La séance est ouverte à quinze heures.
Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
L’ordre du jour appelle les réponses à des questions d’actualité au Gouvernement.
Je rappelle que la séance est retransmise en direct sur Public Sénat et sur notre site internet.
J’appelle chacun à veiller au respect de son temps de parole, ainsi qu’au respect des uns et des autres.
M. le président. La parole est à M. Patrick Kanner, pour le groupe socialiste et républicain.
Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.
M. Patrick Kanner. Monsieur le Premier ministre, je vais vous parler de la réforme des retraites.
Exclamations amusées.
Depuis le début, avant même que ne soit entamé le parcours législatif du projet de loi, le Gouvernement a enchaîné les faux pas, les erreurs, les coups de menton… C’est peut-être cela, l’amateurisme que vous revendiquez.
Nous pouvons désormais le dire, nous assistons à un naufrage, sur le fond comme sur la forme.
Aujourd’hui, je traiterai de la forme, car, actuellement, elle nous empêche d’aborder sereinement le fond.
On ne peut aborder de cette façon une réforme systémique, d’une ampleur telle qu’elle engage le sort de la totalité des Français et concerne 14 % du PIB !
L’argument de l’urgence ne tient pas. Quelle urgence y a-t-il à voter un texte dont personne ne connaît le financement ?
La seule urgence est celle du Gouvernement, qui essaie de se tirer du bourbier dans lequel il s’est lui-même enlisé. Du bourbier naît l’enlisement, de l’enlisement naît la panique… Car, nous le voyons, la panique s’installe dans vos rangs.
Elle s’installe quand votre porte-parole affabule, en disant que l’urgence se justifie par les élections sénatoriales de septembre, qui empêcheraient selon elle le Parlement de siéger assez longtemps pour examiner la réforme.
Exclamations sur les travées des groupes SOCR et Les Républicains.
Nous sommes prêts à siéger en juillet si vous le décidez, monsieur le Premier ministre !
Applaudissements sur les travées des groupes SOCR et Les Républicains.
Elle s’installe quand, ce matin, vos troupes rejettent sans fondement, arbitrairement, la demande de commission d’enquête sur la sincérité de l’étude d’impact demandée par nos collègues députés du groupe socialiste et apparentés, dans le cadre de leur droit de tirage. Qu’avez-vous à cacher, monsieur le Premier ministre ?
Ma question est simple : allez-vous accepter la main tendue par le Sénat ? Allez-vous accepter notre proposition, en décalant le début de l’examen de la réforme par le Sénat à la fin de la conférence de financement ? Allez-vous, enfin, nous laisser travailler sereinement dans l’intérêt des Français ?
Bravo ! et applaudissements sur les travées des groupes SOCR, CRCE et Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe UC.
Monsieur le président Patrick Kanner, vous avez eu raison de le souligner, votre question porte plus sur la forme que sur le fond, et c’est donc sur ce point que je vais vous répondre.
Vous évoquez le moment où le texte arrivera au Sénat. Les deux motions de censure qui ont été déposées dimanche à l’Assemblée nationale ont été repoussées, hier, par deux votes distincts. Le texte est donc considéré comme adopté par l’Assemblée nationale aux termes des dispositions de l’article 49, alinéa 3 de la Constitution.
M. Édouard Philippe, Premier ministre. Je sais que vous n’avez pas de problème de principe avec l’article 49, alinéa 3 de la Constitution, monsieur Kanner…
Rires et applaudissements sur les travées du groupe LaREM, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.
En effet, de la même façon que vous êtes extrêmement attentif à ce que je dis et fais, je suis extrêmement attentif à ce que vous avez dit et fait, et j’ai bien noté qu’un gouvernement auquel vous apparteniez avait eu recours aux dispositions de l’article 49, alinéa 3.
Vous n’y êtes donc pas opposé par principe, j’en ai bien conscience.
Je vous remercie par ailleurs d’avoir souligné – nos concitoyens ne le saisissent pas toujours parfaitement – que l’adoption du texte par l’Assemblée nationale ne vient pas mettre un terme à son examen parlementaire.
Par rapport au texte initial du Gouvernement, le texte adopté hier a déjà été significativement enrichi et modifié, un très grand nombre d’amendements ayant été pris en compte.
Je ne puis en dresser la liste dans le temps qui m’est imparti, et que j’ai d’ailleurs déjà dépassé, mais il y en a plus de 400, monsieur le sénateur. Vous le constaterez lors de l’examen du texte par le Sénat.
Quant au calendrier, je l’ai précisé très tôt : il prévoit l’adoption définitive du projet de loi avant l’été.
M. Édouard Philippe, Premier ministre. Pour une raison très simple : nous avons voulu que la réforme s’applique dès le 1er janvier 2022 à tous ceux qui entreront pour la première fois sur le marché du travail, afin qu’ils puissent bénéficier des progrès sociaux et des nouveaux avantages offerts aux Françaises et aux Français.
Mme Patricia Schillinger et M. François Patriat applaudissent. – Marques de scepticisme sur les travées des groupes SOCR, CRCE et Les Républicains.
Or, après l’adoption définitive du projet de loi, nous devrons prendre un temps suffisant pour mettre en place la totalité du dispositif.
Vous le savez parfaitement, monsieur Kanner, le vote d’une loi autorise certes à mettre en place un système, mais il ne suffit pas à le créer en pratique. Prendre ce temps permet d’ailleurs généralement d’éviter les désagréments pouvant résulter de décisions législatives souvent généreuses, mais dont on ne voit pas exactement comment dont elles pourront être mises en œuvre.
Il nous faudra donc, entre l’adoption du projet de loi et le 1er janvier 2022, prévoir l’ensemble des instruments nécessaires au bon fonctionnement et à la bonne application du dispositif.
Le président du Sénat m’a adressé un courrier traitant du sujet que vous évoquez, monsieur Kanner. Je lui ai répondu par téléphone – j’espère, monsieur le président, que vous m’autorisez à faire état de ce contact.
M. le président. Bien sûr, monsieur le Premier ministre ! Ce fut par téléphone, mais les yeux dans les yeux.
Rires et applaudissements.
M. Édouard Philippe, Premier ministre. En ces temps où les contacts physiques deviennent plus compliqués, cette forme de tendresse me touche, monsieur le président !
Sourires.
Bref, monsieur Kanner, nous voulons faire en sorte que ce projet de loi soit adopté avant l’été.
J’ai indiqué au ministre chargé des relations avec le Parlement qu’il lui appartenait de se rapprocher du président du Sénat pour examiner dans quelles conditions nous pouvions nous assurer, à la fois, que la discussion parlementaire à la Haute Assemblée s’effectue dans d’excellentes conditions – nous l’espérons tous – et que l’objectif de l’adoption du texte avant l’été, que je me suis fixé, est atteint.
Cette discussion aura lieu dans les jours qui viennent et se fondera évidemment sur les relations de qualité que nous entretenons avec le président du Sénat.
Applaudissements sur les travées du groupe LaREM, ainsi que sur des travées des groupes RDSE et UC.
M. le président. La parole est à Mme Colette Mélot, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires.
Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants.
Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la propagation du coronavirus s’est imposée, en quelques semaines, comme la préoccupation majeure des Français.
Alors que le virus était encore récemment cantonné à la Chine, on compte désormais plus de 200 cas sur le territoire national. Mondialisation oblige, l’épidémie est devenue globale.
Toutefois, au-delà des aspects sanitaires, qui demeurent à juste titre la préoccupation principale du Gouvernement, c’est l’économie mondiale qui risque de se gripper. Vous avez annoncé qu’un ralentissement de la croissance nationale serait inévitable. De son côté, l’OCDE a mis en garde contre une récession pour de nombreux pays, notamment la France et certains partenaires européens.
Cela s’explique par l’effet domino qui affecte les chaînes de production mondialisées. De nombreuses usines chinoises ont été mises sous cloche, ce qui entraîne d’importantes difficultés d’approvisionnement pour notre industrie. Pour nos entreprises de services, la baisse de fréquentation est déjà sensible dans les secteurs du tourisme, de l’hôtellerie et de l’événementiel.
Cette épidémie nous fait aussi prendre conscience de notre forte dépendance économique dans certains secteurs stratégiques, notamment l’industrie pharmaceutique. Nous ne voulons pas être alarmistes, mais nous devons répondre aux préoccupations de nos entreprises, tout particulièrement de nos PME.
Madame la secrétaire d’État, quelle stratégie le Gouvernement a-t-il retenue pour limiter les conséquences économiques de cette épidémie pour toutes nos entreprises ? Comment l’articuler avec une action concertée au niveau européen ?
Enfin, sachant qu’un ralentissement de la croissance remet en question les prévisions, quel impact prévoyez-vous pour nos finances publiques ?
Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants, ainsi que sur des travées du groupe LaREM.
La parole est à Mme la secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances.
Madame la sénatrice Colette Mélot, vous avez raison de dire que cette crise du coronavirus aura un impact sur l’économie. Il est toutefois difficile de l’évaluer à ce stade, et certains chiffres assez fantaisistes circulent actuellement.
Nous savons que l’impact lié à la Chine est de 0, 1 point de PIB sur notre économie. Pour le reste, nous nous engageons, le Gouvernement, Bruno Le Maire et moi-même, à limiter autant que possible cet impact sur l’économie française, en prenant toutes les mesures utiles.
Nous entendons notamment redonner de la trésorerie aux PME et entreprises de taille intermédiaire qui seraient touchées.
Le 21 février dernier, nous avons réuni l’ensemble des secteurs d’activité – j’ai rencontré pour ma part toutes les filières industrielles – pour faire le point sur les facteurs susceptibles de peser sur l’activité.
On peut distinguer les entreprises exposées à la Chine, celles qui perdent des clients en France, faute de demande, et celles dont les chaînes de production peuvent être perturbées pendant quelques jours, voire une semaine, dans l’attente de livraisons provenant de pays affectés – la Chine, mais aussi la Corée du Sud, le Japon ou l’Italie, où la production peut être suspendue.
Nous avons pris des mesures très concrètes, comme le report des échéances sociales et fiscales à la demande des entreprises touchées, ou encore la possibilité de faire valoir la force majeure dans les contrats avec l’État.
Je profite d’ailleurs de ma présence au Sénat pour demander aux collectivités locales d’adopter la même stratégie et aux donneurs d’ordres de faire preuve de bienveillance envers leurs sous-traitants, afin de ne pas ajouter des pénalités à des entreprises déjà sous pression.
Nous facilitons aussi le recours aux heures supplémentaires pour les entreprises qui doivent activer leur production une fois les pièces manquantes réceptionnées. Inversement, nous finançons les périodes de chômage partiel et travaillons pour que celles-ci soient aussi l’occasion d’effectuer des formations professionnelles.
Nous agissons donc très concrètement, en coordination avec le G7 et l’Union européenne.
Applaudissements sur les travées du groupe LaREM.
La parole est à M. Bruno Retailleau, pour le groupe Les Républicains. (Vifs applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Bruno Retailleau. Monsieur le Premier ministre, ce devait être la mère de toutes les réformes ; c’est du moins ce que le Président de la République, Emmanuel Macron, nous avait promis, depuis l’Olympe.
Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.
Pas une seule étape, pas un seul étage sans un ratage ! Deux années studieuses de M. Delevoye pour rien, un avis cruel du Conseil d’État, un débat à l’Assemblée nationale escamoté, parce que l’essentiel de la discussion sur le financement se tenait dans une enceinte parallèle, et, pour finir, un article 49-3 décidé au sein d’un conseil des ministres convoqué en grande pompe pour discuter de la crise sanitaire !
Vous nous direz que c’est une habilité ; moi, je vous répondrai que c’est une maladresse. Monsieur le Premier ministre, débattre de la réforme des retraites sans en connaître le financement, c’est se moquer des Français !
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.
C’est pourtant ce qui se passerait si vous refusiez la main tendue du président du Sénat ; j’ai bien entendu, moi aussi, la question du président Kanner.
Une chose m’échappe : vous n’avez cessé de repousser les dates d’application de la réforme, jusqu’en 2047. Dès lors, pourquoi chipoter sur ces quinze jours, qui permettraient un examen de meilleure qualité au Sénat ?
Applaudissements prolongés sur les travées des groupes Les Républicains, SOCR et CRCE, ainsi que sur des travées du groupe UC.
Monsieur le président Bruno Retailleau, passer de 42 systèmes de retraite, avec leurs règles, leur originalité, leurs contraintes, leur déséquilibre aussi parfois, pour créer un système universel par répartition et par points, c’est évidemment une chose difficile et complexe.
En vérité, je n’ai jamais caché que la tâche serait redoutable. Que l’on soit pour ou contre un système universel, pour ou contre un système par répartition, pour ou contre un système par points, faire converger les 42 systèmes existants vers un système universel prenant en compte les transitions professionnelles sans perte de droits et permettant à la solidarité nationale de s’exprimer envers tous les actifs et les retraités, c’est assurément un exercice redoutable.
Nous avons donc pris le temps de travailler, et certains nous ont d’ailleurs reproché la longueur de cette phase préalable.
Je ne dis pas que vous avez formulé cette critique, monsieur Retailleau, mais je l’ai entendue pas très loin de vous…
Nous devions prendre le temps d’examiner les différentes options susceptibles d’être retenues et les problèmes qui ne manqueraient pas de se poser pour construire, peu à peu, une réforme globale.
Le texte a été présenté au mois de décembre. Et j’ai indiqué, c’est vrai, que je souhaitais qu’il soit adopté avant l’été 2020, de sorte que certaines de ses dispositions puissent s’appliquer le 1er janvier 2022, quand d’autres entreront en vigueur le 1er janvier 2025. Par ailleurs, nous avons en effet prévu, à juste titre selon moi, des périodes de transition progressives, jusqu’en 2037 ou 2047.
Toutefois, à l’Assemblée nationale, la discussion du texte en commission spéciale, puis dans l’hémicycle, n’a pas été possible, non pas en raison de l’absence des dispositions financières que vous évoquez, monsieur Retailleau, mais parce qu’une partie des oppositions – pas toutes – a délibérément choisi, et d’ailleurs assumé, une stratégie d’obstruction.
Des discussions infinies se sont ainsi engagées sur plusieurs milliers d’amendements visant des sujets très importants, comme la question de savoir s’il fallait privilégier dans la rédaction du texte « chaque année » ou « annuellement », « analogue » ou « similaire », « eu égard » ou « considérant »…
Sourires sur les travées du groupe LaREM.
Tout cela permettant à l’évidence de faire avancer le débat
Mêmes mouvements.
M. Édouard Philippe, Premier ministre. Contrairement à ce qui a été dit, l’article 49, alinéa 3 de la Constitution a parfois été utilisé pour faire face à ces situations d’obstruction. Je pense par exemple à sa mise en œuvre par Jean-Pierre Raffarin en 2003 pour faire voter le mode de scrutin des élections régionales. Je suis sûr que tout le monde s’en souvient dans cet hémicycle !
MM. Roger Karoutchi et Bruno Sido acquiescent.
Nous assumons donc l’utilisation des dispositions de l’article 49, alinéa 3. Les deux motions de censure déposées ont été repoussées hier, et le texte va maintenant arriver au Sénat.
J’ai dit que j’étais disposé à travailler avec le président du Sénat sur la bonne organisation du débat, mais, je le répète, je veux tenir mon engagement d’une adoption du texte avant l’été, afin que les mesures d’application nécessaires soient prises et que la réforme puisse entrer en vigueur le 1er janvier 2022.
Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.
Nous aurons l’occasion, monsieur le président Bruno Retailleau, de discuter de l’architecture d’ensemble et des détails de ce texte, et peut-être même des principes qui le fondent.
J’ai hâte de pouvoir le faire, parce que le sujet est passionnant et que de nombreuses questions restent ouvertes. Ce texte mérite un débat approfondi, et je suis certain que nous pourrons l’avoir ensemble.
Applaudissements sur les travées du groupe LaREM.
Nous vous demandons quinze jours, monsieur le Premier ministre, alors que, contrairement à ce que vous affirmez, pour des millions de Français cette réforme n’aura pas d’effets avant 2037 !
Vous ne réformez pas, vous déformez notre modèle social ! Vous vous apprêtez non pas à moderniser notre sécurité sociale, mais à créer une insécurité sociale.
Protestations sur les travées du groupe LaREM.
Pour des millions de Français qui seront perdants, vous baisserez les pensions !
Vous vous apprêtez à créer une sécurité sociale à deux vitesses, en distinguant la majorité des Français d’un côté, et ceux qui gagnent plus de trois plafonds de la sécurité sociale de l’autre.
J’ai en mémoire un souvenir brûlant : l’extrême solitude de l’exécutif face aux « gilets jaunes ».
Je suis sûr que ce souvenir vous hante. Mais quelles leçons en avez-vous tirées ?
Je ne crois pas qu’une poignée d’hommes et de femmes puissent décider, seuls contre tous, de modifier un pacte social aussi important pour l’avenir de millions de Français !
Bravo ! et vifs applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées des groupes UC et SOCR.
M. le président. La parole est à M. Olivier Cigolotti, pour le groupe Union Centriste.
Applaudissements sur les travées du groupe UC.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, vendredi dernier, le président Erdogan a pris la décision d’ouvrir les frontières de son pays aux exilés en route vers l’Union européenne, violant ainsi les accords de Genève conclus en 2016.
La Turquie, qui accueille près de 4 millions de migrants sur son sol, affirme ne pas être en mesure de faire face à un nouvel afflux de réfugiés syriens, afflux provoqué d’ailleurs par ses propres offensives militaires en Syrie, au travers de l’opération « Bouclier de printemps », menée dans la région d’Idlib.
Ankara a également accusé l’Union européenne d’avoir failli à ses obligations, notamment financières, découlant des accords de 2016.
Il semble toutefois que nous ayons nous-mêmes fourni cette arme au président Erdogan, en le laissant libre de s’en servir à tout moment contre l’Europe. C’est bel et bien du chantage !
Durant le week-end, plus de 24 000 tentatives d’entrées illégales ont été évitées et quelque 200 personnes ont été arrêtées, selon le gouvernement grec. De fait, de vives tensions ont éclaté avec les gardes-frontières.
Plusieurs embarcations pneumatiques transportant des migrants sont également arrivées sur les îles de la mer Égée, où les populations locales ont violemment tenté de les empêcher de débarquer. La situation est explosive et peut facilement dégénérer.
Certes, l’Union européenne s’est rapidement mobilisée. Frontex a déployé des renforts à la frontière gréco-turque et a activé la procédure de mise à disposition de moyens par les États membres.
De plus, la présidente de la Commission, Mme Ursula von der Leyen, a promis hier à la Grèce « toute l’aide nécessaire », notamment une enveloppe de 700 millions d’euros, dont la moitié sera mise à disposition immédiatement pour gérer cette vague migratoire.
Monsieur le ministre, l’Europe est-elle prête à faire face à une nouvelle crise des réfugiés ? Comment le Gouvernement entend-il agir pour apaiser ces tensions ?
Applaudissements sur les travées du groupe UC.
Monsieur le sénateur, différentes questions ayant été posées sur le sujet, je vous livrerai une réponse complète en plusieurs temps.
La crise que connaît actuellement le nord-ouest de la Syrie est dramatique. On se dirige vers un véritable cataclysme. Cette crise a une cause : la rupture des accords de Sotchi, qui prévoyaient que les environs d’Idlib, peuplés de trois millions d’habitants, soient considérés comme une zone de désescalade, afin que les groupes terroristes, nombreux, qui s’y trouvent soient démantelés et afin que la population puisse y vivre normalement, même si elle compte une bonne part de réfugiés.
La Turquie en avait la responsabilité, d’où la situation conflictuelle actuelle entre le régime syrien, qui a engagé une reconquête territoriale, et les forces turques présentes dans cette zone.
Ce conflit entraîne une catastrophe humanitaire, de même qu’un comportement inacceptable de la part de la Turquie, qui, pour satisfaire des objectifs internes et externes, notamment pour faire pression sur l’Union européenne, a décidé d’instrumentaliser les migrants qui se trouvaient depuis longtemps sur son propre territoire.
Cette prise d’otages n’est pas acceptable et doit être combattue.
Nos initiatives sont doubles. D’une part, nous agissons auprès de la Russie pour en revenir aux accords de Sotchi – la rencontre entre les présidents Poutine et Erdogan permettra peut-être d’atteindre ce résultat. D’autre part, nous exprimons notre totale solidarité avec la Grèce.
Applaudissements sur les travées du groupe LaREM.
M. le président. La parole est à M. Julien Bargeton, pour le groupe La République En Marche.
Applaudissements sur les travées du groupe LaREM.
Ma question s’adresse également à M. le ministre de l’Europe et des affaires étrangères.
L’Europe est aujourd’hui confrontée de plein fouet à une réaction en chaîne qui a commencé à Idlib, en Syrie, en passant par Ankara et Moscou, pour arriver à Lesbos. Depuis plusieurs jours, près de 13 000 réfugiés venus de Turquie traversent la Méditerranée en direction de la Grèce.
Cette crise est un nouveau test pour l’Union européenne. « Nous n’avons plus l’audace d’exister », nous alerte Bernard Guetta, notre collègue au Parlement européen, dans une récente tribune. Et de continuer : « L’inaction aussi a un prix… »
Cette crise défie à la fois l’espace et le temps. L’espace, car le Levant est devenu une épreuve de vérité pour l’Europe. Le temps, car la crise des réfugiés de 2015 n’a jamais été résolue. La solidarité entre États européens a été mise à mal, le mécanisme de répartition des migrants est resté lettre morte et, aujourd’hui, la stratégie européenne de gestion migratoire avec la Turquie se solde par un échec.
Il est toujours choquant de transformer des femmes, des enfants et des hommes en instruments de politique internationale. Nous le savons depuis Kant, l’être humain doit être toujours une fin en soi, jamais un moyen.
Il y va de la responsabilité du président Erdogan, militairement bloqué au nord de la Syrie, où est stationnée l’armée turque depuis l’offensive qu’il avait lui-même lancée il y a quelques mois, et que nous avions tous condamnée. Aujourd’hui, il n’hésite pas à demander cyniquement du soutien à ses alliés européens et à l’OTAN, une demande de soutien qui s’est muée en un chantage inadmissible et inacceptable.
Le Président de la République a exprimé sa pleine solidarité avec la Grèce et la Bulgarie ; il a clairement indiqué que la France participerait aux efforts européens afin de protéger nos frontières, notamment auprès de l’agence Frontex.
Ce matin, un conseil des ministres de l’intérieur de l’Union européenne s’est tenu pour faire le point sur la situation.
Monsieur le ministre, pouvez-vous nous informer de l’état d’esprit européen face à cette crise inédite et rappeler la position de notre diplomatie ?
Albert Camus le disait : « Je me révolte, donc nous sommes. » Il est temps que l’Europe se lève et se révolte face à cette crise migratoire.
Applaudissements sur les travées du groupe LaRE M. – M. Bernard Lalande applaudit également.
Monsieur le sénateur, je l’ai dit il y a un instant et je le répète avec force : dans cette affaire, la France est totalement solidaire de la Grèce. Elle l’est, d’abord, pour des raisons humanitaires, et, ensuite, pour des raisons politiques. Ce qui se passe en Grèce nous concerne tous, puisque nous appartenons ensemble à l’espace Schengen.
Je voudrais relever – vous l’avez noté – que la pression migratoire qui s’exerce aujourd’hui aux portes de la Grèce et, dans une moindre mesure, de la Bulgarie et de Chypre, c’est-à-dire aux portes de l’Europe, est organisée par le régime du président Erdogan et constitue un élément de chantage à l’égard de l’Union européenne.
Je vous le dis, l’Union européenne ne cédera pas à ce chantage !
Nous avons conclu un accord en mars 2016 avec la Turquie : celle-ci reçoit des financements importants en échange d’une gestion – difficile, je l’admets – des réfugiés issus de la crise syrienne antérieure. Quelque 6 milliards d’euros ont été engagés, dont la moitié a déjà été versée. Nous attendons de la Turquie qu’elle soit fidèle à ses engagements ; l’Union européenne a respecté les siens et elle continuera de le faire.
Par ailleurs, une réunion des ministres de l’intérieur de l’Union européenne a lieu cet après-midi. Moi-même, je me rendrai demain à Zagreb pour rencontrer mes collègues européens et débattre ensemble des moyens d’aider concrètement la Grèce dans cette situation particulièrement difficile.
Je pense que nous serons unanimes pour valoriser l’opération Frontex, mettre les moyens nécessaires à la disposition de la Grèce et aider ce pays à faire face à cette crise humanitaire.
Applaudissements sur les travées du groupe LaREM.
M. le président. La parole est à M. Éric Gold, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.
Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.
Ma question s’adresse à M. le ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse.
Au lendemain de la diffusion d’un rapport de l’inspection générale de l’éducation nationale, nous sommes souvent sollicités par les conseils d’administration des collèges et lycées sur la baisse des dotations horaires globales qui définissent le nombre d’heures de cours que les établissements peuvent dispenser.
Dans le Puy-de-Dôme, par exemple, plusieurs lycées ou collèges vont connaître une baisse régulière de la dotation horaire globale malgré des effectifs stables.
Ces heures en moins sont en majorité des heures d’autonomie qui servent à financer les enseignements facultatifs, mais aussi les dédoublements de classe, les échanges entre les élèves de filière générale et ceux des unités localisées pour l’inclusion scolaire (ULIS) ou des sections d’enseignement général et professionnel adapté (Segpa), ou encore l’accompagnement au choix de l’orientation.
Ainsi, une baisse de la dotation horaire globale, c’est moins de choix dans les options, moins d’accompagnement personnalisé, voire des classes surchargées. C’est une dégradation des conditions d’enseignement pour les professeurs et d’apprentissage pour les élèves.
Cette problématique est d’autant plus marquée dans certaines zones éloignées des métropoles.
D’une part, en termes d’égalité des chances, les élèves accueillis dans les établissements ruraux vivent souvent une école moins inclusive, avec moins d’enseignements spécialisés et d’options. D’autre part, l’éloignement des métropoles empêche les élèves de se tourner vers des établissements dispensant les options qui ne figurent pas dans le leur.
Compte tenu d’une offre culturelle moins dense dans ces territoires, l’école est un vecteur majeur d’ouverture sur le monde.
Enfin, une offre éducative de qualité attire les familles ; il est donc à craindre que la baisse de moyens attribués à ces établissements ne vienne aggraver la perte d’attractivité de certains territoires.
Monsieur le ministre, 42 % des élèves de zone rurale ont le sentiment de ne pas avoir assez d’informations pour s’orienter. Cette donnée et toutes celles que je viens d’évoquer doivent nous inciter à prendre davantage en compte les spécificités des établissements ruraux, dont les difficultés s’aggravent avec la baisse des dotations horaires globales.
Vous avez récemment affirmé que les défis que rencontre le milieu rural appellent un volontarisme politique et sociétal fort et vous avez reconnu des inégalités fortes, dès le collège, entre élèves ruraux et citadins.
Quelles mesures sont donc envisagées pour que, aux fractures sociales et territoriales, ne vienne pas s’ajouter une fracture éducative ?
Applaudissements sur les travées du groupe RDSE, ainsi que sur des travées des groupes Les Indépendants et UC.
La parole est à M. le ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse.
Monsieur le sénateur Gold, votre question porte sur un sujet très important, dont je parle fréquemment au Sénat, celui des écoles, collèges et lycées qui sont situés en milieu rural. Le Gouvernement y attache une très grande priorité, et nous devons mettre en place des stratégies à la fois quantitatives et qualitatives.
En vous écoutant, on pourrait croire que les écoles, collèges et lycées ruraux connaissent une évolution défavorable d’un point de vue quantitatif. Tel n’est pas le cas !
Je vais vous donner un seul chiffre pour le montrer : il y a 7 000 élèves en moins en milieu rural depuis trois ans, et nous créons à la rentrée prochaine plus de 250 postes dans les 45 départements les plus ruraux. Dans le Puy-de-Dôme, un département que vous connaissez bien, le taux d’encadrement en collège est aujourd’hui supérieur de 30 % à la moyenne nationale. Vous le voyez, il n’y a pas de problème quantitatif.
La véritable question est celle de la mise en place d’une stratégie qualitative pour rendre l’école, le collège et le lycée beaucoup plus attractifs et pour répondre aux problèmes que vous mentionnez.
Vous avez par exemple évoqué les questions de l’offre culturelle et de l’orientation, et je souhaite vous apporter des éléments de réponse.
En ce qui concerne l’offre culturelle, nous avons élaboré un plan Bibliothèques et un plan Numérique, qui permettent d’aider les collectivités locales à s’équiper en matériels informatiques ou en livres à destination des écoles ou des collèges.
S’agissant de l’orientation, nous avons mis en place, en liaison avec l’ensemble des régions, une nouvelle politique en la matière, particulièrement destinée aux collèges et lycées ruraux, afin de remédier au problème que vous soulevez.
Ce sont à mes yeux des questions d’unité nationale, qui, je l’ai dit à plusieurs reprises, doivent se traduire par des stratégies élaborées département par département.
Tel est le sens des travaux que nous avons menés avec le sénateur Duran et qui ont notamment permis de mettre en place les contrats départementaux de ruralité. Ces contrats permettent non seulement de garantir des postes et un bon taux d’encadrement, ce qui est un point important, mais surtout de développer les stratégies qualitatives dont je parlais à l’instant.
