Nous nous étions revus récemment encore, en janvier de cette année, lorsque le Président de la République lui avait remis les insignes d’officier dans l’ordre de la Légion d’honneur, ordre dans lequel je l’avais moi-même reçu en 2011 – je l’avais décrit alors comme un « républicain absolu ».
J’étais présent, avec vous, madame la garde des sceaux, et avec nos collègues du département du Puy-de-Dôme, à la cérémonie d’adieu organisée mercredi dernier à Puy-Guillaume, à laquelle ont assisté de nombreuses personnalités.
Figure de notre vie politique, Michel Charasse était un serviteur passionné de la République, qui constituait pour lui la référence essentielle et dont il prônait inlassablement les valeurs. C’est autour de ses indéfectibles convictions républicaines que se sont articulés tous les grands engagements de sa vie publique, comme élu local, comme conseiller du Président de la République François Mitterrand, comme ministre, comme sénateur ou comme juge constitutionnel.
Profondément attaché à la liberté individuelle, et tout particulièrement à la liberté de conscience, c’était un défenseur intransigeant de la laïcité. Les règles républicaines devaient selon lui s’appliquer d’une manière égale à tous, sans distinction d’origine, de croyances, d’intérêts ou de communautés, uniformément sur le territoire de la République, une et indivisible.
La fraternité s’incarnait chez lui par une grande fidélité en amitié et une générosité qui s’illustra notamment par son soutien constant aux Restos du cœur.
Sa forte personnalité, parfois atypique, souvent truculente, sa passion pour la chasse et les moments de convivialité attablés, son indépendance d’esprit, sa liberté de parole, sa cohérence et sa détermination dans l’expression de ses opinions, son humour parfois provocateur ont laissé un souvenir marquant et durable dans notre assemblée, où il siégea pendant nombre d’années.
C’était aussi un travailleur acharné, qui fit bénéficier le Sénat de ses compétences de fin juriste et de son expérience du monde parlementaire.
Il était né le 8 juillet 1941 à Chamalières, dans le département du Puy-de-Dôme, auquel il restera toujours fidèle, d’une mère corse et d’un père auvergnat, tous deux salariés de la Banque de France et militants syndicaux.
Titulaire d’une licence en droit et d’un diplôme de l’Institut d’études politiques de Paris, il commença sa carrière au service de l’État comme attaché d’administration centrale au ministère de l’économie et des finances.
Engagé en politique dès l’âge de 21 ans, par son adhésion à la SFIO, il s’immergea très vite dans le monde parlementaire en travaillant à l’Assemblée nationale comme assistant de plusieurs députés, puis comme secrétaire général adjoint du groupe socialiste, où il devint un expert du droit constitutionnel, de la procédure parlementaire et des finances publiques.
Après un premier et bref mandat électoral en Corse, Michel Charasse fut élu maire de Puy-Guillaume, dans le Puy-de-Dôme, en 1977. Constamment réélu par la suite, il conservera ce mandat pendant trente-trois ans. Profondément enraciné dans son territoire auvergnat, il fut aussi conseiller régional pendant huit ans et conseiller général, vingt-deux ans durant, du canton de Châteldon.
En 1981, Michel Charasse fit son entrée au Sénat ; il remplaçait Roger Quilliot, devenu ministre. Réélu sénateur en 1992 et en 2001, il ne quittera plus notre assemblée jusqu’à sa nomination au Conseil constitutionnel en 2010, hormis, bien sûr, les quatre années où il exerça des fonctions ministérielles, entre 1988 et 1992.
De 1981 à 1995, parallèlement à ses fonctions de sénateur, il fut aussi et surtout un très proche et confiant conseiller du Président de la République. Alors installé à l’Élysée, où il passait la majeure partie de son temps, il fit preuve jusqu’au bout d’une fidélité et d’un dévouement sans faille envers le Président Mitterrand.
Ministre chargé du budget de 1988 à 1992, Michel Charasse fut l’un des titulaires les plus endurants de ce poste exposé. Son passage y fut notamment marqué par le renforcement de la lutte contre la fraude fiscale, le rétablissement de l’impôt sur la fortune, la normalisation de l’imposition des élus ou encore la modernisation de la fiscalité locale.
Au Sénat comme au ministère de l’économie et des finances, l’action de Michel Charasse fut caractérisée par son souci du respect des règles d’utilisation des deniers publics.
Il fut un membre éminent, assidu et écouté, de notre commission des finances, où il s’illustra tout particulièrement comme rapporteur spécial des crédits de l’aide au développement. Il conféra toute sa portée aux prérogatives de contrôle « sur pièces et sur place », en effectuant un certain nombre de missions à l’étranger, notamment en Afrique, dont il était devenu un grand connaisseur.
Après avoir été secrétaire du Sénat de 1995 à 1998, puis membre de la commission spéciale chargée de vérifier et d’apurer les comptes, Michel Charasse exerça, de 2001 à 2004, l’importante responsabilité de questeur du Sénat ; dans ce cadre, il se montra un gardien très attentif de l’autonomie de notre assemblée.
En 1999, il joua par ailleurs un rôle marquant au sein de la commission d’enquête sénatoriale sur la conduite de la politique de sécurité menée par l’État en Corse.
Au long de ses mandats sénatoriaux, il se distingua en outre par ses prises de position affirmées sur les questions concernant la justice et les relations avec les juges, en se prononçant notamment en faveur du maintien des liens entre la Chancellerie et le parquet, ou en faisant valoir l’immunité parlementaire pour refuser de déférer à des convocations adressées par des juges – nous en avons quelques souvenirs.
Attaché au bicamérisme, Michel Charasse se plaisait à souligner l’excellence du travail législatif du Sénat, considérant que « Les textes qui sortent de cette maison sont imprégnés de bon sens et de [la] pratique du terrain ».
En 2010, Michel Charasse, reconnu depuis longtemps comme un grand spécialiste du droit constitutionnel, fut nommé membre du Conseil constitutionnel par le Président de la République Nicolas Sarkozy. Il déclarait alors, dans un entretien au Monde : « Je suis un homme libre et indépendant, qui sert la République, qui sert ses institutions et veut les préserver dans ce qu’elles ont de plus fondamental pour l’équilibre de la France. » Nul doute qu’il aura été fidèle à cet engagement ; je me souviens d’ailleurs – j’étais présent – qu’il rappela ces principes à son départ du Conseil constitutionnel.
Au nom du Sénat, je souhaite rendre aujourd’hui un hommage solennel à un grand serviteur de l’État, à un grand républicain, à une figure marquante de notre vie politique et parlementaire.
À son épouse Danièle, à ceux qui ont partagé ses engagements, je souhaite redire la part que le Sénat prend à leur deuil.
Michel Charasse était une figure qui restera présente dans cet hémicycle.