Intervention de Jacky Deromedi

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 4 mars 2020 à 10h40
Proposition de loi relative aux français établis hors de france — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Jacky DeromediJacky Deromedi, rapporteur :

La proposition de loi vise à apporter des réponses concrètes aux difficultés rencontrées par les Français de l'étranger. Cinq domaines sont couverts : la représentation politique, les actes notariés, le réseau éducatif, la protection sociale et le régime fiscal.

À titre liminaire, je tiens à remercier le rapporteur pour avis de la commission des finances pour son écoute et son travail sur ce sujet d'une grande complexité.

Cette proposition de loi s'inscrit dans la continuité des travaux du Sénat. Elle s'inspire notamment des préconisations du rapport d'information de juin 2015 de Christophe-André Frassa et de Jean-Yves Leconte sur les premiers enseignements de la loi du 22 juillet 2013 relative à la représentation des Français établis hors de France.

Je commencerai par dresser un rapide panorama de la communauté française à l'étranger.

Aujourd'hui, 1,7 million d'expatriés sont inscrits sur le registre des Français établis hors de France, soit une augmentation de 18 % depuis 2011. Cette statistique présente toutefois des limites car les expatriés n'ont pas l'obligation de s'inscrire au registre. On évalue, en réalité, à 2,5 millions le nombre de Français établis hors de France, sans compter les 25 millions de compatriotes qui voyagent chaque année dans un pays tiers.

Le premier motif d'expatriation reste le travail, devant les raisons familiales, l'appétence pour les voyages et les études. Au moment de leur départ, seuls 15 % des expatriés envisagent de rester plus de vingt ans dans leur pays d'accueil.

Loin des stéréotypes, les Français de l'étranger participent au rayonnement international du pays, que ce soit sur le plan économique, culturel ou linguistique. À cet égard, 206 postes consulaires sont chargés de les accompagner dans leurs démarches, constituant ainsi l'un des premiers réseaux consulaires au monde.

Les Français de l'étranger rencontrent des difficultés dans leur vie quotidienne, dont certaines se sont aggravées au cours des dernières années.

Dans la plupart des cas, l'éducation constitue leur première source d'inquiétude, malgré le travail de l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger (AEFE). Contrairement aux écoles de métropole, les familles doivent s'acquitter de frais de scolarité qui s'établissent, en moyenne, à 5 300 euros par an. Les bourses de l'AEFE revêtent donc une importance particulière pour les familles les plus modestes.

Du fait de leur éloignement, les Français de l'étranger subissent aussi une forme de fracture démocratique. Lors du premier tour de l'élection présidentielle de 2017, leur taux d'abstention s'est élevé à 55 %, contre 21 % sur le territoire national.

Les questions sociales et fiscales constituent également un enjeu majeur. Jérôme Bascher évoquera certainement les réformes de l'impôt sur le revenu, dont les effets de bord inquiètent toujours nos compatriotes.

Dans l'esprit de la proposition de loi, je souhaite mentionner les problèmes concrets que les Français peuvent rencontrer lorsqu'ils vivent à l'étranger.

À titre d'exemple, les expatriés ne bénéficient d'aucune réduction d'impôt lorsqu'ils font des dons aux associations. Ils doivent également restituer leur carte vitale et, le cas échéant, adhérer à une caisse de sécurité sociale à adhésion volontaire, comme la Caisse des Français de l'étranger.

Leurs démarches administratives sont également d'une grande complexité. Les numéros verts mis en place par l'administration sont inaccessibles depuis l'étranger, tout comme le service d'identification FranceConnect.

Au fil de la diminution des effectifs, les ambassades et les consulats renoncent à certains de leurs services. Ils refusent, par exemple, d'établir des actes notariaux, alors que cette compétence est prévue par la convention de Vienne du 24 avril 1963. Les expatriés se retrouvent dans un véritable labyrinthe : ils doivent faire appel à plusieurs professionnels étrangers, puis faire traduire l'acte en français, avant de solliciter sa légalisation auprès des autorités françaises. La plupart sont perdus face à tant de complexité. Ceux qui en ont les moyens préfèrent rentrer brièvement en France pour faire établir leurs actes notariaux.

Nous rencontrons les mêmes difficultés pour les certificats de vie, que les retraités établis hors de France doivent fournir à leur caisse de retraite. Les expatriés doivent désormais s'adresser aux autorités de leur État de résidence pour faire viser leur certificat, en espérant qu'il existe un formulaire traduit dans la langue du pays d'accueil.

La proposition de loi s'inspire directement des remontées de terrain que nous recevons en tant que parlementaires. Son objectif est clair : apporter des solutions concrètes aux difficultés rencontrées par les Français établis hors de France. J'y suis, sans surprise, très favorable, tout comme les associations représentant les Français de l'étranger que j'ai pu entendre en audition. Je vous proposerai, en tant que rapporteur, plusieurs amendements afin de sécuriser le texte et de compléter son dispositif.

