Commission des affaires européennes

Réunion du 26 février 2020 à 13h30

Résumé de la réunion

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La réunion

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Debut de section - PermalienPhoto de Jean Bizet

Mes chers collègues, nous nous réunissons aujourd'hui pour traiter deux points différents : nous allons d'abord entendre notre collègue Nicole Duranton rendre compte de la première partie de session de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe (APCE) qui s'est tenue il y a un mois ; puis nous examinerons une proposition de résolution déposée par notre collègue André Reichardt sur la fraude sociale transfrontalière.

Il est important pour nous d'entretenir le lien avec notre délégation à l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe : cette enceinte traite en effet de questions qui sont au coeur de la construction européenne, à commencer par le respect des droits de l'Homme et des valeurs fondamentales. C'est surtout un lieu de dialogue précieux avec les pays voisins de l'Union européenne, et au premier chef avec la Russie, dont les délégués ont réintégré l'Assemblée parlementaire il y a quelques mois.

La France a achevé fin novembre dernier sa présidence du Comité des ministres du Conseil de l'Europe, qui en est l'instance de décision au niveau gouvernemental. Elle a passé le relais à la Géorgie. Peut-être Nicole Duranton pourra-t-elle nous dire quelques mots du bilan de la présidence française ? Je suis sûr, en tout cas, qu'elle va pouvoir nous montrer qu'au-delà de cette période particulière de la présidence française, l'implication des sénateurs français ne faiblit pas au sein de l'APCE.

Debut de section - PermalienPhoto de Nicole Duranton

Cette première partie de session de l'année 2020 peut se résumer en quelques idées clés : une mobilisation importante de la délégation française qui gagne en influence, un nouveau président qui affiche de hautes ambitions, une résurgence des tensions liées à la Russie, une attention marquée à la situation des femmes avec à la fois la prise en compte de l'équilibre entre les hommes et les femmes au sein de l'Assemblée et un accent mis sur la convention d'Istanbul, et enfin la mise en exergue de la question du lien entre droits de l'Homme et environnement. Dans l'ensemble, les débats ont mené à des constats assez sombres.

Je vous rappelle que la délégation française à l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe comprend douze sénateurs et vingt-quatre députés. Au cours de cette partie de session, le Sénat était représenté par Maryvonne Blondin, Bernard Cazeau, Bernard Fournier, Claude Kern, Jacques Le Nay, André Reichardt et moi-même.

Je profite de ce début d'année pour dresser un bref bilan de l'année 2019, qui a été en particulier marquée par le semestre de présidence française du comité des ministres du Conseil de l'Europe, du 17 mai au 27 novembre 2019. Cette présidence fut un succès reconnu par les différentes délégations et l'on peut s'en féliciter.

Je veux rendre hommage à l'implication dont a fait preuve la Secrétaire d'État aux affaires européennes Amélie de Montchalin, qui entretient d'excellentes relations avec la délégation française. Je salue également les relations que nous avons entretenues au cours de cette période avec notre ambassadeur Jean-Baptiste Mattei, qui va quitter ses fonctions le mois prochain pour rejoindre le Conseil d'État.

Trois temps forts sont notamment intervenus à l'occasion de cette présidence : le discours du Président de la République lors de la partie de session d'octobre, la Conférence européenne des présidents de Parlement, à laquelle le président Bizet, le président Cambon, Maryvonne Blondin et moi-même avons accompagné le Président Larcher fin octobre, et le colloque que la délégation française a organisé au Sénat en novembre 2019 sur les droits de l'Homme à l'ère numérique.

Je tiens surtout à souligner la forte activité de la délégation française, qui s'est montrée la plus présente et la plus active des grandes délégations nationales en séance publique. Du côté des sénateurs, nous sommes plusieurs à avoir participé à des missions d'observation préélectorale, électorale ou de suivi, en Moldavie, en Ukraine et en Biélorussie. Nous nous montrons également très actifs en 2020 : Maryvonne Blondin, Bernard Cazeau et Jacques Le Nay rentrent d'Azerbaïdjan ; Claude Kern va de son côté se rendre prochainement à Tbilissi dans le cadre de la commission de suivi. Nous avons également publié plusieurs rapports, dont celui de Maryvonne Blondin sur les violences obstétricales et gynécologiques, qui a eu un retentissement important. On peut également citer ceux d'André Vallini sur l'évaluation du partenariat pour la démocratie concernant le parlement du Maroc et de Claude Kern sur l'observation des élections en Moldavie.

Au cours de cette partie de session, l'APCE a élu un nouveau président, le Belge Hendrik Daems, qui entend en réformer le fonctionnement afin de la rendre plus visible. Il succède à Liliane Maury Pasquier. Il a notamment pour objectifs de mieux faire fonctionner le trilogue composé par le Comité des ministres, la Secrétaire générale et l'Assemblée, de faire de l'égalité entre les hommes et les femmes une priorité, de défendre l'élaboration d'un protocole sur le lien entre les droits de l'Homme et l'environnement et de resserrer les liens avec les Parlements nationaux. Pour répondre à son souhait de moderniser le fonctionnement de l'APCE, la délégation s'est réunie la semaine dernière au Sénat pour être en mesure de formuler des propositions début mars, lors de la réunion de la commission permanente.

