est quand même difficile pour un sénateur de voter ce texte de façon responsable, car il ne connaît ni le coût de la réforme globale ni celui des mesures prises individuellement.
De plus, comme le dit Antoine Bozio, les quelques projections dont on dispose s'arrêtent trop tôt. Il est impossible de comparer des simulations qui s'interrompent en 2050 avec les projections dont on dispose pour l'actuel système, celles du COR notamment, pour lesquelles les effets sont analysés jusqu'en 2070, voire ultérieurement.
Il nous manque également l'estimation du coût de l'intégration des primes des fonctionnaires dans l'assiette de calcul des cotisations. Le ministre de l'éducation nationale, Jean-Michel Blanquer, évalue cette mesure à 10,5 milliards d'euros pour les seuls enseignants. Vous nous avez livré quelques estimations, notamment pour les agents relevant de la CNRACL, mais, en réalité, nous ne disposons pas de la totalité des chiffres, notamment pour les catégories A et A+ qui ont le plus de primes. Je partage évidemment les inquiétudes exprimées à propos des catégories B et C, qui seront probablement lésées.
Si la part des pensions dans le PIB reste à 13,8 %, ce sont mécaniquement les salariés du privé qui trinqueront. Si la réforme avait été menée à périmètre constant, cela aurait été différent. La donne change parce que l'on prévoit d'intégrer les primes des fonctionnaires dans la base de calcul des pensions.
La réforme est censée renforcer l'équité du système de retraite. Pourtant, les agents de certains régimes spéciaux bénéficieront d'une période de transition de quinze ou vingt ans avant que leur régime ne disparaisse. Dans le même temps, d'autres salariés, qui ne coûtent pourtant rien à l'État aujourd'hui, basculeront directement dans le système universel. Cette différence de traitement pose un problème d'équité, mais aussi financier, parce que le coût de la transition des régimes spéciaux de la SNCF et de la RATP vers le futur système n'est pas négligeable. Ces régimes souffrent en effet d'un déséquilibre démographique et accordent des avantages spécifiques, dont le coût avoisine 1 milliard d'euros par an.
Dernière observation, l'espérance de vie en bonne santé ne progresse plus. J'aimerais connaître le coût global pour les finances publiques de cette réforme dans un contexte où le coût de la dépendance reste inconnu. On a compris que le pouvoir d'achat relatif des retraités devrait baisser de 25 % dans les décennies à venir : si la dépendance est peu ou mal financée, comment les futurs retraités s'en sortiront-ils ? À quel niveau fixer le pouvoir d'achat des futurs retraités ? Il est de notre responsabilité de répondre à ces questions.
Ma première observation porte sur le changement de philosophie qu'implique ce texte. Le Conseil national de la résistance avait élaboré un système dans lequel chacun contribuait selon ses moyens et recevait selon ses besoins. Avec le système universel par points, c'est fini ! Le nouveau système redonnera à ceux qui ont payé ce qu'ils ont versé. Il ne prévoit plus véritablement de mécanismes de redistribution. Il faut savoir que, dans le système actuel, les plus bas salaires perçoivent un revenu de remplacement qui représente près de 75 % de leur ancien salaire, contre 50 % pour les cadres, ce qui prouve que notre régime était redistributif.
M. Askenazy a affirmé que les cotisations réglées par l'État employeur passeront de 74 % à 28 %. Il se trompe : elles s'élèveront à 17 %, ce qui représente plusieurs milliards d'euros en moins. On se demande vraiment comment le nouveau système compensera cette perte de ressources. Même si la transition est progressive, les sommes en jeu sont en effet considérables. Autre exemple, le plafonnement du montant des cotisations des cadres s'appliquera tout de suite, alors que les prestations versées resteront à leur niveau antérieur pendant un certain temps : cette disposition créera un déséquilibre de 4 à 5 milliards d'euros. Nous aimerions véritablement obtenir des informations sur le coût global de la réforme pour l'État et, par conséquent, pour la Nation.
