Intervention de Thierry Carcenac

Réunion du 4 mars 2020 à 15h00
Dépôt du rapport annuel de la cour des comptes suivi d'un débat

Photo de Thierry CarcenacThierry Carcenac :

Monsieur le président, madame la Première présidente, mes chers collègues, la présentation du rapport annuel de la Cour des comptes est toujours un moment attendu qui permet d’évoquer la situation des finances publiques.

Cette année, la Cour innove avec le choix de présenter un thème transversal en retenant une approche globale sur le rôle du développement du numérique dans nos sociétés et son effet sur la transformation de l’action publique.

Ce développement bouleverse les organisations et les relations avec nos concitoyens, l’objectif étant de faciliter leur vie quotidienne et de proposer de nouveaux services et prestations. Je n’évoquerai dans cette intervention – un tel débat est une nouveauté pour le Sénat – que les points généraux soulevés par la Cour qui permettent d’éclairer nos concitoyens, mais également le Parlement sur la mise en œuvre des politiques publiques votées par le législateur et leurs déclinaisons dans les différents ministères, confortant nos appréciations ou nos inquiétudes déjà exprimées comme rapporteurs spéciaux.

Depuis le programme d’action gouvernemental pour la société de l’information (Pagsi) engagé en 1998, les différents gouvernements ont décliné l’administration électronique. Le dernier programme en date, après le rapport Action publique 2022, prévoit que chaque ministère doit atteindre 100 % des démarches accessibles en ligne dès 2022.

Quatre comités interministériels de la transformation publique se sont tenus depuis pour traduire ces objectifs en mesures concrètes. Au-delà des changements de terminologie, les problèmes demeurent : nous sommes passés d’un secrétaire d’État à la réforme de l’État à un secrétaire d’État au numérique et à la transformation publique, de la direction interministérielle du numérique et du système d’information et de communication de l’État (Dinsic) à la direction interministérielle du numérique (Dinum), de la direction générale de la modernisation de l’État (DGME) à la direction interministérielle de la transformation publique (DITP). Comme l’écrivait Lampedusa dans Le Guépard, « il faut que tout change pour que rien ne change ».

Dans mon rapport Pour une administration électronique citoyenne rendu au Premier ministre en 2001, dans celui de notre collègue Gérard Braun intitulé Pour une administration électronique au service du citoyen, de 2004, ou dans celui de M. de la Coste, L ’ hyper-République : bâtir l ’ administration en réseau autour du citoyen, de 2003, tout – ou presque – avait déjà été écrit.

La Cour dans son rapport très instructif réactualise ces problématiques concernant la formation, le rôle et le recrutement des agents, le pilotage des projets informatiques, la fracture numérique ou la simplification des procédures administratives.

Concernant les agents, nous notons, comme la Cour, les carences en personnels qualifiés, la spécialisation des métiers, le problème du recrutement et de la fidélisation, l’attractivité insuffisante des concours, la méconnaissance des offres par les candidats potentiels, ou encore la difficulté à assurer une carrière dans la fonction publique. Qu’en est-il du plan gouvernemental pour la prise en compte de la fonction informatique de l’État ?

Pour ce qui est du pilotage défaillant des projets informatiques, l’exemple de l’éducation nationale avec l’abandon, pour un coût de 400 millions d’euros, du projet Sirhen est symptomatique, mais n’est pas un cas isolé. Nous nous souvenons des naufrages d’Accord II, du logiciel Louvois et du projet de l’Opérateur national de paie.

Normalement, la Dinsic, ou maintenant la Dinum, doit évaluer les projets supérieurs à 9 millions d’euros, et ce depuis 2014. Nous en sommes encore très loin. Quel rôle joue, dès lors, le comité d’orientation stratégique interministériel du numérique ?

Je souligne que la Dinum et la DITP dépendent d’un même secrétaire d’État sous l’autorité du ministre de l’action et des comptes publics qui dispose également de la direction de l’immobilier de l’État. Or nous ne trouvons aucune coordination avec les schémas annuels de stratégie immobilière.

S’agissant des fonctions support, on continue de travailler en silos. Les réponses aux recommandations de la Cour du Premier ministre, voire du ministre de l’action et des comptes publics laissent encore entrevoir beaucoup de marge de progrès qui permettraient des économies budgétaires sans dégrader les services publics.

Certains ministres, dans leur réponse à ses observations, remercient la Cour de son important travail de consolidation des comptes. En effet, nous notons une méconnaissance des coûts du numérique et de ses infrastructures, les moyens étant inadaptés – le même constat a été fait concernant la DGFiP en avril 2019.

Quant à la fracture numérique, la Cour relève que la suppression des guichets physiques est pénalisante pour certains usagers en fonction de leur âge, de leur formation et de leur lieu de résidence, et évoque la possibilité de solutions de substitution et d’accompagnement.

On note que 7 % de nos concitoyens restent éloignés du numérique, ce phénomène étant un facteur d’exclusion. Qu’en est-il alors de la réalité du plan d’inclusion numérique élaboré par le Gouvernement ?

J’évoquerai enfin la simplification des procédures. Concernant les cartes grises, la Cour note qu’« il aurait fallu simplifier la réglementation avant d’engager le processus de numérisation ».

Dans mon rapport de 2001, j’indiquai qu’il fallait « profiter des potentialités offertes par les réseaux pour redéfinir, en profondeur, les processus et les traitements de données au sein de l’administration. […] La seule automatisation ne permet en effet pas de gains importants en efficacité ».

Par ailleurs, on note le déport de charges de certaines actions par leur transfert en totalité ou en partie aux bénéficiaires, entraînant un coût pour l’usager auprès de prestataires de services ou de La Poste, moyennant un coût supplémentaire pour un service autrefois gratuit.

Cela dit, je tiens à remercier la Cour d’avoir permis cette réflexion, et engage l’État à améliorer son action pour le plus grand profit de nos concitoyens.

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