Le renouvellement des instances marque une montée en puissance de la délégation française. Trois députés siégeront désormais au Bureau de l'Assemblée et à la commission permanente : Nicole Trisse, présidente de la délégation française, réélue vice-présidente de l'Assemblée, Jacques Maire, élu président du groupe ADLE en remplacement de Hendrik Daems, et Olivier Becht, élu président de la commission de la culture, de la science, de l'éducation et des médias. Deux sénateurs ont été élus vice-présidents au sein des commissions ou sous-commissions : Claude Kern, élu troisième vice-président de la commission des questions politiques et de la démocratie, et moi-même, élue vice-présidente de la sous-commission sur le Proche-Orient et le monde arabe.

Cette partie de session a été marquée par l'élection d'un nouveau juge français à la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH). Ce rôle est méconnu mais c'est l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe qui élit les juges à la CEDH. Mattias Guyomar, qui a obtenu la majorité absolue au premier tour de scrutin, succédera le 22 juin à André Potocki, pour un mandat de neuf ans. Les trois candidats présentés par la France étaient crédibles, ils avaient fait l'objet d'une présélection nationale puis ont été auditionnés par une commission spéciale, qui avait préconisé l'élection de M. Guyomar. Je vous rappelle que la CEDH compte quarante-sept juges, soit un par État. Fin 2019, 59 800 affaires étaient pendantes devant elle, parmi lesquelles 25,2 % concernent la Russie, 15,5 % la Turquie et 14,8 % l'Ukraine. La France se trouve dans une situation très différente : en 2019, 578 requêtes ont été déclarées irrecevables, seuls dix-neuf arrêts ont été rendus la concernant, dont treize constatent une violation de la Convention européenne des droits de l'Homme.

Nous avons par ailleurs assisté à un nombre record de contestations des pouvoirs des délégations à l'ouverture de la partie de session. Celles-ci ont concerné six délégations pour des raisons formelles, au titre de la parité : celles de la Macédoine du Nord, de la Pologne, du Portugal, de Saint-Marin, de la Suède et de la Suisse, dont les pouvoirs ont finalement été validés. Le règlement de l'Assemblée dispose que les délégations nationales doivent « comprendre un pourcentage de membres du sexe sous-représenté au moins égal à celui que comptent actuellement leurs parlements et, au minimum, un membre du sexe sous-représenté désigné en qualité de représentant ». La commission du règlement de l'Assemblée a toutefois déclaré que « seul le non-respect de l'exigence d'avoir au moins une femme dans chaque délégation pouvait constituer la base d'une contestation des pouvoirs présentés » tout en admettant que cette condition était « très certainement très limitée en ce qui concerne la représentation équitable des femmes » et pouvait légitimement être considérée comme « insatisfaisante ». Le sujet n'est donc pas clos !

Deux délégations, la Moldavie et l'Espagne, ont également vu leurs pouvoirs contestés pour raisons formelles au titre des équilibres politiques. Le règlement de l'Assemblée dispose que les délégations « doivent être composées de façon à assurer une représentation équitable des partis ou groupes politiques existant dans leurs parlements ». Les pouvoirs de la délégation moldave ont été contestés au motif que le parti d'opposition Sor n'était pas représenté. Un siège de suppléant vacant lui avait été, en principe, attribué, mais ce parti avait refusé de désigner son membre. Les pouvoirs ont donc été validés. De même, les pouvoirs de la délégation espagnole ont été contestés au motif qu'elle ne comprenait aucun membre du parti Vox. Les pouvoirs espagnols ont toutefois été validés en raison des sièges vacants dans la délégation.

Enfin, des contestations pour des raisons substantielles et formelles des pouvoirs de la délégation russe ont été avancées, en raison, d'une part, de la situation en Géorgie et de la proposition récente tendant à modifier l'équilibre constitutionnel entre droit interne et droit international en Russie et, d'autre part, de la comptabilisation de voix provenant du territoire occupé de Crimée pour l'élection du Parlement russe ainsi que du fait que certains membres de la délégation étaient soumis à des sanctions de l'Union européenne. Le candidat russe à la vice-présidence a également été contesté. Si la délégation russe a été in fine validée, ces contestations témoignent des tensions qui persistent et de l'opposition de plusieurs États membres au retour de la Russie au sein de l'Assemblée parlementaire. La délégation française a d'ailleurs eu un échange nourri et franc à ce sujet avec la délégation ukrainienne.

Nous avons eu un dialogue « habituel » avec la présidence géorgienne du Comité des ministres et la Secrétaire générale du Conseil de l'Europe. Les priorités de la présidence géorgienne sont les droits de l'Homme et la protection de l'environnement, la participation de la société civile et des citoyens au processus décisionnel, la création d'un système de justice adapté aux enfants et la promotion de la démocratie par l'éducation, la culture et l'engagement des jeunes. Le Président du Comité des ministres a souligné qu'un mandat a été confié en novembre 2019 au comité directeur pour les droits de l'Homme en vue de finaliser les modalités d'adhésion de l'Union européenne à la Convention européenne des droits de l'Homme.

La Secrétaire générale, quant à elle, a dressé un constat assez sombre. Elle a évoqué la montée des politiques populistes et nationalistes extrêmes, celle de positions qui vont à l'encontre du multilatéralisme et du droit international, ce qui peut déboucher sur des contestations directes de l'autorité du Conseil de l'Europe, l'érosion de l'État de droit et des institutions démocratiques dans certains pays d'Europe et, enfin, les discours de haine ainsi que la discrimination à l'égard des minorités et la prévalence de la violence à l'égard des femmes. Elle a ainsi souligné la nécessité d'agir pour préserver les valeurs du Conseil de l'Europe. Elle a par ailleurs mis en exergue la prise de conscience croissante des implications du changement climatique sur les droits de l'Homme.

