Monsieur le président, madame la Première présidente, mes chers collègues, comme chaque année, la commission des affaires sociales a pris connaissance, avec un grand intérêt, du rapport public de la Cour des comptes. Comme ma fonction m’y invite, je dirai quelques mots sur les comptes sociaux, ainsi que sur les chapitres du rapport de la Cour relatifs à des sujets relevant de la compétence de notre commission.
Pour ce qui concerne la situation des comptes publics, la Cour fait le constat, sévère, suivant : « Le redressement des finances publiques, déjà très graduel au cours des dernières années, est aujourd’hui quasiment à l’arrêt. »
L’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2020 nous a montré à quel point cela se vérifiait pour les comptes de la sécurité sociale : sous le triple effet de baisses de recettes conjoncturelles, de quelques dépenses imprévues et de l’absence de compensation de plusieurs mesures, dont celles qui ont été accordées à la suite de la crise des « gilets jaunes », le retour à l’équilibre annoncé pour 2019 s’est transformé en augmentation brutale du déficit, supérieur à 5 milliards d’euros. La nouvelle échéance pour l’équilibre des comptes de la sécurité sociale serait désormais 2023 ou 2024.
Dans ces conditions, comme la Cour l’a souligné à l’automne, la perspective de remboursement de la dette sociale d’ici à 2024 semble illusoire, au vu du montant des déficits cumulés portés par l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale (Acoss).
De plus, le début d’année 2020 ne devrait guère être favorable aux comptes sociaux. À cet égard, madame la Première présidente, il serait intéressant que la Cour puisse nous donner les premiers éléments permettant d’estimer, d’une part, l’incidence de l’actuelle crise sanitaire sur la conjoncture et sur les comptes publics et, d’autre part, pour ce qui concerne plus spécifiquement la sécurité sociale, l’effet des mesures annoncées par le Gouvernement, notamment celles qui sont relatives à la prise en charge des indemnités journalières des personnes invitées à rester chez elles.
J’en arrive aux chapitres du rapport public annuel qui concernent plus particulièrement la commission des affaires sociales : ils visent la prise en charge de l’insuffisance rénale chronique terminale, le dossier pharmaceutique et la gestion de l’opérateur de retraite complémentaire Agirc-Arrco.
S’agissant de la prise en charge de l’insuffisance rénale chronique terminale, dont nous avons parlé ce matin en commission, nous ne pouvons que regretter les avancées très insuffisantes relevées par la Cour depuis sa précédente étude de 2015.
Alors que cette pathologie affecte un nombre croissant de patients et emporte des coûts élevés pour notre système de santé, améliorer la pertinence des prises en charge est un objectif que nous ne pouvons que partager. Les actions de dépistage doivent être amplifiées, puisque 30 % des patients sont mis sous dialyse en urgence. Les modes de financement sont, sans conteste, un levier d’évolution encore insuffisamment exploité. La loi de financement de la sécurité sociale pour 2019 a ouvert la voie à une rémunération forfaitaire pour des maladies chroniques, dont l’insuffisance rénale, mais cette mesure ne concerne, pour le moment, que la prise en charge hospitalière. L’extension de ce « forfait » aux soins de ville serait un levier de meilleure coordination des parcours de soins, la Cour le souligne dans son rapport, avec un bénéfice tant pour la qualité de vie des patients que pour les finances de l’assurance maladie.
Quant au développement de la greffe que préconise la Cour, il est certain qu’un accès équitable sur l’ensemble du territoire et une bonne information de tous les patients sont d’indispensables prérequis. Les disparités territoriales, aussi relevées par les associations de patients, notamment dans les outre-mer, peuvent appeler des mesures correctives. Néanmoins, cela se heurte au principe de réalité qu’est le manque de greffons : la liste des patients en attente de greffe rénale compte 5 000 nouveaux inscrits par an quand seulement 3 500 greffes sont réalisées chaque année.
