Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, tout d’abord, je tiens à remercier la présidence du Sénat d’avoir accepté l’inscription à l’ordre du jour de ce débat relatif au coronavirus.
« Le fléau n’est pas à la mesure de l’homme, on se dit donc que le fléau est irréel, c’est un mauvais rêve qui va passer » écrivait Albert Camus dans La Peste.
Dans la lutte contre l’épidémie, l’information fait partie de nos armes. Informer les soignants, les patients, nos concitoyens, prévenir les rumeurs, démentir les fausses nouvelles : ce débat peut y contribuer et, mieux informés, nous pourrons être plus utiles encore.
Nous connaissons encore peu de choses du coronavirus, émergeant depuis deux mois, même si le séquençage de son génome a été réalisé avec une grande rapidité, ce qui a permis de l’apparenter à des virus connus, comme le SRAS.
La faiblesse de nos connaissances peut susciter beaucoup d’interrogations, mais aussi beaucoup de craintes. Ces craintes sont légitimes. Oserai-je dire qu’elles sont nécessaires dans la réponse à l’épidémie ?
En effet, des virus mieux connus n’en sont pas moins dangereux. Chaque année, dans notre pays, on meurt par milliers de la grippe saisonnière, ou encore de la rougeole, alors qu’une réponse vaccinale existe et que les gestes barrières peuvent protéger.
Dans tous les cas, il s’agit non seulement de se protéger soi-même, mais aussi de protéger les plus faibles : ceux que l’on ne peut pas vacciner, parce qu’ils sont encore trop jeunes ou parce qu’ils ne peuvent supporter le vaccin ; ceux qui sont âgés ; ceux qui sont déjà affectés d’autres pathologies ; ou encore ceux dont les défenses immunitaires sont affaiblies et qui ne peuvent s’en remettre qu’au rempart que vont former les autres.
Ainsi, nous devons transformer nos craintes communes en réactions, en précautions, en protections contre le virus.
Nous savons qu’un réservoir de virus émergents existe, et qu’il est même très important. Nous devons vivre avec ce risque : l’accélération des contacts et des échanges, la fréquence des déplacements, le rythme croissant des mobilités sont des chances, mais ils favorisent aussi la propagation des virus.
Quel est l’état des connaissances sur le coronavirus en 2020 ? Que savons-nous de ses caractéristiques et de la façon dont il se transmet ? Y a-t-il un danger de transmission mère-enfant ? Que savons-nous des possibilités de mutation ?
Il ne semble pas que l’on ait observé de mutation jusqu’à présent, mais ce facteur serait un élément décisif dans la réponse à apporter.
Les traitements aujourd’hui dispensés aux patients sont transposés d’autres pathologies, en particulier du VIH. D’autres pistes ont été avancées sur le fondement d’essais cliniques effectués en Chine. Que penser de la qualité de ces essais ? La chloroquine, déjà évoquée dans d’autres indications et pour des épidémies précédentes, est-elle une piste ?
Nous nous interrogeons sur les traitements, mais aussi sur les vaccins. Un vaccin est-il à notre portée si l’épidémie se prolonge ? Dans quels délais pourrions-nous en disposer ?
Monsieur le ministre, je souhaite aussi que ce débat soit l’occasion de faire le point sur la réponse apportée par les pouvoirs publics. Quelles doivent être la stratégie d’information, la stratégie de dépistage, la stratégie de prise en charge ? En quoi consistera la phase 3 de la réponse au virus ?
Au sujet de la prise en charge hospitalière, nous avons vu la doctrine évoluer en quelques jours. À titre personnel, j’approuve le choix de réserver le milieu hospitalier aux formes graves. Mais cette solution suppose d’organiser la réponse hospitalière dans un contexte où l’hôpital est fragilisé. Elle suppose aussi de mieux impliquer les professionnels de la médecine de ville, qui se sentent encore insuffisamment armés dans la réponse au virus et trop peu informés quant à sa prise en charge. Or, de toute évidence, ils sont notre première réponse ; nous devons les protéger pour préserver notre capacité à combattre l’épidémie.
Mes dernières interrogations portent sur les publics les plus fragiles. Même si nous connaîtrons sans doute des victimes jeunes et bien portantes, comme pour la grippe, le coronavirus est plus létal pour les personnes âgées. Ne devons-nous pas en tirer des conséquences sur le port du masque et sur l’accueil dans les Ehpad de notre pays ?
Nous avons donc beaucoup de questions et j’espère que le débat permettra d’y répondre. Je souhaite aussi qu’un point régulier puisse être organisé devant la commission des affaires sociales, afin que ses membres puissent se faire les relais, au sein du Sénat et dans leurs territoires, d’une information au plus près des derniers éléments disponibles.
Les précédents nous montrent que la réponse des pouvoirs publics est toujours critiquée : l’épidémie est ravageuse, on lui reproche son incurie ; qu’elle soit moins offensive que prévu et on lui reprochera d’en avoir trop fait !
Informer au jour le jour, admettre que l’on ignore certaines choses, développer la culture du risque favorise la résilience de la population et prépare notre pays à des crises qui se répéteront forcément.
Le quotidien Le Monde a fait état de l’augmentation des ventes du livre d’Albert Camus, La Peste, à la faveur de l’épidémie. Que ce livre nous aide à garder à l’esprit le besoin d’une réponse solidaire selon laquelle se protéger soi-même, c’est protéger le plus faible, qu’il me soit proche ou que je ne le connaisse pas.