Concernant la représentation des Français de l'étranger, je rappelle que le Président de la République avait chargé Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d'État auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, de lancer une concertation pour simplifier le régime actuel. Ce travail n'a toutefois débouché sur aucune proposition concrète, malgré plusieurs mois de réunion.

En l'absence d'initiative gouvernementale, la proposition de loi comprend plusieurs dispositions pour améliorer le régime électoral des conseils consulaires et de l'Assemblée des Français de l'étranger (AFE). Elle s'inspire de la proposition de loi de Christophe-André Frassa, qui nous avions adoptée en janvier 2019.

Il s'agit, en particulier, de conforter les conditions d'exercice des mandats de conseiller des Français de l'étranger et de membre de l'AFE, en particulier pour la prise en charge des frais de transport ou la définition de l'ordre protocolaire.

Ces dispositions me donnent l'occasion de saluer le travail des élus représentant les Français de l'étranger, qui s'investissent quotidiennement pour accompagner nos compatriotes expatriés.

Je proposerai plusieurs mesures complémentaires, notamment pour prendre en compte l'exercice de ces mandats dans la validation des acquis de l'expérience (VAE) ou encore pour favoriser l'accès au télétravail. Je reprendrai également une proposition du rapport d'information que nous avions rédigé en octobre 2018 avec Yves Détraigne sur le vote électronique : le Gouvernement aurait l'obligation de consulter l'Assemblée des Français de l'étranger lorsqu'il envisage de ne pas autoriser le vote par internet pour les élections législatives.

À l'inverse, je proposerai de supprimer des dispositions déjà satisfaites par la loi du 27 décembre 2019 relative à l'engagement dans la vie locale et à la proximité de l'action publique, qui confie la présidence des conseils consulaires à un membre élu. Je remercie d'ailleurs les rapporteurs de ce texte, Mathieu Darnaud et Françoise Gatel, pour leur appui en commission mixte paritaire.

Concernant les démarches administratives des Français de l'étranger, la proposition de loi tend à faciliter la rédaction des actes authentiques pour éviter aux expatriés d'avoir à rentrer en France pour se rendre dans un office notarial. Je proposerai un amendement pour sécuriser cette mesure. À titre expérimental, les personnes résidant hors de France pourraient recourir à des dispositifs de visioconférence, l'acte authentique étant établi à distance par un notaire français. Cette initiative est soutenue par le Conseil supérieur du notariat (CSN), que j'ai auditionné en présence de Jean-Yves Leconte.

La proposition de loi permet, en outre, de simplifier la délivrance des certificats de vie. Les retraités résidant hors de France pourraient se présenter à l'ambassade, au consulat ou dans une mairie française pour obtenir le visa de l'administration.

En matière d'éducation, le texte propose de prévoir des bourses pour l'accueil des enfants en situation de handicap. Ce dispositif couvrirait les écoles de l'AEFE, mais également des établissements tiers, lorsque l'enfant n'a pas pu être accueilli dans le réseau de l'agence.

Je pense, plus globalement, que nous devons encore progresser dans l'accompagnement des expatriés en situation de handicap. Il est parfois difficile pour les maisons départementales des personnes handicapées (MDPH) d'appréhender les spécificités des Français de l'étranger, notamment lorsqu'ils doivent préparer leur retour sur le territoire national.

Enfin, la proposition de loi comprend plusieurs articles relatifs à la protection sociale. Elle tend à exonérer l'ensemble des non-résidents de la contribution sociale généralisée (CSG) et de la contribution pour le remboursement de la dette sociale (CRDS) sur les revenus du patrimoine et des produits de placement perçus en France. Cet article mettrait fin à une inégalité de traitement entre les personnes établies dans l'Union européenne, qui bénéficient déjà de cette exonération, et celles qui sont établies dans un pays tiers, aujourd'hui soumises aux prélèvements sociaux. Il s'agit certainement de la mesure ayant fait le plus consensus au cours de mes auditions, à l'exception, bien entendu, des représentants du Gouvernement.

La proposition de loi revient également sur une difficulté créée par la loi du 22 décembre 2018 de financement de la sécurité sociale pour 2019. La sécurité sociale prendrait en charge les soins dispensés aux retraités percevant une retraite française et séjournant temporairement en France, même lorsqu'ils ont cotisé moins de 15 ans au régime français.

D'apparence technique, cette mesure me paraît essentielle pour que les retraités établis hors de France puissent être soignés dans de bonnes conditions. À moyen terme, il conviendrait de l'étendre aux conjoints des retraités, mais nous aurions besoin de l'accord du Gouvernement, en application des règles de recevabilité financière de l'article 40 de la Constitution.

Jérôme Bascher développera les questions fiscales, la commission des finances s'étant réunie ce matin même pour examiner son rapport.

Mes chers collègues, je vous invite à adopter cette proposition de loi ambitieuse et attendue par les Français de l'étranger. Le Sénat a toujours oeuvré pour apporter des solutions concrètes à nos compatriotes expatriés. Je ne doute pas qu'il continuera dans cette voie jusqu'à l'examen du texte en séance publique, prévu le mardi 31 mars prochain.

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