Monsieur le président, je vous remercie de ces mots de bienvenue et de l’accueil que vous réservez cette année encore à notre institution. Ils traduisent la qualité des liens qui unissent les juridictions financières et le Parlement. Sachez combien nous y sommes attachés.
Monsieur le président du Sénat, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur général de la commission des affaires sociales, mesdames, messieurs les sénateurs, tout au long de l’année, notre juridiction est mobilisée pour assurer la mission que lui a confiée la Constitution à l’article 47-2, assister le Parlement dans le contrôle de l’action du Gouvernement. À ce titre, l’année 2019 aura donné lieu à des échanges très nombreux entre la Cour et le Parlement. Ce sont en effet près de 400 travaux qui vous ont été transmis, dont 15 rapports réalisés à la demande du Parlement. L’année 2020 augure d’échanges tout aussi nombreux, ce dont nous nous réjouissons.
Monsieur le président, vous l’avez rappelé, c’est en ma qualité de doyenne des présidents de chambre de la Cour des comptes que me revient l’honneur de m’exprimer aujourd’hui devant vous. Vous le savez, Didier Migaud a rejoint la présidence de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique il y a un peu plus d’un mois. C’est lui qui a supervisé, jusqu’à son départ, la confection de bout en bout du rapport public annuel qui vous est remis ce jour. Nous ne savons pas encore qui lui succédera.
Permettez-moi à mon tour de lui rendre hommage devant vous, au nom de notre institution, pour la qualité et l’intensité de son engagement dans une mission exigeante, celle de Premier président de la Cour des comptes et, à ce titre, de président du Haut Conseil des finances publiques et de président du Conseil des prélèvements obligatoires, au service de notre pays et de nos concitoyens.
La publication du rapport annuel est un événement important pour notre institution. Elle nous offre, année après année, l’occasion d’un contact privilégié avec les citoyens et les décideurs publics, au travers d’un exercice d’information, de décryptage, d’explication de l’action publique dans sa très grande diversité.
Ce rapport est aussi un produit que nous souhaitons en constante évolution. C’est particulièrement le cas de cette édition 2020 : elle tient compte des enseignements que nous tirons des échanges et des courriers qui nous sont adressés toute l’année par nos concitoyens, dont les attentes se sont cristallisées au moment du grand débat national.
Quelles sont ces attentes ? Plus de transparence et de pédagogie dans la mise en œuvre et les résultats des politiques publiques ; plus d’attention au coût et à la qualité des services publics financés par leurs contributions ; plus de responsabilisation pour les décideurs publics.
Ces attentes ont inspiré des modifications importantes de notre rapport public annuel. Permettez-moi d’en dire quelques mots.
D’abord, nous avons souhaité traiter davantage de sujets intéressant la vie quotidienne de nos concitoyens. C’est le cas notamment des chapitres dédiés à la restauration collective et à La Poste.
Ensuite, nous nous sommes attachés à mieux rendre compte, dans la durée, de la qualité des services rendus aux usagers, en appréciant le chemin parcouru par les administrations depuis notre dernier contrôle. Ce chemin est parfois significatif.
Pour ce qui concerne les éco-organismes par exemple, notre rapport met en évidence d’indéniables progrès de gestion, même si la performance de ces organismes nous semble pouvoir être encore améliorée et leur régulation par l’État renforcée. À l’inverse, nous déplorons parfois l’absence de mise en œuvre de nos préconisations ; c’est le cas dans l’enquête réalisée sur les abattoirs publics, sur laquelle je reviendrai.
La restitution complète de cet exercice de suivi des recommandations figure au tome II de ce rapport ; il montre notamment que, trois ans après avoir été émises, près des trois quarts de nos recommandations ont été partiellement ou totalement mises en œuvre par les entités contrôlées.
Enfin, s’agissant de la structure de ce rapport, nous avons choisi de consacrer une partie de cette édition 2020 à un thème transversal, celui du numérique au service de la transformation de l’action publique, comme vous l’avez rappelé, monsieur le président.