L'Assemblée parlementaire a eu des échanges exigeants avec la Présidente de la Géorgie et le Président de la République de Moldavie. La Présidente de la Géorgie a tenu un discours ambitieux, en relevant les nombreux progrès accomplis, en particulier la révision de la Constitution en 2018. Elle a déclaré : « Notre pays a réussi à se frayer un chemin vers l'Union européenne et l'OTAN, en dépit de nombreux obstacles, à savoir, les conflits gelés, la guerre, les territoires occupés ». Elle s'est toutefois montrée consciente des limites actuelles, notamment en matière de violences à l'encontre des femmes, mais aussi lucide sur les fractures internes à son pays qui est soumis à des déstabilisations extérieures. Elle a ainsi relevé que : « Le plus grand défi à la tenue d'élections libres et équitables, ainsi qu'à la démocratie en général, est la polarisation progressive et étendue de la vie politique. Le refus d'accepter des opinions différentes, l'agression et les discours de haine divisent nos sociétés, contrarient les individus et alimentent la méfiance et la division. Associée à de fausses informations et à la désinformation, la polarisation devient un terrain fertile pour des influences extérieures, pendant des campagnes électorales et au-delà. Ce climat très négatif prive notre population de la possibilité de s'unir autour de questions essentielles et communes. » Elle a lancé un appel aux membres du Conseil de l'Europe pour faire pression sur la Russie afin que celle-ci respecte ses obligations internationales. Elle a notamment évoqué l'expulsion massive de Géorgiens de la Fédération de Russie en 2006, dossier dans lequel la Russie a été condamnée, mais aussi la guerre de 2008, au sujet de laquelle la CEDH n'a toujours pas rendu son jugement. Ce discours prend un relief particulier alors que les États-Unis et le Royaume-Uni viennent d'accuser la Russie de cyberattaques massives en Géorgie.

Le Président de la République de Moldavie, Igor Dodon, a quant à lui tenu un discours à la fois habile sur la forme et très positif sur l'action de son pays. Il a bien évoqué les difficultés de l'année 2019, mais dans un sens qui lui est très favorable. Les questions ont été très franches. Maryvonne Blondin l'a notamment interpellé sur la ratification de la Convention d'Istanbul. Le processus parlementaire est lancé, mais le président moldave a affiché une certaine distance : « il est évident que certains éléments de cette Convention méritent d'être débattus par les citoyens de la République de Moldavie et leurs représentants. J'ai demandé aux collègues de lancer ce débat, car il y a des points discutables dans cette Convention. Il y a des problèmes d'interprétation qu'il faut peut-être soumettre à la commission de Venise. Quoi qu'il en soit, aujourd'hui, on a dépassé le filtre du gouvernement et c'est au Parlement de jouer son rôle. » Le système judiciaire a également été évoqué de manière directe à de nombreuses reprises.

Plusieurs rapports et résolutions ont été examinés au cours de cette partie de session. Certains débats ont parfois fait apparaître des écarts par rapport aux positions françaises. À l'issue d'un débat sur les institutions démocratiques, la Pologne a été placée en procédure de suivi, ce qui fait écho aux réflexions qui ont lieu au sein de l'Union européenne. Cette procédure de suivi est un des outils importants dont dispose l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe. Jusqu'à cette partie de session, le président de la commission de suivi était un Britannique qui, à la suite des manifestations des gilets jaunes, projetait de placer la France en procédure de suivi. Il n'avait pas obtenu gain de cause, mais il a proposé, et obtenu, de renforcer la procédure d'examen périodique. Certains débats, en outre, ne sont pas évidents pour la France, en particulier celui qui touche à la protection de la liberté de religion ou de croyance sur le lieu de travail. Notre collègue Jacques Le Nay a défendu la conception française de la laïcité, mais elle n'est malheureusement pas partagée par tous.

Enfin, je voudrais souligner qu'un vote important a eu lieu sur la future procédure destinée à renforcer le suivi des obligations des États membres. L'avancée des discussions sur cette procédure complémentaire conjointe entre le Comité des ministres et l'Assemblée parlementaire, en cas de violation grave par un État membre de ses obligations statutaires, est un acquis important de la présidence française du Comité des ministres. L'Assemblée a adopté une résolution pour préciser la mise en oeuvre de cette procédure exceptionnelle qui devra être « crédible, prévisible, réactive et réversible ». Les dispositions concernant cette procédure, qui sera un élément de crédibilité du Conseil de l'Europe, ont été adoptées début février par le Comité des ministres. Cette procédure ne concernera que les violations les plus graves des valeurs et des principes fondamentaux inscrits dans le statut du Conseil de l'Europe. Elle pourra être engagée par le Comité des ministres, par l'Assemblée parlementaire - à la double majorité - ou par la Secrétaire générale. Une mission de haut niveau élaborera des recommandations ; la Secrétaire générale préparera une feuille de route qui devra être mise en oeuvre dans les neuf mois suivant son adoption par le Comité des ministres. L'issue la plus défavorable en cas de manquement sera l'exclusion, conformément à l'article 8 du statut du Conseil de l'Europe, mais le but est bien d'avoir un dialogue constructif.

