… de mettre sur pied deux grands ensembles industriels au service de la nation.
Cette victoire industrielle retentissante a rendu possible une autre victoire, celle du statut national qui s’est traduit pour les électriciens et les gaziers par une avancée sociale et démocratique en termes de garantie d’emploi, de rémunération et de retraite.
Aujourd’hui, le Gouvernement, que ce soit avec le projet de loi NOME ou le texte relatif aux retraites, revient sur ces décisions uniques qui ont marqué un tournant décisif pour notre pays.
Le projet de loi NOME, comme la privatisation de GDF et la logique libérale qui guide désormais la gestion des opérateurs historiques, pose la question de la dimension que l’on veut donner aux politiques industrielles, en particulier aux politiques énergétiques.
Il y a plus de soixante ans, Marcel Paul, ministre communiste, défendait la nationalisation d’EDF en expliquant qu’il fallait « créer les conditions d’un équipement énergétique du pays conforme aux besoins de la nation, adapté à ses besoins tant dans les domaines de l’industrie que dans celui des usages domestiques » et il clamait haut et fort devant l’Assemblée nationale constituante : « il s’agit d’un problème de vie pour le pays ».
Mes chers collègues, nous nous trouvons à un tournant crucial, et ce problème de vie se pose avec une urgence et une actualité édifiantes.
Comme hier, il s’agit de déterminer la politique énergétique de demain, de définir les nouveaux moyens de production, de garantir notre indépendance énergétique, la pérennité de nos installations et le droit d’accès à l’énergie. Mais il s’agit également de permettre à notre industrie d’exister et à nos bassins d’emploi, saignés à blanc par les logiques de marché, de survivre et de vivre.
Depuis l’an 2000, le secteur énergétique a été très gravement touché par l’introduction de la concurrence et de la déréglementation. Les conséquences ont été nombreuses : hausse des prix de l’énergie, comme en témoigne la mise en place du TARTAM, le tarif réglementé transitoire d’ajustement du marché, pour les consommateurs non domestiques ; implantation anarchique des moyens de production ; absence de cohérence des investissements ; insuffisance des investissements sur les réseaux de transport et de distribution ; fermeture des moyens de production de proximité. Et c’est encore la concurrence qui a justifié le découpage des entreprises en filiales, la destruction des monopoles publics et la création d’oligopoles privés !
Face aux défis économiques et sociaux qu’il nous faut relever, le projet de loi NOME porte une atteinte sans précédente, inédite, tant dans la forme que sur le fond, à la production énergétique en s’attaquant à la production d’origine nucléaire et en détournant les atouts qu’elle présente.
Et cela dans quel but ? Sauver nos usines, aider nos concitoyens à supporter le coût des besoins énergétiques, financer la recherche fondamentale ? Évidemment, non ! Il s’agit, au nom de la concurrence, en raison de tarifs que le Gouvernement juge trop bas, de favoriser les opérateurs privés sur le marché français.
Avec ce projet de loi, monsieur le secrétaire d’État, vous renoncez au but unique qui devrait guider l’action de n’importe quel gouvernant : la satisfaction de l’intérêt général. Ce texte constitue non pas une politique industrielle, mais un simple accord commercial.
Ainsi, au nom de la concurrence libre et non faussée, on impose à EDF de vendre un quart de sa production d’énergie nucléaire. On lui impose les contrats, leur contenu, leur durée, les cocontractants, le prix.
Au nom de ce principe dicté par l’Europe, l’État va garantir aux opérateurs privés des profits, au seul bénéfice de leurs actionnaires. Le Gouvernement brade une part substantielle de la production des centrales nucléaires, lesquelles ont été construites grâce à des emprunts souscrits par EDF, garantis par l’État et remboursés par le produit de la vente de l’électricité.
Cette conception des missions de l’État et le détournement de ses outils industriels suffisent à eux seuls à rendre inacceptable le projet de loi qui nous est soumis.
Cependant, il me semble utile d’entrer dans le détail du dispositif pour montrer à quel point il serait irresponsable de s’engager dans une telle voie.
Le dispositif acté à l’article 1er, en sus du hold-up qu’il organise, présente l’inconvénient majeur d’être assez obscur.
D’une part, il est prévu que le volume global d’électricité de base pouvant être cédé ne peut excéder 100 térawattheures par an. Or M. Fillon, dans la lettre qu’il a adressée au commissaire européen Neelie Kroes en septembre 2009, parlait déjà de ce plafond, mais en le présentant comme un plancher. Il ajoutait : « Une clause de rendez-vous garantira en tout état de cause l’adaptation à la hausse du niveau du plafond si celui-ci est atteint de manière répétée ou bien si la concurrence se développait de manière déséquilibrée ». Peut-être, monsieur le secrétaire d’État, pourriez-vous nous donner des indications afin que nous puissions lire la loi à la lumière des arrangements passés avec la Commission ?
D’autre part, rien n’est inscrit précisément dans le projet de loi en ce qui concerne l’augmentation du plafond en raison des pertes de réseaux, qui seraient de 30 térawattheures selon le rapport. Il est renvoyé à un décret.
Ensuite, sur le prix de cession, le flou artistique règne. Nous avons entendu Henri Proglio dénoncer un « pillage » au-dessous de 42 euros le mégawattheure. M. Borloo, lui, se veut rassurant. Il s’est interrogé devant les députés : « Pourquoi donc êtes-vous angoissés à l’idée que c’est le Parlement de la France qui va décider de la composition du prix de l’énergie nucléaire ? » La réponse est pourtant limpide : en l’état actuel, la liste des éléments qui devraient être pris en compte est insuffisante et cela ne gêne pas la majorité parlementaire !
En outre, il est inscrit noir sur blanc que c’est la Commission de régulation de l’énergie qui propose le prix.
Enfin, le problème des conséquences de cette vente sur la hausse des tarifs reste entier.
La CRE l’a dit elle-même : si le prix de 42 euros le mégawattheure est retenu, cela représentera un coût « supérieur de 36 % au coût actuel de l’électricité de base d’origine nucléaire », qui est de 30, 9 euros.
Selon l’autorité administrative indépendante, EDF va donc naturellement relever les tarifs bleus de 11, 4 % une fois la réforme votée, puis de 3, 5 % par an entre 2011 et 2025.