M. Bozio a aussi indiqué que la remise en cause de la règle des vingt-cinq meilleures années ne serait pas forcément désavantageuse, mais il a conditionné son analyse à la revalorisation des pensions sur le niveau de l'inflation. Selon moi, cette règle avait quand même le mérite de contribuer à une sorte de péréquation en gommant les plus mauvaises années d'une carrière.
Comparons la situation d'un salarié qui serait ingénieur depuis l'origine et percevrait un salaire élevé tout au long de sa carrière et celle d'un salarié, qui aurait démarré comme technicien puis exercé le métier d'ingénieur pendant vingt-cinq ans après avoir suivi une formation continue. Dans le nouveau système, le second sera très pénalisé par rapport au premier tandis que, dans le système actuel, les deux toucheraient la même retraite. Autrement dit, le futur système par points pénalise ceux qui font l'effort de se former, mais avantage ceux qui font des grandes écoles c'est-à-dire, compte tenu de la sociologie de ces écoles, ceux qui sont nés avec une cuillère en argent dans la bouche.
Ma première question concerne les fonctionnaires d'État, dont les cotisations baisseront considérablement, ce qui créera forcément un manque à gagner extrêmement important pour nos régimes de retraite. Comment compensera-t-on cette disposition ? Qui paiera ?
Ma seconde question, plus précise encore, a trait au coût et à la valeur du point. Monsieur Bozio, j'ai cru comprendre que, à partir de 2050, le point serait indexé sur les salaires. Est-ce bien cela ou l'indexation se fait-elle sur le fameux revenu moyen par tête, dont on ne connaît pas encore bien les contours ? J'avoue très modestement ne pas avoir très bien saisi comment le système fonctionnera dans l'avenir.
Merci pour ces questions. Hélas, je crains qu'aucun d'entre nous ne soit capable de vous communiquer le coût global de la réforme.
En ce qui concerne le coût de la transition du régime des fonctionnaires vers le nouveau système par points, je prendrai l'exemple du CNRS.
D'après mes calculs, si mes revenus ne sont pas revalorisés, le montant de ma retraite sera réduit d'un tiers. Pour compenser cette perte, il faudrait que ma rémunération augmente de 50 %. Or, comme l'a rectifié le sénateur Jean-Louis Tourenne, le taux de cotisation de mon employeur, le CNRS, passera de 74 % à 17 %. À budget constant, on pourrait donc y arriver, dans la mesure où les rémunérations des agents du CNRS augmenteront parallèlement à la diminution des cotisations. Reste le problème du financement des retraites des fonctionnaires déjà pensionnés auquel je n'ai pas de solution à apporter.
Sur un plus court terme, les fonctionnaires nés après 1975 cotiseront dès 2025 sur l'ensemble de leurs revenus. Ils verront donc leur rémunération nette baisser. Il sera de la responsabilité de leur employeur de compenser ou non cette perte de ressources.
Tel que le système est établi, l'âge d'équilibre risque d'accroître très fortement les inégalités au sein de la fonction publique. Un magistrat de la Cour des comptes, qui perçoit des primes élevées, dont l'espérance de vie est très longue, et dont l'âge de départ à la retraite est de soixante-huit ans verra sa retraite sensiblement augmenter grâce à l'âge pivot. À l'inverse, un agent de catégorie C dans une collectivité territoriale, qui partirait à la retraite à soixante-deux ans, connaîtra une perte de revenus importante si aucune mesure relative à la pénibilité n'est prise.
Peut-être que la solution consiste à différencier les âges d'équilibre selon les situations. Dans l'exemple précédent, on fixerait un âge pivot à soixante-huit ans pour les magistrats de la Cour des comptes et à soixante-deux ans pour les agents de catégorie C, afin de tenir compte de la pénibilité et de l'espérance de vie en bonne santé.
En tout cas, il est indispensable de mener une réflexion sur la prévention, notamment dans les fonctions publiques. La généralisation de l'accès à une retraite progressive pour les fonctionnaires est de ce point de vue une bonne chose.