Comme après chaque partie de session, un rapport sera prochainement publié pour présenter en détail les travaux de la délégation française à l'APCE.

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Kern

Je partage les propos de Mme Duranton. Je suis corapporteur de la commission de suivi sur la Géorgie. La Présidente de la Géorgie était présente. Il s'agit d'une ancienne diplomate française qui a de bonnes idées mais qui ne sait pas les faire appliquer. Aujourd'hui, le problème principal est la poursuite de l'occupation de l'Ossétie du Sud par la Russie, qui est allée jusqu'à déplacer physiquement la frontière de treize kilomètres vers l'intérieur de la Géorgie ; nous avons vu cette frontière se déplacer quand nous étions présents, en septembre dernier. Quelques personnes ont également disparu.

La présidente a évoqué la Constitution, mais à ce sujet également, il y a une différence entre l'écrit et la réalité. Par exemple, parmi les quatorze derniers juges désignés à la Cour suprême, seuls deux étaient juristes.

Debut de section - PermalienPhoto de René Danesi

Il en va de même au Conseil constitutionnel français !

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Kern

Les autres nominations relevaient du copinage électoral directement géré par le parti Georgian Dream au pouvoir. Enfin, le pays est coutumier de la modification du système électoral à deux ou trois mois des échéances, parfois avec l'accord de l'opposition, qui se rend compte ensuite qu'elle s'est fait berner. Nous nous y rendons prochainement avec la commission de Venise pour essayer de figer le système électoral et revenir sur les modalités de désignation des juges. Nous avons écrit un règlement à ce sujet : il faut maintenant que les autorités locales acceptent de le mettre en oeuvre. De grands pas ont été faits, il n'y a plus de violences au moment des élections, mais il reste des intimidations.

En Moldavie, la situation présente des aspects analogues : la quatorzième armée russe est présente à demeure en Transnistrie. Durant les élections que nous avions observées, des bus de votants sortaient de Transnistrie, encadrés par des vopos. Dans les bureaux concernés, les candidats prorusses ont été élus à 98 %. Le président moldave s'affiche d'ailleurs aux côtés des Russes alors que le gouvernement est pro-européen.

Debut de section - PermalienPhoto de André Reichardt

Je voudrais dire à nouveau combien il est difficile d'assumer avec sérénité et sans passion une mission au sein de l'APCE. Cela n'a rien à voir avec la position de la France, qui essaie de tenir son rang, mais on a le sentiment de ne pas progresser. La France est un des pays qui jouent le jeu de cette assemblée, en respectant les uns et les autres, mais le contexte est difficile à vivre. Nous sommes continuellement confrontés à des oppositions entre pays, qui resurgissent en boucle, entre la Russie et l'Ukraine ou l'Azerbaïdjan et l'Arménie. Cela revient tout le temps, sur tous les sujets. Certains orateurs de ces pays, inscrits sur les débats, consacrent ainsi trente secondes à la thématique puis mettent en cause leur adversaire et les polémiques reprennent. La Turquie, elle aussi, est proche de l'Azerbaïdjan. On assiste donc à un véritable Kriegspiel difficile à vivre, parce que cela pourrit le contexte. Nous aimerions faire avancer la résolution de problématiques graves liées aux droits de l'Homme, à des situations épouvantables, mais ce contexte délétère empêche d'avancer.

Je me permets donc de revenir à la charge sur les conflits gelés : en Géorgie, où la frontière physique bouge chaque jour, en Azerbaïdjan, en Transnistrie, en Crimée. On ne peut pas continuer comme cela ! Le Sénat, en lien avec la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, devrait réfléchir à ce sujet : des pays occupés essaient de s'en sortir mais n'y parviennent pas, parce que personne ne s'y intéresse.

Debut de section - PermalienPhoto de André Vallini

Je comprends et je partage l'exaspération de notre collègue André Reichardt face à la répétition de certains débats. Je suis toutefois frappé par l'impact positif du Conseil de l'Europe, au travers de la Cour européenne des droits de l'Homme. M. Navalny, le principal opposant à M. Poutine, nous l'avait dit : « Ne croyez pas que vous ne servez à rien : lorsque l'on est enfermé dans les geôles russes, la CEDH est comme une lumière qui brille dans la nuit et on compte sur elle pour condamner la Russie ! » La Cour exerce une pression réelle, les opinions publiques l'entendent. Si MM. Poutine, Aliev ou Erdogan sont à ce point irrités par ses décisions, ce n'est pas pour rien !

Debut de section - PermalienPhoto de Gisèle Jourda

Dans mon groupe, j'insiste souvent pour que l'on étudie la nature des conflits gelés. Je suis allée avec Pascal Allizard puis René Danesi en Géorgie, où l'on constate en effet que les frontières bougent et que les gouvernements ne peuvent pas réagir. Nous devons porter ce sujet le plus fort possible. S'agissant des prises de paroles répétitives, je suis membre de l'Union interparlementaire (UIP) et nous connaissons aussi les prises de paroles mécaniques de certains pays et les déclarations sans rapport avec le sujet. C'est un mal que nous subissons au nom de la diplomatie parlementaire internationale.