Je pense que nous serons d’accord sur ces sujets, tant il est important de soutenir les écoles, les collèges et les lycées en milieu rural.
Applaudissements sur les travées du groupe LaRE M. – M. Yvon Collin applaudit également.
La parole est à Mme Esther Benbassa, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
Monsieur le président, monsieur le ministre de l’Europe et des affaires étrangères, mes chers collègues, comme vous le savez, depuis décembre 2019 un drame se déroule à Idlib, en Syrie.
Mécontent de ne pas obtenir le soutien des leaders européens lors de ses frappes dans la région, le président Erdogan vient d’ouvrir ses frontières pour laisser passer, au mépris de leur sécurité et de leur dignité, des milliers de migrants se trouvant sur son sol et déterminés à rejoindre l’Europe.
L’Union européenne est responsable de cette situation, ayant elle-même fourni à la Turquie les outils de rétorsion que celle-ci utilise contre elle.
Au lieu de prendre notre part de l’accueil de ces populations en grande détresse, nous avons monnayé, en 2016, notre tranquillité migratoire avec M. Erdogan, lui laissant la charge de 3, 6 millions de migrants en échange de 6 milliards d’euros et de notre silence sur l’oppression de nos alliés kurdes.
Aujourd’hui, le flux migratoire se fait massif et l’Union européenne laisse la Bulgarie et la Grèce y faire face seules et de la pire façon, alors qu’elles ont besoin d’une aide financière et logistique immédiate.
Monsieur le ministre, la France est-elle susceptible de mettre sur pied, avec d’autres États membres de l’Union européenne, un plan solidaire et ambitieux de répartition des migrants §afin de les accueillir dignement et sans délai ?
Mme Esther Benbassa. C’est en effet le seul véritable antidote au déchaînement de l’extrême droite raciste et xénophobe.
Applaudissements sur les travées du groupe CRCE. – Mme Martine Filleul applaudit également. – Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.
Madame la sénatrice, j’ai commencé précédemment à répondre à cette question et je voudrais à ce stade de nos débats attirer l’attention du Sénat sur la situation humanitaire actuelle dans la zone d’Idlib.
Vous avez dit que le président Erdogan avait déclaré ses frontières ouvertes, mais vous savez bien que les frontières entre la Turquie et l’espace Schengen sont fermées, et nous ferons en sorte qu’elles le demeurent.
D’ailleurs, les ministres des affaires étrangères de l’Union européenne le rappelleront demain lors de leur réunion à Zagreb. Que les choses soient claires !
En ce qui concerne la région d’Idlib, il est important d’avoir pleinement conscience de la situation sur place. Sur les trois millions d’habitants, la moitié est constituée de réfugiés provenant des zones dites « de désescalade », instaurées au fur et à mesure de la reconquête territoriale par les forces de Bachar al-Assad.
Ainsi, lorsqu’une zone était reconquise par le régime de Bachar al-Assad, les habitants de ces zones, ainsi que les groupes terroristes présents, étaient déplacés dans la région d’Idlib. De ce fait, je le répète, sur les trois millions d’habitants de cette région, 1, 5 million sont des réfugiés.
Or ces réfugiés ne passeront pas en Turquie, puisque cette frontière est fermée. Ils sont dans un état incommensurable de dénuement et de détresse, sont soumis au froid, à la faim, aux épidémies et à la violence, en particulier les femmes et des filles, et sont contraints de se déplacer de nouveau en raison de l’offensive des forces du régime de Bachar al-Assad – ils remontent vers la frontière turque.
Le secrétaire général des Nations unies a d’ailleurs demandé l’ouverture d’une enquête sur les frappes aériennes délibérées perpétrées sur des objectifs civils – hôpitaux, écoles, etc. Si ces actes sont suffisamment documentés – nous allons nous atteler à faire en sorte que ce soit le cas –, ils pourraient éventuellement être reconnus comme des crimes de guerre.
Voilà la réalité de la situation dans la région d’Idlib.
M. Jean-Yves Le Drian, ministre. D’un point de vue humanitaire, la France et l’Union européenne seront au rendez-vous, pour aider ces populations, qui ne sont pas les réfugiés dont vous parliez, madame la sénatrice, et dont la migration est organisée par le président Erdogan, pour faire pression sur l’Europe.
Applaudissements sur les travées du groupe LaREM.
Monsieur le ministre, vous n’avez pas répondu à ma question !
Est-ce que l’Europe se prépare à mettre en place un programme d’accueil et de répartition dans l’ensemble de ses États membres de ces migrants, …
Mme Esther Benbassa. … qui s’entassent aux portes de la Grèce et de la Bulgarie ?
Applaudissements sur les travées du groupe CRCE. – Mme Martine Filleul applaudit également. – Protestations sur des travées du groupe Les Républicains.
M. le président. La parole est à M. François-Noël Buffet, pour le groupe Les Républicains.
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.
Ma question s’adresse à M. le ministre de l’intérieur.
En 2015, l’Europe a, dans un premier temps, laissé l’Italie et la Grèce faire face à la crise migratoire liée à la guerre au Levant. Il a fallu attendre plusieurs mois pour qu’elle décide de signer, moyennant un montant de 6 milliards d’euros, un accord avec la Turquie, afin de pallier son impréparation et son absence d’anticipation. La Turquie devait ainsi contenir une partie des réfugiés sur son territoire.
Aujourd’hui, la Grèce est de nouveau sous pression, certes dans des proportions moindres, en tout cas pour l’instant… Mais l’origine et la cause de cette migration ne sont pas tout à fait les mêmes, puisque la France et l’Europe sont confrontées au chantage du régime turc pour des raisons différentes et malheureuses, que M. le ministre vient de rappeler.
Pour autant, monsieur le ministre, qu’allez-vous faire pour renforcer la protection des frontières extérieures et en matière de politique migratoire européenne ? Quelle va être la voix de la France dans les heures et les jours qui viennent sur ces sujets ?
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.
La parole est à M. le secrétaire d’État auprès du ministre de l’intérieur.
Monsieur le sénateur, vous m’interrogez sur la position de la France sur la crise migratoire que nous connaissons actuellement. Je vais vous répondre d’abord pour le court terme, puis pour le moyen terme.
Je rappelle tout d’abord que la Grèce connaît, depuis l’automne 2019, une arrivée de migrants sur ses îles plus importante que celle qu’elle constatait auparavant.
Dans le cadre des politiques menées par l’Union européenne, la France a alors contribué au renforcement de Frontex. Notre pays a également participé à l’accroissement de la capacité de traitement des demandes d’asile par la Grèce. Je me suis d’ailleurs rendu en Grèce en janvier dernier, pour évoquer ces questions avec mon homologue ; le ministre de l’intérieur a fait de même.
Concernant la situation actuelle, un conseil des ministres de l’intérieur de l’Union européenne va se tenir aujourd’hui, à partir de dix-sept heures, pour répondre à la demande de solidarité de la Grèce. Ce conseil examinera notamment les moyens à mettre en œuvre pour renforcer Frontex et aider la Grèce à contrôler ses frontières. Comme l’indiquait le ministre de l’Europe et des affaires étrangères, la France participera bien évidemment à cette solidarité européenne.
À plus long terme, je vous renvoie, monsieur le sénateur, au débat qui a eu lieu en septembre dernier à l’Assemblée nationale et au Sénat sur la politique migratoire de la France.
Le Gouvernement a alors annoncé qu’il soutenait une réforme ambitieuse de la politique d’asile. Dans cette perspective, Amélie de Montchalin, secrétaire d’État chargée des affaires européennes, et moi-même avons entamé une tournée des capitales européennes, que nous allons poursuivre avec conviction.
Nous souhaitons obtenir un meilleur contrôle à nos frontières, mais surtout un meilleur traitement des demandes d’asile, de façon à pouvoir reconduire très vite ceux qui n’ont pas besoin de protection et accueillir ceux qui en ont besoin. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM.)
Je vous entends, monsieur le secrétaire d’État, mais cela fait bien longtemps que, dans cette assemblée, en particulier de ce côté de l’hémicycle, nous plaidons pour une politique migratoire européenne et une protection de nos frontières ; celle-ci nécessite de s’appuyer sur des moyens lourds.
Nous plaidons également pour une politique européenne d’asile efficace et faisant preuve d’anticipation.
Enfin, et surtout, comment anticiper et préparer le retour des réfugiés dans leur pays d’origine ? Le Gouvernement a-t-il une stratégie en la matière ?
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Françoise Férat applaudit également.
M. le président. La parole est à Mme Laurence Rossignol, pour le groupe socialiste et républicain.
Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.
Il y a tout juste une semaine, presque heure pour heure, nous apprenions que deux cas de coronavirus avaient été détectés dans l’Oise.
Dès le premier décès, le directeur général de l’agence régionale de santé et le préfet ont pris toutes les mesures de protection et de prévention nécessaires ; je tiens à saluer leur réactivité, leur sens des responsabilités et leur disponibilité auprès des élus locaux – ils sont d’ailleurs tous les deux confinés depuis lors.
Aujourd’hui, l’Oise compte 65 cas de contamination, dont 10 pour la seule base aérienne de Creil. À ma connaissance, 2 personnels civils sont hospitalisés. Vous comprendrez donc que, dans l’Oise, la base aérienne de Creil, la BA 110, soit vue comme l’épicentre de l’épidémie.
J’ai pris connaissance des éléments très détaillés fournis par le ministère des armées sur les conditions sanitaires du vol de rapatriement des Français de Wuhan. Selon le ministère, il n’y a aucun lien entre ce vol et la contamination. Pourtant, l’équipage de L ’ Estérel était composé d’environ dix personnes, et chaque jour 2 500 personnes entrent sur la base aérienne, y travaillent, y circulent et y mangent.
Comme vous le savez, le patient zéro de l’Oise n’a toujours pas été identifié.
Ma question est la suivante : comment le commandant de la base aérienne de Creil peut-il affirmer de manière aussi péremptoire et définitive que « le patient zéro n’est pas chez nous », c’est-à-dire de la BA 110 de Creil ? Aucune autre collectivité humaine n’oserait dire cela dans la même situation.
Applaudissements sur les travées du groupe SOCR, ainsi que sur des travées du groupe CRCE.
La parole est à Mme la secrétaire d’État auprès de la ministre des armées.
Madame la sénatrice, vous posez une question qui tourne en boucle depuis une semaine : la potentielle transmission du virus dans l’Oise par la base de Creil.
Ce que nous pouvons affirmer, madame la sénatrice, c’est que les militaires de l’escadron Estérel qui se sont rendus à Wuhan pour rapatrier des Français ont respecté toutes les mesures prescrites : en Chine, ils ne sont pas sortis de l’appareil ; lorsqu’ils sont revenus, ils ont été mis à l’isolement chez eux.
De fait, ils n’ont présenté aucun symptôme, comme d’ailleurs toutes les personnes rapatriées par ce vol. Aucun membre du service de santé des armées qui était sur ce vol sans être basé à Creil n’a présenté de symptôme. Nous pouvons donc affirmer que le patient zéro ne fait pas partie de ce vol.
Le patient zéro habite peut-être dans l’Oise et il a pu être en contact avec quelqu’un de la base aérienne de Creil. Ce qui est certain, c’est que le commandant a pris des mesures très fortes pour limiter le risque d’expansion du virus : d’abord, une équipe d’épidémiologistes est sur place depuis une semaine ; ensuite, toutes les sorties inutiles ont été annulées et l’activité de la base a été réduite. Toutes les mesures préconisées par le ministère des solidarités et de la santé ont été mises en œuvre.
La base aérienne de Creil connaît effectivement des cas, mais rien ne dit que l’un d’entre eux est le patient zéro ou qu’ils n’ont pas été infectés à l’extérieur. L’épidémiologie est une science complexe, surtout dans un contexte de déplacements fréquents et de fort brassage de population.
Je crois qu’il ne faut pas jeter l’anathème sur un lieu, où toutes les précautions ont été prises. Nous devons tout simplement continuer les enquêtes.
Rien ne dit en effet que la base aérienne soit l’origine du foyer, mais rien ne dit le contraire non plus !
En tout cas, les conséquences pour la population du bassin creillois sont importantes : dans quatre communes, toutes les écoles sont fermées, alors qu’aucun cas de contamination n’y a été constaté. Tous les cas de contamination sont situés sur la base aérienne de Creil.
Seule l’armée peut investiguer sur son propre territoire, les conséquences sur la population civile sont importantes, et je continue de penser que les propos du commandant de la base, selon lesquels celle-ci n’a rien à voir avec le patient zéro, étaient hasardeux et audacieux.
Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.
M. le président. La parole est à M. Robert del Picchia, pour le groupe Les Républicains.
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.
M. Robert del Picchia. Ma question s’adresse à M. le ministre de l’Europe et des affaires étrangères, mais je suis un peu ennuyé… En effet, une bonne pédagogie est certes basée sur la répétition – M. Blanquer ne me contredira pas…
Sourires.
Je voudrais tout simplement savoir ce que va faire l’Union européenne et combien tout cela va encore nous coûter. Nous avons déjà payé environ 3 milliards d’euros : comment arrêter ce processus ?
Je crois que, pour cela, nous devons revenir aux fondamentaux. Ne devrions-nous pas lancer un appel solennel à la Turquie, ainsi qu’à la Russie ? Ce sont tout de même ces pays qui sont à l’origine de la situation que nous connaissons, du fait des différents bombardements dans la région d’Idlib.
M. le ministre de l ’ Europe et des affaires étrangères, acquiesce.
Dans ces conditions, que peut faire l’Union européenne, si ce n’est lancer un appel très sérieux à la Turquie et à la Russie pour qu’ils se mettent d’accord ? Les problèmes humanitaires sont de plus en plus nombreux et importants et je ne crois pas qu’il y ait d’autre solution qu’un accord entre ces deux pays.
M. Borrell, haut représentant de l’Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, s’est rendu à Ankara, et il vous fera part des résultats de ses entretiens lors de votre réunion de Zagreb. Je ne sais pas si ces entretiens aboutiront à quelque chose, mais il nous faut, en tout état de cause, sortir de cette situation.
Je me rends compte que ce n’est pas facile, mais nous vous faisons confiance, monsieur le ministre !
Sourires et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.
J’ai, avec le sénateur del Picchia, une ancienne et ininterrompue conversation sur la question turque… Et puisqu’il m’y invite, je vais compléter mes propos précédents.
Nous avons, avec la Turquie, plusieurs sujets de contentieux lourds, dont certains sont récents, ainsi que différents points d’irritation, le dernier étant le non-respect de l’accord de 2016 avec l’Union européenne, événement qui se produit sous nos yeux.
Je pourrais ainsi citer la question récente du nord-est syrien, où l’initiative turque a remis en cause notre manière d’appréhender la sécurité dans cette région, ou encore les actions turques en Méditerranée orientale, où nos engagements sont opposés, et en Libye, où l’armée turque rompt l’embargo décidé par les Nations unies, en acheminant en Libye des forces syriennes, ce que l’on appelle des proxy – ceux-ci viennent d’ailleurs souvent de la région d’Idlib.
Je pourrais également citer le dossier de l’OTAN, où l’ambiguïté demeure – j’en parlerai à l’occasion d’une prochaine question –, la question des libertés, pour laquelle des divergences majeures sont apparues, et bien sûr, je le répète, l’instrumentalisation des migrants, qui n’est pas acceptable.
Pour autant, nous sommes dans la même alliance ! C’est pourquoi nous devrons rapidement avoir avec la Turquie une explication franche, publique, exhaustive et exigeante, pour savoir où chacun se situe et où sont nos intérêts communs. Sans une telle explication, nous n’en sortirons pas – je vous rejoins sur ce point, monsieur le sénateur. L’actualité nous l’impose.
Cela n’obère aucunement les discussions que le Président de la République a déjà et aura encore avec le président Poutine.
L’impératif d’exigence vis-à-vis de la Turquie me paraît essentiel, d’autant que nous avons tout de même un point commun : la lutte contre le terrorisme. Je vous rappelle que nombre de groupes terroristes, dont Daech, et de combattants étrangers, dont des Français, sont présents dans la zone d’Idlib.
Applaudissements sur les travées du groupe LaRE M. – Mmes Françoise Gatel et Joëlle Garriaud-Maylam applaudissent également.
Je vous remercie, monsieur le ministre.
Ne serait-il pas temps de réfléchir à une solution politique en Syrie, que l’ONU ou une autre organisation pourrait « imposer » aux différents acteurs ?
M. le président. La parole est à M. Jacques Le Nay, pour le groupe Union Centriste.
Applaudissements sur les travées du groupe UC.
Ma question s’adresse à Mme la secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances.
M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances, a déclaré vendredi dernier : « L’État considère le coronavirus comme un cas de force majeure dans les contrats qui le lient avec ses partenaires ». Cela me paraît être une bonne mesure. Pourquoi ne pas appliquer cette disposition aux contrats conclus entre les collectivités territoriales et leurs partenaires ? Plus globalement, quid du secteur privé ?
Alors que le marché pétrolier est gagné par la panique et que l’OCDE prévoit une véritable chute de la croissance mondiale, les conséquences négatives du coronavirus sur notre économie paraissent inéluctables.
M. Bruno Le Maire a annoncé hier des mesures relatives à l’étalement du paiement des cotisations sociales et des impôts. Cela suffira-t-il ? Vous venez d’évoquer ce sujet, madame la secrétaire d’État, dans votre réponse à ma collègue Colette Mélot.
Dans notre droit, le cas de force majeure est reconnu comme un événement imprévisible et irrésistible. Or ce facteur d’imprévisibilité ne s’applique pas dans le cas présent, puisque le coronavirus sévit depuis plusieurs mois. Ce flou autour de la notion de force majeure place nos entreprises, en l’état actuel du droit, face à un risque imminent d’une inexécution de contrat, risque pour lequel elles n’auront aucune garantie d’assurance.
Transport, culture, restauration, hôtellerie, voilà les secteurs qui subissent déjà les conséquences de cette épidémie. En cas de fort ralentissement de l’économie nationale, les entreprises concernées n’auront pas les moyens d’assumer dans les mois à venir les charges qui leur incombent.
Dans ces conditions, quelles mesures comptez-vous mettre en place pour les accompagner ? N’est-il pas nécessaire d’envisager un élargissement du cas de force majeure à toutes les relations contractuelles, afin d’éviter une future récession financière touchant l’ensemble de nos secteurs d’activité ?
Applaudissements sur les travées du groupe UC.
La parole est à Mme la secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances.
Monsieur le sénateur Le Nay, au fond, vous posez trois questions.
La première concerne le cas de force majeure que pourrait reconnaître l’État pour le compte de contrats privés. L’État peut le faire dans le cadre des contrats qu’il a directement avec des acteurs du secteur privé. Il l’a d’ailleurs fait, vous l’avez souligné, et je crois que cela a beaucoup rassuré les entreprises avec lesquelles nous sommes en relation.
En revanche, il n’est pas possible pour l’État de prendre cette décision à la place des collectivités locales – je sais que vous êtes très soucieux de la libre administration des collectivités locales. Pour autant, je ne doute pas que les collectivités le feront également, en leur âme et conscience, dans les jours qui viennent. Nous avons envoyé à l’ensemble des associations de collectivités locales un courrier en ce sens.
S’agissant des relations contractuelles entre acteurs privés, il n’appartient pas à l’État de s’y immiscer.
En revanche, nous avons d’ores et déjà anticipé, puisque nous avons demandé à chaque filière de faire preuve de bienveillance dans les relations entre les donneurs d’ordre et les sous-traitants et de nous alerter, si des difficultés apparaissent. Nous avons également saisi le médiateur des entreprises de façon à ce qu’il intervienne en cas de besoin.
Plus largement, je ne vais pas revenir sur l’ensemble des mesures que nous avons d’ores et déjà prises. Je rappellerai simplement un chiffre : avec le report d’échéances fiscales et sociales que nous avons mis en place l’année dernière, au moment de la crise des « gilets jaunes », ce sont 400 millions d’euros qui ont été réinjectés dans l’économie. Il s’agit donc d’une mesure puissante.
Aujourd’hui, nous examinons la possibilité de faire comme l’Italie, c’est-à-dire de rendre cette mesure plus automatique, l’objectif étant de faire en sorte que les entreprises se concentrent sur leur chiffre d’affaires et sur leurs problématiques opérationnelles, sans perdre du temps sur les aspects plus administratifs.
Applaudissements sur les travées du groupe LaREM.
M. le président. La parole est à M. Jérôme Bascher, pour le groupe Les Républicains.
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.
M. Jérôme Bascher. Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, ma question s’adressait à M. Olivier Véran, qui doit être confiné …
Rires sur des travées du groupe Les Républicains. – Murmures de désapprobation sur les travées des groupes LaREM, Les Indépendants et RDSE.
Elle s’adressera en fait à M. Taquet, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé, et, plus généralement, à tous les ministres qui se sentent concernés par la lutte contre le Covid-19 et ce qui ne manquera pas d’être une épidémie. J’y associe évidemment mes collègues de l’Oise, du Morbihan et de la Haute-Savoie, qui vont être concernés par la question.
Pour ce qui est de l’Oise, un quotidien a titré sur « les rues qui se vident ». La désorganisation est là ! Quoi qu’en ait dit le Gouvernement depuis un mois et demi, on constate bien une impréparation à cette crise.
Nous le vivons chaque jour dans l’Oise, où c’est l’improvisation qui règne pour décider de fermer des écoles, d’autoriser des déplacements de classes. Et je ne parle pas des masques : le Gouvernement nous a dit et répété que 15 millions de masques allaient être distribués. Or ils ne sont disponibles pour les professions médicales que depuis hier.
Dans cette pseudo-préparation, vous avez oublié les « premiers de cordée » que sont les médecins libéraux, les hospitaliers, les infirmiers, les pompiers, les visiteurs d’Ehpad et les visiteurs à domicile. Ceux-là n’apparaissent pas dans votre plan…
Néanmoins, ma question porte sur sujet différent. Demain ont lieu des élections municipales, et d’autres « premiers de cordée » sont concernés, à savoir les élus. Que ferez-vous pour protéger ceux qui tiendront les bureaux de vote municipaux ? Envisagez-vous de reporter les élections municipales ?
Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains. – Murmures sur les travées des groupes SOCR et UC.
La parole est à M. le secrétaire d’État auprès du ministre de l’intérieur.
Monsieur Bascher, je vais répondre très précisément à la question sur les élections municipales, mais, tout d’abord, je ne puis évidemment pas vous laisser parler d’une « impréparation » à la crise que nous vivons avec cette épidémie !
J’ai d’ailleurs moi-même appelé, dès la sortie du conseil de défense, la plupart des élus de l’Oise pour leur expliquer les mesures que nous avions prises dans la plus grande transparence. Jamais peut-être une crise n’aura été gérée dans une telle transparence.
Je crois qu’il ne faut pas rompre le consensus sur un sujet qui intéresse la Nation tout entière. Or vous prenez la responsabilité de le rompre, monsieur le sénateur.
Applaudissements sur les travées du groupe LaREM, ainsi que sur des travées du groupe UC.
M. Didier Guillaume, ministre de l ’ agriculture et de l ’ alimentation. Et Olivier Véran ne fait pas l’objet d’un confinement !
Sourires.
Concernant les élections municipales, il y a d’abord l’état du droit.
Vous le savez, la date des élections municipales est fixée par un décret pris en application du code électoral. C’est généralement en mars. Le report par décret n’est possible que dans les limites du mois de mars ; au-delà, il faudrait une loi.
Ce qui nous importe, c’est la situation sanitaire.
Est-ce qu’il y a un risque sanitaire à se rendre dans un bureau de vote ? En l’état de nos connaissances sur le virus, il n’y a pas de risque identifié à ce stade, les votants étant assez éloignés les uns des autres – il y a généralement des espaces d’un mètre dans une file.
Aussi, il n’est évidemment pas envisagé de reporter les élections municipales. Cette décision n’est absolument pas à l’ordre du jour.
Ah ! sur les travées du groupe Les Républicains.
Évidemment, nous aurons des discussions avec les associations d’élus pour savoir quelles mesures prophylactiques il convient éventuellement d’envisager pour que les élections se déroulent tout à fait normalement, ce qui est le souhait du Gouvernement.
Pour conclure, je vous confirme le maintien des élections, monsieur le sénateur, tout en déplorant de nouveau les propos que vous avez tenus et qui m’apparaissent indignes au regard de l’engagement dans notre pays de l’ensemble du système sanitaire, de l’appareil administratif et du Gouvernement.
Applaudissements sur les travées du groupe LaRE M. – Protestations sur des travées du groupe Les Républicains.
M. Jérôme Bascher. Monsieur le secrétaire d’État, ne parlons pas d’indignité ! Nous sommes sur le terrain comme vous. Le préfet fait son travail. Il est d’ailleurs contaminé, preuve que l’on n’en a pas fait assez pour les « premiers de cordée ».
Exclamations sur les travées des groupes LaREM, Les Indépendants et UC.
Je vous remercie de votre réponse, mais sachez que nous sommes aussi attentifs que vous à la démocratie, monsieur le secrétaire d’État. Quant à la crise, ne vous inquiétez pas, le Parlement contrôlera ce qui se sera passé via une commission d’enquête.
Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.
La parole est à M. Bernard Buis, pour le groupe La République En Marche.
Monsieur le président, mes chers collègues, ma question s’adresse à M. le secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé.
Monsieur le secrétaire d’État, en octobre dernier, vous avez présenté la stratégie nationale de prévention et de protection de l’enfance.
Je salue chaleureusement cette initiative. En effet, vous avez su faire de la protection de l’enfance une priorité nationale, en y consacrant des crédits considérables. Une première enveloppe annuelle supplémentaire de 80 millions d’euros sera déployée dès cette année, et des crédits complémentaires devraient suivre en 2021 et 2022. Bilans de santé obligatoires, préventions des risques de maltraitance et autres actions pourront être développés grâce à ces crédits.
Je vous remercie, monsieur le secrétaire d’État, de mettre ainsi un coup de projecteur sur les plus fragiles de nos concitoyens : les enfants en danger ou maltraités, que ce soit au sein de leur famille ou dans certaines structures d’accueil. Un récent reportage sur la prise en charge de ces enfants a d’ailleurs secoué nombre de téléspectateurs et d’élus.
Si l’État marque sa volonté d’agir avec le déploiement des budgets supplémentaires évoqués, ce sont pourtant les départements qui sont chargés de la compétence « protection de l’enfance ».
J’en profite pour saluer le travail remarquable et si difficile des professionnels, qui interviennent, parfois dans des conditions dégradées, pour accompagner et aider ces enfants, nos enfants, ceux de la République.
C’est d’ailleurs vers les présidents de conseil départemental que vous vous êtes naturellement tourné, en novembre dernier, pour leur demander s’ils étaient volontaires pour partager les objectifs de l’État dans ce domaine.
Monsieur le secrétaire d’État, pouvez-vous faire un point d’étape sur cette action et nous indiquer combien de départements ont effectivement candidaté et combien sont engagés dans ce processus de contractualisation ? Envisagez-vous un nouvel appel à candidatures dans les prochains mois ?
Applaudissements sur les travées du groupe LaREM.
La parole est à M. le secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé.
M. Adrien Taquet, secrétaire d ’ État auprès du ministre des solidarités et de la santé. Mesdames, messieurs les sénateurs, monsieur le sénateur Buis, c’est une compétence des départements, vous avez raison, mais elle est en réalité partagée. C’est peut-être ce que l’État a quelque peu oublié ces trente dernières années.
M. Jean-Louis Tourenne s ’ exclame.
Vous l’avez rappelé, la stratégie de prévention et de protection de l’enfance, que j’ai présentée en octobre dernier, contient une partie contractualisation, avec des moyens supplémentaires, sur lesquels je reviendrai, mais aussi un ensemble de mesures nationales, qui permettent une nouvelle approche et un pilotage renforcé de cette politique – un pilotage, je le répète, partagé.
L’État doit aussi être au rendez-vous de ses propres compétences quand il s’agit d’éducation ou de santé. C’est la raison pour laquelle je veux réformer le pilotage de la protection de l’enfance.
Aussi, j’ai demandé à la Haute Autorité de santé d’établir un référentiel sur l’évaluation des situations de danger pour les enfants. Aujourd’hui, il faut savoir qu’un enfant n’est pas en danger de la même façon selon qu’il se trouve à Lille ou à Marseille. C’est absolument incompréhensible.
J’ai également demandé au Conseil national de la protection de l’enfance d’établir des taux d’encadrement nationaux pour les établissements dans lesquels se trouvent nos enfants.
Je reviens à la dimension de contractualisation. J’ai effectivement proposé aux départements de contractualiser avec l’État.
Cette proposition est le fruit d’une concertation de trois mois qui a associé l’ensemble des parties prenantes et au terme deux propositions ont été faites aux départements : tout d’abord, soumettre des projets de réinvestissement dans la protection maternelle et infantile, car je crois beaucoup dans la nécessité d’investir davantage dans la prévention ; ensuite, faire remonter des projets de prise en charge des enfants en situation de handicap, qui sont au croisement du social et du médico-social.
Or, dans un pays comme le nôtre, qui aime fonctionner en silos, ils ont tendance à se perdre dans les interstices.
