Monsieur le président, madame, monsieur les secrétaires d’État, mes chers collègues, accélération et simplification : deux principes devant guider l’action publique et le service au public auxquels nous ne pouvons que souscrire a priori. Force est de constater, pourtant, que le Gouvernement a une fâcheuse tendance à ne les appliquer que de manière parcellaire.
Du point de vue purement formel, il semble impossible de contester la volonté d’accélération de l’exécutif : le Sénat a disposé de seulement deux semaines pour examiner un texte qui touche aux secteurs régaliens, à la santé, à l’économie, à la culture et à bien d’autres domaines encore… Comme pour d’autres débats, nous sommes non plus dans l’accélération, nous dans la précipitation.
Il est vrai que ce projet de loi nous a été présenté comme comprenant des dispositions de bon sens, presque anodines, simples, pour reprendre un terme mis en exergue. Or il n’en est rien ! Rappelons qu’il contient cinquante articles, dont la plupart, loin d’être évidents, suscitent de nombreux et difficiles questionnements, eu égard aux thématiques abordées, à leurs incidences potentiellement importantes, très inégalement justifiées et mesurées dans l’étude d’impact.
Vous comprenez donc, mes chers collègues, que ce projet de loi dit de « simplification » n’est aucunement d’un abord aisé. L’exercice d’analyse est d’autant plus délicat que ce texte est dépourvu de colonne vertébrale et qu’il s’agit –pardonnez-moi l’expression – d’un véritable « fourre-tout », où se retrouvent des dispositions législatives précédemment rejetées ou même censurées que le Gouvernement souhaite faire passer. Soit ! Après tout, d’excellentes mesures peuvent avoir été retoquées, car considérées comme des cavaliers législatifs. Reste à questionner leur pertinence au regard des objectifs assignés à ce projet de loi, en l’occurrence l’accélération et la simplification de l’action publique.
Interrogeons-nous tout d’abord sur ces finalités : si elles sont recherchées, c’est, en théorie, pour améliorer l’efficacité de l’action publique. Mais, concrètement, que signifie une action publique efficace ?
En matière de gestion, les Anglo-saxons parleraient d’efficience : il s’agit d’utiliser le moins de ressources possible pour obtenir le résultat escompté, en un sens d’instaurer une forme d’obligation de moyens.
Sur le plan politique, il s’agit de décliner et de mettre en œuvre les politiques publiques de telle sorte qu’elles offrent un service public de qualité aux citoyens sur l’ensemble du territoire et qu’elles garantissent le respect et l’effectivité de leurs droits.
Sans cette « obligation de résultats » qui incombe à la puissance publique, « accélération » et « simplification » ne sont que de vains mots. Autrement dit, elles ne sauraient constituer ni l’essence ni le but ultime de l’action publique. Ce ne sont pas des objectifs en soi – de même que réformer n’est pas une fin en soi, car on peut très bien réformer pour le pire – ; ce ne sont que des moyens.
Malheureusement, trop souvent dans ce texte, l’exécutif semble avoir oublié de lier obligation de moyens à obligation de résultats. Beaucoup de comités ou de commissions sont supprimés, au motif qu’ils seraient inutiles ou que leurs procédures seraient trop lourdes, sans que soit réellement démontré l’impact positif de ces suppressions en termes d’amélioration de l’action publique et de qualité du service public. Au contraire, certains articles peuvent légitimement faire craindre une nette altération, pour ne pas dire une franche détérioration. Sans établir une liste à la Prévert, j’illustrerai mon propos par quelques exemples.
Tout d’abord, en matière régalienne, nous ne pouvons que nous étonner de l’écart existant entre les discours de fermeté et l’affaiblissement de la réflexion sur les phénomènes de délinquance et la réinsertion en vue d’adapter au mieux la politique pénale. À ce titre, je salue le maintien, par la commission spéciale, de l’Observatoire national de la récidive et de la désistance. Plutôt que de prôner sa suppression, il serait plus que bienvenu de renforcer ses moyens.
Quant à l’article 38, qui prévoit la dématérialisation des demandes de titres de séjour, il menace directement l’effectivité du droit d’asile, pourtant garanti par la Constitution. En effet, ne proposer qu’un service numérique, sans aucun guichet en préfecture, à une population souvent en situation de vulnérabilité et d’incapacité à accéder au numérique ou à naviguer au sein de la complexité des portails, c’est, tout simplement, organiser la méconnaissance de ses droits.
Enfin, j’aurai l’occasion d’y revenir, les changements originellement prévus à l’article 17, sur lesquels notre commission spéciale est heureusement revenue, représentaient une remise en cause de notre politique publique culturelle ainsi que de tout le travail que, avec beaucoup de nos collègues, nous avions réalisé lors de l’élaboration de la loi relative à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine, dite loi LCAP, en 2016.