Une autre évolution peut être relevée, la réalisation d’un rapport d’activité, qui permet d’avoir une vue d’ensemble des travaux, des moyens et des faits marquants de l’activité des juridictions financières au cours de l’année écoulée.
Voilà pour la méthode. J’en viens maintenant aux principaux constats formulés dans ce rapport. Ils sont au nombre de trois.
Le premier message porte sur l’état de nos comptes publics. La Cour des comptes constate que, la situation de nos finances publiques s’améliorant lentement – trop lentement –, le retard relatif de notre pays par rapport à ses partenaires européens va perdurer.
Le deuxième message est que, face à cette situation, notre pays dispose de marges, si l’on considère, à différentes échelles, l’efficacité et la performance des politiques et de la gestion publiques.
Le troisième message, dans ce contexte, a trait à l’apport évident de l’outil numérique à la transformation publique, au bénéfice des usagers comme des administrations, pour peu que soient toutefois prises en considération un certain nombre d’exigences.
Je commencerai par exposer la situation de nos comptes publics.
La Cour des comptes avait relevé, dès le mois de juin 2019, l’évolution préoccupante de la situation de nos finances publiques. Le constat dressé en ce début d’année confirme ce diagnostic : l’amélioration structurelle des comptes publics devrait être très faible en 2019, et aucune amélioration n’est prévue en 2020.
Commençons par l’année 2019. Selon les prévisions du Gouvernement, le déficit effectif de notre pays s’établirait à 3, 1 points de PIB. Il serait donc en progression de 0, 6 point par rapport à 2018.
Certes, cette situation était attendue compte tenu du cumul, en 2019, du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) et des allégements des cotisations patronales qui le remplacent. Au total, ce cumul explique d’ailleurs à lui seul 0, 8 point de PIB de déficit.
Toutefois, ce déficit effectif est supérieur à la prévision établie en loi de finances initiale, qui était de 2, 8 points de PIB, en raison des mesures décidées à la suite des mouvements sociaux de l’automne 2018. Celles-ci ont conduit à des renoncements de hausses d’impôts et de taxes, à des baisses supplémentaires de prélèvements obligatoires et à des dépenses nouvelles. Leur coût net est estimé à 9 milliards d’euros en 2019, soit 0, 4 point de PIB.
Si l’on neutralise tous les effets des mesures exceptionnelles ou temporaires et ceux de la conjoncture, le solde structurel de nos comptes publics s’établirait à 2, 2 points de PIB en 2019. Il ne se serait ainsi que très modestement résorbé ces deux dernières années, de 0, 1 point de PIB seulement par rapport à 2018 et de 0, 2 point par rapport à 2017.
Conséquence immédiate : la dette publique française devrait avoir continué de croître en 2019, pour atteindre 98, 8 points de PIB, alors que, selon les prévisions de la loi de finances, elle était censée reculer.
À travers ces chiffres, la Cour des comptes relève que la France a peu tiré profit de l’environnement économique et financier favorable qui prévaut au sein de la zone euro depuis 2015. Notre pays se démarque ainsi nettement de ses partenaires européens, dont beaucoup ont engagé des efforts de redressement substantiels.
Venons-en à 2020.
Si l’année 2019 a marqué une poursuite, même lente, de l’amélioration structurelle de nos comptes publics, l’année 2020 devrait pour sa part marquer un arrêt singulier dans la réduction de notre déficit structurel. Celui-ci resterait en effet à 2, 2 points de PIB, en décalage avec nos engagements européens.
Les pouvoirs publics ont ainsi fait le choix d’une accentuation de la baisse des prélèvements obligatoires, ce qui pèse sur le redressement de nos comptes.
La loi de finances pour 2020 prévoit en effet près de 10 milliards d’euros de baisse des prélèvements, principalement portés par l’impôt sur le revenu et la taxe d’habitation.