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Kern

Je signale en outre une arrivée massive de Géorgiens en France - en Alsace, en Bretagne, à Toulouse ou à Bordeaux - qui demandent souvent des visas médicaux en prélude à des demandes d'asile. Cela entraîne parfois des problèmes de délinquance.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Bizet

Pour les pays situés en bordure de l'Union européenne, le Conseil de l'Europe est parfois considéré comme l'antichambre de l'adhésion. S'agissant des conflits gelés, j'apprécie la politique de main tendue vers la Russie que pratique le Président de la République, mais elle doit produire des effets. Il me semble important d'avoir un dialogue avec la Russie, sans naïveté : il ne faut pas être dupe en matière de cyberattaques ou de droits de l'Homme. Notre politique doit avoir un résultat. Les Russes sont passés maîtres dans l'art des conflits gelés. Les accords de Minsk, par exemple, sont très difficiles à faire évoluer. Merci pour ce rapport et tentons de faire évoluer la situation.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Bizet

Je vous propose maintenant d'examiner la proposition de résolution européenne n° 275 déposée le 27 janvier dernier par notre collègue André Reichardt, visant à lutter contre la fraude sociale transfrontalière et à améliorer la coopération européenne en matière de lutte contre la fraude aux prestations sociales. Les Européens deviennent de plus en plus mobiles géographiquement et professionnellement. Cela a déjà conduit l'Union européenne à encadrer le détachement de travailleurs, mais le cas des transfrontaliers n'a pas retenu la même attention. Notre collègue alsacien y est naturellement particulièrement sensibilisé. Nous allons entendre le rapport de nos collègues Laurence Harribey et Pascale Gruny qui assurent pour notre commission le suivi des sujets de convergence sociale.

Debut de section - PermalienPhoto de Laurence Harribey

En tant que rapporteures sur la convergence sociale, nous avons déjà pu analyser la problématique de la coordination des systèmes de sécurité sociale au sein de l'Union européenne. C'est un enjeu central pour la mobilité des travailleurs européens et c'est d'ailleurs l'une des priorités de la présidence croate.

La directive sur le détachement des travailleurs est entrée en vigueur en juillet 2018, mais la proposition de règlement de décembre 2016, qui tend à réviser le régime de coordination des régimes européens de sécurité sociale fixé dans le règlement de 2004, est toujours en cours de discussion. Elle constitue pourtant le complément indispensable de la directive « détachement des travailleurs », les législations européennes en droit du travail et en droit de la sécurité sociale étant distinctes et autonomes.

En avril 2018, notre commission avait adopté une proposition de résolution européenne sur la convergence sociale. Nous avions notamment examiné cette proposition de règlement concernant la coordination des régimes de sécurité sociale. Cette résolution a inspiré notre collègue André Reichardt.

S'agissant de la révision du règlement de 2004, la négociation menée chapitre par chapitre a permis de conclure à des orientations générales partielles au Conseil en 2017, suivies d'orientations générales en juin 2018. Le Parlement européen a, quant à lui, adopté le rapport du député Guillaume Balas en décembre 2018. Cependant, les discussions en trilogue ouvertes à l'issue de l'adoption de ce rapport ont échoué. Un nouveau rapporteur a été désigné au Parlement européen et les négociations se poursuivent.

Quels sont les enjeux d'une telle révision ?

La législation en vigueur repose toujours actuellement sur un règlement daté de 2004 et son règlement d'application pris en 2009. Cette législation est aujourd'hui dépassée, en particulier du fait d'une population toujours plus mobile.

Selon les statistiques 2019 d'Eurostat sur la mobilité, 4,1 % des personnes travaillant dans un État membre en 2018 ont la nationalité d'un autre État membre. Par ailleurs, 1,3 millions d'européens résident dans un État et travaillent dans un autre, soit 0,6 % des emplois totaux. En 2018, le Centre des Liaisons Européennes et Internationales de Sécurité Sociale (CLEISS), qui est notre point d'accueil et de coordination national, enregistrait en tout 797 000 formulaires A1, documents à remplir par l'employeur en cas de détachement, émis ou reçus par la France ; en 2019, ce chiffre s'élevait à près de 977 000. On peut noter qu'en 2018, la France figurait au second rang des États membres en termes de formulaires reçus, donc de détachements de travailleurs sur son territoire, et cinquième en ce qui concerne les formulaires émis, donc les détachements de travailleurs français dans un autre État membre.

Ces travailleurs mobiles se répartissent en travailleurs détachés, travailleurs transfrontaliers, travailleurs migrants mais aussi, et de plus en plus, travailleurs multinationaux, aussi dits pluriactifs.

Depuis 2010, le nombre de formulaires A1 délivrés par les États membres de l'UE-EEE-Suisse dans le cadre d'une situation de pluriactivité est ainsi en constante et nette progression : + 457 % sur la période, soit une évolution annuelle moyenne de 23,4 %. Or la pluriactivité n'est aujourd'hui que mentionnée à l'article 13 du règlement de 2004. Cet article permet de déterminer quel est l'État dont la législation s'applique en cas d'activités d'un salarié dans plusieurs États membres, mais il n'y a aucune considération de durée : toute personne se rendant dans un pays membre, même pour une très courte intervention, devrait ainsi théoriquement faire l'objet d'un certificat A1 déposé par son employeur.

Le travailleur transfrontalier pose par ailleurs une difficulté spécifique. Il se distingue du migrant classique par sa double allégeance nationale : il travaille dans un État et réside dans un autre. Mais le statut de travailleur transfrontalier n'est pas défini de même manière par les services sociaux et par les services fiscaux.