Dans la mesure où la pérennité financière du régime est garantie, l'Agirc-Arrco est effectivement bien géré, monsieur le rapporteur général. Cela étant, vous avez vous-même parlé de la manipulation de la valeur du point par les partenaires sociaux, ce qui laisse supposer que les règles ne sont pas claires. Or l'un des enjeux du futur système universel, c'est précisément que les salariés puissent clairement s'y retrouver et anticiper le montant de leurs futurs droits à la retraite. L'exigence de clarté est primordiale pour ce nouveau régime unique.
Comme l'a dit Philippe Askenazy, je ne m'aventurerai pas à évaluer le coût global de la réforme. En revanche, je confirme que la baisse du taux effectif de cotisation des employeurs publics est un sujet très important : il s'agit d'un angle mort de la réforme, pour lequel des compensations doivent être envisagées.
Dans un contexte où l'on cherche à renforcer la transparence de la gestion financière du système de retraite, il est logique de prévoir un niveau de réserves suffisamment élevé pour gérer, non seulement des chocs transitoires, qui sont parfois longs comme le baby-boom, mais aussi des aléas de court terme. Pour donner un ordre de grandeur, en Suède, les réserves du système de retraite équivalent à 30 points de PIB ; au Canada, les réserves du système public de retraite atteignent entre 25 et 30 points de PIB ; aux États-Unis, ces réserves s'élèvent à 14 points de PIB. Ces chiffres sont à comparer avec ceux de la France, où le niveau des réserves s'élèverait à 5 ou 6 points de PIB.
Je veux aussi aborder la question du plafonnement des cotisations. Dans certains pays, il n'existe pas de plafond : les individus cotisent sur l'ensemble de leurs revenus, sans aucune limite. Mais parmi les pays ayant défini un plafond, la France fait figure d'exception avec un seuil de revenus, qui est fixé à huit fois le plafond annuel de la sécurité sociale (PASS). C'est un record parmi les pays de l'OCDE, dont la majorité fixe ce seuil à deux ou trois fois le salaire moyen national, ce à quoi correspond le PASS en France.
En créant un système qui associe étroitement les cotisations et les droits à la retraite, on peut cependant estimer que cette question deviendra secondaire, car l'argent cotisé créera des droits qui seront collectés plus tard.
Un système dans lequel certaines personnes perçoivent des retraites très élevées, après avoir perçu des salaires très élevés eux aussi, tout en bénéficiant d'une espérance de vie plus importante que la moyenne, peut être qualifié de régressif ou d'anti-redistributif, car il y a une quasi-corrélation entre l'espérance de vie et la catégorie socioprofessionnelle d'appartenance. C'est pourquoi nous sommes favorables à l'abaissement du plafond de cotisations, qui passerait de huit à trois fois le montant du PASS. Cela étant, comme vous l'avez indiqué, une telle disposition pose un problème financier, puisque l'on se prive de cotisations pendant une très longue phase de transition.
Enfin, M. Tourenne a défini le système actuel comme un régime donnant à chacun selon ses besoins. À mon sens, le principe n'est pas si clairement défini : le système actuel prévoit un minimum contributif, mais ses effets redistributifs sont infimes. Je ne perçois pas de réel changement de philosophie. Il s'agit davantage, de ce point de vue, d'un changement de règles de calcul.
Je dispose des mêmes documents publics que chacun d'entre nous. Je n'ai donc pas plus d'informations que vous sur le coût global de la réforme.
Selon l'étude d'impact, la part des pensions passerait de 13,8 % à 12,9 % du PIB, ce qui représente une baisse de 0,9 point des dépenses publiques. Cela ne reflète cependant pas le coût des mesures prises récemment, en particulier la hausse des rémunérations des fonctionnaires sans primes. Ces chiffres ne tiennent pas compte des compensations annoncées ultérieurement par le Gouvernement. On aimerait connaître l'effet net de l'ensemble des mesures liées à la réforme, afin de dissiper les doutes et de clarifier les interprétations contradictoires.
