Intervention de Patrice Joly

Réunion du 4 mars 2020 à 15h00
Dépôt du rapport annuel de la cour des comptes suivi d'un débat

Photo de Patrice JolyPatrice Joly :

Madame la Première présidente, à mon tour, je vous remercie de cet intéressant rapport qui nous apporte des éclairages utiles pour améliorer les politiques publiques dont nous avons la charge.

À cet égard, vous constatez dans votre rapport un déficit qui devrait repasser au-dessus des 3 points de PIB en 2019 du fait d’une baisse des prélèvements. En effet, à la réduction de la fiscalité des entreprises, due notamment au remplacement du CICE par des allégements de cotisations, il faut ajouter les cadeaux aux plus favorisés de nos concitoyens, en particulier la suppression de l’impôt sur la fortune.

Sur le plan des charges, en demandant au Gouvernement un effort accru de maîtrise de la dépense publique, la Cour confirme une nouvelle fois son approche des finances publiques : attention à ne pas cautionner l’idée selon laquelle la France devrait réduire son déficit afin de bénéficier d’une appréciation favorable des marchés financiers. Cette soumission aux marchés financiers soulève la question de la réalité de notre souveraineté nationale, à laquelle nous n’avons pas le droit de renoncer.

La dette publique est devenue l’argument principal employé par la pensée néolibérale pour justifier le repli de l’intervention publique. Pourtant, des experts – non des moindres, puisqu’il s’agit de prix Nobel – contestent aujourd’hui cette approche contraire selon eux à l’intérêt général.

Je veux rappeler en cet instant à quel point l’intervention publique est salutaire pour nombre de nos concitoyens qui n’ont pas d’autre protection et qui n’ont pas accès à d’autres services que ceux qui sont assurés par le service public, ce qui d’ailleurs est loin d’être un handicap à la performance économique du pays, bien au contraire.

En matière de dette, c’est l’accroissement de la dette privée au cours de ces dernières années qui suscite de fortes craintes. Il concerne les entreprises, mais également les ménages qui se paupérisent et qui n’ont pas d’autre recours. Curieusement, on en parle moins que de la dette publique.

Parmi l’ensemble des sujets que la Cour a traités et qui s’inscrivent pleinement dans l’actualité figure la retraite complémentaire Agirc-Arrco des salariés du privé qui est en voie de redressement. Ce résultat est obtenu par une évolution plus forte du coût du point cotisé que celle des cotisations versées. Vous montrez ainsi que le rendement du régime a diminué, passant de 6, 56 % en 2015 à 5, 99 % en 2018. Cela ne fait que confirmer nos craintes à l’égard du régime universel de retraite par points que propose le Gouvernement.

S’agissant des aides personnalisées au logement, la Cour a relevé des soucis d’équité touchant indifféremment tous les bénéficiaires. En effet, la réduction du montant des APL, notamment, a concerné l’ensemble des allocataires, quelle que soit leur situation financière. Pis encore, en ce qui concerne la prise en compte du patrimoine des bénéficiaires, le choix a été fait a posteriori de n’appliquer cette mesure qu’aux nouveaux entrants. Vous soulignez que « ce choix apparaît contraire aux dispositions législatives et réglementaires et met en lumière l’insuffisante préparation de cette mesure. »

Par ailleurs, la Cour traite largement du thème du numérique. Le rapport relève ce que nous, élus des territoires ruraux, dénonçons depuis plusieurs années : les effets pervers de cette vague de déshumanisation des services publics au détriment des populations les plus vulnérables, soit, selon le dernier rapport du Défenseur des droits, 500 000 Français sans internet et 30 % qui ne sont pas familiers des usages numériques.

Vous relevez également les projets de transformation numérique pouvant devenir une source de difficultés. Je pense en particulier à l’approche de Pôle emploi, au sujet de laquelle vous relevez « le risque de confondre autonomie dans l’usage du numérique et autonomie dans la recherche d’emploi ». Il s’agit d’une question cruciale alors que depuis 2018 sont renforcés le contrôle et les obligations des demandeurs d’emploi, ces derniers étant notamment exposés à un risque accru d’être sanctionnés, voire radiés en cas de manquement aux obligations de recherche d’emploi.

Le portail internet Emploi Store agrège pléthore d’applications pour la recherche d’emploi. Cet outil pourrait avoir l’effet inverse de l’objectif affiché. En effet, selon vous, ce foisonnement d’offres non seulement pose la question de l’utilité de certaines applications, mais constitue en outre une source de complexité. Il est donc peu utilisé.

Enfin, pour remédier à la rétractation des services offerts à la population des territoires ruraux et lutter contre la fracture numérique, il est nécessaire de s’appuyer sur les moyens humains, techniques et financiers appropriés. Sans une préparation préalable des agents et la mise en place d’un accompagnement adapté dans la transition, le passage au numérique paraît risqué. Les difficultés qui ont accompagné la dématérialisation de la délivrance des cartes grises l’illustrent.

Si l’on veut s’assurer que la France maintienne un haut niveau d’exigence dans l’égal accès aux services publics, il faut à brève échéance développer et sécuriser l’intermédiation numérique, c’est-à-dire l’accompagnement des usagers.

La Cour a formulé des recommandations. D’autres propositions sont exposées. Les voies sont multiples, mais elles doivent être ouvertes rapidement. Désormais vient le temps de l’action.

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