Sachez que 62 départements ont répondu favorablement à la proposition que je leur faisais ; 30 d’entre eux ont été sélectionnés, et, d’ici au 1er juillet prochain, 30 contrats territorialisés vont être conclus. D’ici à cette date, nous sélectionnerons également les 30 départements suivants, de sorte que la mise en œuvre de cette contractualisation, avec les fonds correspondants, puisse être effective à partir du 1er janvier 2021.
Applaudissements sur les travées du groupe LaREM.
La parole est à Mme Brigitte Lherbier, pour le groupe Les Républicains.
Ma question s’adresse à Mme le ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation.
Madame la ministre, depuis plus de trois mois, des universitaires sont en grève en France. C’est le cas par exemple à l’université de Lille, où certains enseignants n’assurent plus leurs cours depuis le 5 décembre dernier.
Ces enseignants ne sont pas astreints à déclarer leur grève, ce qui paralyse le fonctionnement de l’université. La liste de leurs revendications est sans fin, même si la baisse des crédits consacrés aux laboratoires de recherche paraît être le détonateur de leur mouvement de contestation.
Ce sont les étudiants qui n’ont plus cours depuis plusieurs mois qui m’ont alertée.
Je sais, à l’heure qu’il est, que les étudiants sont à la fois inquiets et en colère, parce qu’ils ne sont plus en mesure de recevoir l’enseignement pour lequel ils se sont inscrits à l’université. Je tiens d’ailleurs à en saluer quelques-uns, présents aujourd’hui dans le public. D’autres collègues ont eu les mêmes retours.
Ces mouvements se répètent au sein de nos universités, au détriment de la formation de nos jeunes. La situation de l’enseignement supérieur est particulièrement préoccupante. Année après année, nos universités ne cessent de reculer au sein des grands classements internationaux. Si rien n’est fait, les inégalités vont encore s’accroître entre les étudiants : il y a ceux qui iront étudier dans les grandes écoles ou à l’étranger et les autres. Nos étudiants ont pourtant tous droit à un enseignement supérieur de qualité.
Bien sûr, le niveau des examens finaux s’adaptera aux programmes réellement étudiés par ces étudiants, mais l’accès aux concours nationaux leur sera très difficile, voire impossible.
L’ascenseur social, qui était l’essence même de l’université, ne peut pas fonctionner dans de telles conditions.
Madame la ministre, quelle est la position du Gouvernement, que l’on a peu entendu sur ce sujet ? Qu’avez-vous à dire aux étudiants qui sont privés de cours depuis quelque temps ?
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.
La parole est à Mme la ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation.
Madame la sénatrice Lherbier, les situations que vous avez décrites existent. Elles sont heureusement extrêmement minoritaires. Il appartient aux responsables des enseignements, des formations, aux présidents d’université de tout faire pour les éviter.
De tels mouvements sont observés dans un petit nombre d’universités, mais on constate aussi de plus en plus souvent que les étudiants font entendre leur voix. Cela a été le cas, pas plus tard qu’avant-hier, lors d’une assemblée générale au centre René-Cassin de l’université Panthéon-Sorbonne, à l’issue de laquelle les étudiants ont voté, cette fois à la majorité, pour que les cours reprennent.
Il y a une forme de prise en otage des étudiants…
Protestations sur les travées des groupes CRCE et SOCR.
… par un groupe, je le répète, minoritaire d’enseignants, qui refusent de faire cours. C’est leur droit le plus strict, mais ils doivent alors se déclarer en grève ; il est important que la continuité de l’enseignement soit assurée au sein des universités.
À ce jour, nous déplorons effectivement un blocage qui dure depuis quelques semaines à l’université Paul-Valéry, ainsi que dans quelques formations de l’université de Lille. Je suis en liaison permanente avec les présidents d’université, qui essaient de résoudre ce problème.
J’y insiste, la situation est extrêmement complexe pour ces étudiants, privés de leurs enseignements, ce qui nuit à leur formation, à laquelle ils accordent évidemment une grande importance. C’est l’honneur de la très grande majorité des enseignants-chercheurs dans les universités que de veiller à ce que ces enseignements puissent avoir lieu.
Enfin, je le rappelle, nous avons mis en place le plan Étudiants, avec plus d’un milliard d’euros alloués aux universités sur la durée du quinquennat, …
Mme Frédérique Vidal, ministre. … et nous préparons la loi de programmation pour la recherche, qui valorisera l’ensemble des activités des chercheurs et des enseignants-chercheurs dans notre pays.
Applaudissements sur les travées du groupe LaREM.
M. le président. La parole est à M. André Vallini, pour le groupe socialiste et républicain.
Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.
L’inconvénient de passer en fin de séance, c’est que la question que je souhaite aborder a déjà été largement évoquée par mes collègues Bargeton, Benbassa, Buffet et Cigolotti, puis, à l’instant, par M. del Picchia.
Sourires.
Justement, monsieur le ministre des affaires étrangères, vous avez déclaré avoir une conversation privilégiée avec M. del Picchia depuis quelques années sur le sujet de la Turquie. Permettez-moi de m’immiscer dans cette conversation, en vous posant la question de l’appartenance de la Turquie à l’OTAN.
Bien qu’elle soit membre de l’Alliance atlantique, depuis quelques mois, la Turquie a acheté des missiles russes, plutôt qu’occidentaux. Elle a attaqué les Kurdes, nos alliés contre l’État islamique, sans prévenir ses alliés occidentaux. Elle intervient en Libye, en dehors de tout accord international. Enfin, depuis quelques jours, vous l’avez reconnu, elle fait du chantage à l’égard de ces mêmes alliés, notamment ceux de l’Europe occidentale.
Pour toutes ces raisons, la question de l’appartenance de la Turquie à l’OTAN doit se poser. Voilà quelques mois, le président Macron a considéré que cette organisation était « en état de mort cérébrale ». Le moment n’est-il pas venu de provoquer un électrochoc, en posant en son sein cette question ?
Applaudissements sur les travées des groupes SOCR et LaRE M. – M. Pierre Ouzoulias applaudit également.
M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l ’ Europe et des affaires étrangères. Monsieur le sénateur Vallini, bienvenue au club de la conversation sur la Turquie !
Sourires.
Vous avez raison de souligner les ambiguïtés de ce pays. J’en ai relevé quatre, au moins.
Tout d’abord, comme vous l’avez rappelé, en octobre dernier la Turquie a mené une intervention unilatérale contre nos alliés kurdes, dans le cadre de la coalition contre Daech, dont est membre l’OTAN, dont elle-même fait partie … C’est une première ambiguïté.
Par ailleurs, la Turquie a décidé unilatéralement de délimiter des zones maritimes de juridiction propre, en contradiction avec le droit de la mer, ce que nous contestons. En plus, elle mène des manœuvres militaires contre un autre pays membre de la même alliance qu’elle, à savoir la Grèce, en attendant d’autres cibles… J’espère que ce ne sera pas nous ! C’est une deuxième ambiguïté.
En outre, la Turquie vient de demander à l’OTAN un soutien militaire et des mesures de réassurance dans le domaine de la défense aérienne et de la défense antimissile. Dans le même temps, elle achète à la Russie du matériel S-400, dont l’interopérabilité au sein de l’alliance n’est pas avérée, au contraire. C’est une troisième ambiguïté.
Enfin, quand elle se trouve attaquée à Idlib, la Turquie se retourne vers l’OTAN pour réclamer l’application de l’article 4 et la solidarité des alliés. Je parle bien de l’article 4, et non pas de l’article 5.
Aux termes de cet article, il faut ouvrir des conversations, ce que nous avons fait, comme pour tout membre de l’alliance. Mais dans le même temps, la Turquie instrumentalise avec cynisme les migrants, comme je l’ai évoqué. C’est une quatrième ambiguïté.
Oui, monsieur le sénateur, la grande explication s’impose. Elle s’impose dans nos relations bilatérales avec la Turquie, mais aussi au sein de l’alliance. Le Président de la République a demandé qu’une réforme stratégique de l’OTAN soit mise en œuvre. Je crois que cela fait partie de cette discussion.
Applaudissements sur les travées du groupe LaREM.
Je vous remercie, monsieur le ministre. Ces ambiguïtés, comme vous dites, sont maintenant insupportables.
Le président Erdogan fait preuve d’une duplicité totale. Nous ne pouvons plus supporter ce comportement, qui est totalement contraire aux engagements qui nous lient au sein de l’alliance atlantique.
Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe SOCR, ainsi que sur des travées des groupes CRCE, LaREM, UC et Les Républicains.
La parole est à Mme Christine Herzog, pour la réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe.
Ma question s’adresse à M. le ministre de l’agriculture et de l’alimentation.
Monsieur le ministre, les agriculteurs, les collaborateurs d’exploitation et les aides familiaux ont besoin d’une réponse précise de votre part sur l’avenir de leur retraite.
Actuellement, la pension moyenne après une carrière complète est de 740 euros par mois pour un agriculteur et de 550 euros pour leur conjoint collaborateur.
En avril 2019, le Président de la République avait annoncé lui-même que la réforme des retraites permettrait aux agriculteurs d’avoir un minimum de 1 000 euros. Nous avions tous salué, à l’époque, cette mesure très attendue, que le Sénat avait d’ailleurs défendue en mai 2018. Le Gouvernement l’avait alors refusée, en nous expliquant qu’elle serait intégrée à la future réforme.
Qu’en est-il aujourd’hui ? Nous apprenons finalement que cette retraite minimum concernera uniquement ceux qui ont cotisé tout au long de leur carrière comme chef d’exploitation et qui ont été rémunérés au niveau du SMIC. Ce mode de calcul, dans les faits, va exclure les trois quarts des retraités concernés, particulièrement les femmes d’agriculteurs.
De plus, cette mesure ne sera appliquée qu’en 2022, laissant les retraités actuels dans la précarité que nous constatons déjà.
Enfin, nous apprenons maintenant que ni les 1 000 euros ni les 85 % du SMIC promis ne sont inscrits dans la loi et qu’ils feront l’objet d’un décret.
Pour répondre aux inquiétudes des agriculteurs et des élus, le ministre de la santé a annoncé ici même qu’une mission parlementaire ferait des propositions à l’automne prochain.
Ce n’est pas la réponse que nous attendions. La situation est connue depuis longtemps, et son niveau d’urgence l’est également. Je vous demande donc, monsieur le ministre, de nous dire clairement comment votre réforme va améliorer le sort des différentes catégories d’agriculteurs.
Applaudissements sur des travées des groupes Les Républicains et UC. – M. Jean Louis Masson applaudit également.
Madame la sénatrice Herzog, cette question est très importante, et je vous remercie de me l’avoir posée.
Vous dites que les 1 000 euros et les 85 % du SMIC ne sont pas dans la réforme. Je vous le confirme, ils y figurent bien. D’ailleurs, les agriculteurs feront partie de ceux qui seront gagnants à 100 %, dès 2022.
Protestations sur les travées des groupes CRCE, SOCR et Les Républicains.
M. Didier Guillaume, ministre. Dès 2022, une pension minimale de 1 000 euros sera versée à tous les agriculteurs qui ont une carrière complète.
Mêmes mouvements.
M. Fabien Gay s ’ exclame.
Vous m’interrogez à la fois sur les futures retraites et sur les retraités actuels. Or nous ne pouvons pas, dans cette réforme visant l’instauration d’un système universel par répartition, qui améliorera le sort de tous les futurs agriculteurs retraités à partir de 2022 et 2025, régler le cas des quarante années à venir et réparer les errements des quarante années passées.
Protestations sur les travées des groupes SOCR, CRCE et Les Républicains.
M. Didier Guillaume, ministre. Mesdames, messieurs les sénateurs, pour la première fois, le Premier ministre s’est engagé – Olivier Véran en a parlé ici même – à mettre en place un groupe de travail.
Exclamations ironiques sur les travées du groupe Les Républicains.
Le Président de la République l’a annoncé au Salon de l’agriculture.
Les deux précédents gouvernements ne se sont pas occupés des retraités actuels, alors que la situation était déjà la même.
Vives protestations sur les travées du groupe SOCR et Les Républicains.
Nous, nous allons nous en occuper dès l’année prochaine, après que le groupe de travail aura rendu ses propositions à M. le Premier ministre.
Applaudissements sur les travées du groupe LaREM.
Monsieur le ministre, cette question est trop importante pour que son règlement soit reporté une nouvelle fois !
Nous avons la responsabilité de donner des réponses précises, sans attendre de futurs décrets, ordonnances ou projets de loi.
Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.
Nous en avons terminé avec les questions d’actualité au Gouvernement.
La prochaine séance de questions d’actualité au Gouvernement aura lieu le mercredi 25 mars 2020, à quinze heures.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
La séance, suspendue à seize heures vingt-cinq, est reprise à seize heures trente, sous la présidence de Mme Valérie Létard.
J’informe le Sénat que M. le ministre de l’intérieur a fait connaître à M. le président du Sénat que Mme Guylène Pantel remplace, à compter de ce jour à zéro heure, notre regretté collègue Alain Bertrand.
L’ordre du jour appelle la désignation des vingt-trois membres de la mission d’information sur le thème : « Lutte contre l’illectronisme et inclusion numérique. »
En application de l’article 21, alinéa 3 de notre règlement, la liste des candidats établie par les groupes a été publiée.
Elle sera ratifiée si la présidence ne reçoit pas d’opposition dans le délai d’une heure.
L’ordre du jour appelle la désignation des vingt et un membres de la mission d’information sur le fonctionnement et l’organisation des fédérations sportives.
En application de l’article 21, alinéa 3 de notre règlement, la liste des candidats établie par les groupes a été publiée.
Elle sera ratifiée si la présidence ne reçoit pas d’opposition dans le délai d’une heure.
L’ordre du jour appelle l’examen de quatre projets de loi tendant à autoriser la ratification ou l’approbation de conventions internationales.
Pour ces quatre projets de loi, la conférence des présidents a retenu la procédure d’examen simplifié.
Je vais donc les mettre successivement aux voix.
Est autorisée la ratification du deuxième protocole additionnel à la convention européenne d’extradition, signé à Strasbourg le 17 mars 1978, et dont le texte est annexé à la présente loi.
Est autorisée la ratification du troisième protocole additionnel à la convention européenne d’extradition, signé à Strasbourg le 10 novembre 2010, et dont le texte est annexé à la présente loi.
Est autorisée la ratification du quatrième protocole additionnel à la convention européenne d’extradition, signé à Vienne le 20 septembre 2012, et dont le texte est annexé à la présente loi.
Je mets aux voix le texte adopté par la commission sur le projet de loi autorisant la ratification du deuxième protocole additionnel à la convention européenne d’extradition, du troisième protocole additionnel à la convention européenne d’extradition et du quatrième protocole additionnel à la convention européenne d’extradition (projet n° 274, texte de la commission n° 331, rapport n° 330).
La procédure accélérée a été engagée sur ce texte.
La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées est favorable à l’adoption de ce texte.
Le projet de loi est adopté.
Est autorisée l’approbation de la convention entre le Gouvernement de la République française et le Conseil fédéral suisse relative à la reconnaissance réciproque des poinçons officiels apposés sur les ouvrages en métaux précieux et les ouvrages multimétaux, signée à Paris le 19 juin 2018, et dont le texte est annexé à la présente loi.
Je mets aux voix le texte adopté par la commission sur le projet de loi autorisant l’approbation de la convention entre le Gouvernement de la République française et le Conseil fédéral suisse relative à la reconnaissance réciproque des poinçons officiels apposés sur les ouvrages en métaux précieux et les ouvrages multimétaux (projet n° 199, texte de la commission n° 329, rapport n° 328).
La procédure accélérée a été engagée sur ce texte.
La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées est favorable à l’adoption de ce texte.
Le projet de loi est adopté.
(Non modifié)
Est autorisée l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République fédérale d’Allemagne relatif aux modalités de financement des infrastructures et de l’acquisition des outils de formation dans le cadre de la coopération franco-allemande dans le domaine du transport tactique aérien, signé à Berlin le 10 avril 2017, et dont le texte est annexé à la présente loi.
Je mets aux voix le texte adopté par la commission sur le projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République fédérale d’Allemagne relatif aux modalités de financement des infrastructures et de l’acquisition des outils de formation dans le cadre de la coopération franco-allemande dans le domaine du transport tactique aérien (projet n° 202, texte de la commission n° 333, rapport n° 332).
La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées est favorable à l’adoption de ce texte.
Le projet de loi est adopté définitivement.
Est autorisée l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Turkménistan sur l’octroi de l’autorisation d’exercer une activité professionnelle aux membres de la famille des agents des représentations diplomatiques ou des postes consulaires, signé à Achgabat le 15 avril 2019, et dont le texte est annexé à la présente loi.
Est autorisée l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement des États-Unis d’Amérique sur l’emploi des personnes à charge des agents officiels (ensemble une annexe), signé à Washington le 30 mai 2019, et dont le texte est annexé à la présente loi.
Je mets aux voix le texte adopté par la commission sur le projet de loi autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Turkménistan sur l’octroi de l’autorisation d’exercer une activité professionnelle aux membres de la famille des agents des représentations diplomatiques ou des postes consulaires et de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement des États-Unis d’Amérique sur l’emploi des personnes à charge des agents officiels (projet n° 315, texte de la commission n° 353, rapport n° 352).
La procédure accélérée a été engagée sur ce texte.
La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées est favorable à l’adoption de ce texte.
Le projet de loi est adopté.
L’ordre du jour appelle les explications de vote et le vote sur la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, relative à la transparence de l’information sur les produits agricoles et alimentaires (proposition n° 178, texte de la commission n° 342, rapport n° 341).
La conférence des présidents a décidé que ce texte serait discuté selon la procédure de législation en commission prévue au chapitre XIV bis du règlement du Sénat.
Au cours de cette procédure, le droit d’amendement des sénateurs et du Gouvernement s’exerce en commission, la séance plénière étant réservée aux explications de vote et au vote sur l’ensemble du texte adopté par la commission.
La commission des affaires économiques, saisie au fond, s’est réunie le 20 février 2020 pour l’examen des articles et l’établissement du texte. Le rapport a été publié le même jour.
(Conforme)
L ’ article L. 412 -1 du code de la consommation est ainsi modifié :
1° Après le 3° du I, il est inséré un 3° bis ainsi rédigé :
« 3° bis S ’ agissant des inscriptions de toute nature relatives aux denrées alimentaires préemballées, les modalités de mise à la disposition du public en ligne des informations correspondantes par le responsable de la première mise sur le marché, dans les conditions prévues au livre III du code des relations entre le public et l ’ administration ; »
2° Le II est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« S ’ agissant des informations mentionnées au 3° bis du même I, ces décrets déterminent notamment le lieu de mise à disposition et le format des données de façon à constituer une base ouverte accessible à tous les utilisateurs et à permettre la réutilisation libre de ces données. »
(Conforme)
I. – Après le premier alinéa de l ’ article L. 412 -4 du code de la consommation, sont insérés trois alinéas ainsi rédigés :
« Pour les produits composés de cacao, à l ’ état brut ou transformé, et destinés à l ’ alimentation humaine, l ’ indication du pays d ’ origine est également obligatoire.
« Pour le miel composé d ’ un mélange de miels en provenance de plus d ’ un État membre de l ’ Union européenne ou d ’ un pays tiers, tous les pays d ’ origine de la récolte sont indiqués par ordre pondéral décroissant sur l ’ étiquette.
« Le troisième alinéa s ’ applique également à la gelée royale. »
II. – Le I du présent article entre en vigueur le 1 er janvier 2021. À compter de cette date, les produits légalement fabriqués ou commercialisés avant cette même date dont l ’ étiquetage n ’ est pas conforme au troisième alinéa de l ’ article L. 412 -4 du code de la consommation dans sa rédaction résultant du présent article, peuvent être vendus ou distribués à titre gratuit jusqu ’ à l ’ épuisement des stocks.
(Conforme)
La section 2 du chapitre II du titre I er du livre IV du code de la consommation est complétée par un article L. 412 -7 ainsi rédigé :
« Art. L. 412-7. – Préalablement à la conclusion d ’ un contrat conclu à distance portant sur la vente de denrées alimentaires, le professionnel communique au consommateur, en application de l ’ article L. 221 -5, de manière lisible et compréhensible, les informations exigées par le règlement (UE) n° 1169/2011 du Parlement européen et du Conseil du 25 octobre 2011 concernant l ’ information des consommateurs sur les denrées alimentaires, modifiant les règlements (CE) n° 1924/2006 et (CE) n° 1925/2006 du Parlement européen et du Conseil et abrogeant la directive 87/250/CEE de la Commission, la directive 90/496/CEE du Conseil, la directive 1999/10/CE de la Commission, la directive 2000/13/CE du Parlement européen et du Conseil, les directives 2002/67/CE et 2008/5/CE de la Commission et le règlement (CE) n° 608/2004 de la Commission.
« Ces informations figurent sur le support de vente à distance où sont présentés ces produits ou sont communiquées sans frais par tout autre moyen approprié. Lorsqu ’ un autre moyen approprié est utilisé, il est indiqué clairement sur le support de vente à distance où ces informations obligatoires sont disponibles.
« Les modalités d ’ application du présent article sont définies par décret en Conseil d ’ État. »
(Conforme)
La section 2 du chapitre II du titre I er du livre IV du code de la consommation est complétée par un article L. 412 -7 -1 ainsi rédigé :
« Art. L. 412-7-1. – I. – Dans les établissements proposant des repas à consommer sur place ou dans les établissements proposant des repas à consommer sur place et à emporter ou à livrer, l ’ indication du pays d ’ origine ou du lieu de provenance est obligatoire pour les plats contenant un ou plusieurs morceaux de viandes bovines au sens du règlement (CE) n° 1760/2000 du Parlement européen et du Conseil du 17 juillet 2000 établissant un système d ’ identification et d ’ enregistrement des bovins et concernant l ’ étiquetage de la viande bovine et des produits à base de viande bovine et abrogeant le règlement (CE) n° 820/97 du Conseil, de viandes porcines, ovines et de volailles au sens du règlement (UE) n° 1337/2013 de la Commission du 13 décembre 2013 portant modalités d ’ application du règlement (UE) n° 1169/2011 du Parlement européen et du Conseil en ce qui concerne l ’ indication des viandes fraîches, réfrigérées et congelées des animaux des espèces porcine, ovine, caprine et des volailles, ou de la viande bovine hachée au sens du règlement (CE) n° 1825/2000 de la Commission du 25 août 2000 portant modalités d ’ application du règlement (CE) n° 1760/2000 du Parlement européen et du Conseil en ce qui concerne l ’ étiquetage de la viande bovine et des produits à base de viande bovine.
« II. – Les modalités d ’ application de l ’ indication de l ’ origine mentionnée au premier alinéa du I sont fixées par décret.
« Les modalités d ’ affichage des mentions prévues au même I et les sanctions applicables sont définies par décret. »
(Conforme)
La section 2 du chapitre II du titre I er du livre IV du code de la consommation est complétée par un article L. 412 -7 -2 ainsi rédigé :
« Art. L. 412-7-2. – Les dénominations utilisées pour désigner des denrées alimentaires d ’ origine animale ne peuvent être utilisées pour décrire, commercialiser ou promouvoir des denrées alimentaires comportant des protéines végétales. Un décret fixe la part de protéines végétales au-delà de laquelle cette dénomination n ’ est pas possible. Ce décret définit également les modalités d ’ application du présent article et les sanctions encourues en cas de manquement. »
(Conforme)
L ’ article L. 641 -19 du code rural et de la pêche maritime est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Pour les fromages fermiers, lorsque le processus d ’ affinage est effectué en dehors de l ’ exploitation en conformité avec les usages traditionnels, l ’ information du consommateur doit être assurée en complément des mentions prévues au premier alinéa selon des modalités fixées par décret. »
(Conforme)
Au deuxième alinéa de l ’ article L. 413 -8 du code de la consommation, après le mot : « Toutefois », sont insérés les mots : «, sauf pour les vins, ».
(Conforme)
I. – La section 2 du chapitre II du titre I er du livre IV du code de la consommation est complétée par un article L. 412 -9 ainsi rédigé :
« Art. L. 412-9. – Les exploitants d ’ établissements titulaires d ’ une licence de débit de boissons à consommer sur place ou à emporter ou d ’ une licence de restaurant indiquent, de manière lisible, sur leurs cartes ou sur tout autre support la provenance et, le cas échéant, la dénomination de l ’ appellation d ’ origine protégée ou de l ’ indication géographique protégée des vins mis en vente sous forme de bouteille, de pichet ou de verre. »
II. – Le I du présent article entre en vigueur le 1 er juin 2020.
La section 2 du chapitre II du titre I er du livre IV du code de la consommation est complétée par un article L. 412 -10 ainsi rédigé :
« Art. L. 412-10. – Le nom et l ’ adresse du producteur de bière sont indiqués en évidence sur l ’ étiquetage de manière à ne pas induire en erreur le consommateur quant à l ’ origine de la bière, d ’ une manière quelconque, y compris en raison de la présentation générale de l ’ étiquette. »
(Conforme)
Au dernier alinéa de l ’ article L. 661 -8 du code rural et de la pêche maritime, après le mot : « gratuit », sont insérés les mots : « ou à titre onéreux ».
(Conforme)
La loi n° 57 -1286 du 20 décembre 1957 interdisant la fabrication de vins mousseux autres que la « Clairette de Die » à l ’ intérieur de l ’ aire délimitée ayant droit à cette appellation d ’ origine contrôlée est abrogée.
(Conforme)
I. – Le premier alinéa de l ’ article 407 du code général des impôts est ainsi modifié :
1° Les mots : « respectivement aux articles 8, 9 et 11 du règlement (CE) n° 436/2009 de la Commission du 26 mai 2009 portant modalités d ’ application du règlement (CE) n° 479/2008 du Conseil en ce qui concerne le casier viticole, les déclarations obligatoires et l ’ établissement des informations pour le suivi du marché, les documents accompagnant les transports des produits et les registres à tenir dans le secteur vitivinicole » sont remplacés par les mots : « par la réglementation européenne prise pour l ’ application du règlement (UE) n° 1308/2013 du Parlement européen et du Conseil du 17 décembre 2013 portant organisation commune des marchés des produits agricoles et abrogeant les règlements (CEE) n° 922/72, (CEE) n° 234/79, (CE) n° 1037/2001 et (CE) n° 1234/2007 du Conseil » ;
2° Après le mot : « sont », sont insérés les mots : « obligatoires et » ;
3° Les mots : « les conditions prévues à ces articles, » sont remplacés par les mots : « des conditions prévues par la réglementation européenne et ».
II. – (Supprimé)
III. – Le livre VI du code rural et de la pêche maritime est ainsi modifié :
1° À la fin du premier alinéa de l ’ article L. 644 -5 -1, les mots : « au sens du règlement (CE) n° 436/2009 » sont supprimés ;
2° Le chapitre V du titre VI est ainsi modifié :
a) Au premier alinéa de l ’ article L. 665 -4, les mots : « mentionnées au paragraphe 1 de l ’ article 3 du règlement (CE) n° 436/2009 de la Commission du 26 mai 2009 et dont les détails et spécifications sont repris à l ’ annexe I de ce règlement » sont supprimés ;
b) Au 1° du III de l ’ article L. 665 -5, les mots : « mentionnées au paragraphe 1 de l ’ article 3 du règlement (CE) n° 436/2009 de la Commission du 26 mai 2009 et dont les détails et spécifications sont repris à l ’ annexe I de ce règlement, » sont supprimés.
Avant de mettre aux voix l’ensemble du texte adopté par la commission, je vais donner la parole, conformément à l’article 47 quinquies de notre règlement, au Gouvernement, puis aux rapporteurs de la commission, pendant sept minutes, et, enfin, à un représentant par groupe pendant cinq minutes.
La parole est à M. le ministre.
M. Didier Guillaume, ministre de l ’ agriculture et de l ’ alimentation. Madame la présidente, selon les règles en vigueur en ce moment, je ne vous serre pas la main, mais je vous salue !
Sourires.
Madame la rapporteure, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, je salue le choix fait par votre assemblée de recourir à la procédure de législation en commission pour l’examen de ce texte. Dès lors qu’elle est possible, cette procédure présente l’avantage d’accélérer les débats, tout en se donnant le temps nécessaire.
Voilà tout de même une année que cette proposition de loi était en discussion.
Il s’agit d’un texte consensuel, ce dont je me réjouis. En effet, les parlementaires et le Gouvernement avaient un même objectif, convaincus qu’ils étaient de l’impérieuse nécessité de prôner le patriotisme alimentaire et d’informer le consommateur, afin que celui-ci connaisse, en toute transparence, en toute tranquillité, au moment de les mettre dans son chariot ou dans son sac, l’origine des produits qu’il achète.
Cet étiquetage est important, parce qu’il doit nous permettre de rester avant-gardistes sur un ensemble de sujets – la réduction des produits phytosanitaires, le bien-être animal –, tout en préservant nos productions. Cela doit permettre de satisfaire, me semble-t-il, les attentes des consommateurs, tout en prenant en compte les enjeux économiques et de compétitivité de nos filières.
Dès lors qu’une évolution intervient dans l’agriculture ou les filières agricoles, il faut toujours avoir à l’esprit, outre la transition agroécologique et les autres transitions, l’équilibre économique de nos filières, leur compétitivité et les enjeux économiques auxquels elles sont confrontées.