Nous avons besoin en ce domaine de mesures plus volontaristes, comme nous en avons récemment débattu lors de l’examen du projet de loi relatif à la bioéthique.
S’agissant du dossier pharmaceutique, la Cour plaide légitimement pour une intensification de son déploiement et préconise qu’un principe de consentement tacite du patient soit substitué au principe actuellement appliqué de consentement exprès.
Cette mesure a déjà fait son apparition au cours des débats en commission spéciale autour du projet de loi d’accélération et de simplification de l’action publique ; elle constitue une piste intéressante. Toutefois, avez-vous pu vérifier sa compatibilité avec l’article 9 du règlement général sur la protection des données (RGPD), qui conditionne tout traitement de données à caractère personnel au recueil du consentement explicite de la personne concernée ? Nous aimerions avoir votre avis sur ce point, madame la Première présidente.
Par ailleurs, la Cour souligne qu’un des ralentissements imputables au déploiement du dossier pharmaceutique se situe au niveau des pharmacies à usage intérieur des établissements de santé ou médico-sociaux. Ce problème a été incidemment soulevé au cours de la discussion du dernier PLFSS par notre collègue Catherine Deroche. En effet, le ministère considère que la substituabilité d’un médicament bioprinceps et d’un médicament biosimilaire doit être entourée de précautions particulières – d’aucuns y verraient même des entraves – en raison d’une prescription en milieu hospitalier, d’une dispensation en officine et d’un défaut de communication, malheureusement réel, entre les deux.
Ne serait-il pas judicieux que la loi prévoie des dispositions particulières d’établissement du dossier pharmaceutique dans le cas où certaines spécialités pourraient faire l’objet de substitutions moins coûteuses pour la sécurité sociale et indifférentes, voire de meilleure qualité, pour le soin du patient ?
S’agissant de la gestion de l’Agirc-Arrco, la Cour rappelle le contexte et les situations qui ont mené à la fusion réalisée au 1er janvier 2019 entre les deux anciennes associations propres l’une aux cadres et l’autre aux salariés. Cette fusion était d’ailleurs l’une des préconisations du rapport thématique qu’avait produit la Cour en 2014.
Au titre des recommandations formulées cette année sont évoquées des préoccupations d’économies sur les coûts de gestion et la question des effectifs, même si la Cour relève que des efforts significatifs ont été réalisés.
Mais, bien sûr, ce rapport arrive alors que nous aurons bientôt à examiner le projet de loi instituant un système universel de retraite. Je veux signaler deux éléments que nous devrons avoir à l’esprit.
Le premier concerne les réserves. C’est une particularité de ce régime : le choix a été fait d’un pilotage appuyé sur les réserves qui, à l’horizon de quinze ans, doivent être équivalentes à six mois de prestations. Ces réserves ont en partie permis au régime de surmonter la crise de 2009. La Cour invite aujourd’hui à renforcer leur gestion à l’échelon fédéral. Ce choix des réserves doit conduire à s’interroger sur le pilotage que nous entendons faire du futur système universel.
Le second est lié encore au pilotage. L’Agirc-Arrco est un système à points, avec des valeurs de service et d’achat, la première ayant été entre 2014 et 2018 revalorisée sur l’inflation diminuée d’un facteur de « soutenabilité ». Cette question d’indexation des valeurs de référence anime très largement les débats sur le futur système. Vous en conviendrez, chers collègues, nous avons là un exemple de gestion appuyée sur un impératif d’équilibre de long terme.
Ces éléments doivent nourrir nos réflexions, comme les préoccupations soulignées par la Cour cette année d’une meilleure lisibilité des contributions générant des droits ou relevant simplement de l’équilibre et de la solidarité de nos systèmes.
Telles sont, madame la Première présidente, les principales questions et observations que nous inspirent vos travaux, toujours aussi utiles et suivis par la commission des affaires sociales.