Cette première partie de session de l'année 2020 peut se résumer en quelques idées clés : une mobilisation importante de la délégation française qui gagne en influence, un nouveau président qui affiche de hautes ambitions, une résurgence des tensions liées à la Russie, une attention marquée à la situation des femmes avec à la fois la prise en compte de l'équilibre entre les hommes et les femmes au sein de l'Assemblée et un accent mis sur la convention d'Istanbul, et enfin la mise en exergue de la question du lien entre droits de l'Homme et environnement. Dans l'ensemble, les débats ont mené à des constats assez sombres.
Je vous rappelle que la délégation française à l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe comprend douze sénateurs et vingt-quatre députés. Au cours de cette partie de session, le Sénat était représenté par Maryvonne Blondin, Bernard Cazeau, Bernard Fournier, Claude Kern, Jacques Le Nay, André Reichardt et moi-même.
Je profite de ce début d'année pour dresser un bref bilan de l'année 2019, qui a été en particulier marquée par le semestre de présidence française du comité des ministres du Conseil de l'Europe, du 17 mai au 27 novembre 2019. Cette présidence fut un succès reconnu par les différentes délégations et l'on peut s'en féliciter.
Je veux rendre hommage à l'implication dont a fait preuve la Secrétaire d'État aux affaires européennes Amélie de Montchalin, qui entretient d'excellentes relations avec la délégation française. Je salue également les relations que nous avons entretenues au cours de cette période avec notre ambassadeur Jean-Baptiste Mattei, qui va quitter ses fonctions le mois prochain pour rejoindre le Conseil d'État.
Trois temps forts sont notamment intervenus à l'occasion de cette présidence : le discours du Président de la République lors de la partie de session d'octobre, la Conférence européenne des présidents de Parlement, à laquelle le président Bizet, le président Cambon, Maryvonne Blondin et moi-même avons accompagné le Président Larcher fin octobre, et le colloque que la délégation française a organisé au Sénat en novembre 2019 sur les droits de l'Homme à l'ère numérique.
Je tiens surtout à souligner la forte activité de la délégation française, qui s'est montrée la plus présente et la plus active des grandes délégations nationales en séance publique. Du côté des sénateurs, nous sommes plusieurs à avoir participé à des missions d'observation préélectorale, électorale ou de suivi, en Moldavie, en Ukraine et en Biélorussie. Nous nous montrons également très actifs en 2020 : Maryvonne Blondin, Bernard Cazeau et Jacques Le Nay rentrent d'Azerbaïdjan ; Claude Kern va de son côté se rendre prochainement à Tbilissi dans le cadre de la commission de suivi. Nous avons également publié plusieurs rapports, dont celui de Maryvonne Blondin sur les violences obstétricales et gynécologiques, qui a eu un retentissement important. On peut également citer ceux d'André Vallini sur l'évaluation du partenariat pour la démocratie concernant le parlement du Maroc et de Claude Kern sur l'observation des élections en Moldavie.
Au cours de cette partie de session, l'APCE a élu un nouveau président, le Belge Hendrik Daems, qui entend en réformer le fonctionnement afin de la rendre plus visible. Il succède à Liliane Maury Pasquier. Il a notamment pour objectifs de mieux faire fonctionner le trilogue composé par le Comité des ministres, la Secrétaire générale et l'Assemblée, de faire de l'égalité entre les hommes et les femmes une priorité, de défendre l'élaboration d'un protocole sur le lien entre les droits de l'Homme et l'environnement et de resserrer les liens avec les Parlements nationaux. Pour répondre à son souhait de moderniser le fonctionnement de l'APCE, la délégation s'est réunie la semaine dernière au Sénat pour être en mesure de formuler des propositions début mars, lors de la réunion de la commission permanente.
Le renouvellement des instances marque une montée en puissance de la délégation française. Trois députés siégeront désormais au Bureau de l'Assemblée et à la commission permanente : Nicole Trisse, présidente de la délégation française, réélue vice-présidente de l'Assemblée, Jacques Maire, élu président du groupe ADLE en remplacement de Hendrik Daems, et Olivier Becht, élu président de la commission de la culture, de la science, de l'éducation et des médias. Deux sénateurs ont été élus vice-présidents au sein des commissions ou sous-commissions : Claude Kern, élu troisième vice-président de la commission des questions politiques et de la démocratie, et moi-même, élue vice-présidente de la sous-commission sur le Proche-Orient et le monde arabe.
Cette partie de session a été marquée par l'élection d'un nouveau juge français à la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH). Ce rôle est méconnu mais c'est l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe qui élit les juges à la CEDH. Mattias Guyomar, qui a obtenu la majorité absolue au premier tour de scrutin, succédera le 22 juin à André Potocki, pour un mandat de neuf ans. Les trois candidats présentés par la France étaient crédibles, ils avaient fait l'objet d'une présélection nationale puis ont été auditionnés par une commission spéciale, qui avait préconisé l'élection de M. Guyomar. Je vous rappelle que la CEDH compte quarante-sept juges, soit un par État. Fin 2019, 59 800 affaires étaient pendantes devant elle, parmi lesquelles 25,2 % concernent la Russie, 15,5 % la Turquie et 14,8 % l'Ukraine. La France se trouve dans une situation très différente : en 2019, 578 requêtes ont été déclarées irrecevables, seuls dix-neuf arrêts ont été rendus la concernant, dont treize constatent une violation de la Convention européenne des droits de l'Homme.