Ce texte est non pas un compromis, mais un texte de consensus entre les majorités des deux assemblées et l’ensemble des groupes. C’est ce qui fait sa force. L’Assemblée nationale et le Sénat ont su faire un pas l’une vers l’autre pour parvenir à ce consensus.
Je voudrais saluer à la fois le président Lescure, président de la commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale, et la présidente Primas, présidente de la commission des affaires économiques du Sénat, qui ont convergé et travaillé ensemble.
Je voudrais aussi saluer Mme Barbara Bessot Ballot, qui était la rapporteure à l’Assemblée nationale, et les rapporteurs du Sénat, Mme Loisier et M. Cabanel, qui eux aussi ont fait œuvre utile, pour parvenir à cette convergence et à ce consensus. Que vous ayez invité Mme Bessot Ballot lors de l’examen de ce texte par votre commission en atteste.
Évidemment, le Gouvernement se réjouit de ce consensus et, comme je m’y étais engagé en commission, l’Assemblée nationale adoptera très rapidement, de manière définitive, ce texte ; ce sera a priori le 8 avril prochain. Nous pouvons tous nous en réjouir.
Puisqu’il s’agit d’un texte de consensus, certains pourront toujours avoir quelques regrets. Je pense aux dispositions relatives à la bière, aux plantes à parfum aromatiques ou au miel – là, je parle pour moi.
Néanmoins, il en est ainsi pour tous les consensus. C’est pour cette raison que je salue particulièrement la présidente Primas, qui, lors de l’examen en commission, a beaucoup insisté sur ce principe, ainsi que l’ensemble des sénatrices et des sénateurs qui étaient présents : chacun, avec ses idées, aurait sans doute voulu que l’on aille plus loin, tant les enjeux étaient importants pour nos filières, mais dès lors que nous voulions que cette proposition de loi relative aux règles en matière d’étiquetage trouve un aboutissement, le consensus s’imposait.
Nous continuerons évidemment d’échanger sur tous ces sujets, et les discussions ne sont pas closes. Nous les portons d’ailleurs au niveau européen.
Je puis d’ores et déjà vous annoncer que la Commission européenne nous a donné son accord de principe pour imposer l’étiquetage des viandes de volaille, de ruminant et de porc pour la restauration hors domicile. Cette disposition très importante devrait pouvoir entrer en vigueur d’ici à cet été.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie de votre diligence, de votre travail et de ce consensus.
Applaudissements.
Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi qui nous est soumise aujourd’hui aborde des sujets bien connus au Sénat, qui en a déjà débattu lors de l’examen de la loi Égalim, mais aussi des deux propositions de loi de Mme Monier et de M. Bouchet, adoptées en avril dernier.
La transparence de l’information sur les produits agricoles et alimentaires constitue, nous le savons, une préoccupation majeure pour nos citoyens, à laquelle le Sénat se doit de répondre, tout en tenant compte du cadrage imposé, sur ces sujets, par le droit européen.
Le texte proposé aujourd’hui constitue une avancée considérable, permise par le travail réalisé en amont avec la rapporteure de l’Assemblée nationale, Mme Barbara Bessot Ballot, que je salue également.
Neuf articles sur douze satisfont la quasi-intégralité des rédactions proposées par le Sénat, depuis deux ans, notamment par la proposition de loi de Mme Monier.
Parmi ces avancées, certaines dispositions sont très attendues, tant par les consommateurs que par les producteurs agricoles.
Je citerai l’affichage par ordre décroissant de tous les pays d’origine des miels présents dans un mélange, solution dégagée par le Sénat dès 2018, la plus ambitieuse à ce jour au regard du droit européen, ou encore l’affinage des fromages à l’extérieur des fermes pour continuer à bénéficier de l’appellation « fermier ».
À cet égard, M. le ministre s’est engagé à mieux encadrer les pratiques, en reprenant deux garanties proposées par le Sénat : une précision par décret des conditions à remplir, en matière d’usages traditionnels, et une concertation à mener pour éventuellement préciser sur l’emballage non seulement le nom de l’affineur, mais également celui du producteur de ces fromages fermiers.
Autre avancée : le rétablissement du caractère obligatoire de la déclaration de récolte, via un amendement que nous avions voté dans le cadre de la loi Égalim et que nous avions proposé de nouveau lors de l’examen d’une proposition de loi au mois de mars dernier.
J’ajoute enfin l’affichage obligatoire – M. le ministre en a parlé – de l’origine des viandes porcines, ovines, des viandes de volaille et de la viande hachée en restauration hors foyer. Jusqu’à présent, c’était le cas pour la seule viande bovine ; désormais, cet affichage s’imposera donc pour toutes les viandes.
Il faut se réjouir d’un tel article, à l’heure où 75 % de la viande consommée dans les restaurants est en fait importée, sans que le consommateur en soit informé.
Au total, seul un article n’a pas été adopté conforme : il s’agit d’un ajout de l’Assemblée nationale sur lequel mon collègue Henri Cabanel reviendra et qui nécessitera donc un dernier passage du texte à l’Assemblée nationale, le 8 avril prochain, comme le ministre vient de nous l’annoncer, afin de respecter notre objectif commun : une mise en œuvre rapide de ces dispositions en débat depuis maintenant plus de deux ans.
Le Parlement aura ainsi, de manière transpartisane et en toute responsabilité, su s’organiser pour plus de réactivité et plus d’efficacité législative, au service de l’intérêt général.
Applaudissements.
Mme Sophie Primas applaudit.
Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, à l’heure où le mot qui s’associe le plus au Parlement est celui de « blocage », je constate que nous nous apprêtons à examiner un texte d’initiative parlementaire qui a fait l’objet d’un travail de convergence entre les deux chambres et qui devrait aboutir rapidement à une adoption très attendue par les consommateurs.
En effet, cette proposition de loi est le fruit d’un compromis et d’un consensus coconstruit entre députés et sénateurs. L’objectif est d’éviter la concurrence entre différents textes issus de niches parlementaires concurrentes et de favoriser ainsi la convergence entre eux.
Les positions adoptées au Sénat lors de l’examen du texte de Marie-Pierre Monier en avril dernier sont intégralement reprises. Cela montre que le travail de pédagogie est payant.
Il en résulte un texte, certes non exhaustif, qui ne satisfait pas tous nos collègues, compte tenu notamment de certains sujets traités qui relèvent avant tout du niveau européen, mais qui représente une avancée certaine.
La France doit jouer un rôle moteur dans l’Union européenne pour faire bouger les lignes sur ces sujets d’étiquetage alimentaire. Les consommateurs constatent des tromperies manifestes tous les jours : c’est notamment le cas lorsqu’un Bag-in-Box de vin fait apparaître un nom provincial et un paysage typiquement français, alors qu’il est écrit, en tout petit, sur une face non visible, que le vin est d’origine espagnole.
C’est encore le cas récemment de produits étiquetés sous AOP (appellation d’origine protégée) ou IGP (indication géographique protégée) européennes, alors qu’ils ne respectaient pas le cahier des charges.
Ces fraudes ont été détectées par les services de la DGCCRF (direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes). C’est très bien, mais ce n’est pas suffisant.
Les deux chambres ont souhaité aller plus loin, notamment s’agissant de l’affichage de l’origine des vins vendus dans la restauration hors foyer, quel que soit le contenant, ou de la Clairette de Die.
Nous pensons que certaines solutions proposées peuvent aller trop loin, mais le ministre s’est engagé à notifier ces rédactions à la Commission européenne, pour en évaluer la conventionnalité.
Notre commission a surtout corrigé une rédaction qui aurait fortement nui aux producteurs de bières et aurait porté des atteintes graves au droit des marques. Toutefois, en prévoyant l’affichage du nom et de l’adresse du producteur de la bière, l’article 5 bis entend lutter contre certains affichages trompeurs, et il faut se féliciter de cette avancée.
Finalement, ce sera le seul article qui restera ouvert à discussion à l’Assemblée nationale.
En moins d’un an, une loi d’initiative parlementaire proposant de nombreux articles attendus par les consommateurs aura été adoptée par les deux chambres. C’est le fruit d’un travail parlementaire au-delà des clivages politiques, et je crois qu’il convient de s’en féliciter en adoptant le plus largement possible ce texte.
Pour terminer, je voudrais remercier Mme la présidente de la commission, Sophie Primas, ainsi que son homologue à l’Assemblée nationale, M. Lescure, remercier Mme la rapporteure de l’Assemblée nationale, Mme Bessot Ballot, ainsi que ma collègue Anne-Catherine Loisier, qui nous ont permis d’aboutir à ce résultat.
Applaudissements.
Applaudissements sur les travées du groupe LaREM.
Madame la présidente, monsieur le ministre, madame la rapporteure, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, je suis très heureux que nous soyons réunis aujourd’hui pour étudier cette proposition de loi, qui réintroduit des dispositions de la loi Égalim censurées par le Conseil constitutionnel.
Qui plus est, nous le faisons dans un calendrier resserré, puisque la promulgation de cette loi date d’il y a moins d’un an.
Je tiens donc à saluer le travail exceptionnel réalisé conjointement par les deux chambres et à remercier les rapporteurs, Henri Cabanel et Anne-Catherine Loisier, ici au Sénat, Barbara Bessot Ballot à l’Assemblée nationale, ainsi que notre présidente, Sophie Primas, et le président Roland Lescure, à l’Assemblée nationale, de leur implication et d’avoir participé à cette réussite commune.
Nous sommes tous d’accord : il est essentiel de fournir aux consommateurs une information claire et juste sur les produits alimentaires. Nous pouvons nous féliciter d’avoir pris en compte les différentes formes de cette nécessité de transparence.
D’un côté, l’origine, qui a trop longtemps été floue, donc source de méfiance. Je pense notamment aux produits alimentaires vendus par les plateformes en ligne, mais aussi à l’étiquetage des viandes pour les plats contenant un ou plusieurs morceaux de viande, ou même à la provenance du vin.
D’un autre côté, la composition des produits alimentaires, afin d’éviter certaines pratiques commerciales trompeuses. Je pense ici aux produits qui associent des termes comme « steak » ou « saucisse » à des produits qui ne sont pas, ou pas uniquement, composés de viande.
En ce sens, je tiens à souligner l’intervention du ministre de l’agriculture et de l’alimentation, Didier Guillaume, qui a su nous donner des garanties sur le contenu des futurs décrets d’application. Je vous remercie, monsieur le ministre !
Au-delà des dispositions visant à renforcer cette information, je me réjouis également que cette proposition de loi simplifie des règles qui sont obsolètes ou qui constituent des freins pour certaines filières agricoles. Je pense notamment, cela ne vous surprendra pas, à l’abrogation de la loi de 1957 protégeant l’appellation « Clairette de Die », …
… mais aussi à l’étiquetage des fromages fermiers affinés en dehors de l’exploitation.
Souvenons-nous que l’ensemble de ces dispositions concourt à un intérêt supérieur : la réconciliation entre les consommateurs et les producteurs.
Les attentes des professionnels du monde agricole et des consommateurs sont grandes, et j’estime que le travail mené conjointement par les deux chambres a été à la hauteur.
Dorénavant, notre objectif est de faire en sorte que la navette parlementaire se termine rapidement, pour que, in fine, ces dispositions soient rapidement mises en application. Rappelons-nous qu’elles ont déjà fait l’objet de débats dans les deux chambres et qu’elles ont déjà été adoptées.
Tout a été voté conforme, hormis l’alinéa 3 de l’article 5 bis, qui aurait conduit à des absurdités. Nul doute que nos collègues députés voteront cet article modifié !
En ce sens, je voudrais saluer l’engagement du ministre de l’agriculture pour que l’examen en deuxième lecture de ce texte par l’Assemblée nationale se fasse rapidement, à savoir le 8 avril prochain.
Pour toutes ces raisons, mes collègues et moi-même voterons, des deux mains, cette proposition de loi.
Applaudissements sur les travées d u groupe LaREM.
Mme Sophie Primas applaudit.
Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, durant ces deux dernières années, nous n’avons cessé de proposer un véritable travail de fond dans le domaine de l’agriculture et de l’alimentation : la loi Égalim, une proposition de loi visant à modifier certaines dispositions de cette même loi, de nombreux débats sur l’agriculture ici même.
Tout ce travail ne devait avoir qu’un seul objectif : redonner un revenu juste aux agriculteurs et garantir une alimentation saine, durable et de qualité à nos concitoyens.
Nous avons eu à plusieurs reprises l’occasion de dire ce que nous pensions de l’action du Gouvernement en matière d’agriculture, et nous n’avons cessé de parler des conditions de vie des agriculteurs.
À ce propos, je me félicite qu’un groupe de travail sur les agriculteurs en détresse ait été créé à la fin de l’année 2019 et j’espère que, à travers les auditions menées par celui-ci, des solutions viables pour ces professionnels en souffrance pourront être apportées.
Pour en revenir au texte, cette proposition de loi est dans la même veine que la proposition de loi portant diverses dispositions relatives aux mentions et signes de la qualité et de l’origine valorisant les produits agricoles ou alimentaires, qui a été adoptée il y a un peu moins d’un an.
D’ailleurs, de nombreuses dispositions reprennent celles du Sénat. Je pense notamment à l’étiquetage des miels issus de mélange de productions afin que l’ensemble des pays d’origine soit indiqué ou à l’étiquetage de la provenance du vin.
D’autres s’en rapprochent, comme celle de l’étiquetage des fromages fermiers affinés en dehors de l’exploitation. Nous avions d’ailleurs eu ici un bon débat, puisque, je m’en souviens, lors des auditions auxquelles nous avions procédé en vue de l’examen de la loi Égalim, nous avions été alertés sur les risques d’une extension du label « fromage fermier » aux fromages ne bénéficiant pas d’un signe de qualité, mais aussi sur la diversité de la réalisation, de la conservation, de l’affinage de ces fromages, donc sur la difficulté à trouver un étiquetage simple et unique.
Mes chers collègues, à l’heure où les signes officiels d’identification de la qualité et de l’origine sont dangereusement attaqués du fait de la prolifération des traités de libre-échange, il est impératif de ne pas les fragiliser.
Nous avons déjà eu l’occasion de le dire : face à l’industrie agroalimentaire et à la grande distribution qui ne cesse de faire pression sur les prix, le Gouvernement est dans l’incapacité d’imposer un prix plancher pour garantir un revenu décent aux agriculteurs. Nous en avons encore débattu il y a quelques semaines ici.
Puisque je parlais précédemment de libre-échange, comment peut-on décemment demander aux agriculteurs de produire sain, alors que, dans le même temps, vous ne cessez de signer des accords de libre-échange qui les incitent inévitablement à exporter à des prix dramatiquement bas ?
Je ne serai pas plus longue, car nous avons eu ce débat lors de son examen selon la procédure de législation en commission : comme nous l’avions dit, nous voterons ce texte, qui contient des avancées.
Néanmoins, pour conclure, je souhaite insister sur un point : toutes ces améliorations au compte-gouttes que nous votons surchargent inévitablement le calendrier législatif, alors que nous serions tous sortis gagnants d’un examen un peu plus long et un peu plus en profondeur de la loi Égalim. Laissons-nous le temps de légiférer pour bien légiférer.
Oui, cette proposition de loi sécurise plusieurs filières, et il faut s’en féliciter, mais ne perdons pas de vue la crise sociale que traversent nos agriculteurs depuis tant d’années.
Applaudissements sur les travées du groupe CRCE. – Mme la rapporteure applaudit également.
Applaudissements sur les travées des groupes LaREM et UC.
Madame la présidente, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission, madame, monsieur les rapporteurs, mes chers collègues, la proposition de loi que nous étudions aujourd’hui reprend un ensemble d’articles de la loi Égalim. Ils ont été censurés par le Conseil constitutionnel, qui les a jugés sans lien direct avec les dispositions du projet de loi initial, et ce malgré leur intérêt majeur pour les filières agricoles et alimentaires.
Afin de corriger cette situation et de répondre aux attentes du secteur agricole, différentes propositions de loi ont été déposées.
Tout d’abord, je veux véritablement saluer le travail mené par l’Assemblée nationale et le Sénat – plus spécialement le travail de nos rapporteurs – sur ce texte.
Je veux aussi souligner la convergence de vue des groupes politiques, qui permettra une entrée en vigueur plus rapide de ces dispositions.
Fort de cette urgence, monsieur le ministre, vous nous avez assuré, lors de la réunion de commission, que les décrets d’application seraient publiés dès l’adoption du texte.
L’un des objectifs principaux de la loi Égalim était de permettre à chaque Français d’accéder à une alimentation saine et équilibrée. L’information du consommateur sur les denrées qu’il consomme est donc directement liée à cet objectif. Elle constitue aussi une garantie essentielle pour le producteur.
En renforçant les règles d’étiquetage, nous protégeons les agriculteurs, les viticulteurs et les éleveurs français.
La valorisation du monde agricole est une question vitale pour la France. C’est une question à la fois de souveraineté alimentaire et de santé publique. Elle est d’autant plus importante à l’heure où la France perd des parts de marché dans le monde et en Europe.
Dans un second temps, je souhaite m’attarder sur certaines dispositions du texte.
L’article 2 bis renforce l’information sur le pays d’origine des viandes servies dans la restauration. Nous sommes tout à fait favorables à cette avancée, qui était très attendue par les acteurs de la filière bovine. Cette disposition est indispensable à l’heure où 75 % de la viande consommée dans la restauration collective est issue de l’importation, et ce sans que le consommateur en soit informé et ni même conscient.
Les articles 4 et 5, quant à eux renforcent les règles relatives à l’étiquetage et aux indications de provenance du vin. Ils sont très importants pour le secteur vitivinicole, deuxième contributeur à la balance commerciale française.
Le groupe Les Indépendants avait également déposé un amendement visant à clarifier la mention des pays d’origine des produits alimentaires issus de l’agriculture biologique. Nous ne pouvons pas nous en tenir à un étiquetage qui omet de mentionner le pays d’origine du produit consommé, indiquant simplement « agriculture biologique Union européenne » ou « hors UE ».
En plus de présenter un bilan carbone très lourd, les produits alimentaires biologiques étrangers n’offrent pas toujours les mêmes garanties en matière de cahier des charges que les produits français. C’est pour cela que nous devons apporter les mêmes précisions sur l’origine.
Monsieur le ministre, ce dispositif appelle toute votre attention, et nous souhaitons que cet amendement soit considéré le moment venu avec attention, bien qu’il ait été retiré en commission pour que ce texte soit adopté conforme et appliqué le plus vite possible.
Enfin, je me réjouis également que cette proposition de loi simplifie des règles qui sont obsolètes ou qui constituent des freins pour certaines filières agricoles.
Dans l’ensemble, nous sommes satisfaits du travail transpartisan et de la bonne coopération entre le Sénat et l’Assemblée nationale, qui a permis d’aboutir à ce texte qui répond aux attentes des filières et apporte de réelles avancées.
Pour toutes ces raisons, le groupe Les Indépendants votera en faveur de ce texte, qui répond aux attentes des consommateurs et à celles des filières agricoles et viticoles.
Applaudissements sur les travées des groupes LaREM et UC. – M. Jean-Claude Requier applaudit également.
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.
Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’étiquetage alimentaire est une question majeure pour nos concitoyens. Il fait l’objet d’une attente sociétale que nous devons toujours avoir en tête, même s’il me faut avouer que le sujet est complexe.
En effet, entre origine des produits, modes de production – on peut penser aux œufs –, valeurs nutritionnelles, présence d’ingrédients allergènes, notamment, il faudra à un moment ou à un autre définir ensemble des priorités. Vous en conviendrez, mes chers collègues, l’étiquetage du fromage de chèvre de Rocamadour va devenir particulièrement compliqué : il faudra soit augmenter la taille du fromage, soit diminuer le nombre d’informations requises !
Cette demande de transparence, corroborée à l’évidence par le succès de certaines applications numériques, représente en réalité une opportunité pour les industries agroalimentaires d’être plus exigeantes encore sur leurs recettes et la relocalisation de leur approvisionnement.
Elle constitue aussi une opportunité de démontrer l’excellence réelle des produits français et ainsi de faire taire ceux qui laissent entendre que les industries agroalimentaires sont des empoisonneurs. Ces discours qui se nourrissent de la peur sont – permettez-moi de le dire – vraiment indécents. La France doit être fière de son industrie alimentaire, qui est exemplaire en matière de sécurité sanitaire, de qualité gustative et de diversité. Nous, Français, n’avons pas à rougir de la qualité de nos produits ; bien au contraire, nous en sommes fiers !
Les consommateurs font montre d’un intérêt tout particulier pour l’étiquetage de l’origine des pays des ingrédients primaires composant le produit fini. Toutefois, la Commission européenne refuse toute initiative allant dans ce sens, dans une volonté, certes légitime, de construire le marché unique. Au fond, si les normes de production agricole étaient identiques entre pays européens, la Commission pourrait avoir raison. Or tel n’est pas le cas : là est tout le problème.
Il faut le dire clairement : une pomme produite en Pologne ne répond pas aux mêmes standards qu’une pomme française. Je ne veux pas offenser la qualité des pommes polonaises, mais le constat de pratiques divergentes est réel. Et ces divergences sont d’autant moins acceptables, désormais, qu’elles sont aggravées par la signature de traités de libre-échange avec d’autres régions du monde qui ne suivent pas nos standards de production.
Le droit européen entretient cette situation ubuesque qui consiste à considérer que deux produits agricoles sont similaires dès lors qu’ils sont européens et qu’ils n’ont donc pas à être différenciés selon leur origine, alors qu’ils n’ont pas été produits selon les mêmes normes.
Les consommateurs ne veulent plus entendre parler de ce micmac européen. Ils veulent la transparence sur l’origine des produits qu’ils consomment, de manière à orienter leur consommation vers les produits auxquels ils font confiance. Ils veulent aussi une réduction des divergences de normes entre pays européens.
Ces dossiers devront être prioritaires au cours des négociations européennes sur la prochaine politique agricole commune. Je sais que certains pays les mettent en avant ; j’espère, monsieur le ministre, que la France en fait partie.
Un règlement européen qui doit bientôt entrer en application devrait permettre de faciliter certains étiquetages d’origine à titre volontaire, mais nous devons aller plus loin !
Dans ce contexte délicat, le Parlement français entend faire bouger les lignes. Que cette proposition de loi soit entendue comme un signal fort par le Gouvernement : les députés et les sénateurs ont, ensemble, travaillé pendant plusieurs mois pour construire ce texte.
Je veux saluer le travail réalisé par M. Roland Lescure, président de la commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale, et par Mme Barbara Bessot Ballot, rapporteure de ce texte à l’Assemblée nationale. Leur écoute et notre travail commun ont permis d’avancer, de lever les points de blocage et de prendre en compte le travail sénatorial. Permettez-moi de saluer également l’œuvre de pédagogie, de consensus et – pour reprendre un mot qui vous est cher, monsieur le ministre – de compromis de nos rapporteurs, Anne-Catherine Loisier et Henri Cabanel, tout au long de cette année.
Il en résulte une proposition de loi qui doit être appréciée à sa juste mesure : elle fait évoluer de nombreux sujets, mais dans la limite de sa conformité au droit européen.
Vous n’ignorez d’ailleurs pas, monsieur le ministre, que nous avons des doutes sur certaines rédactions issues de compromis nécessaires et retenues dans le texte final. Je pense notamment à l’indication des pays d’origine du cacao, que la directive sectorielle ne prévoit pas, mais aussi à la décision de ne plus soumettre à l’inscription au catalogue officiel les semences vendues aux jardiniers amateurs, aux termes d’un compromis que je qualifierais volontiers de « kokopelliesque ». Il importe que la Commission européenne se prononce sur la conventionalité de ces sujets, afin que nous ayons les idées claires.
Il faut surtout souligner les avancées très importantes permises par ce texte sur tous les points qui ont été mentionnés : les miels, l’affichage de l’origine des viandes, l’étiquetage des vins, ou encore le rétablissement de la déclaration de récolte obligatoire ; je ne saurais évidemment oublier, monsieur le ministre, la Clairette de Die !
Pour entériner, enfin, ces avancées permises par le Parlement, le groupe Les Républicains votera bien sûr en faveur de ce texte. Je vous remercie d’ailleurs, monsieur le ministre, de l’avoir fait inscrire très prochainement à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale.
Le Parlement a fait sa part de travail. À vous, désormais, d’aller négocier à l’échelon européen avec, sous le bras, ce petit signal que nous envoyons !
Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, j’associe à ces propos Viviane Artigalas, Jean-Claude Tissot et Franck Montaugé.
Voilà maintenant près d’un an, j’avais eu le plaisir de vous présenter une proposition de loi relative aux mentions et signes de la qualité et de l’origine. Son adoption à l’unanimité par le Sénat a enclenché un processus dont nous abordons les dernières phases.
Il est vrai que le texte d’aujourd’hui n’est pas tout à fait celui que mes collègues du groupe socialiste et républicain et moi-même avions proposé, mais il traite de l’ensemble des sujets abordés par la proposition de loi initialement déposée et reprend en grande partie le contenu du texte qu’avait adopté le Sénat, ainsi que de la proposition de loi de mon collègue drômois Gilbert Bouchet, qui lui avait été rattachée.
Je ne peux donc que me réjouir de voir que notre texte initial a finalement prospéré et bien grandi. J’en remercie en particulier les rapporteurs, Anne-Catherine Loisier et Henri Cabanel, ainsi que la rapporteure de cette proposition de loi à l’Assemblée nationale, Barbara Bessot Ballot, qui m’ont tous associée à la concertation mise en place, afin d’assurer le meilleur consensus possible entre nos deux assemblées.
Je salue également mes autres collègues drômois, Bernard Buis et la députée Célia de Lavergne, auprès desquels j’ai régulièrement insisté sur la nécessité de faire adopter rapidement ce texte pour les consommateurs et les producteurs, qui attendent impatiemment ces mesures. Je pense en particulier aux producteurs de Clairette de Die.
Cette production emblématique de mon département, la Drôme, est concernée par l’article 7 de ce texte, qui répond au souhait des producteurs de pouvoir adapter aux nouveaux enjeux du XXIe siècle le cahier des charges de valorisation de leur production.
Au-delà de cet enjeu de territoire, je suis heureuse que nous ayons pu nous retrouver sur un ensemble d’articles dont l’objectif commun est d’améliorer l’information des consommateurs sur les produits, que ce soit par l’adaptation de certaines mentions valorisations, par les informations figurant sur les étiquettes et les cartes de restaurants, ou encore par un encadrement des pratiques traditionnelles permettant une meilleure traçabilité.
Cela correspond à une évolution des modes de consommation à laquelle nous assistons depuis plusieurs années. Cette évolution exprime une plus grande exigence d’éthique et de traçabilité, mais aussi de transparence et de qualité des produits. Toutes les dispositions de cette proposition de loi nous semblent particulièrement pertinentes et nécessaires si l’on veut mieux répondre à cette demande forte des consommateurs.
Le texte adopté à l’unanimité par l’Assemblée nationale comprend douze articles, parmi lesquels cinq sont rédigés dans des termes identiques ou très proches de ceux de la proposition de loi votée par le Sénat au mois d’avril dernier.
Quant aux autres articles, ils rejoignent des propositions que les sénateurs socialistes avaient faites ou soutenues lors de la discussion d’autres textes récemment examinés sur la thématique agricole, comme le maintien du caractère obligatoire de la déclaration de récolte et la possibilité de commercialisation des semences relevant du domaine public.
Les débats ont donc déjà eu lieu sur ces dispositions, dont la rédaction fait maintenant l’unanimité, ou presque. L’examen selon la procédure de législation en commission nous paraît particulièrement légitime dans ce cas précis, d’autant qu’il permettra l’entrée en vigueur la plus rapide possible de ces mesures très attendues, et dont certaines vont modifier les prochaines productions ou commercialisations des produits concernés.
Pour cette raison, les sénateurs du groupe socialiste ont décidé de ne pas déposer d’amendements. De surcroît, l’adoption conforme des articles permettra de clore rapidement la procédure législative.
Cette adoption conforme était néanmoins impossible du fait du seul article 5 bis, consacré à l’étiquetage des bières. Il s’est en effet avéré nécessaire de supprimer un alinéa difficilement applicable, relatif à la conformité entre les mentions de lieu sur l’étiquette et le lieu de production réel de la bière.
Certes, certaines dispositions ne nous satisfont pas totalement. Nous aurions ainsi souhaité imposer plus de transparence sur l’étiquetage du miel, ou encore réserver la mention « fromage fermier » aux seuls fromages sous signes d’identification de la qualité et de l’origine. Toutefois, nous avons déjà eu l’occasion de défendre nos propositions à plusieurs reprises, lors de l’examen d’autres textes agricoles. Il n’était donc pas indispensable de le faire une nouvelle fois.
En outre, monsieur le ministre, lors de la discussion de cette proposition de loi en commission des affaires économiques, le 20 février dernier, vous avez indiqué que, une fois ce texte définitivement adopté, des décrets apporteraient rapidement des précisions sur la mise en œuvre de l’article 1er A, qui porte sur la mise en ligne des données figurant sur les emballages des produits alimentaires, et de l’article 3, pour lequel il convient de préciser la notion d’« usages traditionnels » et d’encadrer l’indication du nom du producteur fermier sur l’étiquette. Nous saluons cet engagement et nous attendrons avec grand intérêt le contenu et la publication de ces décrets.