En ce qui concerne les réserves, je suis d'accord avec Hervé Boulhol. Le corollaire d'un système de retraite, dont la gestion serait relativement autonome et largement confiée aux partenaires sociaux, c'est la constitution de réserves à un niveau suffisant pour assumer des chocs inattendus et garantir le niveau des pensions. À défaut, il faudra revenir sur les droits à la retraite, la valeur du point et la règle d'or, pourtant essentiels pour convaincre de l'utilité du système.
Permettez-moi une confidence : en tant qu'économiste, j'ai été très surpris par la réaction de certains hauts fonctionnaires qui certifient que l'État ne sait pas bien gérer les réserves. En réalité, la réflexion est « maastrichienne » : en vertu des règles européennes, les sommes tirées d'un fonds de réserve pour gérer un aléa sont comptabilisées comme du déficit. C'est pourtant absurde, car cela contrevient aux politiques contracycliques, qui prévoient de faire jouer les stabilisateurs automatiques, comme le niveau des pensions de retraite.
Dans les cercles d'experts et chez les partenaires sociaux, il existe un consensus autour de l'idée que le système actuel comporte des effets redistributifs, mais que ceux-ci sont liés aux dispositifs non-contributifs, c'est-à-dire le fait d'accorder des droits pour compenser les périodes d'inactivité, de chômage ou de maladie, ou encore le minimum vieillesse, le minimum contributif, des droits familiaux, etc. La simple combinaison de la prise en compte des vingt-cinq meilleures années et de l'indexation de la valeur du point sur les prix conduit en revanche à une augmentation des inégalités.
Le cas présenté par M. Tourenne tout à l'heure est marginal : au cours de leur carrière, la plupart des ingénieurs voient leurs salaires augmenter plus rapidement que ceux des ouvriers. En réalité, le système favorise avant tout les individus qui ont les salaires les plus élevés, et non les carrières ascendantes au détriment des autres.
Nous sommes d'accord. Mon exemple n'est néanmoins pas infirmé par votre démonstration.
En effet, il y aura bien des perdants dans le nouveau système. Je dis simplement qu'il faudrait trouver une formule de calcul pour aider les personnes percevant les pensions les moins élevées.
Pour les carrières heurtées, le fait d'accorder des trimestres supplémentaires peut être contreproductif et pénalisant quand la règle des 25 meilleures années s'applique. Cela peut en effet entraîner la baisse du niveau des pensions. Il serait plus efficace d'accorder des droits spécifiques pour les personnes ayant des carrières hachées plutôt que de retenir une règle de calcul fondée sur les meilleures années.
Je suis très attaché à la philosophie du CNR : il s'agissait de fixer les mêmes règles pour tous les salariés. Croyez-vous vraiment que la création de régimes autonomes et la logique du chacun pour soi s'inscrivent dans l'esprit du CNR ?
Je voulais simplement souligner la proximité entre la philosophie du CNR et ma proposition d'un système universel de retraite.
Autre sujet, la suppression des cotisations au-delà de trois fois le plafond de la sécurité sociale, contre huit fois aujourd'hui. Le principal problème concerne la phase de transition, qui a un coût. Si l'on fait payer le coût de cette transition aux salariés dont les rémunérations n'excèdent pas trois PASS, soit 99 % de la population active, on peut s'attendre à ce qu'ils soient mécontents. Nous manquons de données chiffrées pour évaluer cette mesure. Toutefois, cette question est légitime et relève d'un choix politique.
Pour répondre à Madame Lubin, enfin, l'étude d'impact précise que les simulations proposées reposent sur une transition très progressive de l'indexation de la valeur du point des prix vers les salaires à l'horizon de 2047.
Oui, l'indexation se fera sur le revenu moyen par tête, même si l'on ne sait pas bien ce que cette notion recouvre. La transition serait très lente, puisqu'elle s'étalerait sur une période de vingt ans.
Je remercie l'ensemble de nos invités. La commission sera certainement amenée à auditionner d'autres personnalités sur le sujet.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 12 h 30.