Nous avons par ailleurs assisté à un nombre record de contestations des pouvoirs des délégations à l'ouverture de la partie de session. Celles-ci ont concerné six délégations pour des raisons formelles, au titre de la parité : celles de la Macédoine du Nord, de la Pologne, du Portugal, de Saint-Marin, de la Suède et de la Suisse, dont les pouvoirs ont finalement été validés. Le règlement de l'Assemblée dispose que les délégations nationales doivent « comprendre un pourcentage de membres du sexe sous-représenté au moins égal à celui que comptent actuellement leurs parlements et, au minimum, un membre du sexe sous-représenté désigné en qualité de représentant ». La commission du règlement de l'Assemblée a toutefois déclaré que « seul le non-respect de l'exigence d'avoir au moins une femme dans chaque délégation pouvait constituer la base d'une contestation des pouvoirs présentés » tout en admettant que cette condition était « très certainement très limitée en ce qui concerne la représentation équitable des femmes » et pouvait légitimement être considérée comme « insatisfaisante ». Le sujet n'est donc pas clos !
Deux délégations, la Moldavie et l'Espagne, ont également vu leurs pouvoirs contestés pour raisons formelles au titre des équilibres politiques. Le règlement de l'Assemblée dispose que les délégations « doivent être composées de façon à assurer une représentation équitable des partis ou groupes politiques existant dans leurs parlements ». Les pouvoirs de la délégation moldave ont été contestés au motif que le parti d'opposition Sor n'était pas représenté. Un siège de suppléant vacant lui avait été, en principe, attribué, mais ce parti avait refusé de désigner son membre. Les pouvoirs ont donc été validés. De même, les pouvoirs de la délégation espagnole ont été contestés au motif qu'elle ne comprenait aucun membre du parti Vox. Les pouvoirs espagnols ont toutefois été validés en raison des sièges vacants dans la délégation.
Enfin, des contestations pour des raisons substantielles et formelles des pouvoirs de la délégation russe ont été avancées, en raison, d'une part, de la situation en Géorgie et de la proposition récente tendant à modifier l'équilibre constitutionnel entre droit interne et droit international en Russie et, d'autre part, de la comptabilisation de voix provenant du territoire occupé de Crimée pour l'élection du Parlement russe ainsi que du fait que certains membres de la délégation étaient soumis à des sanctions de l'Union européenne. Le candidat russe à la vice-présidence a également été contesté. Si la délégation russe a été in fine validée, ces contestations témoignent des tensions qui persistent et de l'opposition de plusieurs États membres au retour de la Russie au sein de l'Assemblée parlementaire. La délégation française a d'ailleurs eu un échange nourri et franc à ce sujet avec la délégation ukrainienne.
Nous avons eu un dialogue « habituel » avec la présidence géorgienne du Comité des ministres et la Secrétaire générale du Conseil de l'Europe. Les priorités de la présidence géorgienne sont les droits de l'Homme et la protection de l'environnement, la participation de la société civile et des citoyens au processus décisionnel, la création d'un système de justice adapté aux enfants et la promotion de la démocratie par l'éducation, la culture et l'engagement des jeunes. Le Président du Comité des ministres a souligné qu'un mandat a été confié en novembre 2019 au comité directeur pour les droits de l'Homme en vue de finaliser les modalités d'adhésion de l'Union européenne à la Convention européenne des droits de l'Homme.
La Secrétaire générale, quant à elle, a dressé un constat assez sombre. Elle a évoqué la montée des politiques populistes et nationalistes extrêmes, celle de positions qui vont à l'encontre du multilatéralisme et du droit international, ce qui peut déboucher sur des contestations directes de l'autorité du Conseil de l'Europe, l'érosion de l'État de droit et des institutions démocratiques dans certains pays d'Europe et, enfin, les discours de haine ainsi que la discrimination à l'égard des minorités et la prévalence de la violence à l'égard des femmes. Elle a ainsi souligné la nécessité d'agir pour préserver les valeurs du Conseil de l'Europe. Elle a par ailleurs mis en exergue la prise de conscience croissante des implications du changement climatique sur les droits de l'Homme.