Nous vous avons bien entendu annoncer que cette proposition de loi serait examinée en deuxième lecture par l’Assemblée nationale le 8 avril prochain. C’est une bonne nouvelle et nous suivrons les débats avec grande attention !
Pour l’heure, le groupe socialiste et républicain soutient évidemment ce texte.
Applaudissements sur les travées du groupe SOCR – M. Pierre Louault et Mme Marie-Pierre Richer applaudissent également.
Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et UC.
Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi examinée aujourd’hui comporte plusieurs mesures intéressantes et utiles. Ces dernières avaient été adoptées, pour leur majeure partie, au sein de la loi Égalim, mais avaient été censurées par le Conseil constitutionnel au motif qu’elles constituaient des cavaliers législatifs.
Je veux notamment souligner l’intérêt des avancées relatives à l’étiquetage des mélanges de miels : l’obligation de mentionner l’ensemble des pays d’origine, classés par ordre décroissant, est une réelle avancée, à la fois pour les apiculteurs et pour les consommateurs. Il est néanmoins important que la France poursuive ce travail à l’échelon européen, afin d’aller plus loin encore : il faudrait pouvoir afficher la proportion que représente chaque origine. Le ministère s’est engagé à travailler pour plus de transparence ; il semble que d’autres pays, comme l’Espagne, le Portugal et la Grèce, partagent la même ambition. J’espère que nous pourrons voir aboutir prochainement l’étiquetage le plus précis possible pour ce produit, qui fait l’objet de fraudes bien trop nombreuses.
Les avancées que l’on peut relever quant à la transparence des pays d’origine du cacao, de la gelée royale, des viandes, du vin et de la bière vont également dans le bon sens.
On peut néanmoins s’interroger sur la géométrie variable avec laquelle les décisions sont prises quant à l’étiquetage de l’origine : on sent un véritable volontarisme politique pour certains produits – c’est une très bonne chose –, mais d’autres produits, tout aussi importants pour nos territoires, méritent également un engagement fort.
J’avais d’ailleurs présenté plusieurs amendements sur ce sujet lors de l’examen de la proposition de loi en commission. Je ne les ai pas déposés de nouveau sur le texte discuté en séance, dans le souci d’obtenir l’adoption conforme de ces articles.
Je tiens néanmoins à les évoquer à présent devant vous. L’un de ces amendements avait pour objet l’affichage de l’origine des huiles essentielles. Alors que notre pays est doté d’une tradition de production de plantes médicinales et d’un patrimoine à faire valoir en la matière, nous importons 80 % des plantes que nous consommons, comme l’a montré la mission d’information sur le développement de l’herboristerie et des plantes médicinales. J’ai bien noté l’intérêt de nombre d’entre nous et de M. le ministre pour cet amendement et je serai attentif aux suites à lui donner ; nous sommes prêts à travailler ensemble sur ce sujet.
Au-delà de la transparence quant à l’origine des produits alimentaires, les consommateurs souhaitent connaître le mode de production des aliments qu’ils achètent. C’est aussi dans l’intérêt des producteurs de notre pays !
Le plan gouvernemental pour le bien-être animal fait référence à un travail à mener à l’échelon européen sur l’étiquetage du mode d’élevage. J’espère qu’un réel volontarisme permettra de tenir cet engagement. L’étiquetage de l’alimentation animale par des organismes génétiquement modifiés me semble être un souhait évident des consommateurs ; ce serait également un levier pour aider les éleveurs qui font le choix d’une alimentation locale à valoriser leur travail.
Aussi, même si j’ai bien compris la volonté de parvenir à une adoption conforme de ce texte, je souhaite que nous ayons d’autres occasions de travailler sur ce sujet, afin de faire encore progresser la transparence. Les attentes des citoyens sont – je le répète – très fortes à cet égard, et il y va – je le répète aussi – de l’intérêt de nos producteurs.
Le texte contient également des avancées intéressantes sur les semences.
Je ne partage pas votre point de vue à ce sujet, madame la présidente de la commission, mais cela ne vous surprendra pas ! La facilitation de l’usage des semences paysannes par les particuliers constitue bien une avancée. Ce sont, par définition, des semences résistantes ! On parle ces temps-ci du virus de la tomate : on sait d’où viennent ces problèmes viraux qui vont se généraliser si l’on ne change rien. C’est aussi pour cette raison qu’il faut défendre les variétés locales et les semences paysannes.
Malgré ces points positifs, j’ai deux regrets importants concernant cette proposition de loi.
Le premier porte sur une mesure, qui avait été adoptée au sein du projet de loi Égalim et censurée comme cavalier, mais qui n’a, pour sa part, pas été reprise dans le présent texte : il s’agit de l’étiquetage des huîtres.
Le Comité national de la conchyliculture (CNC), dont j’ai rencontré les représentants, travaille sur un rapport visant à progresser dans ce domaine. À mon sens, les ostréiculteurs traditionnels, qui sont les premiers demandeurs d’un tel étiquetage, ne sont pas suffisamment écoutés.
Malgré tout, j’ai bon espoir que le CNC décidera de la mise en place de cet étiquetage par les professionnels, sans qu’une action législative soit nécessaire.
Une deuxième disposition du texte me paraît éminemment problématique, à savoir l’affaiblissement du label « fromage fermier ».
Comme je l’ai répété à l’occasion de chaque débat que nous avons eu sur le sujet, la mesure proposée constitue à mes yeux une réponse aux industriels qui cherchent à récupérer cette mention valorisante.
Pourtant, ce label permet aujourd’hui aux éleveurs affinant leur fromage sur leur exploitation de faire valoir leur savoir-faire.
M. Joël Labbé. Malgré ces réserves, mon collègue Ronan Dantec et moi-même, ainsi que les autres membres du groupe du RDSE, voterons en faveur de ce texte, en reconnaissance des avancées qu’il contient.
Applaudissements sur les travées des groupes RDSE, LaREM et SOCR.
Applaudissements sur les travées du groupe UC.
Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je veux avant tout saluer le travail intelligent qui a été mené entre l’Assemblée nationale et le Sénat. En vérité, quand on remplace l’affrontement par la complémentarité, cette coopération permet de travailler en profondeur. Je salue évidemment les présidents des commissions des affaires économiques des deux assemblées, M. Roland Lescure et notre collègue Sophie Primas, qui a fait preuve de beaucoup de bonne volonté pour faire aboutir cette proposition de loi, sans oublier les rapporteurs, Anne-Catherine Loisier et Henri Cabanel.
J’ai un seul regret : la recherche du vote conforme conduit toujours à rester quelque peu sur sa faim, parce qu’on veut être efficace et aller vite. Après la censure de la loi Égalim, il fallait rattraper ce qui avait échoué. Ce texte a été l’occasion de revenir sur ces sujets.
Je crois que cette proposition de loi permet de conforter la qualité de l’agriculture française, mais aussi son originalité. On a créé, voici déjà bien des années, les appellations d’origine contrôlée. C’est l’occasion de dire au consommateur d’où viennent les produits qu’il achète, ce que sont véritablement ces derniers.
Ce texte vise essentiellement à lutter contre la fraude et à pousser ainsi vers une meilleure qualité des produits alimentaires. Je souhaiterais, monsieur le ministre, que vous alliez un peu plus loin dans les décrets d’application, en encourageant les différents acteurs de la production agricole à progresser encore. Je suis convaincu que cela pourra représenter une occasion commerciale de vendre les produits de qualité plus facilement que ceux qui sont dépourvus d’une véritable origine de qualité.
Les huit articles originaux de cette proposition de loi ont été examinés par la commission des affaires économiques. Aucun amendement n’a été adopté, hormis au sujet de l’étiquetage de la bière, où il a fallu rendre la rédaction plus logique et efficace tout en conservant nos traditions.
Ce texte contient des avancées extrêmement fortes sur les produits préemballés, ou encore sur l’affichage des pays d’origine du miel, même si l’on peut regretter l’absence de pourcentage précis : on aurait au moins pu préciser l’origine principale du produit. Aujourd’hui, on peut se contenter de 25 % de miel français dans le produit vendu ; on sait d’où vient le reste. On aurait pu adopter sur ce sujet une position un peu plus avancée.
Un effort a également été accompli dans les articles relatifs à la vente en ligne – c’est à la mode, aujourd’hui ! – et aux lieux de provenance de la viande. Il faut, monsieur le ministre, que figure sur l’étiquette le pays de production de la viande, et non le lieu de transformation, comme on a trop pris l’habitude de le faire pour contourner la loi.
Je pense qu’on a fait plaisir aux affineurs en rédigeant ainsi l’article relatif aux fromages fermiers. Un fromage est dû à l’éleveur, c’est-à-dire le vrai producteur, et à l’affineur : ce sont deux savoirs complémentaires. Il faudra selon moi, au minimum, encourager les affineurs à faire figurer sur le produit le nom du producteur, celui qui a véritablement fait le fromage. Ce sera une véritable avancée. Les producteurs de fromages fermiers, qui certes ont besoin des affineurs, se sentent dévalués par rapport à ces derniers. Prenons garde à ne pas laisser déraper la situation.
On pourrait encore mentionner d’autres domaines d’avancées, comme l’étiquetage du vin, qui était réclamé depuis longtemps.
Je veux maintenant dire un mot sur les semences. L’article en question a représenté une concession à notre ami Joël Labbé. Mais, mon cher collègue, produire des semences réclame de la rigueur acquise au fil des années ; et c’est un métier ! En guise d’exemple, l’un de mes voisins a acheté douze plants de choux bio ; or il a récolté quatre choux pommés et huit choux à vache, c’est-à-dire des choux dégénérés ! Je ne suis pas sûr que ce soit un progrès.
Monsieur le ministre, comme tous les autres groupes de cette assemblée, nous voterons évidemment en faveur de ce texte, qui représente une réelle avancée. Selon moi, pour l’avenir, si la loi doit permettre de combattre la fraude, il faut également encourager tous les producteurs à aller plus loin sur l’origine et la qualité des produits.
Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Indépendants.
Personne ne demande plus la parole ?…
Je mets aux voix, dans le texte de la commission, l’ensemble de la proposition de loi.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à dix-huit heures.
La séance est suspendue.
La séance, suspendue à dix-sept heures vingt, est reprise à dix-huit heures, sous la présidence de M. Gérard Larcher.
L’ordre du jour appelle le débat à la suite du dépôt du rapport public annuel de la Cour des comptes.
Huissiers, veuillez faire entrer Mme la doyenne des présidents de chambre de la Cour des comptes, faisant fonction de Première présidente, et Mme la rapporteure générale de la Cour des comptes.
Mme la doyenne des présidents de chambre et Mme la rapporteure générale de la Cour des comptes sont introduites dans l ’ hémicycle selon le cérémonial d ’ usage.
Mes chers collègues, je suis heureux d’accueillir dans notre hémicycle Mme Sophie Moati, doyenne des présidents de chambre de la Cour des comptes, faisant fonction de Première présidente, à l’occasion du dépôt du rapport public annuel de la Cour des comptes.
La conférence des présidents a souhaité donner à cette séance traditionnelle une forme nouvelle.
Compte tenu de l’intérêt des observations et recommandations formulées dans le rapport public annuel, certains collègues avaient en effet souhaité qu’un temps d’intervention puisse être attribué aux groupes politiques durant cette séance. Au demeurant, la possibilité en était ouverte par la loi organique relative aux lois de finances, dont l’article 58 prévoit : « Le rapport annuel de la Cour des comptes peut faire l’objet d’un débat à l’Assemblée nationale et au Sénat. » Nous ne l’avions cependant pas encore mise en œuvre.
M. Didier Migaud, dont je salue à la fois le travail, l’engagement, l’indépendance et la proximité, notamment avec le Parlement – en particulier la commission des finances et la commission des affaires sociales du Sénat –, avait, avant de quitter ses fonctions de Premier président, donné son accord de principe à une telle organisation de notre séance.
Je remercie Mme Sophie Moati, qui assure actuellement les fonctions de Première présidente en sa qualité de doyenne des présidents de chambre, d’avoir permis qu’elle se déroule aujourd’hui, huit jours après la publication du rapport annuel le 25 février dernier.
Outre l’expression des commissions des finances et des affaires sociales, nous pourrons ainsi entendre celle des différents groupes politiques de notre assemblée, sur un document comme à l’accoutumée extrêmement riche et dont la forme a elle aussi quelque peu évolué.
Le rapport public annuel comporte en effet, pour la première fois cette année, une partie consacrée à un thème transversal, le numérique au service de la transformation de l’action publique. Au moment où un certain nombre de nos collègues mènent des travaux notamment sur l’action publique, le rôle et la place des services publics et du numérique, un tel sujet nous paraît important.
Le rapport public annuel marque également une attention accrue au suivi des recommandations et aux dimensions autres que strictement financières de l’action publique, comme la qualité et la performance des services publics. C’est une préoccupation forte des élus et de nos concitoyens.
Avant d’ouvrir ce débat, je souhaite souligner toute l’importance que nous attachons à la mission d’assistance de la Cour des comptes au Parlement. Elle se manifeste tout au long de l’année, dans le cadre de la préparation des lois de finances et de financement de la sécurité sociale, comme du suivi de leur exécution.
Au-delà des auditions régulières devant la commission des finances ou la commission des affaires sociales, auxquelles ont été remises plusieurs enquêtes demandées au titre de leurs prérogatives en matière de contrôle budgétaire, les travaux de la Cour des comptes constituent un apport précieux pour les commissions, délégations, missions d’information ou commissions d’enquête, dans l’exercice de leur fonction de contrôle.
Nous en avions aujourd’hui même l’illustration avec deux auditions de commission touchant à des domaines très différents : l’arrêt et le démantèlement des installations nucléaires civiles ; la prise en charge de l’insuffisance rénale chronique terminale.
Madame la Première présidente, le Sénat sera très attentif et, conformément à sa tradition, accueillant et respectueux. Je vous invite maintenant à rejoindre la tribune.
Mme la doyenne des présidents de chambre de la Cour des comptes rejoint la tribune et apporte un exemplaire du rapport public annuel de la Cour des comptes.
Monsieur le président, je vous remercie de ces mots de bienvenue et de l’accueil que vous réservez cette année encore à notre institution. Ils traduisent la qualité des liens qui unissent les juridictions financières et le Parlement. Sachez combien nous y sommes attachés.
Monsieur le président du Sénat, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur général de la commission des affaires sociales, mesdames, messieurs les sénateurs, tout au long de l’année, notre juridiction est mobilisée pour assurer la mission que lui a confiée la Constitution à l’article 47-2, assister le Parlement dans le contrôle de l’action du Gouvernement. À ce titre, l’année 2019 aura donné lieu à des échanges très nombreux entre la Cour et le Parlement. Ce sont en effet près de 400 travaux qui vous ont été transmis, dont 15 rapports réalisés à la demande du Parlement. L’année 2020 augure d’échanges tout aussi nombreux, ce dont nous nous réjouissons.
Monsieur le président, vous l’avez rappelé, c’est en ma qualité de doyenne des présidents de chambre de la Cour des comptes que me revient l’honneur de m’exprimer aujourd’hui devant vous. Vous le savez, Didier Migaud a rejoint la présidence de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique il y a un peu plus d’un mois. C’est lui qui a supervisé, jusqu’à son départ, la confection de bout en bout du rapport public annuel qui vous est remis ce jour. Nous ne savons pas encore qui lui succédera.
Permettez-moi à mon tour de lui rendre hommage devant vous, au nom de notre institution, pour la qualité et l’intensité de son engagement dans une mission exigeante, celle de Premier président de la Cour des comptes et, à ce titre, de président du Haut Conseil des finances publiques et de président du Conseil des prélèvements obligatoires, au service de notre pays et de nos concitoyens.
La publication du rapport annuel est un événement important pour notre institution. Elle nous offre, année après année, l’occasion d’un contact privilégié avec les citoyens et les décideurs publics, au travers d’un exercice d’information, de décryptage, d’explication de l’action publique dans sa très grande diversité.
Ce rapport est aussi un produit que nous souhaitons en constante évolution. C’est particulièrement le cas de cette édition 2020 : elle tient compte des enseignements que nous tirons des échanges et des courriers qui nous sont adressés toute l’année par nos concitoyens, dont les attentes se sont cristallisées au moment du grand débat national.
Quelles sont ces attentes ? Plus de transparence et de pédagogie dans la mise en œuvre et les résultats des politiques publiques ; plus d’attention au coût et à la qualité des services publics financés par leurs contributions ; plus de responsabilisation pour les décideurs publics.
Ces attentes ont inspiré des modifications importantes de notre rapport public annuel. Permettez-moi d’en dire quelques mots.
D’abord, nous avons souhaité traiter davantage de sujets intéressant la vie quotidienne de nos concitoyens. C’est le cas notamment des chapitres dédiés à la restauration collective et à La Poste.
Ensuite, nous nous sommes attachés à mieux rendre compte, dans la durée, de la qualité des services rendus aux usagers, en appréciant le chemin parcouru par les administrations depuis notre dernier contrôle. Ce chemin est parfois significatif.
Pour ce qui concerne les éco-organismes par exemple, notre rapport met en évidence d’indéniables progrès de gestion, même si la performance de ces organismes nous semble pouvoir être encore améliorée et leur régulation par l’État renforcée. À l’inverse, nous déplorons parfois l’absence de mise en œuvre de nos préconisations ; c’est le cas dans l’enquête réalisée sur les abattoirs publics, sur laquelle je reviendrai.
La restitution complète de cet exercice de suivi des recommandations figure au tome II de ce rapport ; il montre notamment que, trois ans après avoir été émises, près des trois quarts de nos recommandations ont été partiellement ou totalement mises en œuvre par les entités contrôlées.
Enfin, s’agissant de la structure de ce rapport, nous avons choisi de consacrer une partie de cette édition 2020 à un thème transversal, celui du numérique au service de la transformation de l’action publique, comme vous l’avez rappelé, monsieur le président.
Une autre évolution peut être relevée, la réalisation d’un rapport d’activité, qui permet d’avoir une vue d’ensemble des travaux, des moyens et des faits marquants de l’activité des juridictions financières au cours de l’année écoulée.
Voilà pour la méthode. J’en viens maintenant aux principaux constats formulés dans ce rapport. Ils sont au nombre de trois.
Le premier message porte sur l’état de nos comptes publics. La Cour des comptes constate que, la situation de nos finances publiques s’améliorant lentement – trop lentement –, le retard relatif de notre pays par rapport à ses partenaires européens va perdurer.
Le deuxième message est que, face à cette situation, notre pays dispose de marges, si l’on considère, à différentes échelles, l’efficacité et la performance des politiques et de la gestion publiques.
Le troisième message, dans ce contexte, a trait à l’apport évident de l’outil numérique à la transformation publique, au bénéfice des usagers comme des administrations, pour peu que soient toutefois prises en considération un certain nombre d’exigences.
Je commencerai par exposer la situation de nos comptes publics.
La Cour des comptes avait relevé, dès le mois de juin 2019, l’évolution préoccupante de la situation de nos finances publiques. Le constat dressé en ce début d’année confirme ce diagnostic : l’amélioration structurelle des comptes publics devrait être très faible en 2019, et aucune amélioration n’est prévue en 2020.
Commençons par l’année 2019. Selon les prévisions du Gouvernement, le déficit effectif de notre pays s’établirait à 3, 1 points de PIB. Il serait donc en progression de 0, 6 point par rapport à 2018.
Certes, cette situation était attendue compte tenu du cumul, en 2019, du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) et des allégements des cotisations patronales qui le remplacent. Au total, ce cumul explique d’ailleurs à lui seul 0, 8 point de PIB de déficit.
Toutefois, ce déficit effectif est supérieur à la prévision établie en loi de finances initiale, qui était de 2, 8 points de PIB, en raison des mesures décidées à la suite des mouvements sociaux de l’automne 2018. Celles-ci ont conduit à des renoncements de hausses d’impôts et de taxes, à des baisses supplémentaires de prélèvements obligatoires et à des dépenses nouvelles. Leur coût net est estimé à 9 milliards d’euros en 2019, soit 0, 4 point de PIB.
Si l’on neutralise tous les effets des mesures exceptionnelles ou temporaires et ceux de la conjoncture, le solde structurel de nos comptes publics s’établirait à 2, 2 points de PIB en 2019. Il ne se serait ainsi que très modestement résorbé ces deux dernières années, de 0, 1 point de PIB seulement par rapport à 2018 et de 0, 2 point par rapport à 2017.
Conséquence immédiate : la dette publique française devrait avoir continué de croître en 2019, pour atteindre 98, 8 points de PIB, alors que, selon les prévisions de la loi de finances, elle était censée reculer.
À travers ces chiffres, la Cour des comptes relève que la France a peu tiré profit de l’environnement économique et financier favorable qui prévaut au sein de la zone euro depuis 2015. Notre pays se démarque ainsi nettement de ses partenaires européens, dont beaucoup ont engagé des efforts de redressement substantiels.
Venons-en à 2020.
Si l’année 2019 a marqué une poursuite, même lente, de l’amélioration structurelle de nos comptes publics, l’année 2020 devrait pour sa part marquer un arrêt singulier dans la réduction de notre déficit structurel. Celui-ci resterait en effet à 2, 2 points de PIB, en décalage avec nos engagements européens.
Les pouvoirs publics ont ainsi fait le choix d’une accentuation de la baisse des prélèvements obligatoires, ce qui pèse sur le redressement de nos comptes.
La loi de finances pour 2020 prévoit en effet près de 10 milliards d’euros de baisse des prélèvements, principalement portés par l’impôt sur le revenu et la taxe d’habitation.
Au total, le coût des mesures décidées à la suite du mouvement social de l’automne 2018 s’établirait à plus de 17 milliards d’euros, soit 0, 7 point de PIB. Et, puisque ces baisses supplémentaires de prélèvements ne sont pas compensées par un effort de maîtrise accrue de la dépense, la dette publique ne devrait pas refluer en 2020.
Ce ralentissement, puis cet arrêt prévu de la réduction du déficit structurel de la France interviennent alors que la croissance économique de notre pays est, à ce stade, plus favorable que les années précédentes. Ils nous écartent, en tout état de cause, de nos engagements européens et de la trajectoire fixée voilà tout juste deux ans par la loi de programmation des finances publiques pour les années 2018 à 2022.
Le Gouvernement doit justement présenter au printemps prochain une trajectoire actualisée des finances publiques. Il serait important que celle-ci prévoie une réduction du déficit structurel ambitieuse, cohérente avec les règles européennes et ne repoussant pas en fin de période de programmation l’essentiel des efforts à accomplir.
Cette perspective appelle également au renforcement de l’effectivité de notre cadre pluriannuel, qui pourrait passer par une révision des règles organiques.
Cette trajectoire ambitieuse de réduction de notre déficit structurel n’est pas hors de portée.
Pour redonner du souffle à nos comptes publics, les juridictions financières identifient, enquête après enquête, contrôle après contrôle, de nombreuses marges de manœuvre dans le fonctionnement quotidien des administrations et le déploiement des politiques nationales et territoriales. Les différents chapitres de ce rapport en constituent autant d’exemples dont nous espérons qu’ils soient utiles aux pouvoirs publics.
La Cour met d’abord en lumière des situations de gestion qui conduisent à une mauvaise utilisation des moyens publics. C’est le cas du chapitre consacré aux aides personnalisées au logement (APL). Celles-ci bénéficient aujourd’hui à 6, 6 millions de ménages, mais leur gestion particulièrement complexe conduit au versement de nombreuses prestations indues. Nous avons estimé le montant de ces « trop-perçus » – il faut ensuite les faire rembourser à ceux qui en ont bénéficié – à plus d’un milliard d’euros pour 2018.
Les usagers du service public sont les premiers pénalisés par ces situations de mauvaise utilisation des deniers publics.
C’est le cas des patients traités pour insuffisance rénale chronique terminale, maladie en expansion qui touche près de 88 000 personnes et coûte plus de 4 milliards d’euros à l’assurance maladie. La prise en charge des malades privilégie aujourd’hui pour moitié des modes de dialyse lourds, contraignants pour les patients et coûteux pour la collectivité. À l’inverse, la greffe, qui leur offre un meilleur confort de vie tout en étant moins onéreuse, ne nous semble pas assez développée.
Des marges financières existent aussi dans les territoires. Notre rapport en offre plusieurs exemples.
Ainsi, entre 2012 et 2017, 45 millions d’euros ont été consacrés par les collectivités territoriales à la desserte aéroportuaire de la Bretagne. Or, sur les huit plateformes aéroportuaires bénéficiaires, 80 % du trafic se concentre sur l’aéroport de Brest. L’activité des autres infrastructures se réduit régulièrement, notamment face à la concurrence de l’offre ferroviaire et faute d’une stratégie régionale globale de mobilité.
La solution, bien souvent, tient donc à la capacité des pouvoirs publics à repenser et à reconfigurer les conditions et les modalités de leurs interventions.
Nous le soulignons notamment dans le chapitre consacré à la gestion des abattoirs publics, dont les équipements paraissent aujourd’hui, pour beaucoup, surdimensionnés et sous-exploités. Face à la situation financière dégradée de ces structures, à leur poids très modeste dans la filière et aux lourdes charges qu’elles font peser sur les communes concernées, notre rapport pose donc les questions de la viabilité et de la pertinence du financement du réseau actuel des abattoirs publics.
S’agissant de la restauration collective, l’enquête réalisée par les chambres régionales des comptes auprès de 80 communes a permis au contraire d’identifier des pratiques économes de gestion, en particulier par le biais de mutualisations et par la mise en place de centrales d’achat. Elles permettent d’alléger significativement cette lourde charge pour la collectivité publique, tout en garantissant un service de qualité aux familles.
D’autres bonnes pratiques sont aussi mises en lumière dans ce rapport.
La Cour a, par exemple, voulu rendre compte de la transformation engagée par le groupe La Poste face aux mutations majeures de l’activité postale. Le volume de lettres à distribuer accuse en effet, année après année, une baisse spectaculaire : de 18 milliards en 2008, le nombre de plis distribués sur notre territoire est tombé à 9 milliards en 2018 et sera probablement proche de 5 milliards en 2025. Cette diminution ampute le chiffre d’affaires de La Poste de plus de 500 millions d’euros par an et fragilise son modèle économique.
En 2016, la Cour des comptes avait donc recommandé des adaptations profondes du fonctionnement et du réseau de distribution postale pour assurer sa pérennité. Elle constate aujourd’hui que ces transformations ont pour partie été engagées, mais que, face à l’ampleur des défis à relever, elles devront être amplifiées.
Cette capacité d’adaptation du service public aux mutations de la société et aux besoins des citoyens, nous avons voulu en rendre compte au travers de la nouvelle partie thématique de ce rapport, qui est consacrée au rôle du numérique dans la transformation de l’action publique.
Ces neuf chapitres, sans offrir de vision exhaustive du sujet, fournissent, je crois, quelques exemples des enjeux et bénéfices liés à la digitalisation du service public, tout en fixant des conditions requises pour en tirer le meilleur parti.
Notre rapport rappelle, d’abord, le fort potentiel d’amélioration des services rendus aux citoyens et aux usagers grâce à l’outil numérique.
L’informatisation des procédures leur permet notamment de suivre à distance l’avancement de leurs démarches administratives. Notre rapport cite l’exemple de l’outil Vitiplantation, déployé par le ministère de l’agriculture et de l’alimentation pour dématérialiser et simplifier les demandes d’autorisation de plantation des viticulteurs.
L’utilisation des données de masse permet également de créer de nouveaux services ; le succès de la base de données utilisée pour la prévision des crues, www.vigicrues.gouv.fr, en témoigne : en trois ans, elle a accueilli près de 12 millions de visiteurs.
Un autre exemple, particulièrement d’actualité, concerne le domaine de la santé publique. Institué par la loi en 2007, conçu et mis en œuvre par les professionnels, le dossier pharmaceutique individuel a connu une montée en charge rapide. Le socle des informations ainsi recueillies a permis le développement de fonctionnalités essentielles, tels la diffusion aux pharmaciens d’alertes sanitaires, le rappel de lots de médicaments, ou encore l’information sur les ruptures d’approvisionnement.
L’outil numérique permet également aux administrations de faire des économies. Ainsi, le coût d’instruction d’une demande de logement social en ligne est trois fois inférieur à celui d’une demande effectuée à un guichet physique.
En dehors de ces gains nets, l’essor du numérique permet aussi des redéploiements de ressources publiques vertueux. À titre d’exemple, le projet de dématérialisation des demandes d’autorisation d’urbanisme conduit par le ministère de la transition écologique et solidaire, qui simplifie la vie de l’usager, pourrait permettre une économie estimée à près de 7 millions d’euros par an à partir de 2022.
Au fil des exemples, cette partie thématique permet de distinguer les conditions de réussite exigeantes de la transformation numérique, à défaut desquelles l’action publique s’expose à des échecs coûteux ou au retard préjudiciable des bénéfices qui en sont attendus. J’en mentionnerai brièvement quatre, même si, bien sûr, cette liste n’est pas exhaustive.
La première condition, c’est la qualité de l’accompagnement et de la formation des agents chargés du déploiement de l’outil numérique. C’est le sens du chapitre que nous consacrons aux ressources humaines des ministères économiques et financiers.
