Madame la Première présidente, la Cour des comptes a quatre missions : juger, contrôler, évaluer, certifier. À la lecture de ce rapport, je me suis demandé s’il ne serait pas nécessaire d’élargir ces missions. En effet, lorsque vous contrôlez, vous vous assurez du bon emploi des fonds publics, notamment du respect de la réglementation et de la législation en vigueur, et lorsque vous évaluez, vous appréciez les résultats et les effets d’une politique publique.
J’illustrerai mon propos en prenant deux exemples tirés directement de ce rapport annuel.
Le premier concerne la restauration collective, point qui a déjà été évoqué. Je ne m’attarderai pas sur les deux premières parties du chapitre consacré à ce sujet, mais j’évoquerai la troisième, qui, en filigrane, suggère un manque de cohérence entre différentes politiques publiques. En effet, la Cour souligne qu’on a assigné à la restauration collective au cours des deux dernières années trois objectifs qui entraînent des coûts pour les collectivités.
Le premier objectif est d’assurer le développement de l’agriculture biologique et d’améliorer la qualité sanitaire de ce que les enfants consomment, conformément à l’article 24 de la loi Égalim.
J’ai consulté l’étude d’impact pour savoir si le coût de ces dispositions avait été chiffré. Les évaluations montrent que l’introduction de 50 % de produits bio ou labellisés augmente le coût des denrées de l’ordre de 20 %. Par ailleurs, l’étude d’impact mentionne une étude conduite par l’Agence Bio selon laquelle les collectivités pourraient réduire ce surcoût de 20 % en mettant en place des économies de gestion.
Le deuxième impératif est la suppression du plastique dans les cantines à horizon de 2025. Cette disposition est également prévue dans la loi Égalim, mais elle a été introduite par voie d’amendement parlementaire, donc sans aucune étude d’impact sur le coût pour les collectivités.
Le troisième impératif assigné aux collectivités est de proposer des repas à un euro pour les familles les plus défavorisées, conformément au plan Pauvreté annoncé en 2018, et dont la mise en œuvre a été entamée au printemps 2019. L’État s’est alors engagé à abonder chaque repas à un euro à hauteur de deux euros.
Dans le même temps, on demande aux collectivités de réduire la dépense publique, notamment dans le cadre des contrats de Cahors.
Dans son rapport sur l’état des finances publiques, notamment dans le deuxième fascicule qui a été publié à l’automne, la Cour fait un état du coût des normes. Elle estime qu’on ne va pas assez loin, relevant en particulier que les estimations émanant du Conseil national d’évaluation des normes et du secrétaire général du Gouvernement, qui ne sont réalisées qu’a posteriori, devraient également l’être a priori.
J’estime que la Cour pourrait aller plus loin. Ainsi, on impose aux collectivités locales de mettre en œuvre des politiques publiques qui, mises côte à côte, deviennent inconciliables. En effet, on ne peut pas en même temps diminuer les recettes en demandant une tarification à un euro et créer des charges supplémentaires en réclamant le remplacement du matériel, ce qui entraîne des dépenses d’investissements, ou en demandant d’acheter plus cher, c’est-à-dire en augmentant les dépenses de fonctionnement.
Mon deuxième exemple est tiré de la partie du rapport relative aux liaisons aéroportuaires en Bretagne. Vous rappelez très bien le poids de l’histoire et le rôle pionnier de la France en matière d’aviation, avant de présenter le cas particulier de la Bretagne, qui dispose de huit aéroports. Cette situation est le fruit de l’histoire de cette région, qui s’est dotée de ces équipements parce qu’elle ne disposait alors ni d’autoroute ni de lignes ferroviaires à grande vitesse, et était de ce fait quelque peu enclavée.
La donne a changé avec la mise en œuvre de la ligne à grande vitesse (LGV) en 2017. L’État a pourtant accordé une mission de service public à la liaison aérienne reliant Orly et Quimper, ce qui va se traduire par un coût pour les collectivités de 12 millions d’euros sur trois ans.
La Cour préconise d’« élaborer une stratégie aéroportuaire économiquement soutenable en clarifiant les enjeux de desserte et d’aménagement du territoire ». Faisant cela, elle remplit les missions qui lui sont fixées par le code des juridictions financières. Mais ne pourrait-elle aller plus loin, en interrogeant les politiques publiques à l’aune des grands engagements de la France, notamment de l’accord de Paris, qui nous enjoint à diminuer nos émissions de gaz à effet de serre ?
Je ne sais pas si c’est réalisable, madame la Première présidente, mais je suggère que nous réfléchissions à compléter le code des juridictions financières pour élargir les missions de la Cour de manière qu’elle puisse avoir une vision transversale sur l’ensemble des politiques publiques.