L'Assemblée parlementaire a eu des échanges exigeants avec la Présidente de la Géorgie et le Président de la République de Moldavie. La Présidente de la Géorgie a tenu un discours ambitieux, en relevant les nombreux progrès accomplis, en particulier la révision de la Constitution en 2018. Elle a déclaré : « Notre pays a réussi à se frayer un chemin vers l'Union européenne et l'OTAN, en dépit de nombreux obstacles, à savoir, les conflits gelés, la guerre, les territoires occupés ». Elle s'est toutefois montrée consciente des limites actuelles, notamment en matière de violences à l'encontre des femmes, mais aussi lucide sur les fractures internes à son pays qui est soumis à des déstabilisations extérieures. Elle a ainsi relevé que : « Le plus grand défi à la tenue d'élections libres et équitables, ainsi qu'à la démocratie en général, est la polarisation progressive et étendue de la vie politique. Le refus d'accepter des opinions différentes, l'agression et les discours de haine divisent nos sociétés, contrarient les individus et alimentent la méfiance et la division. Associée à de fausses informations et à la désinformation, la polarisation devient un terrain fertile pour des influences extérieures, pendant des campagnes électorales et au-delà. Ce climat très négatif prive notre population de la possibilité de s'unir autour de questions essentielles et communes. » Elle a lancé un appel aux membres du Conseil de l'Europe pour faire pression sur la Russie afin que celle-ci respecte ses obligations internationales. Elle a notamment évoqué l'expulsion massive de Géorgiens de la Fédération de Russie en 2006, dossier dans lequel la Russie a été condamnée, mais aussi la guerre de 2008, au sujet de laquelle la CEDH n'a toujours pas rendu son jugement. Ce discours prend un relief particulier alors que les États-Unis et le Royaume-Uni viennent d'accuser la Russie de cyberattaques massives en Géorgie.
Le Président de la République de Moldavie, Igor Dodon, a quant à lui tenu un discours à la fois habile sur la forme et très positif sur l'action de son pays. Il a bien évoqué les difficultés de l'année 2019, mais dans un sens qui lui est très favorable. Les questions ont été très franches. Maryvonne Blondin l'a notamment interpellé sur la ratification de la Convention d'Istanbul. Le processus parlementaire est lancé, mais le président moldave a affiché une certaine distance : « il est évident que certains éléments de cette Convention méritent d'être débattus par les citoyens de la République de Moldavie et leurs représentants. J'ai demandé aux collègues de lancer ce débat, car il y a des points discutables dans cette Convention. Il y a des problèmes d'interprétation qu'il faut peut-être soumettre à la commission de Venise. Quoi qu'il en soit, aujourd'hui, on a dépassé le filtre du gouvernement et c'est au Parlement de jouer son rôle. » Le système judiciaire a également été évoqué de manière directe à de nombreuses reprises.
Plusieurs rapports et résolutions ont été examinés au cours de cette partie de session. Certains débats ont parfois fait apparaître des écarts par rapport aux positions françaises. À l'issue d'un débat sur les institutions démocratiques, la Pologne a été placée en procédure de suivi, ce qui fait écho aux réflexions qui ont lieu au sein de l'Union européenne. Cette procédure de suivi est un des outils importants dont dispose l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe. Jusqu'à cette partie de session, le président de la commission de suivi était un Britannique qui, à la suite des manifestations des gilets jaunes, projetait de placer la France en procédure de suivi. Il n'avait pas obtenu gain de cause, mais il a proposé, et obtenu, de renforcer la procédure d'examen périodique. Certains débats, en outre, ne sont pas évidents pour la France, en particulier celui qui touche à la protection de la liberté de religion ou de croyance sur le lieu de travail. Notre collègue Jacques Le Nay a défendu la conception française de la laïcité, mais elle n'est malheureusement pas partagée par tous.
Enfin, je voudrais souligner qu'un vote important a eu lieu sur la future procédure destinée à renforcer le suivi des obligations des États membres. L'avancée des discussions sur cette procédure complémentaire conjointe entre le Comité des ministres et l'Assemblée parlementaire, en cas de violation grave par un État membre de ses obligations statutaires, est un acquis important de la présidence française du Comité des ministres. L'Assemblée a adopté une résolution pour préciser la mise en oeuvre de cette procédure exceptionnelle qui devra être « crédible, prévisible, réactive et réversible ». Les dispositions concernant cette procédure, qui sera un élément de crédibilité du Conseil de l'Europe, ont été adoptées début février par le Comité des ministres. Cette procédure ne concernera que les violations les plus graves des valeurs et des principes fondamentaux inscrits dans le statut du Conseil de l'Europe. Elle pourra être engagée par le Comité des ministres, par l'Assemblée parlementaire - à la double majorité - ou par la Secrétaire générale. Une mission de haut niveau élaborera des recommandations ; la Secrétaire générale préparera une feuille de route qui devra être mise en oeuvre dans les neuf mois suivant son adoption par le Comité des ministres. L'issue la plus défavorable en cas de manquement sera l'exclusion, conformément à l'article 8 du statut du Conseil de l'Europe, mais le but est bien d'avoir un dialogue constructif.
Comme après chaque partie de session, un rapport sera prochainement publié pour présenter en détail les travaux de la délégation française à l'APCE.