Nos mauvais résultats sur le déficit et la dette au regard de ceux de nos partenaires européens trouvent une explication. À son arrivée, le nouveau gouvernement a d’abord fait le choix d’une baisse des prélèvements obligatoires dirigée vers les entreprises et les contribuables les plus aisés. Dans un second temps, il a dû, après le mouvement des « gilets jaunes », en plus de la suppression progressive, mais non financée, de la taxe d’habitation, revenir sur les hausses de fiscalité énergétique et de CSG qui touchaient les classes populaires. Enfin, après le grand débat national, il a décidé une réduction de l’impôt sur le revenu pour les classes moyennes.
La Cour estime ainsi à 17 milliards d’euros pour 2020 le coût des mesures adoptées après le projet de loi de finances pour 2019 ! Dans le même temps, le Gouvernement n’a pas dégagé de marges de manœuvre budgétaires à la hauteur de ses promesses de réforme de l’action publique, se heurtant souvent à l’impréparation des réformes annoncées. Il a ainsi baissé les impôts à crédit.
La situation de nos finances publiques est d’autant plus inquiétante que les perspectives macroéconomiques paraissent désormais très fragiles, dans un contexte de ralentissement européen et mondial qui s’accentue. On ne peut que souscrire au constat de la Cour selon lequel « les marges de manœuvre dont dispose la France en cas de retournement conjoncturel restent limitées, et nettement inférieures à celles de certains de nos partenaires ».
La trajectoire fixée par la loi de programmation des finances publiques adoptée en janvier 2018 n’est donc pas respectée, mais le Gouvernement se garde d’en tirer les conséquences.
Alors que, comme le rappelle la Cour, l’écart par rapport aux orientations fixées par la loi, notamment s’agissant du déficit structurel, pourrait conduire au déclenchement du mécanisme de correction prévu par la loi organique de 2012, le Gouvernement retarde de mois en mois la présentation d’une nouvelle programmation pluriannuelle des finances publiques. Il faut dire que, pour justifier ce retard, le Premier ministre avait invoqué, en septembre dernier, les incertitudes liées au contexte macroéconomique et à la réforme des retraites… Chacun mesurera à quel point ces incertitudes sont désormais prêtes à être levées !
Faute de présenter une vision d’ensemble, que manifestement il ne maîtrise pas, le Gouvernement annonce régulièrement des lois de programmation sectorielles, qui d’ailleurs se font aussi attendre, et ne seront sans doute pas davantage respectées.
Seule l’obligation européenne de transmettre un programme de stabilité à la Commission devrait contraindre le Gouvernement à présenter aux parlementaires les perspectives d’évolution de nos finances publiques d’ici à la fin du mois d’avril.
Le rapport public annuel de la Cour des comptes, refondu cette année, comprend également plusieurs insertions balayant de nombreux enjeux de la vie économique du pays qui font souvent écho aux observations formulées par nos collègues dans leurs rapports de contrôle budgétaire et au cours de l’examen des projets de loi de finances.
À titre d’exemple, la Cour, comme l’a fait à plusieurs reprises la commission des finances, notamment son rapporteur spécial Philippe Dallier, souligne l’aspect inéquitable des mesures de gel et de sous-indexation des aides personnalisées au logement prises par le Gouvernement depuis 2017. Le rapport fait état des tensions et du manque de visibilité à moyen terme dans lesquels le monde du logement social a été plongé par la création de la réduction du loyer de solidarité.
Le second tome du rapport est consacré au numérique au service de la transformation de l’action publique. La commission des finances a entendu la semaine dernière le délégué interministériel à la transformation publique et nous avons pu mesurer les efforts qui restaient à accomplir dans ce domaine. Une enquête sur les grands projets informatiques pilotés par l’État, suivie par le rapporteur général Albéric de Montgolfier, nous sera remise par la Cour des comptes en juin prochain. Elle devra approfondir les aspects techniques de cette transformation numérique, alors même que la commission s’interroge régulièrement sur la gouvernance de ces projets, dont les coûts et les délais sont fréquemment dépassés.
Je relèverai trois éléments dans ce second tome du rapport.
La Cour s’est intéressée à la stratégie numérique mise en place par Pôle emploi depuis 2015, à la fois pour enrichir l’offre des services proposés, mais également pour dégager les gains d’efficacité indispensables pour faire face à l’afflux de demandeurs d’emploi. De plus, les problématiques liées à l’inclusion et à la fracture numérique, qui concernent certes l’ensemble des services publics, se posent avec une acuité toute particulière pour Pôle emploi, compte tenu de la fragilité d’une partie du public concerné. Dans son rapport spécial cosigné avec Emmanuel Capus en 2019, Sophie Taillé-Polian avait déjà critiqué la complexification de l’accès physique au conseiller Pôle emploi et des procédures dématérialisées « dissuasives » pour la part non négligeable de chômeurs n’utilisant pas internet dans leur démarche de recherche d’emploi. La Cour relève, quant à elle, l’insuffisance des actuelles modalités de détection en amont des personnes en difficulté face au numérique. Cet enjeu devra constituer une priorité de la nouvelle convention tripartie signée avec l’État et l’Unédic que nous examinerons attentivement.
Lors de l’examen des crédits de la mission « Gestion des finances publiques et des ressources humaines », les rapporteurs spéciaux Claude Nougein et Thierry Carcenac avaient insisté sur les obstacles rencontrés par la direction générale des finances publiques (DGFiP) et les douanes pour recruter et fidéliser les informaticiens et spécialistes du numérique. Ils avaient noté trois difficultés : un défaut d’attractivité des ministères économiques et financiers, un processus de recrutement mal adapté et des barrières réglementaires. Ces constats sont partagés par la Cour qui recommande également de diversifier les modes de recrutement et de renforcer l’attractivité des ministères économiques et financiers.
Enfin, la Cour revient sur les dérapages du projet Sirhen, qui devait constituer la base de données unique permettant au ministère de l’éducation nationale de gérer l’ensemble de ses agents. Elle relève deux faiblesses qui ont freiné le développement du projet depuis 2008 : une gouvernance déficiente, une estimation initiale irréaliste des coûts, évalués à 60 millions d’euros, et des délais de production qui n’ont, par la suite, pas été respectés. Le coût du projet a ainsi atteint près de 500 millions d’euros en 2016. Le rapporteur spécial des crédits de la mission « Enseignement scolaire », Gérard Longuet, a régulièrement alerté sur le caractère irréaliste des hypothèses sous-tendant le développement du projet Sirhen et sur les risques d’un dérapage budgétaire et opérationnel, avant l’abandon du projet en juillet 2018. Je ne doute pas qu’il sera singulièrement attentif à la nouvelle stratégie annoncée par le ministère en novembre dernier.
En conclusion, la commission des finances sera particulièrement vigilante quant aux suites que le Gouvernement apportera aux observations de la Cour des comptes, comme à celles qu’elle a déjà pu formuler par le biais du travail de ses rapporteurs spéciaux.