En ce qui concerne la protection sociale, cette définition repose sur deux critères :

- un critère géographique : le travailleur est actif sur le territoire d'un État membre et réside sur le territoire d'un autre État ;

- un critère de temporalité : il retourne dans son État de résidence chaque jour ou au moins une fois par semaine.

La définition fiscale est quant à elle plus restrictive : elle prévoit un critère spatial supplémentaire. Chaque zone frontalière est ainsi déterminée précisément dans chaque convention bilatérale de double imposition, puisqu'il ne s'agit pas là d'une compétence communautaire.

Comme pour les migrants, le principe de base pour la protection sociale du travailleur transfrontalier est l'affiliation à la législation de l'État où il travaille, mais le règlement de 2004 reconnaît aux travailleurs transfrontaliers l'ouverture de prestations supplémentaires dans leur État de résidence, comme par exemple l'accès transfrontalier aux soins de santé.

En ce qui concerne l'indemnisation du chômage, il suffit pour les transfrontaliers d'avoir travaillé un jour dans un État membre pour y être indemnisé, alors que l'indemnisation reste une compétence de l'État de résidence qui supporte dès lors la charge financière de demandeurs d'emploi ayant cotisé dans d'autres États membres. Il existe donc des cas de double affiliation de travailleurs qui bénéficient de prestations chômage dans un État et exercent une activité, souvent réduite, dans un autre.

La révision du règlement de 2004 doit justement simplifier ces dispositions et revenir à une application stricte du principe de l'affiliation à la loi de l'État d'activité pour tous les travailleurs, y compris les frontaliers.

Si la Commission proposait initialement d'appliquer ce principe après 12 mois d'activité dans un autre État membre, la durée retenue pourrait finalement être plus courte et serait de 3 à 6 mois, ce qui devrait limiter les distorsions financières entre cotisations versées et perçues entre États membres, ainsi que les possibilités de fraude.

La question du statut du travailleur transfrontalier est donc aujourd'hui particulièrement complexe et cette complexité peut être source de difficulté pour le travailleur transfrontalier lui-même, ainsi que pour l'administration en charge de la détermination de ses droits. Lors de nos auditions, il est apparu qu'une partie de la fraude sociale constatée était en fait non intentionnelle.

Je laisse la parole à ma collègue pour vous présenter les récentes avancées sur ce dossier et nos propositions concernant le texte que nous soumet notre collègue André Reichardt.

Debut de section - PermalienPhoto de Pascale Gruny

Chers collègues, cette complexité dans la détermination de la législation applicable rend urgente l'aboutissement des négociations sur la révision des règlements. Elle rend aussi nécessaire une meilleure coordination des systèmes de protection sociale.

Deux avancées récentes doivent être mentionnées sur ce point : en amont, concernant la standardisation et l'automatisation du formulaire A1, et en aval, quand il s'agit de déqualifier un formulaire A1 frauduleux.

Les formulaires A1 sont centraux dans les échanges entre organismes européens de sécurité sociale. Ils attestent de la législation applicable à leur détenteur. Ils confèrent une présomption de régularité du détachement pour les salariés et donnent de fait droit à l'exonération de cotisations dans l'État d'emploi.

La Commission européenne a lancé en juillet 2017 le système d'échange électronique d'informations sur la Sécurité sociale (EESSI). Cette possibilité était prévue dans le règlement d'application de 2009. L'article 153 du Traité sur le fonctionnement de l'UE (TFUE) dispose que les États membres sont libres d'organiser leur système de protection sociale, mais la construction progressive d'une Europe sociale exige la coordination des systèmes de sécurité sociale à l'échelle européenne et donc certains ajustements nationaux.

Les États membres avaient ainsi deux ans pour mettre en oeuvre l'EESSI au niveau national et pour connecter leurs organismes de sécurité sociale aux échanges électroniques transfrontières. Le système est de fait opérationnel depuis juillet 2019.

Ce système permet des échanges de données plus précis entre les autorités nationales grâce à des documents électroniques standardisés traduits dans chaque langue. Le formulaire A1 est aujourd'hui entièrement dématérialisé.

Dans son paquet « équité sociale » présenté en mars 2018, la Commission a par ailleurs proposé de créer une nouvelle Autorité, destinée à renforcer la coopération et l'échange structuré entre les autorités nationales compétentes.

L'Autorité européenne du travail a ainsi ouvert en octobre 2019. L'Autorité informe les citoyens et les entreprises de leurs droits et devoirs dans des situations transfrontières et améliore l'échange d'informations entre les États membres en mettant en contact des agents de liaison, comme le fait Europol. Elle facilite la coopération entre les États-membres, notamment en permettant des inspections conjointes transfrontalières en cas de fraude, d'abus et de travail au noir. Cette disposition, très opérationnelle, était très attendue des services de contrôle de la fraude.

Elle peut également offrir une médiation en cas de différends entre deux États membres. Le fonctionnement de la Commission administrative pour la coordination des systèmes de sécurité sociale n'a pas été modifié, mais cette nouvelle agence européenne devrait lever une part importante des difficultés rencontrées auparavant. Un accord de coopération doit désormais régler les questions d'articulation entre la nouvelle autorité et la commission de coordination. Il est important que cet accord intervienne au plus vite.

Ces deux avancées, mise en place du système d'échange électronique d'informations sur la Sécurité sociale (EESSI) et création de l'Autorité européenne du travail, rendent ainsi nécessaires l'adaptation de nos propositions antérieures.