La deuxième condition, c’est la qualité du pilotage des projets informatiques. Elle constitue un autre facteur de réussite déterminant. Le système d’information des ressources humaines de l’éducation nationale (Sirhen) offre, à ce titre, un contre-exemple lourd d’enseignements. Après avoir investi depuis plus de dix ans près de 400 millions d’euros et mobilisé largement ses personnels pour déployer ce programme, le ministère a cessé en 2018 le développement de ce dernier. Cependant, le travail reste à faire.
La troisième condition, alors que l’illettrisme numérique touche, d’après l’Insee, près de 7 % de nos concitoyens, c’est l’accompagnement des usagers. Celui-ci se révèle essentiel, afin que l’outil numérique ne crée pas de situations de non-recours aux droits. Ce risque dit de fracture numérique se pose tout particulièrement pour les populations fragiles. Le chapitre consacré aux services numériques de Pôle emploi détaille plus particulièrement ce point de vigilance.
La quatrième condition, enfin, pour offrir tous ses bénéfices, c’est que le développement de l’outil numérique aille de pair avec une remise à plat et, bien souvent, une simplification des procédures administratives. C’est le constat que dresse la Cour des comptes à l’égard de la gestion des cartes grises, dans le chapitre qu’elle consacre à la dématérialisation de la délivrance de titres en préfecture. Une telle numérisation intégrale des procédures aurait ainsi justifié, d’après la Cour, un travail plus approfondi de simplification préalable.
Ces différents sujets mériteraient, bien sûr, des développements plus importants tant les enjeux qu’ils soulèvent sont divers et riches, mais c’est sur un message d’optimisme raisonné que je veux achever mon intervention. Je viens de le rappeler, la situation financière de notre pays est fragile, mais cette fragilité n’est pas inéluctable, bien au contraire.
Au fil de nos travaux, nous identifions des marges nombreuses d’économies, de réallocations, de transformations des services publics, partout sur les territoires. L’utilisation de ces marges peut tout à fait aller de pair avec le maintien, voire l’amélioration de la qualité du service rendu aux usagers : un niveau élevé de dépenses en faveur d’un service public n’est pas un gage de qualité de service pour nos concitoyens.
Beaucoup demeure donc à faire pour accroître la performance de nos dépenses, mais les administrations publiques disposent d’une réelle capacité de transformation, d’évolution, d’adaptation aux besoins de leurs usagers. Nous en sommes les témoins privilégiés et nous vous en rendons compte.
Notre rapport public annuel n’est donc pas là pour « épingler », « étriller » ou « clouer au pilori » qui que ce soit, comme nous le lisons ou l’entendons trop souvent. Il est d’abord un outil d’information des citoyens et d’aide à la décision des pouvoirs publics, dont nous mesurons la complexité des interventions.
Ce faisant, les juridictions financières entendent accompagner la transformation des administrations publiques, les conseiller, mettre en valeur les leçons des succès autant que celles des échecs rencontrés.
« Ouvrez et voyez » : c’était l’ancienne injonction faite aux juridictions financières d’interroger les écritures financières et comptables et, ainsi, de suivre les traces et les chemins de l’action publique.
Mesdames, messieurs les sénateurs, à ce moment de la présentation à la Haute Assemblée de la sélection collégialement pensée des résultats de nos contrôles qui forment ce rapport public annuel, c’est le vœu que je vous adresse en retour au nom des juridictions financières : ouvrez et voyez.
Monsieur le président, en application de l’article L. 143-6 du code des juridictions financières, j’ai l’honneur de vous remettre le rapport public annuel de la Cour des comptes.
Mme la doyenne des présidents de chambre de la Cour des comptes remet à M. le président du Sénat un exemplaire du rapport public annuel de la Cour des comptes. – Applaudissements.
Madame la doyenne des présidents de chambre, le Sénat vous remercie et vous donne acte du dépôt du rapport public annuel de la Cour des comptes.
Nous allons procéder au débat dont les modalités ont été fixées par la conférence des présidents.
La parole est à M. le président de la commission des finances.
Monsieur le président, madame la doyenne des présidents de chambre, Première présidente, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui le rapport public annuel de la Cour des comptes. C’est un moment symboliquement important, qui illustre l’assistance que la Cour apporte au Parlement, tel que le prévoit notre Constitution.
S’il reste une source d’inspiration essentielle pour les parlementaires dans leurs initiatives de réforme de l’action publique, le rapport public annuel est désormais complété par de nombreux autres travaux produits par la Cour tout au long de l’année, particulièrement utiles à l’analyse du bon usage des deniers publics et de la mise en œuvre des politiques publiques.
En application du 2° de l’article 58 de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF), la commission des finances commande régulièrement à la Cour des comptes des enquêtes éclairant des sujets d’intérêt général. Elle vient tout juste d’entendre, cet après-midi même, les magistrats de la deuxième chambre de la Cour, venus présenter, au cours d’une audition pour suite à donner, l’enquête sur l’arrêt et le démantèlement des installations nucléaires. Cela a été l’occasion d’évoquer l’actualité récente, la mise à l’arrêt d’un des réacteurs de la centrale de Fessenheim, ainsi que les enjeux qui en découlent pour le territoire concerné et notre production énergétique.
Nous entendrons de nouveau les magistrats financiers dans quelques semaines sur d’autres enquêtes, comme celles qui concernent le pilotage stratégique des opérateurs de l’action extérieure de l’État, le nouveau programme national de renouvellement urbain, ou encore la politique de lutte contre la pollution de l’air.
Par ailleurs, la commission des finances a adopté en début d’année son programme de contrôle pour 2020, qui comprend de nombreux travaux réalisés par ses moyens propres, mais aussi de nouvelles enquêtes commandées à la Cour sur des sujets qui font écho à nos travaux législatifs : ainsi en est-il de l’enquête sur le fonds de prévention des risques naturels majeurs, qui sera rapportée par Jean-François Husson, et qui fait suite à l’examen de la proposition de loi du groupe socialiste sur l’indemnisation et la prévention des catastrophes naturelles, discutée au mois de janvier au Sénat.
Par conséquent, le travail de contrôle de la Cour des comptes et celui de la commission des finances du Sénat, dans sa fonction législative et de contrôle de l’action du Gouvernement, se complètent et s’enrichissent réciproquement.
Le rapport public annuel commence, comme c’est l’usage, par une insertion consacrée à la situation des finances publiques, qui confirme ce que nous avions malheureusement anticipé : l’année 2020 ne devrait marquer aucun progrès dans le redressement de nos comptes publics.
Concrètement, la baisse du déficit, de 3, 1 % du PIB en 2019 à 2, 2 % en 2020, résulterait uniquement de la fin du cumul du CICE et de l’allégement de cotisations sociales le remplaçant, enregistré l’année dernière. En dehors de cet effet, aucune amélioration ni du déficit public ni du déficit structurel n’est à noter en 2020 : autrement dit, l’effort structurel est réduit à néant ! La dette publique frôle les 100 % du PIB, alors que l’Allemagne passe sous les 60 %, et ceci alors même que la charge de la dette ne cesse de s’alléger grâce aux taux d’intérêt bas. La France enregistre le déficit structurel le plus élevé de la zone euro en 2019, hormis l’Espagne.
Nos mauvais résultats sur le déficit et la dette au regard de ceux de nos partenaires européens trouvent une explication. À son arrivée, le nouveau gouvernement a d’abord fait le choix d’une baisse des prélèvements obligatoires dirigée vers les entreprises et les contribuables les plus aisés. Dans un second temps, il a dû, après le mouvement des « gilets jaunes », en plus de la suppression progressive, mais non financée, de la taxe d’habitation, revenir sur les hausses de fiscalité énergétique et de CSG qui touchaient les classes populaires. Enfin, après le grand débat national, il a décidé une réduction de l’impôt sur le revenu pour les classes moyennes.
La Cour estime ainsi à 17 milliards d’euros pour 2020 le coût des mesures adoptées après le projet de loi de finances pour 2019 ! Dans le même temps, le Gouvernement n’a pas dégagé de marges de manœuvre budgétaires à la hauteur de ses promesses de réforme de l’action publique, se heurtant souvent à l’impréparation des réformes annoncées. Il a ainsi baissé les impôts à crédit.
La situation de nos finances publiques est d’autant plus inquiétante que les perspectives macroéconomiques paraissent désormais très fragiles, dans un contexte de ralentissement européen et mondial qui s’accentue. On ne peut que souscrire au constat de la Cour selon lequel « les marges de manœuvre dont dispose la France en cas de retournement conjoncturel restent limitées, et nettement inférieures à celles de certains de nos partenaires ».
La trajectoire fixée par la loi de programmation des finances publiques adoptée en janvier 2018 n’est donc pas respectée, mais le Gouvernement se garde d’en tirer les conséquences.
Alors que, comme le rappelle la Cour, l’écart par rapport aux orientations fixées par la loi, notamment s’agissant du déficit structurel, pourrait conduire au déclenchement du mécanisme de correction prévu par la loi organique de 2012, le Gouvernement retarde de mois en mois la présentation d’une nouvelle programmation pluriannuelle des finances publiques. Il faut dire que, pour justifier ce retard, le Premier ministre avait invoqué, en septembre dernier, les incertitudes liées au contexte macroéconomique et à la réforme des retraites… Chacun mesurera à quel point ces incertitudes sont désormais prêtes à être levées !
Faute de présenter une vision d’ensemble, que manifestement il ne maîtrise pas, le Gouvernement annonce régulièrement des lois de programmation sectorielles, qui d’ailleurs se font aussi attendre, et ne seront sans doute pas davantage respectées.
Seule l’obligation européenne de transmettre un programme de stabilité à la Commission devrait contraindre le Gouvernement à présenter aux parlementaires les perspectives d’évolution de nos finances publiques d’ici à la fin du mois d’avril.
Le rapport public annuel de la Cour des comptes, refondu cette année, comprend également plusieurs insertions balayant de nombreux enjeux de la vie économique du pays qui font souvent écho aux observations formulées par nos collègues dans leurs rapports de contrôle budgétaire et au cours de l’examen des projets de loi de finances.
À titre d’exemple, la Cour, comme l’a fait à plusieurs reprises la commission des finances, notamment son rapporteur spécial Philippe Dallier, souligne l’aspect inéquitable des mesures de gel et de sous-indexation des aides personnalisées au logement prises par le Gouvernement depuis 2017. Le rapport fait état des tensions et du manque de visibilité à moyen terme dans lesquels le monde du logement social a été plongé par la création de la réduction du loyer de solidarité.
Le second tome du rapport est consacré au numérique au service de la transformation de l’action publique. La commission des finances a entendu la semaine dernière le délégué interministériel à la transformation publique et nous avons pu mesurer les efforts qui restaient à accomplir dans ce domaine. Une enquête sur les grands projets informatiques pilotés par l’État, suivie par le rapporteur général Albéric de Montgolfier, nous sera remise par la Cour des comptes en juin prochain. Elle devra approfondir les aspects techniques de cette transformation numérique, alors même que la commission s’interroge régulièrement sur la gouvernance de ces projets, dont les coûts et les délais sont fréquemment dépassés.
Je relèverai trois éléments dans ce second tome du rapport.
La Cour s’est intéressée à la stratégie numérique mise en place par Pôle emploi depuis 2015, à la fois pour enrichir l’offre des services proposés, mais également pour dégager les gains d’efficacité indispensables pour faire face à l’afflux de demandeurs d’emploi. De plus, les problématiques liées à l’inclusion et à la fracture numérique, qui concernent certes l’ensemble des services publics, se posent avec une acuité toute particulière pour Pôle emploi, compte tenu de la fragilité d’une partie du public concerné. Dans son rapport spécial cosigné avec Emmanuel Capus en 2019, Sophie Taillé-Polian avait déjà critiqué la complexification de l’accès physique au conseiller Pôle emploi et des procédures dématérialisées « dissuasives » pour la part non négligeable de chômeurs n’utilisant pas internet dans leur démarche de recherche d’emploi. La Cour relève, quant à elle, l’insuffisance des actuelles modalités de détection en amont des personnes en difficulté face au numérique. Cet enjeu devra constituer une priorité de la nouvelle convention tripartie signée avec l’État et l’Unédic que nous examinerons attentivement.
Lors de l’examen des crédits de la mission « Gestion des finances publiques et des ressources humaines », les rapporteurs spéciaux Claude Nougein et Thierry Carcenac avaient insisté sur les obstacles rencontrés par la direction générale des finances publiques (DGFiP) et les douanes pour recruter et fidéliser les informaticiens et spécialistes du numérique. Ils avaient noté trois difficultés : un défaut d’attractivité des ministères économiques et financiers, un processus de recrutement mal adapté et des barrières réglementaires. Ces constats sont partagés par la Cour qui recommande également de diversifier les modes de recrutement et de renforcer l’attractivité des ministères économiques et financiers.
Enfin, la Cour revient sur les dérapages du projet Sirhen, qui devait constituer la base de données unique permettant au ministère de l’éducation nationale de gérer l’ensemble de ses agents. Elle relève deux faiblesses qui ont freiné le développement du projet depuis 2008 : une gouvernance déficiente, une estimation initiale irréaliste des coûts, évalués à 60 millions d’euros, et des délais de production qui n’ont, par la suite, pas été respectés. Le coût du projet a ainsi atteint près de 500 millions d’euros en 2016. Le rapporteur spécial des crédits de la mission « Enseignement scolaire », Gérard Longuet, a régulièrement alerté sur le caractère irréaliste des hypothèses sous-tendant le développement du projet Sirhen et sur les risques d’un dérapage budgétaire et opérationnel, avant l’abandon du projet en juillet 2018. Je ne doute pas qu’il sera singulièrement attentif à la nouvelle stratégie annoncée par le ministère en novembre dernier.
En conclusion, la commission des finances sera particulièrement vigilante quant aux suites que le Gouvernement apportera aux observations de la Cour des comptes, comme à celles qu’elle a déjà pu formuler par le biais du travail de ses rapporteurs spéciaux.
La parole est à M. le rapporteur général de la commission des affaires sociales.
Monsieur le président, madame la Première présidente, mes chers collègues, comme chaque année, la commission des affaires sociales a pris connaissance, avec un grand intérêt, du rapport public de la Cour des comptes. Comme ma fonction m’y invite, je dirai quelques mots sur les comptes sociaux, ainsi que sur les chapitres du rapport de la Cour relatifs à des sujets relevant de la compétence de notre commission.
Pour ce qui concerne la situation des comptes publics, la Cour fait le constat, sévère, suivant : « Le redressement des finances publiques, déjà très graduel au cours des dernières années, est aujourd’hui quasiment à l’arrêt. »
L’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2020 nous a montré à quel point cela se vérifiait pour les comptes de la sécurité sociale : sous le triple effet de baisses de recettes conjoncturelles, de quelques dépenses imprévues et de l’absence de compensation de plusieurs mesures, dont celles qui ont été accordées à la suite de la crise des « gilets jaunes », le retour à l’équilibre annoncé pour 2019 s’est transformé en augmentation brutale du déficit, supérieur à 5 milliards d’euros. La nouvelle échéance pour l’équilibre des comptes de la sécurité sociale serait désormais 2023 ou 2024.
Dans ces conditions, comme la Cour l’a souligné à l’automne, la perspective de remboursement de la dette sociale d’ici à 2024 semble illusoire, au vu du montant des déficits cumulés portés par l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale (Acoss).
De plus, le début d’année 2020 ne devrait guère être favorable aux comptes sociaux. À cet égard, madame la Première présidente, il serait intéressant que la Cour puisse nous donner les premiers éléments permettant d’estimer, d’une part, l’incidence de l’actuelle crise sanitaire sur la conjoncture et sur les comptes publics et, d’autre part, pour ce qui concerne plus spécifiquement la sécurité sociale, l’effet des mesures annoncées par le Gouvernement, notamment celles qui sont relatives à la prise en charge des indemnités journalières des personnes invitées à rester chez elles.
J’en arrive aux chapitres du rapport public annuel qui concernent plus particulièrement la commission des affaires sociales : ils visent la prise en charge de l’insuffisance rénale chronique terminale, le dossier pharmaceutique et la gestion de l’opérateur de retraite complémentaire Agirc-Arrco.
S’agissant de la prise en charge de l’insuffisance rénale chronique terminale, dont nous avons parlé ce matin en commission, nous ne pouvons que regretter les avancées très insuffisantes relevées par la Cour depuis sa précédente étude de 2015.
Alors que cette pathologie affecte un nombre croissant de patients et emporte des coûts élevés pour notre système de santé, améliorer la pertinence des prises en charge est un objectif que nous ne pouvons que partager. Les actions de dépistage doivent être amplifiées, puisque 30 % des patients sont mis sous dialyse en urgence. Les modes de financement sont, sans conteste, un levier d’évolution encore insuffisamment exploité. La loi de financement de la sécurité sociale pour 2019 a ouvert la voie à une rémunération forfaitaire pour des maladies chroniques, dont l’insuffisance rénale, mais cette mesure ne concerne, pour le moment, que la prise en charge hospitalière. L’extension de ce « forfait » aux soins de ville serait un levier de meilleure coordination des parcours de soins, la Cour le souligne dans son rapport, avec un bénéfice tant pour la qualité de vie des patients que pour les finances de l’assurance maladie.
Quant au développement de la greffe que préconise la Cour, il est certain qu’un accès équitable sur l’ensemble du territoire et une bonne information de tous les patients sont d’indispensables prérequis. Les disparités territoriales, aussi relevées par les associations de patients, notamment dans les outre-mer, peuvent appeler des mesures correctives. Néanmoins, cela se heurte au principe de réalité qu’est le manque de greffons : la liste des patients en attente de greffe rénale compte 5 000 nouveaux inscrits par an quand seulement 3 500 greffes sont réalisées chaque année.
Nous avons besoin en ce domaine de mesures plus volontaristes, comme nous en avons récemment débattu lors de l’examen du projet de loi relatif à la bioéthique.
S’agissant du dossier pharmaceutique, la Cour plaide légitimement pour une intensification de son déploiement et préconise qu’un principe de consentement tacite du patient soit substitué au principe actuellement appliqué de consentement exprès.
Cette mesure a déjà fait son apparition au cours des débats en commission spéciale autour du projet de loi d’accélération et de simplification de l’action publique ; elle constitue une piste intéressante. Toutefois, avez-vous pu vérifier sa compatibilité avec l’article 9 du règlement général sur la protection des données (RGPD), qui conditionne tout traitement de données à caractère personnel au recueil du consentement explicite de la personne concernée ? Nous aimerions avoir votre avis sur ce point, madame la Première présidente.
Par ailleurs, la Cour souligne qu’un des ralentissements imputables au déploiement du dossier pharmaceutique se situe au niveau des pharmacies à usage intérieur des établissements de santé ou médico-sociaux. Ce problème a été incidemment soulevé au cours de la discussion du dernier PLFSS par notre collègue Catherine Deroche. En effet, le ministère considère que la substituabilité d’un médicament bioprinceps et d’un médicament biosimilaire doit être entourée de précautions particulières – d’aucuns y verraient même des entraves – en raison d’une prescription en milieu hospitalier, d’une dispensation en officine et d’un défaut de communication, malheureusement réel, entre les deux.
Ne serait-il pas judicieux que la loi prévoie des dispositions particulières d’établissement du dossier pharmaceutique dans le cas où certaines spécialités pourraient faire l’objet de substitutions moins coûteuses pour la sécurité sociale et indifférentes, voire de meilleure qualité, pour le soin du patient ?
S’agissant de la gestion de l’Agirc-Arrco, la Cour rappelle le contexte et les situations qui ont mené à la fusion réalisée au 1er janvier 2019 entre les deux anciennes associations propres l’une aux cadres et l’autre aux salariés. Cette fusion était d’ailleurs l’une des préconisations du rapport thématique qu’avait produit la Cour en 2014.
Au titre des recommandations formulées cette année sont évoquées des préoccupations d’économies sur les coûts de gestion et la question des effectifs, même si la Cour relève que des efforts significatifs ont été réalisés.
Mais, bien sûr, ce rapport arrive alors que nous aurons bientôt à examiner le projet de loi instituant un système universel de retraite. Je veux signaler deux éléments que nous devrons avoir à l’esprit.
Le premier concerne les réserves. C’est une particularité de ce régime : le choix a été fait d’un pilotage appuyé sur les réserves qui, à l’horizon de quinze ans, doivent être équivalentes à six mois de prestations. Ces réserves ont en partie permis au régime de surmonter la crise de 2009. La Cour invite aujourd’hui à renforcer leur gestion à l’échelon fédéral. Ce choix des réserves doit conduire à s’interroger sur le pilotage que nous entendons faire du futur système universel.
Le second est lié encore au pilotage. L’Agirc-Arrco est un système à points, avec des valeurs de service et d’achat, la première ayant été entre 2014 et 2018 revalorisée sur l’inflation diminuée d’un facteur de « soutenabilité ». Cette question d’indexation des valeurs de référence anime très largement les débats sur le futur système. Vous en conviendrez, chers collègues, nous avons là un exemple de gestion appuyée sur un impératif d’équilibre de long terme.
Ces éléments doivent nourrir nos réflexions, comme les préoccupations soulignées par la Cour cette année d’une meilleure lisibilité des contributions générant des droits ou relevant simplement de l’équilibre et de la solidarité de nos systèmes.
Telles sont, madame la Première présidente, les principales questions et observations que nous inspirent vos travaux, toujours aussi utiles et suivis par la commission des affaires sociales.
Applaudissements sur les travées du groupe LaREM.
Monsieur le président, madame la Première présidente, mes chers collègues, chaque année, la parution du rapport public annuel de la Cour des comptes constitue, à tout le moins, un rendez-vous attendu des observateurs de la vie publique et de plus en plus, vous l’avez dit, madame la Première présidente, un rendez-vous avec les Français.
Traditionnellement, et paradoxalement, seuls les présidents des commissions des finances et des affaires sociales s’exprimaient à cette occasion. Je salue donc l’évolution positive que constitue l’expression de la pluralité des vues relatées par les orateurs des différents groupes.
Je salue en premier lieu l’évolution que représente la publication d’un dossier traitant d’une même politique transversale cette année concernant le numérique au service de la transformation de l’action publique. Depuis la loi pour un État au service d’une société de confiance, le sujet de la dématérialisation et de la simplification administrative n’a jamais été aussi prégnant dans l’exécution des politiques publiques : principe du « dites-le-nous une fois », guichet unique, droit au contrôle et rescrit administratif. Toutefois, et le rapport de la Cour le souligne, la dématérialisation doit être associée à un accompagnement plus important des acteurs qui la mettent en œuvre et des usagers du service public.
Sur l’analyse globale des finances publiques, le rapport annuel apporte une pierre à l’édifice d’étude de la situation des finances publiques qui a lieu tout au long de l’année.
Partons des chiffres : le déficit pour 2020 serait de 2, 2 points de PIB. Il est encore trop élevé – certes, l’effort n’est pas suffisant –, mais je vous rappelle, chers collègues, qu’il était par exemple de 4, 1 points en 2003, dans une période d’allégresse au regard des règles budgétaires.
Je rappelle aussi que c’est en 2017 que le déficit est passé pour la première fois depuis dix ans sous la barre des 3 % du PIB, dans le contexte d’un effort de dépenses de 5 milliards d’euros en fin de gestion et du remplacement de la taxe à 3 % censurée par le Conseil constitutionnel pour 5 milliards d’euros. À cela s’ajoutaient les fréquentes sous-budgétisations, soit environ 4 milliards d’euros dans le budget pour 2017, selon un audit de la Cour.
Je rappelle aussi, comme l’a régulièrement fait la Cour des comptes, l’effort de sincérisation des lois de finances : la baisse du taux de mise en réserve des crédits de 8 % à 3 % – antérieurement, la mise en réserve dépassait 10 % et permettait de remédier aux sous-budgétisations croissantes –, la fin des décrets d’avance, dont certains prenaient le caractère de véritables lois de finances rectificatives en forme réglementaire. Ils n’avaient qu’une cause : l’insincérité des prévisions initiales.
Vous l’aurez compris, chers collègues, je réponds par avance aux critiques sur la réduction trop faible du poids de la dette dans le PIB.
On peut choisir la dette dans le PIB comme seul et unique critère, c’est une attitude légitime, parfois contradictoire avec la pratique des partis de gouvernement. J’ajouterai néanmoins d’autres critères.
Le pouvoir d’achat tout d’abord, qui croît de 2, 3 % en 2019 selon l’Insee, après une hausse de 1, 6 % en 2018, principalement en faveur des classes moyennes, alors même qu’il avait diminué dans la période précédente. Il était, par exemple, inférieur de 1, 2 % aux revenus de 2008 en 2016.
Autre critère intéressant : la baisse des prélèvements obligatoires, de 30 milliards d’euros en 2020 par rapport à 2017.
Après 10 milliards d’euros de baisse de la fiscalité pour les ménages en 2019, la fiscalité diminuera en 2020 de 9, 3 milliards d’euros, dont 5 milliards d’impôt sur le revenu et 3, 6 milliards de taxe d’habitation.
Troisième critère : le taux de chômage. On a longtemps cru à une exception française, depuis que notre pays est touché par le chômage de masse. Il diminue et s’établit à 8, 1 % en 2019.
Enfin, au regard des relations entre l’État et les collectivités, après une réduction entre 2014 et 2017 de plus de 11, 5 milliards d’euros, la dotation globale de fonctionnement (DGF) est stabilisée à 27 milliards d’euros.
Sans être exhaustif, bien entendu, j’ajouterai l’effort en faveur des armées, avec 16 milliards d’euros de hausses de 2018 à 2025, ou encore la reprise par l’État de la dette de SNCF Réseau à hauteur de 25 milliards d’euros.
Il n’empêche que la dépense publique doit être réduite. Elle était de 55 % du PIB en 2017, mais déjà de 54, 7 % en 2003, je vous le rappelle, avant la crise de 2008. N’oublions pas que la loi en faveur du travail, de l’emploi et du pouvoir d’achat, ou loi TEPA, fut financée en 2008 par le déficit public.
En 2020, les dépenses publiques seraient limitées à 53, 4 % du PIB. Il faut pourtant aller plus loin, c’est vrai, et nous devons donc proposer des mesures d’économies.
Cependant, nous savons, gestionnaires parfois de collectivités locales, qu’il est facile d’être contre la dépense en général et pour la dépense en particulier.
Évidemment, les propositions d’économies ne sont pas faciles à accepter.
Le Président de la République l’a dit, la promesse de suppression, en 2017, de 50 000 postes de fonctionnaires d’État ne sera pas tenue.
Rires et exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.
Je crois que les Français l’ont dit pendant la crise des « gilets jaunes » et durant le grand débat : ils ne sont pas favorables à des suppressions quantitatives. L’enjeu est de déployer plus de fonctionnaires vers des postes au contact des usagers, des fonctionnaires de guichet, et moins de fonctionnaires dans les bureaux, de circulaires.
Nous devons agir sur tous les leviers : la clarification des compétences entre les différents échelons et la fin des doublons, qui seront l’un des enjeux de la loi Gourault ; le dynamisme de l’économie, la baisse du chômage réduisant les dépenses sociales. Et n’oublions pas le numérique. Il ne faut pas que le secteur public soit dans le déni : dans les réseaux bancaires, la grande distribution, les transformations digitales sont en train de balayer les modèles existants ; certains groupes changent radicalement leur modèle. Si le secteur privé a pris une vraie conscience des incidences liées au numérique, nous avons du retard dans le secteur public. Données, intelligence artificielle, blockchain collaboratif, réseaux sociaux : voilà autant de paramètres qui modifient les services.
Enfin, une question se pose dans le calcul des dépenses publiques, celle de la prise en compte des investissements en faveur de la transition énergétique pour faire face à l’urgence écologique.
Il est difficile d’être exhaustif sur l’ensemble des sujets que la Cour aborde, mais soyez assurée, madame la Première présidente, que nous savons l’importance de son travail. Elle n’est pas particulièrement tendre, mais elle ne l’a pas été avec les gouvernements précédents, c’est là son rôle…
Dans le triangle formé par le Gouvernement, le Parlement et les citoyens, la Cour se tient à équidistance, au centre de gravité. Il nous appartient à tous de veiller à ce qu’elle garde cette place centrale, gage de son indépendance. (Applaudissements sur les travées du groupe LaRE M. – M. Jean-Marc Gabouty applaudit également.)
Le rapport consacre un chapitre à l’École polytechnique. Étant l’un des très rares anciens élèves de cette école dans cette enceinte, je voudrais rectifier quelques éléments.
Tout d’abord, le rapport souligne qu’il n’y a que 17 % de femmes à l’École polytechnique, mais les classes préparatoires de haut niveau ne comportent que 17 % de femmes ! Il n’y a donc pas de ségrégation à l’égard des femmes. Si un problème existe, il se situe en amont : c’est tout simplement parce que les jeunes filles préfèrent d’autres filières, ce qui est tout à fait leur droit. On ne va pas les obliger à choisir les filières scientifiques si elles ne le souhaitent pas ! Le ratio de femmes à l’école, je le répète, est le même qu’en classe préparatoire. Il n’y a donc pas de ségrégation à l’entrée.
Ensuite, on déplore l’absence de mixité sociale. Lors de mes deux années de classe préparatoire au lycée Louis-le-Grand, l’internat ne coûtait presque rien. À 19 ans, j’étais nourri, logé, blanchi, je touchais une solde de Polytechnique et ne coûtais plus rien à mes parents. Qu’on ne vienne pas nous dire qu’il n’y a pas de mixité sociale : allez à HEC, par exemple, et vous verrez combien ça coûte !
