Intervention de Véronique Guillotin

Réunion du 4 mars 2020 à 21h45
Débat sur les mesures de santé publique prises face aux risques d'une épidémie de coronavirus covid-19 en france

Photo de Véronique GuillotinVéronique Guillotin :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous voici réunis pour débattre des mesures de santé publique prises, et à prendre, pour éviter la propagation du coronavirus en France. Innover sur ce sujet paraît bien difficile, tant les informations et les commentaires plus ou moins scientifiques inondent nos chaînes d’information depuis maintenant plusieurs semaines.

Cela ne doit toutefois pas nous exempter d’un débat sur le fond, loin de certaines polémiques politiciennes qui se nourrissent de chaque crise pour prospérer, comme un virus sur sa cellule. Nous en avons eu un triste exemple dans cet hémicycle.

En ma qualité de médecin, je m’efforce de considérer avant tout les faits, de les appréhender de manière scientifique et pragmatique. Les faits, ce sont plus de 250 malades et quatre décès dans notre pays, un taux de contamination de deux à trois personnes par malade et un taux de létalité de 2, 3 %, qui tombe à 1, 3 % pour les moins de 70 ans.

Les commentateurs sont nombreux à comparer ces taux à ceux de la grippe saisonnière : ils sont plus élevés. Néanmoins, bien que nous en soyons au début de l’épidémie, le bilan du Covid-19 est très loin de celui de la grippe, qui, chaque année, contamine 2 à 6 millions de Français et en tue plusieurs milliers.

Je fais ce parallèle en espérant que la prise de conscience que nous connaissons aujourd’hui infusera dans la société pour les hivers à venir. Je n’aurai de cesse de le répéter : la prévention doit être au cœur de notre politique de santé publique. Or, à l’heure où les scientifiques s’activent pour trouver un vaccin contre le Covid-19, nous sommes très loin, trop loin, d’atteindre les objectifs de vaccination contre la grippe, qui, je le répète, tue chaque année plusieurs milliers de Français, ou contre la rougeole, qui entraîne le décès de trop nombreux enfants.

Se vacciner, c’est se protéger, mais aussi protéger ses proches, notamment les plus fragiles, qui paient plus lourdement les conséquences de ces maladies. C’est pourquoi nous devons, ensemble, continuer de militer pour une généralisation de la vaccination, notamment parmi les professionnels de santé, dont seulement 25 % se font vacciner, alors qu’ils sont en contact direct avec les populations les plus fragiles.

En matière de prévention, je salue, monsieur le ministre, les mesures prises par le Gouvernement pour réquisitionner la production française de masques et la réserver en priorité aux professionnels de santé et aux malades : aux soignants, car, en première ligne face à cette épidémie, ils doivent être protégés, tout en continuant à exercer leur indispensable métier ; aux personnes infectées, naturellement, afin de contenir la propagation de la maladie.

Toutefois, j’ai deux remarques à formuler.

D’abord, la population a pu avoir le sentiment que l’État, peut-être, avait réagi aux événements un peu tard. N’aurait-il pas fallu mettre en place des mesures de réquisition et de délivrance sur ordonnance des masques dès les premières contaminations françaises ? N’aurait-on pas dû être plus mesuré sur la quantité de matériel distribué à la Chine en février dernier, sachant qu’une pandémie se profilait ?

Ensuite, il subsiste encore, je crois, des trous dans la raquette. Malgré la bonne réaction de l’État, avec l’envoi de stocks aux pharmaciens, et malgré l’accélération, fort bienvenue, des chaînes de production de masques, certains pharmaciens continuent d’indiquer qu’ils ne disposeront pas de quantités suffisantes pour fournir l’ensemble des professionnels de santé concernés.

À ce sujet, des doutes subsistent : monsieur le ministre, pouvez-vous rassurer ces professionnels, nous rassurer ? Quels seront les soignants concernés par les distributions de masques de protection ? Si la distribution est restreinte aux médecins de ville et aux établissements hospitaliers, de nombreux professionnels resteront confrontés à un risque accru, à l’instar des orthophonistes, des kinésithérapeutes et des infirmiers libéraux, qui nous font part de leur inquiétude, car ils sont en contact direct et permanent avec les patients.

Par ailleurs, monsieur le ministre, que répondez-vous au Syndicat des médecins libéraux, qui réclame des surblouses et des lunettes de protection ?

Dans les circonstances actuelles, la question ressurgit de notre approvisionnement en médicaments. Nous en débattons depuis de nombreux mois, pour ne pas dire de nombreuses années, tant s’accroît notre dépendance à l’égard de l’Asie.

S’agissant des masques, le plus gros fournisseur de France a indiqué que 70 % de sa production était basée en Chine, et qu’il ne pouvait plus rien recevoir depuis deux mois. La production française a donc été dopée et réquisitionnée : c’est fort bien, mais il est probable qu’elle ne suffise pas à pallier des décennies de dépendance croissante.

Un rapport sénatorial, à l’élaboration duquel j’ai participé, a avancé plusieurs propositions invitant les pouvoirs publics à engager rapidement des mesures pour relocaliser la production de médicaments en France, ou plutôt en Europe. Sur toute la chaîne des produits et matériels médicaux, nous devons absolument viser l’indépendance. Je vous sais, monsieur le ministre, conscient de cette nécessité : quelles mesures pensez-vous prendre pour atteindre cet objectif ?

Grâce à l’information sur les gestes de bon sens, qui semblent bien intégrés par la population, et à la limitation des rassemblements que vous avez décidée, on peut espérer contenir, voire limiter, la diffusion du virus. Grâce à l’efficience de notre système de santé, dont il faut saluer les grandes qualités, à commencer par l’engagement de ses professionnels, on peut aussi espérer contenir les conséquences les plus graves de la maladie.

Les mesures prises sont toujours guidées par les scientifiques et doivent le rester. Vous avez indiqué, monsieur le ministre, que tel est votre état d’esprit. Nous vous soutenons sur ce point.

Une question, toutefois, reste en suspens : l’anticipation des places en soins intensifs et en réanimation, condition indispensable à une prise en charge optimale des futurs patients les plus graves.

Personne ne sait combien de temps va durer cette épidémie, mais une chose est sûre : la panique, l’irrationnel, le fantasme ne résoudront rien. L’information, encore et toujours l’information, est, avec l’apprentissage de mesures simples et la responsabilité collective et individuelle, le seul moyen de limiter l’épidémie. Dans cette crise sanitaire exceptionnelle, monsieur le ministre, nous sommes à vos côtés !

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