Un autre point reste à prendre en compte : la jurisprudence récente de la Cour de justice de l'Union européenne en ce qui concerne la validité du certificat A1.

Aujourd'hui, le certificat de détachement doit être déqualifié par la Commission administrative pour la coordination des systèmes de sécurité sociale, dès lors qu'il existe des doutes sérieux quant à la réalité de l'affiliation du salarié détaché au régime de sécurité sociale du pays d'établissement. En l'absence d'accord sur l'appréciation des faits litigieux, les institutions de l'État membre peuvent la saisir au plus tôt un mois après la date à laquelle l'institution qui a reçu le document a présenté sa demande. La commission s'efforce de réaliser une conciliation dans un délai de 6 mois. Même si la jurisprudence Altun a introduit une plus grande souplesse dans la possibilité pour le juge national d'écarter un formulaire A1 manifestement frauduleux, le processus reste lourd et peu efficace dans la lutte contre la fraude.

Les derniers arrêts de la Cour de justice de l'Union européenne ont ensuite très strictement limité cette jurisprudence Altun : il faut que soient réunies deux conditions cumulatives, à savoir une suspicion de fraude étayée par des éléments concrets et l'inertie de l'institution émettrice.

Dans l'arrêt Alpenrind rendu en septembre 2018, la CJUE a par ailleurs estimé que la commission administrative pour la coordination des systèmes de sécurité sociale avait pour seul objectif de concilier les points de vue et que ses conclusions avaient dès lors seulement valeur d'un avis. Tant que l'État d'émission d'un certificat A1 ne l'a ni retiré ni déclaré invalide, celui-ci s'impose à l'ensemble des institutions de l'État membre dans lequel l'activité est exercée.

Nous sommes aujourd'hui dans l'attente d'un nouvel arrêt de la CJUE qui pourrait lever ces difficultés. Dans les conclusions rendues le 11 juillet 2019 sur l'affaire Vueling, l'avocat général a invité la CJUE à décider qu'autorité judiciaire et autorités administratives se complètent sans être concurrentes et qu'en conséquence le juge national peut écarter un formulaire A1, sans être paralysé ni lié par le dialogue initié entre institutions de Sécurité Sociale.

Pour lever dès à présent les derniers doutes sur la possibilité par le juge national d'écarter un certificat A1, nous vous proposons de demander d'inscrire cette possibilité directement dans les règlements afin que cesse la dépendance actuelle de l'État d'accueil au bon vouloir d'une institution de sécurité sociale établie à l'étranger. Cette dernière n'a en effet aucun intérêt à retirer un certificat A1 puisqu'elle perd dès lors des cotisations sociales ou même doit les rembourser.

Dans le paquet « équité sociale », la Commission présentait aussi une communication sur le suivi de la mise en oeuvre du socle européen des droits sociaux. Dans celle-ci, elle indiquait travailler à la mise en place d'un numéro de sécurité sociale européen devant servir d'identificateur numérique rendant interopérables les systèmes existants. Aujourd'hui, cette initiative semble bloquée : présentée sous forme d'amendement lors de l'examen du texte, la proposition n'a pas été retenue dans l'accord provisoire. Nous vous proposons d'en demander une évaluation des coûts et avantages pour relancer la réflexion sur ce numéro unique qui viendrait en complément du numéro national, et non en substitution.

Enfin, nous n'avons pu que constater l'absence d'évaluation de la fraude sociale transfrontalière au niveau européen. La Commission administrative pour la coordination des systèmes de sécurité sociale discute une fois par an des questions de coopération dans le domaine des fraudes et des erreurs, et un rapport est publié annuellement par la Commission européenne à ce sujet.

La discussion est fondée sur des rapports fournis à titre volontaire par les États membres concernant leur expérience et leurs progrès en la matière. Le dernier rapport publié présentait ainsi un retour d'expérience parcellaire : 25 États membres sur 28 avaient renvoyé le questionnaire ainsi que la Suisse et les 3 autres États membres de l'Espace économique Européen, l'Islande, le Liechtenstein et la Norvège. La France n'y a, de son côté, pas répondu. Tous les États ne répondent par ailleurs pas à l'ensemble des questions. Le rapport met aussi en évidence les difficultés de comparabilité de l'information entre les États qui la fournissent mais aussi d'une année sur l'autre.

Avant 2015, les chiffres sur la fraude sociale transfrontalière n'étaient recueillis que concernant les soins de santé nécessaires non planifiés et l'exportation des prestations de chômage. Si depuis cette date, le recueil d'informations sur la fraude sociale transfrontalière a progressé, il n'en demeure pas moins perfectible. Il serait important de quantifier plus précisément le phénomène de la fraude sociale transfrontalière afin de dimensionner les moyens nécessaires à sa lutte, tant au niveau national qu'européen.

Nous vous proposons en conséquence d'amender la proposition de notre collègue André Reichardt en tenant compte de ces différents éléments.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Bizet

Merci pour vos interventions. André Reichardt, souhaitez-vous prendre la parole ?