Mes parents n’auraient pas eu les moyens de me payer HEC. À la force du poignet, j’ai réussi le concours d’entrée à Polytechnique. Il n’y a pas de ségrégation au niveau financier. Il faut travailler pour y arriver et ce n’est pas donné à tout le monde !
Enfin, le rapport propose de supprimer la solde des élèves fonctionnaires à l’École polytechnique. Il est assez aberrant de se plaindre du manque de mixité sociale et de vouloir supprimer la solde ! À la limite, vous pourriez même rendre l’enseignement payant pour créer encore plus de ségrégation sociale !
Pour moi, le véritable sujet c’est revaloriser la « pantoufle », c’est-à-dire le montant que ceux qui partent dans le privé doivent verser à l’État pour rembourser leurs études. Or les auteurs du rapport ne le préconisent pas. Apparemment, s’il y a peut-être des partisans de la mixité sociale au sein de la Cour de comptes, il y a aussi un certain nombre de membres de cette instance qui sont tombés sur la tête !
Mme Claudine Kauffmann applaudit. – Exclamations .
Applaudissements sur les travées du groupe UC.
Monsieur le président, madame la Première présidente, mes chers collègues, je souhaite d’abord remercier l’ensemble de la Cour des comptes de la qualité du travail qu’elle fournit, de son indépendance, qui est très importante, et des éléments qu’elle apporte au Sénat et au Parlement en général. Nous nous servons fréquemment de ses rapports dans le cadre de la mission de contrôle de l’action du Gouvernement qui est la nôtre.
Année après année, et à quelques nuances près, les observations formulées par la Cour des comptes se suivent et se ressemblent.
Après une amélioration marginale en 2019, le déficit structurel ne recule plus. Vous l’avez noté, le redressement des finances publiques, « déjà très graduel au cours des dernières années », dans le langage très diplomatique de la Cour, est désormais « à l’arrêt ».
Le déficit structurel mesure les efforts budgétaires de l’État en corrigeant les effets « naturels » de la conjoncture sur les finances publiques. En France, il ne bouge pas d’un iota. L’État ne fournit que peu d’efforts, alors que c’est aujourd’hui et maintenant qu’il faudrait les faire, compte tenu de la politique monétaire accommodante, en réalité de plus en plus anesthésiante.
Le contraste avec nos partenaires de la zone euro est sans appel. Seule l’Espagne continuerait d’avoir un déficit structurel plus élevé que le nôtre, lui-même encore supérieur de 1, 8 point à la moyenne de l’Union européenne.
Certes, le rythme de la progression de la dépense publique a ralenti et n’est plus que de 0, 4 % en moyenne, hors inflation, depuis l’élection d’Emmanuel Macron. Mais, avec une progression de 22 milliards d’euros, les dépenses publiques de la France ont franchi pour la première fois la barre des 1 300 milliards d’euros en 2019, pour atteindre 54 % du PIB. Une paille ! Ce résultat est d’autant moins satisfaisant que la charge de la dette a baissé de 4, 4 milliards d’euros et que les 3, 7 milliards d’euros de dépenses exceptionnelles ayant dû être payés en 2018 pour solder le contentieux sur la taxe à 3 % sur les dividendes n’ont pas été renouvelés.
Certes, on note une meilleure sincérité des comptes publics depuis deux ans. Mais c’est insuffisant.
Il y a effectivement un satisfecit à accorder à l’actuel gouvernement s’agissant non seulement de la sortie de la France de la procédure de déficit excessif, mais également de la « sincérisation » de la dette, avec l’ajout de 35 milliards d’euros, liés notamment à la reprise de la dette de la SNCF.
Le rapport de la Cour des comptes confirme sur ce point des efforts de sincérité fournis et consolidés, bien éloignés des sous-budgétisations et des surévaluations de recettes de l’ère Hollande-Sapin-Eckert, trio dont les tours de passe-passe dans les comptes publics avaient laissé un trou dans la caisse de près de 8 milliards d’euros !
Exclamations ironiques sur les travées du groupe Les Républicains. – Marques d ’ agacement sur les travées du groupe SOCR.
La dette publique génère l’illusion et l’injustice fiscales. En 2019, elle a grimpé jusqu’à atteindre 98, 8 % du PIB. Et, d’après les prévisions gouvernementales, elle devrait à peine refluer.
On le sait : la raison de l’impôt, c’est la dépense. Mais une grande partie des dépenses financent des dépenses consommées et décidées par les générations passées. Autrement dit, les générations présentes paient pour des dépenses qu’elles n’ont pas voulues.
La diminution de la dette publique est d’autant plus impérative que l’endettement galopant crée une situation d’impôts non consentis, c’est-à-dire d’impôts injustes. Elle transfère des revenus de ceux qui ne sont pas encore nés vers ceux qui vivent aujourd’hui. Elle n’est rien d’autre qu’une forme d’externalisation des coûts d’une génération vers une autre, sur les épaules de laquelle s’alourdit dangereusement le fardeau.
Il est illusoire et funeste de laisser filer les déficits en invoquant l’urgence et la justice sociale pour mieux différer tout effort structurel. La justice de notre système financier public est incompatible avec une dette publique tutoyant les 100 % du PIB !
Méfions-nous collectivement du phénomène d’illusion fiscale qui consiste pour les gouvernements à éviter l’impopularité de l’impôt tout en bénéficiant de la popularité de la dépense, dépense que l’on finance la main sur les yeux par l’inflation ou la dette publique !
Il n’y aura pas de baisse significative de la dépense publique sans réforme profonde de l’État et redéfinition de son périmètre.
Le ministre de l’économie et des finances a indiqué réfléchir avec le ministre de l’action et des comptes publics à consentir des efforts sur un certain nombre de politiques publiques. Il serait intéressant qu’il nous livre davantage de détails sur ce point. Nous sommes nombreux à être convaincus que le problème est non pas tant celui des moyens publics, pléthoriques en France, que celui de leur gestion.
Entre 1980 et 2015, le nombre d’agents publics a augmenté de 46 % alors que la population ne croissait que de 23 %. Êtes-vous sûrs que nous soyons nettement mieux administrés aujourd’hui qu’en 1980 ?
Prenons l’exemple de l’hôpital public. En 2009, la fonction publique hospitalière comptait 1, 035 million d’agents ; en 2017, elle en comportait 1 163 278. Les hôpitaux drainaient 50, 9 milliards d’euros d’argent public en 2009 ; ils ont drainé 82 milliards d’euros en 2019 et cette somme atteindra 84 milliards d’euros en 2020. La situation de l’hôpital public s’améliore-t-elle à mesure que l’on y injecte des crédits par milliards ? La réponse est évidemment non.
Comme chaque année d’ailleurs, le rapport de la Cour des comptes apporte son lot de gaspillages. Cette fois-ci, la palme revient à l’éducation nationale, avec l’abandon en juillet 2018 de son logiciel de gestion des ressources humaines, Sirhen, pour la modique somme de 400 millions d’euros. M. le président de la commission des finances évoquait même le chiffre de 500 millions d’euros. Dans les deux cas, c’est énorme.
Ce sont donc 400 millions d’euros dépensés pour rien ! La Cour des comptes constate : « Faute d’outil de suivi, le ministère a insuffisamment contrôlé le travail des entreprises et mal piloté le travail de ses équipes. » Bref, l’exemple cinq ans plus tôt du logiciel de paie Louvois pour les militaires n’aura pas servi de leçon.
Alors que la Cour souligne que l’accès aux services publics se trouve amélioré par la dématérialisation qu’offrent les outils numériques, nous aimerions également savoir où en est l’État dans l’adaptation de son administration à l’ère numérique. Qu’en est-il du projet de modernisation porté par le programme Action publique 2022 ?
Bon nombre de pays font la démonstration que le progrès technologique, et avec lui le développement de l’intelligence artificielle, permet tout à la fois de réduire les coûts, d’augmenter la productivité et la qualité des services publics et, à l’arrivée, de réduire les impôts, donc d’améliorer le pouvoir d’achat des habitants. Des gains de productivité et des économies substantielles sont possibles. Ne traînons pas des pieds.
Enfin, je souligne que les enjeux liés à la lutte contre la fraude fiscale et la fraude sociale nous tiennent particulièrement à cœur.
M. Vincent Delahaye. Nous savons que c’est aussi le cas de la Cour des comptes. Nous aurions aimé vous entendre sur ce sujet, madame la Première présidente. Mais nous savons pouvoir compter sur vous et sur vos services pour nous aider à lutter efficacement contre un tel fléau.
Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur des travées du groupe Les Républicains.
Applaudissements sur les travées des groupes Les Indépendants, LaREM et UC.
Monsieur le président, madame la Première présidente, mes chers collègues, comme chaque année, la Cour des comptes a rendu son rapport public annuel, qui présente une situation d’ensemble des finances publiques de la France. Il nous revient donc d’en débattre ce jour.Outre les analyses thématiques, riches d’enseignements, ce rapport nous administre une saine piqûre de rappel quant à la situation financière de notre pays.
Il nous confirme un certain nombre de constats. Le déficit structurel sera maintenu à 2, 2 % du PIB en 2020 ;le ratio d’endettement continue de flirter avec les 100 % ; le déficit public progresse.
Bien sûr, il faut mettre au crédit du Gouvernement des efforts, certes insuffisants, mais qui ont d’ores et déjà abouti à quelques résultats concrets.
La politique économique porte ses fruits et le taux de croissance de notre PIB figure parmi les meilleurs de la zone euro, même si les tensions actuelles l’affectent et nous invitent à la plus grande prudence. Les comptes publics sont aujourd’hui mieux maîtrisés, mais c’est encore bien insuffisant. Le déficit est désormais contenu sous la barre des 3 %, conformément à nos engagements européens.
Malgré tout, le ratio d’endettement a reculé de 9 points dans la zone euro au cours des cinq dernières années. Nous n’avons pas su mettre en place une politique suffisamment ambitieuse pour réduire notre dette publique, alors que le contexte économique pouvait le permettre. Ou plutôt, puisque nous ne parvenons pas à diminuer les dépenses, nous avons diminué les recettes, en faisant le pari que la baisse des prélèvements obligatoires stimulerait suffisamment la consommation et l’investissement pour relancer l’économie.
À ce jour, le pari peut sembler gagné. Mais nous sommes peu nombreux dans cette enceinte à être convaincus que ces efforts seront suffisants à long terme. Or, sans baisse massive des dépenses publiques, nous amputons nos capacités d’avenir, d’autant plus que le déficit public continue d’être essentiellement le fait de l’État.
Les collectivités locales ont, elles, déjà réalisé des efforts importants pour contribuer au redressement de nos comptes publics.
Bien sûr, elles peuvent encore mieux faire et s’améliorer. À cet égard, le rapport annuel de la Cour des comptes est très instructif. Les cas de la restauration collective ou des abattoirs publics l’illustrent parfaitement. Les collectivités ne disposent pas toujours des ressources adéquates pour optimiser la gestion de telles infrastructures, notamment la dimension d’échelle. En outre, elles sont souvent dépourvues face aux évolutions législatives et réglementaires, qui leur imposent à la fois d’investir pour mettre aux normes leurs infrastructures et de diminuer leurs dépenses.
S’il y a tout lieu d’appliquer un certain nombre de recommandations de la Cour des comptes aux collectivités, il va sans dire que notre attention et nos efforts doivent se focaliser en priorité sur l’État.
Le levier de la transformation numérique peut à cet égard se révéler particulièrement puissant. S’il est bien utilisé, il peut permettre à la fois de diminuer les dépenses publiques et d’améliorer l’efficacité de l’action publique.
Je tiens également à évoquer le cas de La Poste, qui prouve que la transition numérique constitue une occasion de faire bouger les lignes. Cette entreprise a réussi, dans un secteur en pleine transformation, à opérer un virage encourageant, même si d’autres réformes et d’autres efforts sont bien évidemment nécessaires.
Il en va finalement de La Poste comme de la réforme de l’État. Des mesures ambitieuses et courageuses sont nécessaires si nous voulons pérenniser notre service public de proximité, en particulier si nous souhaitons qu’il conserve un maillage territorial riche et équitable dans tout le pays.
Nos territoires ne doivent pas faire les frais de notre incapacité à diminuer les dépenses publiques. Cette situation, dont nombre de concitoyens souffrent déjà, notamment en zone rurale, constitue le véritable terreau de la colère sociale.
Le groupe Les Indépendants continuera de soutenir les mesures visant à diminuer les dépenses publiques. Cela nécessitera, selon nous, une réforme plus ambitieuse de l’État et de son périmètre. Nous sommes bien conscients des difficultés politiques. Néanmoins, nous espérons que la fin de ce quinquennat sera placée sous le signe de la maîtrise budgétaire, trop longtemps différée.
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.
Monsieur le président, madame la Première présidente, mes chers collègues, avec une certaine constance, nous nous retrouvons chaque année à la même période pour la présentation du rapport annuel de la Cour, et toujours avec une certaine constance, nous constatons l’écart entre les engagements pris et les résultats atteints ! Je me réjouis cependant cette année du nouveau cadre de nos échanges, qui permet davantage de débat.
Les chiffres, une nouvelle fois, ne sont pas tous bons, voire ne sont tout simplement pas bons. Comme vous le soulignez, madame la Première présidente, le déficit structurel n’a été réduit que de 0, 1 point de PIB entre 2018 et 2019. Et ce même déficit structurel ne marquerait « aucune amélioration en 2020 ». La loi de programmation des finances publiques que le Parlement a votée en 2018 disposait pourtant que celui-ci atteignît 1, 9 % du PIB en 2019, bien en deçà des 2, 2 % finalement atteints. En un an, notre dépense publique a augmenté de 22 milliards d’euros. Nous dépensons largement plus que nos grands voisins européens, pour des politiques publiques comparables.
Il ne s’agit pas de nier la nécessité des dépenses que nous avons votées au mois de décembre 2018, dans un contexte inédit et de grande tension sociale. Ce que nous regrettons, ce sont les acrobaties budgétaires consistant finalement à débloquer en urgence des crédits de circonstance, dont le financement repose sur des taux providentiellement bas. Ce ne sont malheureusement que des pansements sur une jambe de bois qui repoussent le problème sans jamais le régler. Ces expédients ne remplacent pas une politique courageuse s’appuyant sur une vision stratégique. Et soyons sûrs que les bénéficiaires des crédits d’aujourd’hui, et leurs enfants après eux, auront à en payer tôt ou tard le prix. Cette politique ne me paraît pas responsable.
Alors, me direz-vous, quelle marge de manœuvre resterait-il à l’État si demain nous devions affronter une nouvelle crise monétaire et bancaire ? Quelle marge de manœuvre si l’épidémie sanitaire qui nous touche devait affecter significativement nos capacités de croissance ? Le ministre de l’économie et des finances annonçait à ce titre que la perte de croissance serait « beaucoup plus significative » que le 0, 1 point estimé par la direction du Trésor. Quelle marge enfin si les tensions internationales mondiales venaient à s’accroître en pénalisant plus fortement encore nos capacités commerciales ?
Le Gouvernement parle beaucoup de responsabilité, puisqu’il va jusqu’à l’engager devant la représentation nationale. Pourtant, une politique pleinement responsable voudrait que, dans ces conditions, tout soit mis en œuvre pour se redonner des marges de manœuvre suffisantes permettant à la France de réagir en cas de chocs externes. Or, comme la Cour le souligne, les baisses d’impôt, favorables aux ménages, ont été consenties « sans avoir renforcé […] au préalable [les] marges de manœuvre budgétaires. »
Votre voix et celle de la Cour, madame la Première présidente, témoignent à la fois de la consistance de vos analyses et de la constance de nos institutions. Cette constance, en rappelant les erreurs du passé, devrait conduire le Gouvernement à éviter de reproduire de manière presque incorrigible les mauvais comportements qui ont fait perdre beaucoup de temps et d’argent à notre pays antérieurement.
Nous sommes comme englués dans le mirage d’une croissance, certes positive, mais faible, et qui risque de l’être durablement. Cet endormissement paraît presque indolore grâce à des stabilisateurs automatiques puissants.
Nous sommes pourtant au moment du kairos, ce moment favorable pour baisser notre dépense publique, sortir de la spirale infernale de la dette et oser présenter – je serais tenté de dire « enfin » – des mesures budgétaires qui, par un effort partagé entre tous, conduisent à retrouver les conditions d’une croissance durable.
Songeons au prix que les Français devraient payer alors que notre pays se distingue déjà par un taux de fiscalité et de dépense publique le plus élevé de l’Union européenne.
Par le biais de votre rapport, madame la Première présidente, vous tirez une nouvelle fois la sonnette d’alarme, comme nous avons eu l’occasion de le faire au Sénat lors du débat sur le projet de loi de finances pour 2020. Nous avions alors proposé une série de mesures de baisse de la dépense publique. Le ministre les avait rejetées.
Si j’osais, je dirais que nous n’arrivons pas à endiguer ce mauvais virus de la dépense publique qui ne cesse de croître et qui est pourtant fortement préjudiciable à la bonne santé de notre pays et à l’avenir de nos concitoyens.
Applaudissements sur les travées des groupes RDSE, LaREM, Les Indépendants et UC.
Monsieur le président, madame la Première présidente, mes chers collègues, le rapport annuel de la Cour des comptes regroupe plusieurs approches : le constat de la situation fin 2019, une appréciation de l’évolution prévisible, des recommandations et une évaluation du niveau de mise en œuvre des recommandations passées.
L’analyse de la situation des finances publiques repose sur des données et des chiffres incontestables. Elle apporte ainsi un éclairage assez objectif du présent en y ajoutant une projection plausible des évolutions des différents indicateurs à court et à moyen termes. En revanche, les recommandations ne sont pas nécessairement toutes pertinentes, car elles peuvent relever d’options politiques contestables ; je prendrais dans quelques instants l’exemple de la restauration scolaire.
Dans cette approche critique, il me paraît normal, voire heureux que toutes les recommandations de la Cour des comptes ne soient pas prises en considération.
En ce qui concerne les finances publiques, le constat – dans leurs interventions, de tonalités diverses, les orateurs précédents en ont apporté la preuve – est celui du verre à moitié plein ou du verre à moitié vide.
La situation d’ensemble est jugée comme n’étant pas encore satisfaisante. En 2019, le solde des administrations publiques se traduit par un déficit de 3, 1 % du PIB ramené à 2, 2 % si on neutralise l’effet de la double charge du CICE sur cette année-là. L’endettement demeure à un niveau élevé, à 98, 8 % de PIB, et les perspectives pour 2020 ne laissent pas entrevoir d’améliorations significatives sur ces deux critères, alors que la faiblesse des taux d’intérêt – cela a déjà été indiqué – permet d’alléger la charge de la dette de 3 milliards d’euros à 5 milliards d’euros par an selon les années. Le chiffre était par exemple de 4, 4 milliards d’euros en 2019.
On se trouve donc dans une phase de stabilisation du déficit et de la dette, alors que nos principaux partenaires européens ont largement amorcé une courbe de décrue.
On peut aussi voir le verre à moitié plein si on considère que cette stabilisation a permis de supporter des dépenses exceptionnelles consécutives au mouvement des « gilets jaunes », et qui pèsent encore 9 milliards d’euros dans le budget pour 2020, avec en même temps une légère diminution des prélèvements obligatoires ; elle est tout de même de 10 milliards d’euros en 2020, soit 0, 4 point de PIB.
On peut également remarquer que le déficit de 2, 2 % du PIB représente le niveau le plus faible depuis 2001. Il convient aussi de noter la spécificité bien française qu’est le taux d’épargne des ménages, qui a atteint 15, 2 % en 2019, contre 14, 9 % fin 2018. Ce taux d’épargne est, certes, légèrement inférieur à celui de la Suède et de l’Allemagne, mais d’environ 50 % plus élevé que la moyenne des pays de l’Union européenne. Il y a là une réserve de richesse importante qu’il conviendrait sans doute d’essayer de mobiliser en direction de l’investissement et de la consommation.
On pourrait aussi évoquer la reprise de l’emploi industriel et la baisse du chômage, comme l’a fait un collègue.
J’ajouterai que le potentiel d’économies à réaliser dans les dépenses publiques demeure presque intact. Cela peut donner des marges de manœuvre à moyen terme pour améliorer la situation financière du pays. En effet, l’effort principal n’a pas encore été effectué.
Je veux maintenant évoquer rapidement l’apport du numérique dans la transformation de l’action publique. Il est indéniable en termes de capacités de traitement et de recherche et d’économies pour les administrations de l’État, du secteur socio-sanitaire et des collectivités locales. Cependant, comme le note la Cour, l’accompagnement à la mise en place systématique de la dématérialisation est sans doute insuffisant. On peut même s’interroger pour savoir si une dématérialisation totale est souhaitable ; aujourd’hui, la dématérialisation contribue à marginaliser une partie non négligeable de la population, et pas uniquement des personnes âgées. Certes, on peut rêver pour le secteur public de relations totalement déshumanisées où les seuls risques de contamination seraient ceux des virus informatiques. Mais est-ce bien le modèle de société que nous voulons ?
À propos d’autres domaines concernant les collectivités territoriales, je partage l’analyse et les recommandations de la Cour s’agissant des abattoirs publics, qui relèvent à mon sens de la sphère concurrentielle, donc du secteur privé. En revanche, j’émets des réserves sur la partie du rapport relative à la restauration scolaire.
Comme la Cour des comptes l’indique dans son introduction, les sujets de politique publique ne peuvent pas être analysés uniquement à travers le prisme financier. La restauration scolaire s’exerce principalement à l’échelon communal. La Cour le regrette. Elle préconise une mutualisation à l’échelle intercommunale, voire une externalisation du service, via notamment la délégation de service public, et enfin une collaboration entre l’État et l’échelon local pour la mise en place d’indicateurs de suivi.
Devant la diversité des territoires de par leur taille – de ce point de vue, l’intercommunalité offre une grande diversité, en termes de potentiel humain et de superficie –, leur caractère urbain ou rural, il faut laisser aux collectivités locales l’entière liberté de s’adapter aux caractéristiques de leur population et de leur territoire avec comme indicateur principal le rapport qualité-prix. Pour ma part, j’estime que l’on peut arriver sur ce critère à d’excellents résultats dans des communes de taille moyenne avec une gestion en régie. C’est l’exemple que je voulais donner de préconisations qui me semblent contestables surtout lorsqu’on veut les généraliser. Elles peuvent être émises par la Cour des comptes dans une approche que, pour ma part, j’estime – je vous prie de m’excuser, madame la Première présidente – un peu trop technocratique.
En conclusion, si notre pays, de par son modèle, fonctionne plutôt sur le mode diesel, avec des évolutions plus lentes que chez nos voisins européens, nous disposons de tous les atouts en termes de richesse, d’attractivité et d’ingéniosité pour améliorer progressivement la situation économique et sociale, ainsi, bien entendu, que nos finances publiques.
Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et LaREM.
M. Éric Bocquet. Monsieur le président, madame la Première présidente, mes chers collègues, nous nous retrouvons comme chaque année devant le rapport public annuel de la Cour des comptes, mais la parole est aujourd’hui offerte à tous les groupes politiques après la présentation du rapport. Je veux à mon tour saluer cette décision. En ces temps difficiles, le débat parlementaire ne nuit pas à la démocratie.
M. Julien Bargeton s ’ exclame.
Malgré tout le respect que nous avons pour les magistrats de la Cour des comptes, dont les travaux sont régulièrement évoqués et utilisés en ces murs, l’obsession omniprésente de la réduction de la dépense publique exposée nous fait évidemment grincer des dents. « Réduire le déficit et la dette publique, rationaliser les dépenses »… Voilà des propos que l’on retrouve régulièrement au fil des pages du rapport, et la France y est montrée comme le mauvais élève de l’Union européenne, nous faisant croire que le non-respect des règles budgétaires de Bruxelles implique forcément un « retard ». Il s’agirait, selon nous, de sortir et de se libérer de cette vision étriquée, afin de comprendre que la dette publique n’est pas nécessairement un problème en soi. Je sais que nous ne partageons pas tous cet avis.
Mais je suis convaincu de cette idée.
Réduire la dépense publique dans l’unique but de réduire la dette est contre-productif : couper dans les dépenses, c’est priver la population et, in fine, freiner la croissance.
Cette même critique et l’encouragement à s’endetter pour investir se retrouvent aujourd’hui dans la bouche d’un ancien chef économiste du FMI, M. Olivier Blanchard ; ce n’est pas rien.
De surcroît, selon nous, le bilan du quinquennat en cours et sans doute aussi des précédents est assez limpide. Si la Cour des comptes estime que le Gouvernement s’est amputé de deniers publics pour répondre aux mouvements sociaux liés aux « gilets jaunes », le manque à gagner semble plutôt provenir de l’ensemble des cadeaux fiscaux consentis en faveur des très riches et des entreprises : substitution de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) par l’impôt sur la fortune immobilière (IFI), cumul du CICE avec son remplacement par des allégements de cotisations patronales, baisse de l’impôt sur les sociétés, flat tax, suspension du versement des acomptes de taxe GAFA, entre autres mesures récentes.
Les mesures annoncées pour un prétendu changement de trajectoire budgétaire ont en réalité touché les classes moyennes supérieures ; cela a été dit. Sur le coût total de 10 milliards d’euros en 2020 de baisse des prélèvements obligatoires, la seule mesure d’allégements d’impôt sur le revenu en représente la moitié, alors que moins d’un ménage sur deux paie cet impôt. Les différentes mesures prises bénéficient aux plus riches, en oubliant les populations les plus précarisées, qui sont au contraire visées par la baisse des prestations sociales, ou encore par la réforme de durcissement de l’assurance chômage. La Cour cible pourtant comme marge d’action financière des politiques comme les aides au logement, alors que l’État les a déjà réduites de 3 milliards d’euros depuis 2017, ce qui est à peu près le coût pour les finances publiques de la suppression de l’ISF. Cela va à rebours des impératifs sociaux sans cesse rappelés par, notamment, la Fondation Abbé Pierre : il y a 4 millions de personnes mal logées ou privées de logement, et 12 millions de personnes en situation de fragilité en la matière.
Les travaux tant du comité d’évaluation de la réforme de la fiscalité du capital, institué par le Gouvernement lui-même, que de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) révèlent que les récentes réformes ont surtout bénéficié aux 5 % les plus riches, aspirant à eux seuls plus du quart des 17 milliards d’euros distribués aux ménages depuis 2017, avec un gain de 2 905 euros par an, alors que le mythe du ruissellement n’est en rien mesurable.
Dans le même temps, les 5 % les plus pauvres subissent une perte pour ce qui concerne leur niveau de vie de 240 euros par an. Depuis 2017, notre pays accuse une baisse cumulée des dépenses publiques de 78 milliards d’euros, alors que ce sont les Français et les Françaises les moins favorisés qui dépendent le plus de la qualité et du développement des services publics.
Si les magistrats de la Cour estiment qu’un niveau élevé de dépenses en faveur d’un service public n’est pas un gage de qualité de service pour nos concitoyens, pensent-ils alors qu’un niveau de dépenses publiques faible puisse être lui aussi un gage de qualité ?
Les inégalités se creusent, le taux de pauvreté augmente, et contre le dogme libéral d’accroissement de la performance de nos dépenses, nous défendons, quant à nous, la plus grande qualité et la plus grande proximité des services publics, qui sont des facteurs d’égalité dans notre société. Le virage social de ce gouvernement est en fait un mirage social.
S’agissant de la réforme des retraites, qui n’a d’universel que le nom, le rapport de la Cour des comptes est révélateur des dangers qu’ouvre cette réforme par points. En étudiant le régime complémentaire Agirc-Arrco, les magistrats décrivent comment les comptes ont été redressés grâce à la sous-indexation de la valeur de service du point, permettant de faire varier plus vite sa valeur d’achat et d’inciter à des départs à la retraite plus tardifs. Pourtant, le pouvoir s’obstine devant le mécontentement des Français et des Françaises qui ne sont pas dupes.
Pour conclure, madame la Première présidente, mes chers collègues, j’ai bien écouté vos propos sur la nécessaire amélioration des comptes publics, mais chacun comprendra que je ne partage pas tout à fait vos conclusions.
Je terminerai en citant Robert Sabatier : « Lorsque la mémoire était la seule écriture, l’homme chantait. Lorsque l’écriture naquit, il baissa la voix. Lorsque tout fut mis en chiffres, il se tut. » Ce soir, le Sénat ne s’est pas tu, et c’est une bien bonne chose.
Applaudissements.
Sourires.
Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.
Madame la Première présidente, à mon tour, je vous remercie de cet intéressant rapport qui nous apporte des éclairages utiles pour améliorer les politiques publiques dont nous avons la charge.
À cet égard, vous constatez dans votre rapport un déficit qui devrait repasser au-dessus des 3 points de PIB en 2019 du fait d’une baisse des prélèvements. En effet, à la réduction de la fiscalité des entreprises, due notamment au remplacement du CICE par des allégements de cotisations, il faut ajouter les cadeaux aux plus favorisés de nos concitoyens, en particulier la suppression de l’impôt sur la fortune.
Sur le plan des charges, en demandant au Gouvernement un effort accru de maîtrise de la dépense publique, la Cour confirme une nouvelle fois son approche des finances publiques : attention à ne pas cautionner l’idée selon laquelle la France devrait réduire son déficit afin de bénéficier d’une appréciation favorable des marchés financiers. Cette soumission aux marchés financiers soulève la question de la réalité de notre souveraineté nationale, à laquelle nous n’avons pas le droit de renoncer.
La dette publique est devenue l’argument principal employé par la pensée néolibérale pour justifier le repli de l’intervention publique. Pourtant, des experts – non des moindres, puisqu’il s’agit de prix Nobel – contestent aujourd’hui cette approche contraire selon eux à l’intérêt général.
Je veux rappeler en cet instant à quel point l’intervention publique est salutaire pour nombre de nos concitoyens qui n’ont pas d’autre protection et qui n’ont pas accès à d’autres services que ceux qui sont assurés par le service public, ce qui d’ailleurs est loin d’être un handicap à la performance économique du pays, bien au contraire.
En matière de dette, c’est l’accroissement de la dette privée au cours de ces dernières années qui suscite de fortes craintes. Il concerne les entreprises, mais également les ménages qui se paupérisent et qui n’ont pas d’autre recours. Curieusement, on en parle moins que de la dette publique.
Parmi l’ensemble des sujets que la Cour a traités et qui s’inscrivent pleinement dans l’actualité figure la retraite complémentaire Agirc-Arrco des salariés du privé qui est en voie de redressement. Ce résultat est obtenu par une évolution plus forte du coût du point cotisé que celle des cotisations versées. Vous montrez ainsi que le rendement du régime a diminué, passant de 6, 56 % en 2015 à 5, 99 % en 2018. Cela ne fait que confirmer nos craintes à l’égard du régime universel de retraite par points que propose le Gouvernement.
S’agissant des aides personnalisées au logement, la Cour a relevé des soucis d’équité touchant indifféremment tous les bénéficiaires. En effet, la réduction du montant des APL, notamment, a concerné l’ensemble des allocataires, quelle que soit leur situation financière. Pis encore, en ce qui concerne la prise en compte du patrimoine des bénéficiaires, le choix a été fait a posteriori de n’appliquer cette mesure qu’aux nouveaux entrants. Vous soulignez que « ce choix apparaît contraire aux dispositions législatives et réglementaires et met en lumière l’insuffisante préparation de cette mesure. »
Par ailleurs, la Cour traite largement du thème du numérique. Le rapport relève ce que nous, élus des territoires ruraux, dénonçons depuis plusieurs années : les effets pervers de cette vague de déshumanisation des services publics au détriment des populations les plus vulnérables, soit, selon le dernier rapport du Défenseur des droits, 500 000 Français sans internet et 30 % qui ne sont pas familiers des usages numériques.
Vous relevez également les projets de transformation numérique pouvant devenir une source de difficultés. Je pense en particulier à l’approche de Pôle emploi, au sujet de laquelle vous relevez « le risque de confondre autonomie dans l’usage du numérique et autonomie dans la recherche d’emploi ». Il s’agit d’une question cruciale alors que depuis 2018 sont renforcés le contrôle et les obligations des demandeurs d’emploi, ces derniers étant notamment exposés à un risque accru d’être sanctionnés, voire radiés en cas de manquement aux obligations de recherche d’emploi.
Le portail internet Emploi Store agrège pléthore d’applications pour la recherche d’emploi. Cet outil pourrait avoir l’effet inverse de l’objectif affiché. En effet, selon vous, ce foisonnement d’offres non seulement pose la question de l’utilité de certaines applications, mais constitue en outre une source de complexité. Il est donc peu utilisé.
Enfin, pour remédier à la rétractation des services offerts à la population des territoires ruraux et lutter contre la fracture numérique, il est nécessaire de s’appuyer sur les moyens humains, techniques et financiers appropriés. Sans une préparation préalable des agents et la mise en place d’un accompagnement adapté dans la transition, le passage au numérique paraît risqué. Les difficultés qui ont accompagné la dématérialisation de la délivrance des cartes grises l’illustrent.
Si l’on veut s’assurer que la France maintienne un haut niveau d’exigence dans l’égal accès aux services publics, il faut à brève échéance développer et sécuriser l’intermédiation numérique, c’est-à-dire l’accompagnement des usagers.
La Cour a formulé des recommandations. D’autres propositions sont exposées. Les voies sont multiples, mais elles doivent être ouvertes rapidement. Désormais vient le temps de l’action.
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.
Monsieur le président, madame la Première présidente, mes chers collègues, la remise du rapport public annuel de la Cour des comptes est toujours un moment attendu et l’occasion d’un débat fort intéressant.
Vous avez salué, monsieur le président, l’action de l’ancien Premier président de la Cour des comptes, Didier Migaud. Je ne peux commencer mon intervention sans avoir une pensée pour Philippe Séguin, dont nous avons célébré le dixième anniversaire de la disparition le 7 janvier dernier.
Jean-François Husson a brillamment commenté ce rapport de la Cour des comptes au nom du groupe Les Républicains. Je m’attarderai pour ma part, en lien avec l’outil numérique, sur les recommandations concernant le dossier pharmaceutique.
Celui-ci a été créé, comme vous l’avez rappelé, madame la Première présidente, par la loi du 30 janvier 2007 ratifiant l’ordonnance relative à l’organisation de certaines professions de santé et à la répression de l’usurpation de titres et de l’exercice illégal de ces professions et modifiant le code de la santé publique, avec pour objectif premier de favoriser la qualité des soins et de sécuriser la dispensation des médicaments.
Le système d’information du dossier pharmaceutique (DP) est complet, il offre un portail constitué du DP-Rappels, du DP-Alertes, du DP-Ruptures et du DP-Suivi sanitaire. L’ensemble de ces outils permet une communication entre les différents acteurs de la chaîne du médicament – le Conseil national de l’ordre des pharmaciens, les laboratoires, le ministère des solidarités et de la santé, l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé, les établissements de santé et les officines.
Le volet le plus connu du dossier pharmaceutique est le DP-Patient, qui recense pour chaque patient qui le souhaite l’historique des médicaments délivrés au cours des quatre derniers mois, qu’ils soient prescrits par le médecin ou conseillés par le pharmacien, la finalité étant de lutter contre les effets indésirables des médicaments en améliorant la détection des interactions médicamenteuses, des surdosages et des mésusages.
Du fait de l’intérêt que présente le dossier pharmaceutique en termes de recueil de délivrance des médicaments et grâce à la forte mobilisation des pharmaciens d’officine, le déploiement de ce dossier mis en œuvre par le Conseil national de l’ordre des pharmaciens est une réussite. On estime aujourd’hui que 99 % des officines sont raccordées au dossier pharmaceutique, et qu’il existe plus de 45 millions de dossiers individuels.
Toutefois, quelques lacunes sont apparues au fil des années. Ainsi, les médicaments issus de l’automédication sont trop peu référencés dans les dossiers pharmaceutiques, et la question du consentement du patient pour l’ouverture du DP est un frein. C’est pourquoi le rapport de la Cour des comptes propose de rendre automatique, sauf opposition du patient, la création du dossier pharmaceutique individuel.
Sans méconnaître l’impact du RGPD, notre collègue Martine Berthet a d’ailleurs déposé un amendement reprenant cette recommandation dans le cadre du projet de loi d’accélération et de simplification de l’action publique. Cette mesure s’inspire d’un amendement déposé dans le cadre du projet de loi relatif à l’organisation et à la transformation du système de santé par le président Milon, et définitivement adopté, visant à l’ouverture automatique du dossier médical partagé.
De la même manière, supprimer l’obligation d’utiliser la carte Vitale du patient pour accéder au dossier pharmaceutique et étendre la durée d’accès à l’historique des médicaments au-delà des quatre mois serait bienvenu.
Enfin, il est également souhaitable que l’utilisation du dossier pharmaceutique devienne obligatoire dans les établissements de santé. Les officines de pharmacie, qui constituent une vraie colonne vertébrale de notre système de santé et assurent un maillage exemplaire en termes d’aménagement du territoire national, ont donné une réelle impulsion au développement de ce dossier.
À l’inverse, l’utilisation du dossier médical partagé se fait attendre. Je partage l’idée selon laquelle le dossier pharmaceutique pourrait alimenter systématiquement le dossier médical partagé. C’est pourquoi je souhaite que les recommandations de la Cour des comptes soient mises en place dans les mois à venir.
Comme je l’indiquais précédemment, le projet de loi d’accélération et de simplification de l’action publique nous offre une opportunité d’améliorer cet outil et son efficacité, y compris au service du dossier médical partagé. Il revient au Gouvernement de ne pas laisser passer une telle occasion.
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.
Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.
Monsieur le président, madame la Première présidente, mes chers collègues, la présentation du rapport annuel de la Cour des comptes est toujours un moment attendu qui permet d’évoquer la situation des finances publiques.
Cette année, la Cour innove avec le choix de présenter un thème transversal en retenant une approche globale sur le rôle du développement du numérique dans nos sociétés et son effet sur la transformation de l’action publique.
Ce développement bouleverse les organisations et les relations avec nos concitoyens, l’objectif étant de faciliter leur vie quotidienne et de proposer de nouveaux services et prestations. Je n’évoquerai dans cette intervention – un tel débat est une nouveauté pour le Sénat – que les points généraux soulevés par la Cour qui permettent d’éclairer nos concitoyens, mais également le Parlement sur la mise en œuvre des politiques publiques votées par le législateur et leurs déclinaisons dans les différents ministères, confortant nos appréciations ou nos inquiétudes déjà exprimées comme rapporteurs spéciaux.
Depuis le programme d’action gouvernemental pour la société de l’information (Pagsi) engagé en 1998, les différents gouvernements ont décliné l’administration électronique. Le dernier programme en date, après le rapport Action publique 2022, prévoit que chaque ministère doit atteindre 100 % des démarches accessibles en ligne dès 2022.
Quatre comités interministériels de la transformation publique se sont tenus depuis pour traduire ces objectifs en mesures concrètes. Au-delà des changements de terminologie, les problèmes demeurent : nous sommes passés d’un secrétaire d’État à la réforme de l’État à un secrétaire d’État au numérique et à la transformation publique, de la direction interministérielle du numérique et du système d’information et de communication de l’État (Dinsic) à la direction interministérielle du numérique (Dinum), de la direction générale de la modernisation de l’État (DGME) à la direction interministérielle de la transformation publique (DITP). Comme l’écrivait Lampedusa dans Le Guépard, « il faut que tout change pour que rien ne change ».
Dans mon rapport Pour une administration électronique citoyenne rendu au Premier ministre en 2001, dans celui de notre collègue Gérard Braun intitulé Pour une administration électronique au service du citoyen, de 2004, ou dans celui de M. de la Coste, L ’ hyper-République : bâtir l ’ administration en réseau autour du citoyen, de 2003, tout – ou presque – avait déjà été écrit.
La Cour dans son rapport très instructif réactualise ces problématiques concernant la formation, le rôle et le recrutement des agents, le pilotage des projets informatiques, la fracture numérique ou la simplification des procédures administratives.
Concernant les agents, nous notons, comme la Cour, les carences en personnels qualifiés, la spécialisation des métiers, le problème du recrutement et de la fidélisation, l’attractivité insuffisante des concours, la méconnaissance des offres par les candidats potentiels, ou encore la difficulté à assurer une carrière dans la fonction publique. Qu’en est-il du plan gouvernemental pour la prise en compte de la fonction informatique de l’État ?
Pour ce qui est du pilotage défaillant des projets informatiques, l’exemple de l’éducation nationale avec l’abandon, pour un coût de 400 millions d’euros, du projet Sirhen est symptomatique, mais n’est pas un cas isolé. Nous nous souvenons des naufrages d’Accord II, du logiciel Louvois et du projet de l’Opérateur national de paie.
Normalement, la Dinsic, ou maintenant la Dinum, doit évaluer les projets supérieurs à 9 millions d’euros, et ce depuis 2014. Nous en sommes encore très loin. Quel rôle joue, dès lors, le comité d’orientation stratégique interministériel du numérique ?
Je souligne que la Dinum et la DITP dépendent d’un même secrétaire d’État sous l’autorité du ministre de l’action et des comptes publics qui dispose également de la direction de l’immobilier de l’État. Or nous ne trouvons aucune coordination avec les schémas annuels de stratégie immobilière.
S’agissant des fonctions support, on continue de travailler en silos. Les réponses aux recommandations de la Cour du Premier ministre, voire du ministre de l’action et des comptes publics laissent encore entrevoir beaucoup de marge de progrès qui permettraient des économies budgétaires sans dégrader les services publics.
Certains ministres, dans leur réponse à ses observations, remercient la Cour de son important travail de consolidation des comptes. En effet, nous notons une méconnaissance des coûts du numérique et de ses infrastructures, les moyens étant inadaptés – le même constat a été fait concernant la DGFiP en avril 2019.
Quant à la fracture numérique, la Cour relève que la suppression des guichets physiques est pénalisante pour certains usagers en fonction de leur âge, de leur formation et de leur lieu de résidence, et évoque la possibilité de solutions de substitution et d’accompagnement.
On note que 7 % de nos concitoyens restent éloignés du numérique, ce phénomène étant un facteur d’exclusion. Qu’en est-il alors de la réalité du plan d’inclusion numérique élaboré par le Gouvernement ?
J’évoquerai enfin la simplification des procédures. Concernant les cartes grises, la Cour note qu’« il aurait fallu simplifier la réglementation avant d’engager le processus de numérisation ».
Dans mon rapport de 2001, j’indiquai qu’il fallait « profiter des potentialités offertes par les réseaux pour redéfinir, en profondeur, les processus et les traitements de données au sein de l’administration. […] La seule automatisation ne permet en effet pas de gains importants en efficacité ».
Par ailleurs, on note le déport de charges de certaines actions par leur transfert en totalité ou en partie aux bénéficiaires, entraînant un coût pour l’usager auprès de prestataires de services ou de La Poste, moyennant un coût supplémentaire pour un service autrefois gratuit.
Cela dit, je tiens à remercier la Cour d’avoir permis cette réflexion, et engage l’État à améliorer son action pour le plus grand profit de nos concitoyens.
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.
Madame la Première présidente, la Cour des comptes a quatre missions : juger, contrôler, évaluer, certifier. À la lecture de ce rapport, je me suis demandé s’il ne serait pas nécessaire d’élargir ces missions. En effet, lorsque vous contrôlez, vous vous assurez du bon emploi des fonds publics, notamment du respect de la réglementation et de la législation en vigueur, et lorsque vous évaluez, vous appréciez les résultats et les effets d’une politique publique.
J’illustrerai mon propos en prenant deux exemples tirés directement de ce rapport annuel.
Le premier concerne la restauration collective, point qui a déjà été évoqué. Je ne m’attarderai pas sur les deux premières parties du chapitre consacré à ce sujet, mais j’évoquerai la troisième, qui, en filigrane, suggère un manque de cohérence entre différentes politiques publiques. En effet, la Cour souligne qu’on a assigné à la restauration collective au cours des deux dernières années trois objectifs qui entraînent des coûts pour les collectivités.
Le premier objectif est d’assurer le développement de l’agriculture biologique et d’améliorer la qualité sanitaire de ce que les enfants consomment, conformément à l’article 24 de la loi Égalim.
J’ai consulté l’étude d’impact pour savoir si le coût de ces dispositions avait été chiffré. Les évaluations montrent que l’introduction de 50 % de produits bio ou labellisés augmente le coût des denrées de l’ordre de 20 %. Par ailleurs, l’étude d’impact mentionne une étude conduite par l’Agence Bio selon laquelle les collectivités pourraient réduire ce surcoût de 20 % en mettant en place des économies de gestion.
Le deuxième impératif est la suppression du plastique dans les cantines à horizon de 2025. Cette disposition est également prévue dans la loi Égalim, mais elle a été introduite par voie d’amendement parlementaire, donc sans aucune étude d’impact sur le coût pour les collectivités.
Le troisième impératif assigné aux collectivités est de proposer des repas à un euro pour les familles les plus défavorisées, conformément au plan Pauvreté annoncé en 2018, et dont la mise en œuvre a été entamée au printemps 2019. L’État s’est alors engagé à abonder chaque repas à un euro à hauteur de deux euros.
Dans le même temps, on demande aux collectivités de réduire la dépense publique, notamment dans le cadre des contrats de Cahors.
Dans son rapport sur l’état des finances publiques, notamment dans le deuxième fascicule qui a été publié à l’automne, la Cour fait un état du coût des normes. Elle estime qu’on ne va pas assez loin, relevant en particulier que les estimations émanant du Conseil national d’évaluation des normes et du secrétaire général du Gouvernement, qui ne sont réalisées qu’a posteriori, devraient également l’être a priori.
J’estime que la Cour pourrait aller plus loin. Ainsi, on impose aux collectivités locales de mettre en œuvre des politiques publiques qui, mises côte à côte, deviennent inconciliables. En effet, on ne peut pas en même temps diminuer les recettes en demandant une tarification à un euro et créer des charges supplémentaires en réclamant le remplacement du matériel, ce qui entraîne des dépenses d’investissements, ou en demandant d’acheter plus cher, c’est-à-dire en augmentant les dépenses de fonctionnement.
Mon deuxième exemple est tiré de la partie du rapport relative aux liaisons aéroportuaires en Bretagne. Vous rappelez très bien le poids de l’histoire et le rôle pionnier de la France en matière d’aviation, avant de présenter le cas particulier de la Bretagne, qui dispose de huit aéroports. Cette situation est le fruit de l’histoire de cette région, qui s’est dotée de ces équipements parce qu’elle ne disposait alors ni d’autoroute ni de lignes ferroviaires à grande vitesse, et était de ce fait quelque peu enclavée.
La donne a changé avec la mise en œuvre de la ligne à grande vitesse (LGV) en 2017. L’État a pourtant accordé une mission de service public à la liaison aérienne reliant Orly et Quimper, ce qui va se traduire par un coût pour les collectivités de 12 millions d’euros sur trois ans.
La Cour préconise d’« élaborer une stratégie aéroportuaire économiquement soutenable en clarifiant les enjeux de desserte et d’aménagement du territoire ». Faisant cela, elle remplit les missions qui lui sont fixées par le code des juridictions financières. Mais ne pourrait-elle aller plus loin, en interrogeant les politiques publiques à l’aune des grands engagements de la France, notamment de l’accord de Paris, qui nous enjoint à diminuer nos émissions de gaz à effet de serre ?
Je ne sais pas si c’est réalisable, madame la Première présidente, mais je suggère que nous réfléchissions à compléter le code des juridictions financières pour élargir les missions de la Cour de manière qu’elle puisse avoir une vision transversale sur l’ensemble des politiques publiques.
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées des groupes UC, RDSE, et Les Indépendants. – M. Julien Bargeton applaudit également.
La parole est à Mme la doyenne des présidents de chambre de la Cour des comptes, pour répondre aux intervenants.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens tout d’abord à vous remercier de la place que vous faites à la présentation de notre rapport public annuel dans un calendrier parlementaire que nous savons très chargé.
Il me semble que les modalités retenues cette année, avec l’introduction d’interventions d’orateurs des différents groupes, ont permis d’enrichir le débat. Monsieur le président, monsieur le sénateur Éric Bocquet, je vous remercie d’avoir fait la proposition à l’origine de ce débat.
Je l’ai dit en introduction, nous sommes très attentifs à ce que le Sénat, plus généralement le Parlement, s’approprie les travaux de la Cour. Ce débat peut y contribuer utilement. La Cour, en la personne de son prochain Premier président, sera – je n’en doute pas – disposée à continuer de le faire évoluer.
Si vous le permettez, je vais essayer de répondre en regroupant les diverses questions et interventions par thèmes.
Je reviendrai d’abord sur les interventions du président de la commission des finances et du rapporteur général de la commission des affaires sociales. Messieurs Éblé et Vanlerenberghe, vous avez relevé la qualité des échanges entre la Cour et vos deux commissions. Cette journée en est l’illustration, puisque ce matin à neuf heures, la commission des affaires sociales a auditionné la sixième chambre sur le chapitre du rapport public annuel relatif à l’insuffisance rénale chronique terminale, et que cet après-midi à seize heures trente, juste avant le présent débat, la commission des finances a auditionné la présidente de la deuxième chambre, Annie Podeur, sur le rapport relatif au démantèlement des installations nucléaires.
J’en viens maintenant à vos remarques et questions. Plusieurs orateurs – le président Éblé et MM. Husson, Bargeton, Delahaye, Gabouty, Menonville, Bocquet et Joly – sont revenus sur la situation d’ensemble des finances publiques, ce qui montre tout l’intérêt que vous portez à nos travaux très réguliers sur le sujet.
Le rapporteur général de la commission des affaires sociales a plus spécifiquement souhaité connaître l’analyse de la Cour sur l’incidence financière prévisible du Covid-19. Il est encore trop tôt pour se livrer à un tel exercice de prévision.
Les observations du rapport public annuel relatives à l’impact du Covid-19 sur les finances publiques ont été arrêtées sur la base des informations disponibles fin janvier, soit avant l’accélération de la propagation du Covid-19. De même, les prévisions de la Commission européenne publiées le 13 février dernier n’intègrent pas l’effet du Covid-19.
À ce stade, il est plausible que cette épidémie aura un effet significatif sur la croissance mondiale en 2020, et donc sur les finances publiques, mais quantifier cet impact, même sous forme de fourchette, paraît encore très périlleux, et nous ne nous y risquerions pas aujourd’hui compte tenu de la très grande incertitude sur l’ampleur, la durée et les conséquences économiques de l’épidémie. La Cour ne dispose pas d’analyses plus récentes que celles qui figurent dans le rapport public annuel. Elle tâchera de les actualiser au cours des prochains mois, dans le rapport sur le budget de l’État qui sera publié fin avril, et dans le rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques qui sera publié fin juin.
Par ailleurs, le Haut Conseil des finances publiques sera amené à donner à la mi-avril un avis sur les nouvelles prévisions de croissance du Gouvernement pour 2020 et les années suivantes sous-tendant le programme de stabilité qui sera envoyé à la Commission européenne à la fin du mois d’avril.
Ces différents rendez-vous permettront d’aller plus avant dans les analyses.
Plusieurs orateurs sont intervenus sur le sujet global du numérique au service de la transformation de l’action publique. Les sénateurs Bargeton, Menonville et Carcenac ont salué les nouveautés bienvenues de ce thème transversal – nous nous en réjouissons.
M. Delahaye a insisté sur l’évaluation des économies et des gains de productivité que pourrait entraîner à court et moyen termes le processus de dématérialisation, à l’instar du plan Préfectures nouvelle génération. Il n’est pas possible de chiffrer globalement les gains de productivité dus au numérique. Ce processus a commencé il y a maintenant de longues années – M. Carcenac le rappelait – et il n’est pas près de s’arrêter. Il connaît d’ailleurs régulièrement des évolutions majeures, comme les débuts de l’utilisation de l’intelligence artificielle, qui viennent actuellement rebattre les cartes.
En revanche, on peut se poser la question au cas par cas – certains d’entre vous l’ont relevé –, ce que la Cour fait régulièrement, notamment dans le présent rapport public annuel, aux chapitres sur la dématérialisation de la délivrance de titres par les préfectures ou sur les services numériques de Pôle emploi, la dématérialisation ayant permis de faire baisser de 4, 7 % le coût de l’indemnisation entre 2016 et 2018.
Néanmoins, nous soulignons aussi à plusieurs reprises la difficulté d’objectiver le coût des services numériques.
Monsieur Joly, vous avez centré votre intervention sur l’accès au numérique en évoquant l’illectronisme, en particulier en milieu rural. Le rapport public annuel souligne l’enjeu que représente la fracture numérique, notamment dans les chapitres consacrés à la délivrance de titres par les préfectures et aux services de Pôle emploi. En mars 2019, la Cour a aussi abordé cet enjeu dans un rapport rédigé à la demande du comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques de l’Assemblée nationale et intitulé L ’ Accès aux services publics dans les territoires ruraux.
Sur le dossier pharmaceutique, plusieurs d’entre vous sont intervenus, notamment M. le rapporteur général de la commission des affaires sociales. Vous nous interrogez sur la conformité de la recommandation n° 3 – « faciliter la création et étendre l’utilisation des dossiers pharmaceutiques individuels en autorisant des créations automatiques sauf opposition des patients » – avec le RGPD.
Je vous confirme la compatibilité de cette recommandation avec le RGPD. Certes, en vertu de ce règlement, le traitement des données relatives à la santé est interdit. Mais ce principe admet certaines exceptions ; c’est précisément le cas si la personne concernée a donné son consentement explicite. En outre, le RGPD ouvre la possibilité de déroger au principe de consentement explicite dans ces domaines, notamment en matière de santé publique et de protection sociale.
J’y insiste : il n’y a pas d’incompatibilité. Je rappelle d’ailleurs que le dossier médical partagé sera créé automatiquement, sauf opposition du patient, à compter du 1er janvier 2021.
J’en viens à une question plus technique : était-il justifié de supprimer, dans la loi de financement de la sécurité sociale pour 2020, la possibilité de substitution de médicaments biologiques par le pharmacien ? Pour justifier cette mesure, certains ont pu avancer l’argument suivant : le Conseil national de l’ordre des pharmaciens n’a pu effectuer le suivi de manière optimale via le dossier pharmaceutique, faute de liste de référence de médicaments biologiques régulièrement fournie et arrêtée par une autorité sanitaire. Toutefois, ce point n’a pas fait l’objet d’un examen particulier de notre part.
Madame Imbert, je vous remercie de votre intervention experte relative au dossier pharmaceutique, et je me félicite de voir converger, sur ce point, vos analyses et celles de la Cour.
J’allais oublier M. Masson…
Exclamations sur des travées du groupe Les Républicains.
M. Masson s’est exprimé sur le chapitre relatif à l’École polytechnique, pour aborder trois sujets. Premièrement, il a souligné le faible pourcentage de jeunes femmes admises dans cette école en relevant que ce ratio ne reflétait jamais que celui des classes préparatoires. Deuxièmement, il a critiqué les constats que nous dressons quant au défaut de mixité sociale. Troisièmement, il s’est interrogé sur la suppression de la solde tout en manifestant son souhait de voir la « pantoufle » revalorisée.
Tout d’abord, à l’échelle du territoire national, le pourcentage de jeunes femmes en classes préparatoires est, à mon sens, d’un peu plus de 17 %. Ce chiffre, indiqué par M. Masson, est probablement calculé sur la base des quatre ou cinq lycées dont les classes préparatoires alimentent presque exclusivement l’École polytechnique. Il faudra que je le vérifie. Quoi qu’il en soit, il ne concorde pas avec la réalité nationale.
Ensuite, nous relevons que, parmi toutes les grandes écoles techniques et d’ingénieurs, Polytechnique présente le taux de mixité sociale le moins élevé. À la demande de Mme la ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation, le président de cette école fait en ce moment même des propositions pour accroître cette mixité. L’École polytechnique a d’ailleurs déjà accompli des efforts, mais dans des proportions très insuffisantes, pour atteindre le niveau moyen des établissements comparables.
Enfin, si nous ne proposons pas de revaloriser la « pantoufle », nous suggérons différentes évolutions du statut des élèves polytechniciens. À cet égard, nous ne formulons pas de proposition définitive. Nous ouvrons divers scénarios pour le devenir d’une école qui ne forme plus que de manière très marginale des élèves ingénieurs travaillant directement pour la sphère publique. Ce faisant, nous posons la question, plus générale, du repositionnement de l’École polytechnique.
Monsieur Gabouty, j’ai bien entendu votre question relative à la restauration collective. Nous n’avons pas cherché à imposer un modèle particulier pour les cantines des collectivités territoriales, notamment les cantines scolaires municipales. Nous avons simplement voulu mettre en avant un certain nombre de bonnes pratiques constatées au cours de notre enquête.
J’en viens à l’élargissement des compétences de la Cour évoqué par Mme Lavarde.
Madame la sénatrice, je vous remercie bien entendu de la confiance que vous nous témoignez. Votre proposition s’inscrit dans le cadre des évaluations de politiques publiques que nous réalisons régulièrement. À ce titre, nous nous efforçons modestement de relever la contradiction ou la multiplicité des objectifs. J’interprète donc votre intervention comme une invitation à aller plus loin encore, pour faire davantage d’évaluations de politiques publiques.
Lorsque nous évaluons une politique publique, notre enquête a toujours pour objet de mesurer l’effet des actions entreprises à l’aune des objectifs définis, ici même notamment, par les autorités politiques.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie une nouvelle fois de cette discussion, qui éclaire à plus d’un titre les travaux à venir !
Applaudissements.
Madame la Première présidente, merci d’avoir assumé cette fonction en tant que doyenne des présidents de chambre de la Cour des comptes.
Nous en avons terminé avec la présentation du rapport public annuel de la Cour des comptes, et nous donnons acte de ces échanges.
Huissiers, veuillez reconduire Mme Sophie Moati, doyenne des présidents de chambre de la Cour des comptes, faisant fonction de Première présidente, et Mme la rapporteure générale de la Cour des comptes.
Mme la doyenne des présidents de chambre et Mme la rapporteure générale de la Cour des comptes sont reconduites selon le cérémonial d ’ usage.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures quarante.
La séance est suspendue.
La séance, suspendue à vingt heures dix, est reprise à vingt-et-une heures quarante.