Debut de section - PermalienPhoto de André Reichardt

Merci Monsieur le Président. Je remercie mes collègues pour leur travail. Cette proposition de résolution trouve son origine dans un rapport élaboré par notre collègue Nathalie Goulet et une députée, Carole Grandjean. Toutes deux ont mené un travail sur la fraude sociale dans son ensemble, et notamment effectué un déplacement dans des régions transfrontalières. Carole Grandjean, députée de Meurthe-et-Moselle, s'est ainsi rendue en région Grand Est, dans son département d'attache. Si le rapport mérite assurément d'être lu dans sa globalité, c'est la lecture de cette partie de document sur la fraude transfrontalière qui m'a particulièrement intéressé. Je suis né dans la dernière ville française avant la frontière allemande, j'ai été transfrontalier et j'ai vu de nombreux amis travailler de l'autre côté de la frontière. J'ai pu observer de nombreuses situations anormales qui s'assimilaient à des fraudes transfrontalières, même si on ne les appelait pas ainsi par le passé.

Ce rapport m'a d'autant plus intéressé qu'à l'exception de la résolution votée ici en 2018 sur la convergence sociale, le législateur s'est peu préoccupé de la fraude transfrontalière. Il s'est penché sur les travailleurs détachés, ou encore sur le dumping social, mais peu sur la fraude transfrontalière. C'est pourquoi j'ai considéré utile de décliner ce volet du rapport des deux parlementaires remis au Premier ministre voilà six mois environ.

Les anecdotes sont nombreuses sur ce sujet. La fraude type est celle du fraudeur qui perçoit des allocations chômage en France alors qu'il travaille en Allemagne. D'autres fraudes se pratiquent, semble-t-il, si j'en crois le rapport de nos deux collègues. Je pense aux personnes se déclarant domiciliées à l'adresse d'un proche pour percevoir le RSA en France alors qu'ils habitent de l'autre côté de la frontière. Je pense également aux fraudes à la déclaration de revenus, ou encore aux fraudes aux remboursements médicaux. Je vous invite à lire le rapport dans sa globalité, c'est édifiant.

Il me paraissait évident que la mise en place d'un numéro de sécurité sociale européen pouvait être une réponse, sur le modèle d'un FICOBA européen qui recense les comptes de toute nature détenus par une personne.

Cette PPRE a été modifiée par les rapporteures et je n'y vois aucune opposition. Elles ont naturellement nuancé certains propos. Je disais par exemple « estime indispensable la création d'un numéro de sécurité sociale européen », vous dites « juge nécessaire d'évaluer dès à présent les coûts et avantages d'un numéro de sécurité sociale européen ». En outre, vous pensez qu'il ne doit pas se substituer au numéro de sécurité sociale national. Évidemment que non, étant entendu qu'à terme nous irions vers ce chemin, en y apposant l'appartenance nationale.

J'ai donc perçu un certain nombre d'atténuations par rapport à ce que j'avais indiqué. En revanche, un point me dérange un peu plus. Je m'étais volontairement limité à la fraude sociale transfrontalière, sans revenir sur les travailleurs détachés dont on a déjà beaucoup parlé. Vous avez souhaité ajouter un alinéa « estime indispensable de modifier l'article 5 du règlement n°987/2009 pour qu'en cas de manquement au principe de coopération loyale de l'État d'envoi du travailleur détaché, l'autorité judiciaire de l'État d'accueil du travailleur détaché puisse écarter le certificat A1 obtenu de façon manifestement irrégulière ». À mon sens, cela revient à mélanger la fraude transfrontalière avec la fraude aux travailleurs détachés. Toutefois, je ne m'y opposerai pas.

Si j'en crois le rapport des deux parlementaires, le montant de la fraude atteint des sommes considérables. Le rapport a été remis au Premier Ministre qui en fera ce que bon lui semble. J'estime qu'il fallait le décliner sur le plan européen, car c'est à ce niveau que cela peut se régler.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Bizet

Merci. Avez-vous d'autres commentaires à formuler ?

Debut de section - PermalienPhoto de Laurence Harribey

Je précise que si nous avons apporté quelques modifications, c'est que les auditions nous ont amenées à nuancer certains éléments. Même s'il est intéressant d'avoir mis la loupe sur les travailleurs transfrontaliers, le problème de la convergence et de la coopération de nos systèmes de sécurité sociale ne pouvait être occulté. C'était une manière d'insister à nouveau sur les négociations en cours qui patinent et qui devraient aboutir sous la présidence croate.

Debut de section - PermalienPhoto de Pascale Gruny

Concernant le certificat A1, nous avons souhaité acter l'état de jurisprudence. En outre, je considère que quantifier la fraude est une vue de l'esprit étant donné qu'à partir du moment où on en est capable, c'est déjà qu'on l'a détectée donc qu'on peut y mettre fin.

Par ailleurs, j'insiste sur la distinction entre fraude et erreur. Nos auditions nous ont montré que la complexité des législations d'un État à un autre est telle que cela induit des erreurs, sur les cotisations et les indemnisations. En outre, les entreprises multinationales ou même les PME présentes dans différents pays doivent actuellement produire un certificat A1 dès lors qu'un de leurs employés - par exemple, les auditeurs comptables - se déplace dans l'une de leurs implantations. Ce qui n'est pas toujours fait étant donné que cela alourdit considérablement les procédures.

S'agissant du numéro de sécurité sociale, il me paraît aussi évident que nous aurons bientôt un numéro européen. Néanmoins, pour le moment, chaque pays tient à son numéro et l'harmonisation nécessitera de nombreuses modifications. Cela n'arrivera donc pas du jour au lendemain.

Si nous pouvions a minima avoir le numéro européen à côté du numéro national, cela faciliterait beaucoup les échanges.